A- Un renversement imperméable à la
présomption d'exactitude
L'imperméabilité du renversement de la charge de
la preuve à la présomption d'exactitude se mesure eu égard
aux implications de la présomption (1) confrontées aux
implications de la solution préconisée par le législateur
à travers l'article 65 du C.D.P.F. (2).
1 °- Les implications de la présomption
d'exactitude
Le système d'imposition en Tunisie est principalement
déclaratif236. Il se base en effet sur le dépôt
spontané, par le contribuable, de ses déclarations
fiscales237.
Le principe déclaratif permet, théoriquement, au
contribuable, qui a rempli sa déclaration, de bénéficier
d'une présomption d'exactitude238. Tel est le cas en droit
fiscal français où la déclaration produite par le
contribuable bénéficie d'une présomption d'exactitude et
de sincérité.
Pareille présomption offre indéniablement, au
contribuable, une garantie précieuse en matière de preuve. En
effet, en cas de contentieux ultérieur, il ne lui appartiendrait pas
d'apporter la preuve du montant de la matière imposable. Une telle
tâche incomberait à l'administration qui devrait dès lors
combattre la présomption d'exactitude attachée à la
déclaration239.
236 En effet, le droit fiscal tunisien
généralise l'obligation de produire une déclaration depuis
1997. A partir de cette date, tous les impôts ; qu'ils soient
prélevés au profit de l'Etat ou des collectivités locales,
sont devenus déclaratifs. La déclaration étant la
procédure de principe pour établir l'impôt,
l'administration n'intervient, dans ce cadre, qu'accessoirement. En effet, elle
peut intervenir pour établir l'impôt soit au moyen du recensement
soit pour relayer la défaillance du contribuable. S'agissant de
l'opération de recensement, l'administration fiscale envoie ses agents
sur le terrain pour rechercher les contribuables et la matière imposable
et procéder ainsi à son évaluation.
En Tunisie, ce système a perduré jusqu'à
1997 pour la taxe locative (qui était un impôt local
calculé sur la base de la superficie et du nombre de services rendus
indépendamment de celui qui occupe le local (le propriétaire
lui-même ou le locataire). Tous les trois ou cinq ans, les agents
municipaux procédaient à un recensement sur le terrain du parc
immobilier situé sur le périmètre communal. Après
1997, le recensement a été maintenu en matière de taxe sur
les immeubles bâtis et de taxe sur les immeubles non bâtis
(opération à effectuer tout les 10 ans) mais son objectif est
désormais de vérifier la maîtrise de l'assiette de cet
impôt. En outre, l'administration peut intervenir pour établir
unilatéralement l'impôt en cas de défaillance du
contribuable ou selon les termes du C.D.P.F. en cas de défaut de
déclaration, et ce, selon les articles 47 § 2, 48 et 49 du C.D.P.F.
qui organisent ce cas d'évaluation par l'administration fiscale.
237 Voir l'article 2 du C.D.P.F.
238 L'administration se trouve liée par le contenu des
déclarations Le droit pour le contribuable à être
imposé sur les éléments déclarés a pu
être considéré par la doctrine comme étant un «
droit fondamental », PUPIER (Alain) : « Le
contrôle fiscal : drame ou relation juridique ? », Revue de la
recherche juridique, droit prospectif, Presses universitaires d'Aix-Marseille
1997-1, p. 315.
239 BERGERES (Maurice-Christian) : « Quelques aspects du
fardeau de la preuve en droit fiscal », Gazette du Palais, 1983,
n°1, p.150.
Le législateur français a expressément
consacré le principe d'attribution de la charge de la preuve à
l'administration fiscale240. Deux cas de figure sont alors
envisageables.
S'agissant du contribuable qui a, régulièrement,
produit sa déclaration, ce dernier bénéficie de la mise en
oeuvre d'une procédure de redressement contradictoire241. En
cas de contentieux ultérieur, la charge de la preuve incombe à
l'administration fiscale242. En revanche, le contribuable en
défaut, perd le bénéfice de la présomption
d'exactitude et encourt une procédure de redressement d'office laquelle,
entraîne un renversement de la charge de la preuve en faveur de
l'administration243. Devant le danger de cette procédure de
redressement d'office, le législateur français a insisté
sur son caractère exceptionnel244.
Ainsi, depuis 1987, il a réduit son champ d'application
par la suppression de la procédure de rectification
d'office245 et de la taxation d'office en fonction des
dépenses personnelles, ostensibles ou notoires. Ce qui a permis de
limiter davantage les cas de renversement de la charge de la preuve au
détriment du contribuable. Autrement dit, en droit français, le
principe, de base, reste l'attribution de la charge de la preuve à
l'administration fiscale. Son renversement n'est qu'exceptionnel et il se
justifie par le manquement, du contribuable, à ses obligations
déclaratives ou comptables.
240 Selon l'article L.192 du L.P.F. « lorsque l'une
des commissions visées à l'article L.59 est saisie d'un litige ou
d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de
réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission
».
Il convient de souligner que l'article L.192 du L.P.F. «
ne concerne a priori que le cas où la commission
départementale a été saisie. Mais il est vrai que cet
article peut se lire comme exprimant la règle, plus
générale, suivant laquelle la preuve du bien-fondé d'un
redressement incombe en principe à l'administration dès lors que
ce redressement est contesté. », le commissaire du
gouvernement ARRIGHI DE CASANOVA (Jacques), Conclusions sous C.E. 20 mai 1998,
requête n°159877, 8 et 9 sous section, Sté Veticlam, Revue de
droit fiscal, 1998, n°44, commentaires 979, p.1390.
241 Voir l'article L.55 du L.P.F.qui dispose que : «
Sous réserve des dispositions de l'article L.56, lorsque
l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude,
une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de
base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes
quelconques dues en vertu du code général des impôts, les
redressements correspondants sont effectués suivant la procédure
de redressement contradictoire définie aux articles L.57 à L.
61A».
242 Article L.55 du L.P.F. dispose que : «Lorsque
l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude,
une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de
base au calcul des impôts(...) les redressements correspondants sont
effectués suivant la procédure de redressement contradictoire
définie aux articles L.57 à L.61 A ».
- Article L. 192 du L.P.F. dispose que : «(...)
l'administration supporte la charge de la preuve en cas de
réclamation».
243 Voir l'article L.193 du L.P.F.
244 L'article 65 du L.P.F., créé pour introduire la
section V réservée aux procédures d'office,
présente l'intérêt de rappeler que ces procédures,
dérogatoires au droit commun, sont limitativement
énumérées par la loi.
245 Article L. 75 L.P.F.
Paradoxalement, le droit fiscal tunisien ne semble pas respecter
la logique du système déclaratif. C'est ce qui découle de
la solution préconisée par l'article 65 du C.D.P.F.
Quelles sont alors ses implications ?
2 ° - Les implications de la solution
préconisée par l'article 65 du C.D.P.F.
Alors que le droit français se caractérise par
la généralisation de l'obligation de prouver mise à la
charge de l'administration fiscale et par «la quasi-disparition des
renversements de la charge de la preuve »246, le droit
fiscal tunisien est muet sur la charge de la preuve incombant à
l'administration fiscale. En revanche, la disposition prévue par
l'article 65 du C.D.P.F. attribue, systématiquement, la charge de la
preuve au contribuable. Cette dévolution de la charge de la preuve au
contribuable implique nécessairement la remise en cause de la
présomption d'exactitude. Plus grave encore, «L'absence de
présomption d'exactitude ne débouche aucunement sur une simple
relativisation de la déclaration. Elle débouche
véritablement sur la destruction du procédé. Au
système de la déclaration serait substitué le
système du forfait »247. Le législateur
tunisien semble assimiler, de facto, la déclaration à un
simple document d'information, ce qui revient à ouvrir grandes les
portes d'abus de la part des agents du fisc. Ces derniers n'hésiteraient
pas à l'écarter quand bon leur semble. Or, pour que le
système déclaratif fonctionne correctement, la déclaration
doit pouvoir bénéficier d'une certaine valeur juridique. Puisque,
«la déclaration repose sur une participation active du
contribuable au processus d'imposition. Il est nécessaire, à
défaut de preuve contraire, de considérer que l'administré
se plie de bonne foi à ses obligations »248. Il
s'agit principalement d'une nécessité pratique. L'administration
fiscale étant dans l'impossibilité matérielle de
procéder seule à la détermination de la matière
imposable, le contribuable est certainement mieux placé pour fournir les
données exactes, nécessaires à son imposition.
246 HERTZOG (Robert) : « La réforme du
contentieux fiscal : l'assouplissement et la simplification des
procédures contentieuses », in «
L'amélioration des rapports entre l'administration fiscale et les
contribuables », Actes du colloque de la société
française de droit fiscal, du 15-16 septembre 1988, la
société française de droit fiscal, Université
d'Orléans 1988, PUF, 1989, p. 241.
247 BERGERES (Maurice-Christian) : « Quelques aspects du
fardeau de la preuve en droit fiscal », Gazette du Palais, 1983,
n°1, p.149
248 Ibid.
Avant l'entrée en vigueur du C.D.P.F., la Charte du
contribuable a consacré explicitement la présomption d'exactitude
de la déclaration : « le système fiscal tunisien se
caractérise par le dépôt spontané des
déclarations par les contribuables. Ces déclarations sont
présumées exactes »249. L'absence d'une
telle mention du corpus législatif en vigueur est regrettable, car elle
est de nature à affaiblir la protection due au contribuable qui se plie
de bonne foi à ses obligations.
Il convient alors de s'interroger si ce renversement n'aboutit
pas à faire de « la fraude et la dissimulation (...) des moyens
de légitime défense »250? D'autant plus que
l'établissement de l'arrêté de taxation d'office place
systématiquement le contribuable en position de demandeur à
l'instance.
|