Le droit tunisien adopte une définition large de
l'erreur comptable. En effet, en vertu de la norme comptable 11 relative aux
modifications comptables, les erreurs fondamentales dans les états
financiers antérieurs sont « les erreurs découvertes
durant l'exercice en cours et qui sont d'une importance telle que les
états financiers d'un ou de plusieurs exercices antérieurs ne
peuvent plus être considérés comme ayant été
fiables à la date de leur publication
»143.
142 FERNOUX (Pierre) : « Vérifications de
comptabilités », Jurisclasseur Procédures fiscales,
Fascicule 323, p.4.
143 Norme comptable 11, n°6.
Plus précisément, il s'agit « des
erreurs commises dans la préparation des états financiers d'un ou
de plusieurs exercices antérieurs et qui peuvent être
découvertes lors de l'exercice en cours. Ces erreurs peuvent avoir pour
cause des erreurs de calcul, des erreurs dans l'application des méthodes
comptables, une mauvaise interprétation des faits, des fraudes ou des
négligences. La correction de ces erreurs est normalement incluse dans
la détermination du résultat net de l'exercice en cours
»144 . Ces erreurs doivent incontestablement être
rectifiées, qu'elles aient pour causes « des erreurs de calcul,
des erreurs dans l'application des méthodes comptables, une mauvaise
interprétation des faits, des fraudes ou des négligences
». Le législateur ne distingue donc pas entre les erreurs
comptables commises de bonne foi de celles commises de mauvaise foi.
Or, en droit fiscal, il convient d'apprécier le
comportement du contribuable afin de distinguer l'erreur volontaire de l'erreur
involontaire145. Seule la dernière est
réparable146. En effet, l'erreur comptable se définit
comme étant une atténuation au principe de l'intangibilité
des écritures comptables147. Cette atténuation trouve,
sa justification dans le caractère réaliste du droit fiscal.
Lequel implique que ne soit imposé que le bénéfice
réel148.
La remise en cause des erreurs comptables involontaires est
dès lors admise. La jurisprudence française a eu, à
maintes reprises, l'occasion de préciser le sens qu'elle entendait
donner à la notion d'erreur comptable involontaire149.
144 Norme comptable 11, n°29. A titre d'exemple,
constitue une erreur comptable fondamentale « l'inclusion dans les
états financiers d'un exercice antérieur d'un montant
significatif de travaux en cours et de créances clients concernant des
contrats frauduleux qui ne peuvent être mis en oeuvre », Norme
comptable 11, n°30.
145 ABOUDA (Abdelmajid) : « Code des droits et
procédures fiscaux : contrôle, contentieux et sanctions
», Tunis, publication de l'imprimerie officielle de la République
Tunisienne, 2001, p.147.
146 L'erreur comptable consiste dans « le non
respect d'une prescription fiscale obligatoire dans l'enregistrement comptable
des opérations. Si c'est l'administration qui constate l'erreur au cours
de d'une vérification, elle est en droit de redresser l'imposition
primitive. Si c'est le contribuable qui sollicite la rectification,
l'administration doit apprécier si l'erreur est involontaire ou s'il
s'agit d'un choix délibéré. L'erreur n'est
réparable que si elle est involontaire », BARILARI
(André) et DROPE (Robert) : « Lexique fiscal »,
Op.Cit., p.77.
147 Le principe de l'intangibilité implique que, une fois
arrêtée, la comptabilité ne peut plus être
modifiée.
148 Ce caractère réaliste du droit fiscal a
été dégagé depuis longtemps par la doctrine
française et est apparu comme le fondement commun de plusieurs
arrêts de principe, dont notamment l'arrêt du 20 février
1974, Voir dans ce sens : DAVID (Cyrille), FOUQUET (Olivier), LATOURNERIE
(Marie-Aimée) et PLAGNET (Bernard) : «Le réalisme du
droit fiscal : apparence, illicéité et abus de droit»,
Conclusions sous C.E., Section 20 février 1974, requête 83270,
Lemarchand, « Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale
», Paris, Dalloz, 3e édition, 2000, pp. 164-1 83.
149 L'arrêt de principe qui confirme la théorie des
erreurs comptables volontaires : C.E., 12 mai 1997, requête
n°160777, R.J.F., juin 1997, n°535, ppÀ42-444.
Il s'agissait de « toute irrégularité,
inexactitude, ou omission commise de bonne foi par le contribuable et
résultant d'une appréciation purement objective de faits
matériels (erreurs de fait), ou de l'interprétation
erronée de textes fiscaux (erreurs de droit), en l'absence d'option
légale et ne traduisant pas une volonté d'influer sur la gestion
de l'entreprise »150.
Ainsi l'application brute du réalisme et de
l'amoralisme, principes distinctifs du droit fiscal, aurait pour
résultat d'encourager les comportements peu scrupuleux. La prise en
considération de la moralité des activités imposées
est susceptible d'apporter un équilibre entre le souci d'assurer une
application objective de la loi fiscale et la volonté de ne pas accorder
une prime fiscale à des manoeuvres que réprouve la morale
commune151.
C'est ainsi que la jurisprudence française, dans un
souci de ne pas accorder une prime fiscale à ceux qui falsifient leurs
comptabilités, a fait prévaloir un certain moralisme sur le
principe du réalisme du droit fiscal152.
Pour apprécier le caractère volontaire ou non
de l'erreur commise, il y a lieu de vérifier certains critères.
Notamment le caractère répétitif de l'erreur. Ceci
découle notamment de la prise de position de la direction
générale des études et de la législation fiscale
(DGELF) en date du 10 janvier 2001, où l'administration fiscale
tunisienne considère que les erreurs et les omissions involontaires sont
celles qui ne revêtent pas un caractère
répétitif153.
150 ROBBEZ- MAS SON (Charles) : « La notion
d'évasion fiscale en droit interne français »,
bibliothèque de science financière, Paris, L.G.D.J., 1990, p. 123
et 124.
151 COZIAN (Maurice), « On ne badine pas avec les
écritures comptables. La théorie des erreurs comptables
délibérées », Revue de droit fiscal, 1999,
n°20, p.734.
152 Ibid. Ceci a été l'oeuvre d'une
jurisprudence libérale dans l'application de la présomption de
bonne foi. Les exemples qui suivent en sont l'illustration.
Concernant les irrégularités relatives aux
éléments permettant de déterminer le revenu imposable, une
minoration des recettes, accompagnée d'insuffisances comptables rendant
la comptabilité non probante, ne prouve pas à elle seule la
mauvaise foi de l'intéressé (C.E, 18 novembre 1985, requête
n° 36281, Revue de droit fiscal, 1986, n°11, commentaires 530,
conclusions FOUQUET, pp. 370-375). En outre, le fait de comptabiliser au titre
d'un exercice des créances acquises durant un exercice antérieur
constitue, dans les circonstances de l'espèce, une négligence qui
ne suffit pas à établir la mauvaise foi du contribuable (C.E., 23
décembre 1981, requête n° 16361, Revue de droit fiscal, 1982,
n°15, commentaires 832, p.575).
De même, concernant les charges déductibles,
n'est pas exclusif de la bonne foi un calcul erroné des
indemnités kilométriques d'utilisation d'un véhicule
(C.E., 27 juillet 1988, requête n° 82541, Revue de droit fiscal,
1989, n°5, commentaires 136, pp. 177- 179).
Concernant les irrégularités entachant la
comptabilité du contribuable, ce dernier peut bénéficier
de la présomption de bonne foi bien que sa déclaration ait fait
l'objet d'une rectification d'office en raison des erreurs et omissions
relevées dans sa comptabilité (C.E., 4 mai 1977, requête
n° 1518, Revue de droit fiscal, 1977, n°38, commentaires 1321, p.
840). Ainsi, a été reconnu comme étant de bonne foi le PDG
d'une société d'économie mixte qui, en raison
d'indications erronées données par le commissaire aux comptes et
le commissaire au gouvernement auprès de la société, n'a
pas compris parmi ses revenus imposables des indemnités émanant
de la société (C.E., 13 juin 1979, requête n° 1315,
Revue de droit fiscal, 1980, n°1, commentaires 57, p. 33).
153 « Revue de la doctrine de l'administration fiscale
; Correction symétrique des bilans », Revue comptable et
financière, n°48 deuxième trimestre 2000, p.39,
n°11.
La question qui se pose à ce niveau est de
connaître le sort réservé à l'erreur une fois que
celle-ci a été découverte ?