PREMIÈRE PARTIE : LA NÉCESSITÉ
DE
LA PROTECTION DU CONTRIBUABLE
DE BONNE FOI
Il est nécessaire de garantir une protection au
contribuable de bonne foi. La notion de bonne foi évoque, en premier
lieu, la « croyance erronée »51. Une
croyance erronée mais sincère (ou légitime) en l'existence
d'une situation juridique régulière. Elle privilégie donc
une attitude passive du sujet de droit en l'occurrence le contribuable qui
ignore l'obstacle légal empêchant de donner plein effet à
une situation juridique52.
La bonne foi évoque en deuxième lieu, un «
comportement loyal », une attitude d'intégrité et
d'honnêteté et la conscience d'agir sans léser les droits
d'autrui53. Elle privilégie ainsi une attitude active pouvant
s'apprécier eu égard au comportement effectif du
contribuable54.
Cette dualité de sens qu'embrasse la bonne foi
nécessite une dualité corrélative de protection au profit
du contribuable ; une protection de la bonne foi en tant que croyance
erronée (Chapitre I) et une protection de la bonne foi en tant que
comportement loyal (Chapitre II).
51 Selon le professeur KORNPROBST on pourrait admettre
à titre d'axiome, l'existence de deux sortes de bonne foi : une bonne
foi de connaissance et une bonne foi d'action ; la première
résulte d'une croyance et la seconde d'un certain comportement. Or,
« Lorsqu'il s'agit de la bonne foi connaissance, encore faut-il
qu'elle soit fondée sur une croyance erronée, car comme le
remarque à juste titre Breton « si la croyance est conforme
à la réalité, c'est la réalité et non pas
elle qui produit effet (...) la croyance n 'a d'action particulière que
quand elle est erronée », KORNPROBST (Emmanuel) : «
La notion de bonne foi : application au droit fiscal français
», thèse précitée, p. 4 cite BRETON (A) : «
Des effets civils de la bonne foi », Revue critique, 1926, p.
86.
52 LE TOURNEAU (Philippe) : « La bonne
foi », Répertoire civil, Dalloz, Octobre 1995.
53 CORNU (Gérard) : « Vocabulaire
juridique », Op. Cit., V° Bonne foi, p.1 05.
54 LE TOURNEAU (Philippe) : « La bonne
foi », Répertoire civil, Dalloz, Octobre 1995.
CHAPITRE I - LA PROTECTION DE LA BONNE FOI EN TANT QUE
CROYANCE ERRONEE DU CONTRIBUABLE
« Dans la formule « croyance ou opinion
erronée » ce qui compte c'est l'idée d'erreur. La bonne foi
c'est l'erreur sur la régularité ou l'irrégularité
d'une situation ou d'un acte juridique »55. Cependant, il
arrive souvent que l'erreur reprochée au contribuable ne soit pas de son
propre fait56. Elle peut être due notamment aux changements de
doctrine administrative57.
55
LYON -CAEN (Gérard) : « De l'évolution
de la notion de bonne foi », Revue trimestrielle de droit civil,
1946, p.99.
56 L'erreur reprochée peut être due
également à la rétroactivité du texte fiscal. La
situation est la suivante : un contribuable ayant appliqué la
réglementation fiscale en vigueur à la date du fait
générateur de l'impôt, se trouve, en vertu d'un nouveau
texte, menacé d'un rehaussement d'impositions. La menace est d'autant
plus sérieuse que « l'administration fiscale a la
fâcheuse habitude, lorsqu'elle pressent que sa position va être
condamnée par le juge, de demander au législateur par une
validation rétroactive ou par une disposition interprétative, de
ratifier sa position ou sa propre doctrine. Or, l'une des premières
exigences du contribuable est de pouvoir connaître les règles
fiscales à l'avance et de ne pas être victime devant le juge de
nouvelles mesures rétroactives qui l'imposent dans des conditions
différentes de celles qu'il avait prévu », (PHILIP
(Loïc) : « Le procès équitable dans la
jurisprudence du conseil constitutionnel », R.F.F.P, n° 83,
Septembre 2003, p. 5). Le contribuable peut-il alors invoquer sa croyance
d'être dans son bon droit pour contrecarrer l'exercice, par
l'administration, de son droit de reprise ? En l'état actuel du droit,
la non rétroactivité des normes fiscales moins favorables au
contribuable, n'est pas consacrée. En effet, l'article 13 de la
Constitution, tel que modifié par la loi constitutionnelle
n°2002-51 du 1er juin 2002, n'interdit les dispositions
législatives rétroactives qu'en matière répressive,
et ce, sauf en cas de texte plus doux. Cela signifie donc que le
législateur fiscal demeure libre d'adopter des lois rétroactives.
Dès lors, sera écartée l'étude de la protection du
contribuable contre la rétroactivité de la norme. Une telle
protection ne devrait pas dépendre du comportement du contribuable ;
tout contribuable, même de mauvaise foi, mériterait protection.
C'est le minimum de protection requis dans un Etat qui se veut de droit. En
revanche, s'agissant de la protection du contribuable contre la
rétroactivité de la doctrine administrative, cette protection
devrait être l'apanage du contribuable de bonne foi puisqu'il s'agit dans
ce cadre de faire prévaloir la croyance du contribuable d'être
dans son bon droit.
57
Il n'existe pas, en droit positif tunisien, une
définition de la notion de doctrine administrative. En effet, cette
notion n'est reconnue que de manière accidentelle par simple
décret, et ce, uniquement à travers sa version française.
Il s'agit de l'article 18 du décret n° 91-556 du 23 avril 1991
(J.O.R.T. n° 30, 134e année, 3 mai 1991, p. 952) portant
organisation du ministère des finances qui attribue à la
direction générale des études et de la législation
fiscale le rôle « d'interpréter les textes
législatifs et réglementaires fiscaux en vigueur et
d'élaborer ainsi la doctrine administrative». Le même
article ajoute que la direction est chargée notamment
«d'élaborer la documentation fiscale et d'assurer la
publication du bulletin officiel des impôts ». Il est à
noter cependant, que la version arabe (étant celle qui fait foi) du
même article 18 du décret susmentionné, n'a pas
employé l'équivalent de l'expression « doctrine
administrative ». Le texte arabe parle de « la fixation de la
méthode à suivre par l'administration à cet effet
»".3.1.-.1113A <4i 1;.)1.3,>1
14.L.1 <4:1 ~J~#S~1 " , pour exprimer ce que la
version française du décret appelle « doctrine
administrative ». Pour plus de détails sur le fondement
juridique accidentel de la doctrine administrative en Tunisie voir : GADHOUM
(Oualid) : « La doctrine administrative fiscale en Tunisie
», Paris, L'Harmattan, 2007, p.36 et suivants.
Toutefois, il importe, de prime abord de signaler que dans le
domaine fiscal, plus que dans les autres domaines, la doctrine de
l'administration, en tant que « l'ensemble des commentaires que fait
l'administration des textes fiscaux», participe au fonctionnement du
système fiscal58. En effet, face à la
complexité et à l'hermétisme des textes fiscaux, la
doctrine administrative assure un rôle incontournable dans
l'interprétation du texte fiscal ainsi que dans sa vulgarisation.
Cependant, il arrive souvent qu'elle glisse vers l'exercice d'un
véritable pouvoir réglementaire. En effet, sous couvert
d'interprétation, l'administration peut être tentée de
donner à la mesure législative ou règlementaire le contenu
qu'elle voudrait qu'elle ait. Elle peut, soit ajouter des conditions non
prévues par le texte et dont l'effet sera de restreindre le champ
d'application de la loi, soit au contraire, renoncer à certaines
conditions du texte, modifiant de la sorte ses conditions d'application. Cette
doctrine administrative semble être illégale dans la mesure
où elle présente un caractère réglementaire et
s'approprie, de la sorte, d'un rôle dont elle n'est pas investie. Ainsi,
elle est en principe, inopposable au contribuable. Ce dernier a la
possibilité, s'il justifie (entre autres) d'un intérêt
à agir, d'exercer un recours pour excès de pouvoir en vue de
l'attaquer.
Cependant, il arrive souvent que le contribuable n'attaque pas
la doctrine administrative mais plutôt s'en prévaut, et ce,
à l'occasion d'un revirement de position de la part de l'administration
en sa défaveur puisque, rien n'empêche l'administration fiscale de
revenir sur sa doctrine et de substituer une doctrine favorable au contribuable
par une doctrine plus sévère59.
Cette substitution est susceptible d'engendrer au moins deux
conséquences pour le contribuable : « Tout d'abord, le
régime fiscal auquel il est soumis pour l'avenir se trouve durci. En
outre, l'administration fiscale peut user de son droit de reprise pour
opérer un redressement portant sur des exercices non prescrits, en se
fondant sur l'interprétation nouvellement donnée au texte
pertinent »60.
58 AYADI (Habib) : « Droit fiscal »,
Op. Cit., p.21 9. Selon BARILARI (André) et DRAPPE (Robert), la
doctrine administrative est définie comme : « L'ensemble des
documents, circulaires, instructions, documentation fiscale, réponses
ministérielles par lesquels l'administration fiscale fait
connaître son interprétation des textes, en particuliers
fiscaux », «Lexique fiscal », Op. Cit.,
p. 69. A côté de ces documents énumérés, il
faudrait ajouter, dans le contexte tunisien, les notes communes ainsi que les
réponses de l'administration fiscale aux demandes de renseignements qui
lui sont adressées par les contribuables. Outre ce qui
précède, le contribuable a parfois été
confronté à la pratique administrative, ce que le juge fiscal
désigne sous l'appellation « doctrine administrative de
fait ». Voir en ce sens : Tribunal de première instance de
Tunis, 18 novembre 2004, requête n° 819, voir annexe 3 p.200 et
spécialement p.204.
59 S'agissant des mesures favorables, les contribuables qui en
sont bénéficiaires ne vont pas les contester du moment qu'elles
introduisent des assouplissements à leurs obligations fiscales.
60 MARCHESSOU (Philippe) : « L'interprétation des
textes fiscaux », Paris, Economica, 1980, p. 105.
Cette faculté ouverte à l'administration est
depuis toujours objet d'indignation61. D'autant plus que ce
phénomène de changement de doctrine administrative est, dans la
pratique, assez courant, et que contrairement au droit comparé, le
législateur tunisien n'a pas prévu de dispositions juridiques
régissant sa mise en oeuvre, son application ou encore son
changement.
Cette situation contraste avec le développement, depuis
quelques années, d'une doctrine administrative foisonnante. On a
même pu constater que « la doctrine administrative en Tunisie
évolue en dehors de tout cadre législatif
»62.
La protection contre le changement de la doctrine
administrative se justifie par la nécessité d'assurer aux
contribuables un climat de sécurité juridique et d'instaurer, de
la sorte, la règle de la certitude. Ainsi, il y a lieu d'étudier
dans un premier temps la nécessité d'établir un certain
degré de protection de la croyance erronée du contribuable
(Section I). Cette protection doit en outre être encadrée afin de
garantir son effectivité (Section II).
SECTION I- UNE PROTECTION A ETABLIR
La protection de la croyance erronée du contribuable
est fonction de certains impératifs que le système fiscal en
place se doit d'observer. Ces impératifs sont dictés par la
nouvelle conception du pouvoir politique et plus précisément de
l'Etat de droit auquel la Constitution tunisienne proclame son attachement
depuis 200263. Au coeur même de ces impératifs figure
la sécurité juridique (Paragraphe 1). En outre, un Etat de droit
suppose un devoir de loyauté imposé à l'administration
(Paragraphe 2).
61 AYADI (Habib) : « Droit fiscal »,
Op.Cit., p. 222.
62 GADHOUM (Oualid) : « La doctrine administrative
fiscale en Tunisie », Op. Cit., p. 189.
63 BACCOUCHE (Néji) : «De la
nécessité du contrôle fiscal», Revue tunisienne
de fiscalité, n°1, 2004, p. 13.
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