Paragraphe 1- Les manifestations du pouvoir de
contrôle
Afin d'assurer l'application correcte de la loi fiscale et de
lutter contre la fraude, l'administration dispose d'un large pouvoir de
contrôle qui se concrétise par l'exercice de son droit de
contrôle (A), qui pourra être suivi par l'exercice du droit de
reprise (B).
A- Le droit de contrôle
Dans un système déclaratif, la
détermination des bases d'imposition incombe, en principe, au
contribuable, présumé de bonne foi. Ce dernier est tenu de
divulguer spontanément les éléments imposables et
d'évaluer unilatéralement, selon les méthodes
légales, ses bases d'imposition. L'évaluation faite par le
contribuable bénéficie d'une présomption simple de
sincérité. En contrepartie, le législateur accorde des
prérogatives à l'administration fiscale, lors du contrôle
fiscal, pour vérifier la sincérité et la
régularité des déclarations souscrites par le
contribuable. Le contrôle fiscal se ramène ainsi à
« l'ensemble des procédés ou des techniques que
l'administration peut utiliser pour assurer le contrôle de
l'impôt »176.
La vérification fiscale est l'un des «
instruments juridiques »177 dont dispose l'Etat pour
réaliser son pouvoir de contrôle fiscal.
175 LAMBERT (Thierry) : « Contrôle fiscal, droit
et pratique », Paris, P.U.F., 1 ère édition,
1991, p.43.
176 LAMARQUE (Jean) : « Droit fiscal
général », Paris, Litec, 1995-1996, p. 505.
177 AYADI (Habib) : « Droit fiscal, T. V.A., droits de
consommation et contentieux fiscal », Publication du C.E.R.P., Tunis
1996, p. 177, n° 360.
L'objectif primordial assigné à ce moyen de
contrôle est celui de s'assurer de l'application exacte de la loi fiscale
par les contribuables « en procédant à des
confrontations de documents multiples et à des recoupements des
informations obtenues par l'administration en les comparant à celles
fournies par le contribuable »178.
Toutefois, « aussi vital qu'il soit pour le
fonctionnement du système socio-économique et de l 'Etat tout
entier, le contrôle fiscal ne doit pas, au risque de mettre en
péril son propre rendement, méconnaître un certain nombre
d'exigences dictées par l'Etat de droit auquel la constitution
tunisienne proclame, depuis 2002, son attachement »179.
Ces exigences visent essentiellement à assurer la sécurité
du contribuable, soumis à une vérification fiscale contre les
aléas inhérents aux pouvoirs exorbitants dont dispose le fisc
pour juguler la fraude fiscale.
Or, l'administration décide librement du choix de la
procédure de contrôle. Ainsi, le contrôle juridictionnel du
choix de la procédure permettrait d'encadrer les pouvoirs de
l'administration fiscale afin d'assurer une protection effective de tout
contribuable devant les risques de détournement de procédure.
L'article 36 du C.D.P.F. distingue entre deux formes de
vérification : la vérification préliminaire des
déclarations, actes et écrits détenus par
l'administration, d'une part, et la vérification approfondie de la
situation fiscale du contribuable d'autre part180.
178 BACCOUCHE (Néji) : «De la
nécessité du contrôle fiscal», article
précité, p. 22.
179 BACCOUCHE (Néji) : «De la
nécessité du contrôle fiscal», article
précité, p. 13.
180 La distinction, au sein du droit de vérification,
entre vérification préliminaire et vérification
approfondie, semble être spécifique au droit tunisien. En droit
français, les termes de la distinction se posent différemment. On
distingue, en effet, le « droit de contrôle » et le
« droit de vérification » ou encore, du point de vue
des modalités administratives de la mise en oeuvre du contrôle,
« le contrôle fiscal interne » (contrôle formel
ou bien contrôle sur pièces) du « contrôle
externe ». Mais, dans tous les cas, la vérification fiscale
est par définition approfondie (Voir BOUVIER (Michel) : «
Introduction au droit fiscal et à la théorie de
l'impôt », 2e édition, L.G.D.J., 1998, p.
100).
S'agissant tout d'abord de la vérification
préliminaire (dite également sommaire), elle a été
réglementée à travers l'article 37 du
C.D.P.F.181.
L'exercice de la vérification préliminaire n'est
pas soumis à un formalisme spécifique, étant donné
que l'objectif de cette vérification est de rectifier certaines erreurs
apparentes et le cas échéant, de permettre au service fiscal de
sélectionner des dossiers en vue d'un éventuel contrôle
externe plus approfondi.
Cependant, le législateur tunisien a
complètement modifié, dans le C.D.P.F., la logique de la
vérification préliminaire. Celle-ci n'est plus une phase
préparatoire dont « l'apport fondamental réside dans sa
contribution à une meilleure appréciation des dossiers qui
doivent être programmés en approfondi
»182.
La vérification préliminaire, de la même
manière que la vérification approfondie, peut déboucher
sur une taxation d'office avec toutes les conséquences qui en
découlent. Mais, paradoxalement, elle s'exerce à l'insu du
contribuable183.
181 L'article 37 du C.D.P.F. dispose que « la
vérification préliminaire des déclarations, actes et
écrits détenus par l'administration fiscale s'effectue sur la
base des documents y figurant, et de tous documents et renseignements dont
dispose l'administration ». Il ressort de cette définition
législative que la vérification préliminaire coïncide
avec ce que la doctrine a coutume d'appeler « le contrôle sur
pièces », DRIRA (Tarek) : « La vérification
fiscale », mémoire pour l'obtention du D.E.A. en droit des
affaires, Faculté de droit de Sfax, 2002-2003, p. 4. La
vérification préliminaire recouvre l'ensemble des interventions
des services de l'administration fiscale ayant trait à la rectification
des erreurs ou omissions évidentes. Elle est constituée par
l'ensemble des travaux que l'administration effectue dans ses locaux et au
cours desquels le service procède à l'examen critique des
déclarations à l'aide des renseignements et documents dont il
dispose. ABOUDA (Abdelmajid) : « Code des droits et procédures
fiscaux: contrôle, contentieux et sanctions », Tunis,
Publications de l'imprimerie officielle de la République Tunisienne,
2001, p. 99.
182 Note de service n° 6063 du 24 juillet 1991 citée
par DRIRA (Tarek) : « La vérification fiscale »,
mémoire pour l'obtention du D.E.A. en droit des affaires, Faculté
de droit de Sfax, 2002-2003, p.7.
183 L'article 47 du C.D.P.F. dans son premier alinéa
dispose que : « La taxation est établie d'office en cas de
désaccord entre l'administration fiscale et le contribuable sur les
résultats de la vérification fiscale préliminaire ou
approfondie prévues par l'article 36 du présent code, `ou lorsque
le contribuable ne répond pas par écrit à la notification
des résultats de la vérification fiscale ou à la
réponse de l'administration fiscale à son opposition à ces
résultats conformément aux dispositions des articles 44 et 44 bis
du présent code ». Le qualificatif «
préliminaire » laisse penser que le contrôle des
déclarations, actes et écrits ne constituerait qu'une phase
préalable à la vérification approfondie. Toutefois, cet
article remet en cause le caractère purement «
préliminaire » d'une telle vérification dans la
mesure où il ouvre le droit à l'administration fiscale de taxer
d'office un contribuable suite à une simple vérification
préliminaire.
Elle a été, par conséquent,
qualifiée par la doctrine de « choquante »184 dans
la mesure où le contribuable peut se trouver, dans cette
hypothèse, taxé d'office tout en étant privé des
garanties les plus élémentaires, à savoir le droit
à l'information185 et le droit à la
contradiction186.
La protection du contribuable de bonne foi nécessite
ainsi l'intervention du juge. Ce dernier devrait surveiller avec beaucoup de
sévérité et de rigueur le choix de cette forme de
vérification qui n'est entourée d'aucun formalisme légal
et qui peut se transformer en un « faux-fuyant » pour esquiver les
procédures pesantes de la vérification approfondie par le biais
des vérifications approfondies déguisées.
S'agissant ensuite de la vérification approfondie,
c'est l'opération qui consiste à s'assurer de la
sincérité d'une déclaration fiscale en la confrontant
à des éléments extérieurs187. Elle
porte, aux termes de l'article 38 du C.D.P.F. « sur tout ou partie de
la situation fiscale du contribuable ; elle s'effectue sur la base de la
comptabilité pour le contribuable soumis à l'obligation de tenue
de comptabilité et, dans tous les cas, sur la base de renseignements, de
documents ou de présomptions de fait et de droit ». La
vérification approfondie qui porte sur tout ou partie de la situation
fiscale du contribuable est appelée « vérification de
comptabilité » lorsque le contribuable est obligé de
tenir une comptabilité et « vérification de la situation
fiscale personnelle » dans les autres cas.
184 BACCOUCHE (Néji) : « De la
nécessité du contrôle fiscal », Revue tunisienne
de fiscalité, n°1, 2004, p. 25.
185 L'article 37 §2 du C.D.P.F. prévoit
expressément que la « vérification préliminaire
n'est pas subordonnée à la notification d'un avis
préalable et ne fait pas obstacle à la vérification
approfondie de la situation fiscale ».Or, à partir du moment
où cette vérification peut déboucher, elle aussi, sur une
taxation d'office, « il semble qu'en droit tunisien, la
vérification préliminaire nécessite, autant que la
vérification approfondie, la notification d'un avis de
vérification », KOSSENTINI (Mohamed) : « Les
garanties du contribuable lors de la vérification fiscale »,
Revue tunisienne de fiscalité, n°7, 2007, p.309.
186 L'absence d'une obligation d'information préalable
prive le contribuable, dans le cadre de la vérification
préliminaire, de mener un débat oral et contradictoire avec le
vérificateur. Ce dernier n'est même pas informé d'un tel
contrôle. Seule une éventuelle notification lui permettra de
connaître son existence.
187 On parle aussi de vérification ou de contrôle
externe.
La vérification de comptabilité est
définie comme étant « un rapprochement entre les
déclarations déposées d'une part et le résultat des
contrôles matériels et les documents comptables, d'autre part
»188. Dans sa jurisprudence « Football-Club de Strasbourg
», le Conseil d'Etat français considère que la
vérification de comptabilité se caractérise par le «
contrôle de la sincérité des déclarations
déposées en les comparant avec les écritures comptables
dont l'administration avait pris connaissance »189.
S'agissant de la vérification de la situation fiscale
personnelle du contribuable, elle concerne les contribuables non astreints
à l'obligation de tenue de comptabilité comme les
salariés, détenteurs de revenus de capitaux mobiliers,
propriétaires fonciers et contribuables exerçant une profession
non commerciale ayant opté pour une méthode forfaitaire de
détermination de revenu. Elle consiste à «
vérifier l'exactitude du revenu global déclaré afin de
confronter les revenus déclarés ou les revenus constitués
avec le montant apparent des revenus que laissent supposer les recoupements
effectués par l'administration, la situation du patrimoine et les
éléments du train de vie du contribuable
»190. La vérification approfondie représente
ainsi pour l'administration fiscale une forme de contrôle contraignante.
D'autant plus que dans plusieurs hypothèses, il n'y a pas
véritablement de rupture entre la vérification approfondie et
l'exercice des pouvoirs de recherche et d'investigation de l'administration.
Cette situation est d'autant plus envisageable en l'absence de critères
législatifs fixant les frontières entre les pouvoirs de recherche
et d'investigation et la vérification approfondie.
Ainsi, en matière de contrôle, le
législateur ne distingue pas entre les erreurs non intentionnelles et
les erreurs intentionnelles. Cette absence de distinction semble se justifier
par l'objectif immédiat du contrôle fiscal, à savoir
l'enlèvement de tous les obstacles à l'application normale de la
loi fiscale. C'est ainsi que « Les vérificateurs ne distinguent
pas entre les irrégularités commises par le contribuable selon le
critère de gravité »191.
188 FERNOUX (Pierre) : « Vérifications de
comptabilités », Jurisclasseur Procédures fiscales,
Fascicule 323, p. 4.
189 C.E., 7°, 8° et 9° sous-section, 10 mars 1967
requête n° 62338, Revue de droit fiscal 1967, n° 45,
conclusions F. LAVONDES.
190 AYADI (Habib) : « Droit fiscal, T.V.A., droits de
consommation et contentieux fiscal », Publications du C.E.R.P., Tunis
1996, p. 181, n° 371.
191 L'TIFI (Mohamed-Habib) : « Le contrôle fiscal
et les garanties administratives du contribuable vérifié
», Op.Cit., p. 115.
L'objectif primordial assigné à ce moyen de
contrôle est d'assurer une application exacte de la loi fiscale par les
contribuables, et ce, « en procédant à des
confrontations de documents multiples et à des recoupements des
informations obtenues par l'administration en les comparant à celles
fournies par le contribuable »192.
La mise en oeuvre des procédures de contrôle par
le fisc peut révéler des omissions, des insuffisances ou des
dissimulations commises par les contribuables. A cet effet, le
législateur accorde à l'administration fiscale un droit de
reprise.
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