Section 2: La piraterie et les mesures
répressives
Plus que la prévention, la répression est
l'objectif principal des conventions de Tokyo (1963), La Haye (1970) et
Montréal (1971). Elles visent à combler les lacunes des droits
nationaux qui jusqu'en 1970, ne comportaient aucune disposition visant
spécifiquement à réprimer la piraterie aérienne.
Les lacunes apparaissaient à trois niveaux :
- Définition de l'infraction. Les faits correspondant
au détournement ou à la capture illicite pouvaient dans certains
cas être réprimés sous les qualifications de vol, violence,
port d'armes prohibés :
Mais les qualifications n'étaient pas toujours suffisantes
et les peines pas nécessairement appropriées.
- Juridiction compétente. Dans nombre de pays les
tribunaux nationaux n'avaient pas compétence pour juger d'infractions
commises hors du territoire national sur des aéronefs
étrangers.
- Extradition. L'extradition des auteurs d'un détournement
pouvait se révéler difficile faute de clause expresse dans les
accords d'extradition.
Les conventions de Tokyo, La Haye et Montréal tendent, en
ces trois domaines, à remédier aux lacunes des droits
nationaux.
Paragraphe1 :Convention de Tokyo (14 septembre 1963)
Cette convention, élaborée à une
époque où les captures illicites d'aéronefs étaient
nombreuses, vise plus généralement la question de la
compétence pénale des Etats, en cas d'infractions commises
à bord, les pouvoirs et obligations des autorités nationales et
commandants d'aéronefs.
C'est seulement in extremis et à la demande instante
des Etats-Unis que fut ajouté au projet de convention un article 11 par
lequel les Etats parties s'engagent en cas de capture illicite :
- à « permettre aux passagers et à
l'équipage de poursuivre leur voyage aussitôt que possible
».
- et à « restituer aéronef et cargaison
à ceux qui ont le droit de les détenir ».
Il s'agit la d'engagements tout à fait
généraux qui figurent à la résolution A17-2
votée par l'assemblée Générale de l'OACI et dont
nul Etat, partie ou non à la Convention de Tokyo, ne conteste la valeur
obligatoire.
Paragraphe 2 : Convention de La Haye (16 décembre
1970)
La prolifération des détournements d'avions a
conduit l'OACI à prendre l'initiative d'un projet de convention qui en
traite de façon spécifique. La conférence de
plénipotentiaires réunie à La Haye sous les auspices de
l'OACI a résisté aux propositions vigoureuses des Etats-Unis, de
l'URSS, d'Israël et de divers pays d'Europe de l'est en faveur de
l'extradition automatique ou de la poursuite obligatoire des auteurs d'un
détournement. Le texte plus modéré, élaboré
par le comité juridique de l'OACI, a finalement reçu
l'approbation de la grande majorité des Etats, pour devenir la
première convention qui organise au plan international la
répression de la capture illicite d'aéronefs.
1-Champ d'application de la convention
Il dépend à la fois de la définition de
l'infraction et du type d'appareils couverts.
a- définition de l'infraction :
La convention (article 1) précise les
éléments constitutifs de l'infraction en visant : « toute
personne qui, à bord d'un aéronef en vol, illicitement et par
violence ou menace de violence, s'empare de cet aéronef ou en exerce le
contrôle ».
La Convention laisse au législateur national le soin de
donner une dénomination à cette infraction. Cependant les
éléments en sont très suffisamment précisés
pour que le champ d'application de la Convention ne fasse pas de doute.
- L'aéronef doit être « en vol », ce
qui n'exclut pas d'ailleurs que le détournement ait commencé
alors que l'appareil était encore au sol. L'article 3§1 de la
Convention précise d'ailleurs qu' « aéronef est en vol
depuis le moment ou, l'embarquement étant terminé, toutes ses
portes extérieures ont été fermées, jusqu'au moment
du débarquement. En cas d'atterrissage forcé, le vol est
censé se poursuivre jusqu'à ce que l'autorité
compétente prenne en charge l'aéronef, ainsi que les personnes et
biens à bord ».
- Les actes accomplis doivent être « illicites
». La convention ne précise pas en quoi consiste
l'illicéité. Elle renvoie donc implicitement aux droits nationaux
le soin de préciser les cas dans lesquels l'auteur de l'infraction ne
peut être tenu pour responsable (légitime défense ;
exécution d'un ordre légal, etc....).
- il doit y avoir « violence ou menace de violence
». La violence doit ici être entendue au sens large, englobant aussi
bien la violence physique que l'intimidation. Par contre un détournement
opéré sur initiative du pilote ou d'autres membres de
l'équipage n'entre pas dans le champ d'application de la Convention.
- Le détournement doit être le fait d' « une
personne se trouvant à bord de l'aéronef ». Les cas de
détournements opérés à partir du sol ou d'autres
aéronefs ne sont pas couverts. De tels détournements mettent en
cause les relations entre Etats dans des conditions différentes du
détournement sur initiative individuelle à bord : les risques
sont autres ; il y a en général complicité soit des
services de contrôle aérien, soit d'appareils militaires. Les
plénipotentiaires réunis à La Haye ont
préférée ne pas en traiter.
- L'auteur du détournement doit avoir réussi
à « s'emparer de l'aéronef » ou « en exercer le
contrôle ». Il n'est pas nécessaire qu'il tienne physiquement
les commandes du moment qu'il est devenu maître des mouvements de
l'appareil.
Aux termes de l'article 1e de la convention, la
tentative et la complicité de
détournement sont visées de la même façon à
condition qu'elles soient le fait d'une personne « se trouvant à
bord de l'aéronef en vol ». Les Etats peuvent librement inclure
dans leurs droits nationaux des dispositions visant les complices au sol, mais
l'extradition de ces derniers ne peut être demandée sur la base de
la Convention.
b-Types d'appareils couverts :
Le champ d'application est large : tout appareil de transport
ou d'aviation générale, utilisée à titre
onéreux ou gratuit est couvert par la Convention. Celle-ci crée
même des droits au bénéfice d'états non parties dont
les aéronefs sont détournés vers le territoire d'un Etat
partie. Ces Etats tiers par rapport à la Convention peuvent
réclamer non par l'extradition, mais l'arrestation par l'Etat
d'atterrissage de l'auteur présumée de l'infraction.
Ne sont exclus du champ d'application de la Convention que les
aéronefs « utilisées à des fins militaires, de douane
ou de police » (article3) et ceux capturées à
l'intérieur même du pays dans lequel ils sont immatriculés.
Dans ce dernier cas la compétence de l'Etat d'immatriculation est seule
en cause ; il n'y a pas lieu à intervention d'une règle
internationale. Une exception est cependant prévue par la Convention si
l'auteur présumé de l'infraction réussit à s'enfuir
à
l'étranger, alors que les règles sur la poursuite,
l'arrestation, l'extradition s'appliquent à nouveau.
2- Mesures de répression prévues par la
Convention
a- La peine : l'article 2 de la Convention prévoit :
« tout Etat contractant s'engage à réprimer l'infraction de
peines sévères ». La diversité des
systèmes nationaux de répression n'a permis de qualifier plus
avant ni l'infraction, ni les peines encourues. Le législateur national
demeure donc très largement libre de choisir l'échelle des
peines.
b- Compétence juridictionnelle : les auteurs de la
Convention, refusant un système d'extradition plus ou moins automatique
vers l'état d'immatriculation de l'aéronef, ont voulu qu'il
existe en toutes circonstances une juridiction pénale compétente
pour connaître du détournement. L'article 4 de la Convention
multiplie donc les cas de compétence obligatoire sans donner
priorité à l'une sur l'autre.
- Tout d'abord l'état d'immatriculation de
l'aéronef détournée doit établir sa
compétence. L'article 5 précise qu'en cas d'immatriculation
internationale ou d'immatriculation commune,40 les Etats
concernées « désignent, pour chaque aéronef, suivant
les modalités appropriées,
40 L'art 77 de la convention de Chicago autorise les
organisations d'exploitation en commun ou les organismes internationaux
d'exploitation, type SAS ou Air Afrique.
l'état qui exerce la compétence et aura les
attributions de l'état d'immatriculation aux fins de la présente
convention ».
-Il se peut que l'aéronef soit exploité par une
personne qui n'est pas propriétaire et dont la nationalité est
différente de celle de l'état d'immatriculation. Or
l'état de l'exploitant peut avoir un
intérêt aussi grand que l'état d'immatriculation à
la répression de l'infraction. L'article 4 § 1 ajoute donc que tout
Etat contractant doit prendre les mesures nécessaires « pour
établir sa compétence si l'infraction est commise à bord
d'un aéronef donnée en location sans équipage à une
personne qui a le siège principal de son exploitation ou, à
défaut, sa résidence permanente dans ledit Etat.
- la convention oblige également l'état «
sur le territoire duquel l'aéronef atterrit avec l'auteur
présumée de l'infraction se trouvant encore à bord »
à établir sa compétence pour connaître de
l'infraction.
- Enfin si l'auteur d'un détournement réussit
à quitter le territoire d'atterrissage pour se réfugier dans un
autre, la Convention prévoit que tout Etat contractant
doit encore prendre les mesures nécessaires pour « connaître
de l'infraction dans le cas ou l'auteur présumée de celle-ci se
trouve sur son territoire et ou ledit Etat ne l'extrade pas » vers l'Etat
d'immatriculation ou l'état d'atterrissage de l'aéronef.
Grâce à ce système de multiplication des
compétences juridictionnelles possibles, il doit en toutes circonstances
se trouver un Etat compétent pour connaître de l'infraction. Il
existe même un risque de poursuites, voire de
condamnations multiples, puisque l'article 4§ 3 ajoute
encore que « la présente Convention n'écarte aucune
compétence pénale exercée conformément aux lois
nationales », 41
c- Arrestation et enquête préliminaire :
l'article 6 organise l'arrestation de l'auteur présumée de
l'infraction « si les circonstances le justifient » et
l'enquête préliminaire menée a la suite de cette
arrestation. Les mesures de sûreté doivent être conformes
à la législation de l'état intéressée. En
cas de détention, toutes facilites doivent être accordées
à la personne détenue afin de communiquer immédiatement
avec le plus proche représentant qualifie de l'état dont elle a
la nationalité (article 6 § 3)42
d- Poursuites : l'article 7 de la convention laisse les Etats
libres de procéder ou non à l'extradition, mais insiste sur le
fait que l'exercice de l'action pénale doit être la règle,
il dispose : « l'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur
présume de l'infraction est découvert, s'il n'extrade pas ce
dernier, soumet l'affaire, sans aucune exception et que l'infraction ait ou non
été commise sur son territoire, à ses autorités
compétentes pour l'exercice de l'action pénale. Ces
autorités prennent leur décision dans les mêmes conditions
que pour toute infraction de droit commun de caractère grave
conformément aux lois de cet Etat ».
41 Compétence liée à la
nationalité de l'auteur ou de la victime de l'infraction ; ou encore
infraction commise au-dessus du territoire d'un Etat.
42 A noter que le plus souvent dans les conventions
bilatérales la communication avec les consuls n'est autorisée
qu'après un délai de quelques jours suivant l'arrestation.
La rédaction de cet article, fruit d'un compromis
intervenu à la conférence de la Haye, n'est pas dépourvue
d'ambiguïté. L'obligation de poursuite dépend de la «
découverte » de l'auteur présumé de l'infraction, ce
qui - semble t-il - ne suppose pas nécessairement son arrestation. Par
contre le texte est très clair sur la nécessite absolue de
transmettre le dossier au Parquet : une décision de classement ne peut
être prise par les autorités de police. Enfin la
référence à une prise de décision « dans les
mêmes conditions que pour toute infraction de droit commun de
caractère grave » pose problème dans la mesure où le
détournement d'avion n'entre que par assimilation dans la
catégorie des infractions de droit commun. On peut se demander comment
interpréter cette dernière disposition de l'article 7 dans le cas
ou le détournement à des mobiles politiques43.
e- Extradition : la convention de La Haye, respectueuse de la
souveraineté des Etats et de leurs traditions juridiques, ne crée
aucun mécanisme automatique d'extradition vers l'état
d'immatriculation ; elle se contente de faire de la capture illicite
d'aéronef à une infraction susceptible d'extradition. L'article
8§1 dispose que « l'infraction est de plein droit comprise comme cas
d'extradition dans tout traite d'extradition conclu entre Etats contractants
».
43 Gilbert Guillaume porte une jugement
sévère sur l'article 7 de la convention de La Haye: «ce
texte particulièrement mal venu est, comme tout texte de ce type, le
fruit de compromise laborieux dans lesquels la correction grammaticale et la
clarté d'expression sont sacrifies à la volonté
d'aboutir».
Certains traités bilatéraux d'extradition
énumèrent limitativement les infractions dont les auteurs sont
susceptibles d'extradition. La formule de l'article 8§1 évite
d'avoir a les réviser : entre parties à la convention de la Haye,
la capture illicite d'aéronefs doit être regardée comme
figurant sur la liste. L'article 8 § 1 ajoute que « les Etats
contractants s'engagent à comprendre l'infraction comme cas
d'extradition dans tout traite d'extradition à conclure entre eux
».
D'autres traites- par exemple la convention européenne
d'extradition du 31 décembre 1957- prévoient que sont
susceptibles d'extradition les auteurs d'infractions punies d'une peine d'une
certaines gravite. A partir du moment ou la capture illicite d'aéronef
est érigée par le droit national des Etats concernés en
infraction punissable d'une telle peine, elle entre par voie de
conséquence dans les cas d'extradition.
En revanche, en l'absence de traité d'extradition, la
convention de La Haye laisse subsister une lacune. Les Etats qui, comme la
France, ne subordonnent pas l'extradition à l'existence d'un traite,
peuvent sur une base de réciprocité, reconnaître entre eux
le détournement illicite d'aéronefs comme un cas d'extradition
(article 8§3). Ils ne peuvent pas le faire dans leurs relations avec des
Etats comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis pour lesquels toute extradition
est subordonnée à l'existence d'un traite et la Convention de La
Haye ne vaut en aucune façon traite d'extradition.
La convention de La Haye en dépit de ses lacunes, on
peut-être à cause d'elles, a marquée une étape
décisive dans la répression des détournements d'avion.
N'ayant adoptée aucune solution extrême ou automatique en
matière d'arrestation, de poursuites, ou d'extradition, elle a
été largement ratifiée. Le système très
démultiplié de compétences possibles permet d'être
assurée qu'il existera toujours une juridiction compétente pour
connaître des captures illicites et en condamner les auteurs.
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