En théorie, la mauvaise foi ne se présume pas. A
l'inverse, la présomption de bonne foi ne tombera que sous l'effet d'une
preuve contraire. Cependant, en matière fiscale, le contribuable qui
voudra faire reconnaître sa bonne foi en justice, devra, en vertu de
l'article 65 du C.D.P.F., établir la réalité de ce dont il
se prévaut. Paradoxalement, l'administration fiscale qui, de par la loi,
n'est pas tenue de prouver; dispose de moyens énergiques qui lui
facilitent l'administration de la preuve288. En revanche, le
contribuable, fût il de bonne foi, supporte la charge d'une preuve qu'il
n'est pas toujours en mesure d'apporter.
L'embarras du contribuable dans l'administration de la preuve
de sa de bonne foi se manifeste tant au niveau de l'objet de la preuve
(Paragraphe I), qu'au niveau des moyens de la preuve (Paragraphe II).
288 Il s'agit du droit de communication ; des demandes de
renseignements, d'éclaircissements et de justification, du droit de
visite, de perquisition et de saisie.
Une première lecture de cet article laisse penser qu'il
s'agit d'une nouvelle option qui s'offre au contribuable. Cependant, sa version
arabe, étant celle qui fait foi, semble infirmer cette
lecture290. En effet, il en résulte que la preuve de la
sincérité des déclarations et la preuve des ressources
réelles doivent être apportées d'une manière
cumulative.
Ainsi, le contribuable taxé d'office ne peut obtenir
décharge ou la réduction de son imposition qu'en apportant :
· la preuve de la sincérité de ses
déclarations et de ses ressources réelles (A) ou ;
· la preuve de l'exagération de l'imposition (B).
A- La preuve de la sincérité des
déclarations et des ressources réelles
Par l'exigence de la preuve de la sincérité des
déclarations du contribuable et de ses ressources réelles,
l'article 65 du C.D.P.F. opère une extension, regrettable, de l'objet de
la preuve incombant au contribuable. Une telle exigence conduit
nécessairement à « lui faire supporter la charge de la
preuve du fait négatif ce qui contredit les principes
généraux régissant le système de la preuve
»291. En outre, cette exigence met en échec la
présomption de la sincérité de tout rapport de droit
entérinée par l'article 559 du C.O.C. qui dispose que : «
Tout rapport de droit est présumé valable et conforme
à la loi, jusqu'à preuve du contraire ».
Ces aberrations ont justifié le recours d'une
partie de la doctrine à interpréter restrictivement cette
exigence de la sincérité des déclarations du contribuable
en la limitant à la preuve du dépôt des déclarations
et des actes prescrits par la loi fiscale dans les délais
légaux292.
290 Version arabe de l'article 65 du C.D.P.F.
I~~~ LN ~~ '~~~~ ,~ ~.Q~~~ ~< '~.~)fl 3~~
JJA-~~'~~w~j~~>*4'-kJ, jjX I~im !\ j~/jZ~~ '~~~~~F~~S ~i (j~ ~J :65 J-.
.4~~~ LN ~~ '~~~~ USm ur~ j< ~~J~J-~~ p~J~4J I-~~~AO ~-/
3~~ J~~~~~ r~X< ~r4 4
291 AYARI (Kamel) : « La preuve dans le contentieux
d'assiette dans le droit fiscal », Info s Juridiques, n°16/17,
janvier 2007, p.13. (En arabe)
6 13 ~-./ 2007 !.~1~ ~ ~~~~~~J~~ ~ !$~>~~~
~~~~J~~ !\ L~"~~ '~~~K~ !\ '~>eE~ ~ j~~~~~ Jt ~
292 BORGI (Sofiane) : « Dilemme de la preuve dans le
contentieux de la taxation d'office », p. 9.
http://www.profiscal.com/colloques/Soufien_borji.pdf,visité
le 28/ 04/ 2008, (en arabe)
!.~~* 4 J 3 !~~~ Y !$~>~~~ !V~J~~ "
sJ~~~ ~jJ~>*E~ L~N~~~~ '~~~i~ !\ '~>eE~ ~~b~~
,!*#>~~ ~~~."
6 &~ -./~ !$~>~~~ ûi~~J~~ ~~~~~~~~ ~~~ ~~~ ~
2002
Or, si l'exigence de la preuve de la sincérité
des déclarations astreint le contribuable de bonne foi à apporter
une preuve difficile, voire impossible, l'exigence de la preuve des ressources
réelles, quant à elle, l'astreint à apporter la preuve de
la non disposition de ressources non déclarées. Il s'agit
là de l'illustration la plus significative de la preuve négative.
En effet, l'exigence de la preuve des ressources réelles témoigne
des « nuances toutes byzantines de la notion de preuve
négative »293. « L'objet de la preuve
n'est plus alors une manifestation concrète, qui se révèle
par elle- même mais par l'absence de toute manifestation
»294.
Ainsi, dans son arrêt du 25 avril 1994, le T.A. a
déclaré que : « Considérant que l'argument
invoqué par l'administration selon lequel la charge de la preuve, en
matière fiscale, incombe au contribuable, concerne les contribuables
pour lesquels l'administration a prouvé qu'ils exercent une
activité déterminée sans déclaration ou qu'ils
aient déposé des déclarations insuffisantes ou
incomplètes(...)Pour les personnes qui soutiennent n'avoir exercé
aucune activité, par interprétation des articles 58 et 59 du code
de la patente, la charge de la preuve relative à l'exercice de
l'activité soumise à imposition incombe à
l'administration »295.
Le T.A. considérait en outre que l'administration ne
pouvait se prévaloir du texte mettant la charge de la preuve sur le
contribuable, pour échapper à l'obligation de preuve qui lui
incombait. Ainsi, avant de renverser la charge de la preuve sur le
contribuable, l'administration fiscale devait apporter la preuve de ses
assertions296.
Cette attitude du juge est louable dans la mesure où
elle contribue à adoucir cette « situation inégale que
les textes fiscaux créent souvent entre l'administration,
généralement en position de force et le contribuable »
en nette infériorité297.
293 BERGERES (Christian) : « Quelques aspects du
fardeau de la preuve en droit fiscal», article précité,
p.151.
294 LARGUIER (Jean) : « La preuve d'un fait
négatif », Revue trimestrielle de droit civil, 1953, p. 3.
295 T.A. 25 avril 1994, requête n° 1173. Voir annexe
3, p. 129 et spécialement p.130.
'i~wU ,~~V~QU~ 3~~ g>S~~ ~ cUr ~~\ '~~~~ I~~~
LN U~ gO~~ 3~~ ~~$~>~U~ W~~ U~ !\ ~L>eE~ 'F~ ~< ,~ W~~~E~
a~~=J t~ ~< d~=~ Y ~~G~ ~~ ,~ZU~ q~QmwU ~>~~U~~ ~~< - P~QU~ 666 yJ~U~
~~~~8~ ^~~~A~~ ~~~~X ~< B~-~~~A~~ ~~~~J~ ~< ~~~ ,~~~ t~8~U B~~"~~ ~ ~
a~>e< ,~ZU~ J L) ~U L~~S U~ #~~.~U~ ~[~ W~~~E~ 3~~ ~~ -~
ÛJ~~'~~wU ?V~QU~ J~8~~U B~~"~~ ~q~AQ~~~>eE~'F~~1i t~8~ j< ~~"~~ ~
BU B~~i~
6Y W~~~O~>U~ ~~~~ ,~ 58 ~ 59 ,~LA.U~ 3~~~
296 -T.A. 30 décembre 1996, requête 31345. Voir
annexe 3 p.136 et spécialement p.139.
-T.A. 30 décembre 1996, requête 31423. Voir annexe
3 p .141 et spécialement p.146.
297 FOUQUET(Olivier) : « Le Conseil d 'Etat est-il trop
indulgent à l'égard de l'administration fiscale : l'exemple de
l'imposition d'après les éléments du train de vie
», Gazette du Palais, 1983, 1er semestre, p.208.
A côté de la preuve de la
sincérité de ses déclarations et de ses ressources
réelles, le contribuable peut également obtenir décharge
ou la réduction de son imposition en apportant la preuve de
l'exagération de son imposition.
B - La preuve de l'exagération de
l'imposition
La possibilité de la preuve de l'exagération de
l'imposition est à l'origine une construction prétorienne du
Conseil d'Etat français298. Ce dernier a depuis longtemps
admis que le contribuable, à qui incombe la charge de la preuve de
l'exagération de l'évaluation administrative, peut, s'il n'est
pas en mesure d'établir le montant exact des résultats en
s'appuyant sur une comptabilité régulière et probante,
soit critiquer la méthode d'évaluation que l'administration a
suivie et qu'elle doit faire connaître au contribuable, en vue de
démontrer que cette méthode aboutit, au moins sur certains points
et pour un certain montant, à une exagération des bases
d'imposition. Le contribuable peut adresser des critiques en établissant
que cette méthode est erronée soit par ce qu'elle est
radicalement viciée, soit parce qu'elle est excessivement sommaire.
S'agissant de la méthode radicalement viciée,
elle a été définie par le Conseil d'Etat français
comme étant la méthode qui repose sur une erreur de raisonnement,
assimilable à une erreur de droit, ou sur des éléments non
susceptibles de fonder l'imposition299.
S'agissant de la méthode excessivement sommaire, elle
peut être critiquée en démontrant une erreur
matérielle. « Celle-ci est une erreur commise par
l'administration fiscale dans le calcul ou la qualification d'un revenu ou
d'une charge et trouve son fondement dans le principe de la
légalité de l 'impôt »300.
298 C.E., 19 décembre 1973, n° 87649, Revue de droit
fiscal, 1975, n°5, commentaires 132.
299 C.E., 12 février 1986, n° 47903, Revue de droit
fiscal, 1986, n°22, commentaires 10/85. C'est ainsi le cas du recours
à un coefficient dépourvu de tout lien avec le volume ou la
nature des affaires traitées.
300 REZGUI (Salah) : « Code des droits et
procédures fiscaux commenté », Publications de l'IORT,
2003, p. 132. C'est ainsi le cas du recours à des coefficients
arbitraires et théoriques.
Le contribuable peut, en outre, et aux mêmes fins,
« soumettre à l'appréciation du juge une nouvelle
méthode d'évaluation permettant de déterminer les bases
d'imposition avec une précision meilleure que celle qui pouvait
être atteinte par la méthode primitivement utilisée par
l'administration, qu'à l'appui de sa démonstration , il peut, en
cours d'instance et à la faveur notamment d'une mesure d'instruction
ordonnée par le juge, non seulement apporter tous les
éléments de preuve comptables ou extra- comptables, mais aussi se
fonder sur des faits reconnus exacts par l'administration, ou dont le
juge serait amené, en cas de contestation, à reconnaître
l'exactitude » 301.
Le T.A. exerce son contrôle sur l'appréciation
par le juge de fond des moyens basés sur l'inadéquation de la
méthode retenue par l'administration par rapport aux faits
matériels. Il exige en effet que les présomptions avancées
soient réelles et objectives sous peine de cassation302.
Ainsi, il a décidé que le jugement d'appel fondé sur des
éléments de comparaisons approximatifs, sans aucune
précision, n'était ni motivé ni convaincant, ce qui a
justifié sa cassation303.
Ainsi, les limites à la preuve par la critique de la
méthode suivie par l'administration ne cessent de se multiplier,
réduisant de la sorte la marge de manoeuvre concédée au
contribuable. Il en découle que la possibilité offerte au
contribuable pour surmonter l'handicap de la preuve négative se trouve
encerclée de barrières quasi infranchissables. « Alors
qu'on demande à l'administration pour asseoir sa taxation de simples
présomptions, on exige du contribuable une véritable preuve pour
renverser ces présomptions »304.
Toutefois, les difficultés que le contribuable doit
surmonter afin de mener à terme ses prétentions ne se limitent
pas à l'objet de la preuve. En effet, il doit également surmonter
des difficultés tenantes aux moyens de preuve.
301 C.E., 19 décembre 1973, n° 87649, Revue de droit
fiscal, 1975, n°5, commentaires 132.
302 T.A., cassation, assemblée plénière, 1
décembre 1997, requête n° 31673. Voir annexe 3 p.147 et
spécialement p.151.
303 T.A., cassation, 4 novembre 1991, n° 1078. Voir annexe
3 p.122 et spécialement p.124.
304 AYADI (Habib) : «Un cas de confusion administration
- contentieux : La taxation d'office en Tunisie », in Mélanges
offerts René CHAPUS, Paris, Montchrestien 1992, p.167.