La protection du contribuable de bonne foi( Télécharger le fichier original )par Rania TRIMECHE FSJPST - Mastere de recherches en droit des affaires 2008 |
B- Un renversement imperméable à la notion de demandeur effectifEn vertu de l'article 65 du C.D.P.F., l'opposition contre l'arrêté de taxation d'office transforme le contribuable débiteur de l'impôt, en demandeur à l'instance. Ceci est compréhensible compte tenu du privilège du préalable, dont bénéficie l'arrêté de taxation d'office251. Ainsi, c'est nécessairement le contribuable qui saisit le juge. Cependant, que l'opposition contre l'arrêté de taxation d'office transforme le contribuable, fût il de bonne foi, en demandeur effectif et donc en demandeur à la preuve, est moins compréhensible. Le demandeur effectif est celui qui, sur le plan du fond, réclame de l'autre partie l'accomplissement d'une obligation ici le paiement de l'impôt252. 249 La Charte du contribuable est disponible sur : http://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/cirppis/cirppis1400.htm, visité le 28 /6/ 2008. 250 BALTUS (Marc) : « Morale fiscale et renversement du fardeau de la preuve », in Réflexions offertes à Paul SIBILLE (études de fiscalité), établissement Emile Bruylant, 1981, p.129. 251 Le privilège du préalable est l'une des caractéristiques essentielles de l'arrêté de taxation d'office en tant qu'acte administratif unilatéral. Il a nécessairement comme corollaire que l'administré doit intenter une action pour contester l'acte administratif. C'est ce qui explique que l'administration n'apparaisse que très exceptionnellement comme demanderesse sur le plan de la procédure et que ce soit l'administré qui supporte presque toujours l'initiative de celle-ci. Sur la question voir DUPUIS (Georges) : «Définition de l'acte unilatéral», in Recueil d'études en hommage à Charles EISENMANN, p.205. 252 AFSCHRIFT (Thierry) : « Traité de la preuve en droit fiscal », Larcier, 2e édition 2004, p.18 et 52. Or, le contribuable, en règle avec son obligation déclarative, proteste contre une taxation qui n'est pas conforme à celle qu'il sollicitait dans sa déclaration253. Autrement dit le contribuable est, simplement, celui qui, au sens procédural du terme, saisit le juge pour combattre la décision de l'administration de l'imposer. Il est de ce fait un demandeur qui se défend254. Toutefois, la véritable contestation émane de l'administration. C'est elle qui prend l'initiative de la contestation quand elle remet en cause des déclarations faites par le contribuable. D'autant plus que c'est l'administration qui a une créance à faire valoir, il lui incombe, en principe, de fournir les éléments propres à justifier l'existence et le montant de cette créance255. Ainsi, il paraît logique que c'est à l'administration de justifier le rehaussement qu'elle a opéré à l'encontre du contribuable qui a produit ses déclarations256. Tandis que, le contribuable défaillant supportera la charge effective de la preuve257. Au total, il apparaît que la protection du contribuable de bonne foi nécessiterait qu'une distinction entre le demandeur effectif et le demandeur à l'instance soit établie. Or, « en droit fiscal tunisien, il y a un choix législatif clair, mais décevant, d'attribuer systématiquement la charge de la preuve au contribuable. Ce dernier supporte la charge de la preuve en premier degré, alors même qu'il n'est pas le demandeur effectif, mais simplement un demandeur à l'instance qui se défend. Il supporte la charge de la preuve en appel même s'il est intimé et étant, en tant que tel, véritablement défendeur au sens procédural du terme »258. 253 MILHAU (A) : « De la déclaration du contribuable en matière d'impôt sur le revenu », Thèse, Paris, 1923, p.37 cité par BERGERES (Maurice-Christian) : « Quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal », Gazette du Palais, 1983, I doctrine, p. 150. 254 «La situation n'est paradoxale qu'en apparence, dans la mesure où, si l'intéressé fait valoir des droits pour se défendre, c'est bien en raison du privilège du préalable qui fait que « d'agressé » par l'administration fiscale dans le cadre d'une procédure administrative il ne peut contre-attaquer que par une réclamation ou une demande adressée au tribunal », RICHER (Daniel) : « Les droits du contribuable dans le contentieux fiscal », L.G.D.J. 1997, p.14. 255 ARRIGHI DE CASANOVA (Jacques) : « Champ d'application de l'impôt et charge de la preuve, à propos de la preuve du lieu d'utilisation du service pour les règles de territorialité de la TVA », conclusions sous l'arrêt du C.E. du 29 juillet 1994, n°111884, section, SA Prodes International, Revue de jurisprudence fiscale, octobre 1994, p. 590. 256 MILHAU (A) : « De la déclaration du contribuable en matière d'impôt sur le revenu », Thèse, Paris, 1923, p.37 cité par BERGERES (Maurice-Christian) : « Quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal », Gazette du Palais, 1983, I doctrine, p. 150. 257 En droit français, ceci découle des termes de l'article L.193 du L.P.F qui dispose : « dans tous les cas où une imposition a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de son imposition ». 258 KAMOUN (Fériel) : « La preuve en droit fiscal », mémoire pour l'obtention du D.E.A. en droit des affaires, Faculté de droit de Sfax, 2001-2002, p.56. Il convient alors de s'interroger si le juge fiscal ne s'est pas prononcé sur la question. Fort heureusement, dans certains arrêts, le juge a mis une obligation de preuve à la charge de l'administration. Cette attitude témoigne en réalité du souci du juge de tenir compte de la notion de demandeur effectif259. Faut-il rappeler que selon le jugement de la chambre fiscale du tribunal de première instance de Sfax, l'administration qui allègue un fait doit le prouver260. Une telle position a le mérité d'alléger la rigueur de la règle prévue par l'article 65 du C.D.P.F. et par conséquent d'alléger le fardeau qui pèse sur le contribuable de bonne foi. Puisqu'en attribuant la charge de la preuve au contribuable taxé d'office, le législateur tunisien fait une liaison entre les notions de « demandeur à la preuve » et de « demandeur à l'instance » et méconnaît de la sorte la notion de demandeur effectif. Ainsi, il paraît fort souhaitable que le législateur abandonne la liaison entre le demandeur à l'instance et le demandeur à la preuve pour faire du «demandeur effectif» le critère d'attribution de la charge de la preuve261. Pareille solution s'accorderait bien avec la règle "actori incumbit probatio" en vertu de la quelle « c'est normalement au fisc qu'il appartient de démontrer que l'impôt qu'il réclame est dû : la subsistance du moindre doute doit faire échouer ses prétentions »262. Il importe de signaler à ce niveau que, l'administration fiscale considère que : « La charge de la preuve qui incombe à l'administration consiste en la motivation des arrêtés de l'administration relatifs à la taxation d'office»263. 259 Voir les arrêts : -T.A., 25 avril 1994, requête n°1173 Dans cette affaire, le tribunal administratif a décidé que : « Considérant que l'argument invoqué par l'administration selon lequel la charge de la preuve en matière fiscale incombe au contribuable ne peut être retenue que dans la mesure où il s'agit des contribuables qui ont fait l'objet d'une preuve préalable rapportée par l'administration établissant qu'ils exercent une activité non déclarée ou bien qu'ils ont procédé à des déclarations insuffisantes ou inexactes. Cependant, pour les personnes qui soutiennent qu'elles n'ont exercé aucune activité, par interprétation des articles 58 et 59 du Code de la patente, la charge de la preuve relative à l'exercice de l'activité soumise à imposition pèse sur l'administration », Voir annexe 3 p.129 et spécialement p.130. - T.A., cassation 19 février 1990, requête
n°823, voir annexe 3 p.114.et spécialement p.1 17. 260 Tribunal de première instance de Sfax, n°36, 9 octobre 2002. Affaire citée par KAMOUN (Fériel) : « La preuve en droit fiscal », mémoire pour l'obtention du D.E.A. en droit des affaires, Faculté de droit de Sfax, 2001-2002, annexe 2. 261 Voir sur la question : PACTET (Pierre) : « Essai d'une théorie de la preuve devant la juridiction administrative », thèse pour le doctorat en droit, Paris, éditions A. Pédone 1952. 262 BALTUS (Marc) : « Morale fiscale et renversement du fardeau de la preuve », in Réflexions offertes à Paul SIBILLE (études de fiscalité), établissement Emile Bruylant, 1981, p. 129. 263 Note commune n°9, Texte n° D.G.I. 2002 / 22, p. 96, 97, relative au contentieux de l'assiette de l'impôt devant les tribunaux de l'ordre judiciaire objet des articles 53 à 68 du code des droits et procédures fiscaux. A signaler que cette position a été retenue par une partie de la doctrine. Voir, YAICH (Abderraouf), « Théorie fiscale », éditions R.Y, 2002, p. 225. Cette position n'est que la redondance des débats parlementaires qui ont précédé la promulgation du C.D.P.F. Lors desquelles, un parlementaire a, non sans raison, critiqué l'article 65 du C.D.P.F. qui prévoit un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable taxé d'office, alors que c'est l'administration qui devrait supporter la charge de la preuve de l'inexactitude des déclarations. Le ministre des finances a alors rétorqué que « cet article (l'article 65) est applicable actuellement et il ne pose pas problème et en plus il y a une nouveauté : c'est l'obligation de motivation. L'obligation nouvelle de motivation de l'arrêté de taxation d'office signifie que l'administration, en motivant cet arrêté (basé sur des présomptions claires), a accompli sa mission de preuve. Et la charge de la preuve après l 'édiction d'un arrêté de taxation d'office devient sur les épaules du contribuable»264. Avant d'ajouter que cette solution est applicable en droit comparé265. Il existe ainsi une confusion entre la motivation de l'arrêté de la taxation d'office et la charge de la preuve. Il s'agit, en réalité de deux notions distinctes266. Alors que la motivation est liée aux droits de la défense267, la charge de la preuve est liée au risque de la preuve. D'ailleurs, le droit français qui consacre l'obligation de motivation de l'arrêté de taxation d'office, consacre aussi un article attribuant expressément la charge de la preuve à l'administration fiscale268. Or, le législateur tunisien n'a pu concevoir le problème de la charge de la preuve que dans un seul sens; celui de l'administration ; le contribuable, fût il de bonne foi, supporte systématiquement la charge de la preuve 264 Débats parlementaires, J.O.R.T. n° 39, séance du mercredi 26 juillet 2000, p.1880. 265 Débats parlementaires, J.O.R.T. n° 39, séance du mercredi 26 juillet 2000, p.1880. 266 Voir dans ce sens SUR (Serge) : « Sur l'obligation de motiver formellement les actes administratifs », A.J.D.A., juillet- août 1974, pp. 349- 367. 267 Le T.A. considère que la motivation en matière fiscale constitue un élément des droits de la défense, car elle permet au contribuable de contester la taxation. -T.A., 19 février 1990, requête n°85 1. - T.A., 19 février 1990, requêtes n°978 et 966. Voir annexe 3 p.1 19 et spécialement 120. Le tribunal de première instance de l'Ariana, requête n° 438 du 21 juin 2007 (Inédit), a défini l'obligation de motivation de l'arrêté de taxation en décidant ce qui suit : L~~S ~i P.G~~#~#>Ok~ i] b ~~~~~S~ ~~#$~"#~#>O~L~iJ~~~ jj3 ~~~~~ ~~~"~ !~~~ ~]~~~~~J~~~ ~]~~X~~~~ L.&>"~1 J sr L~~2~~~~ ~AJ~ d~=~ Y 6 ~~#J ~Zà ~8X~~~ ~]~~~G~4 'L~~~~ T~J= ~~#GO ~~~l~ c~r ]~_\ 6 o6 ~ 6C6 ` , ~ 50
JA.~~F~/çj~>*E~ L~N~~~~ ~~#X P~~~O ~~~>~~~ W~~4 3~~
H]#8 ~~ F*< ,z d~=~ 268 Article L. 192 du L.P.F. Il apparaît alors légitime de conclure que devant le juge, le contribuable de bonne foi est doublement pénalisé ; au premier degré comme au second269. La protection du contribuable de bonne foi ne sera assurée qu'à la condition de protéger ce dernier contre un renversement général de la charge de la preuve, et imperméable à la présomption d'exactitude de la déclaration, mais également à la notion de demandeur effectif. A défaut, les rapports entre le fisc et le contribuable demeurent conflictuels. Cette crainte se confirme notamment dans les cas de recours, par le fisc, au mécanisme des présomptions légales270. |
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