3 - La commande publique comme subordonnée à
la demande sociale.
"Une société démocratique pourrait
légitimement être une société inégalitaire,
à condition que les moins nantis ne soient pas des dépendants
pris dans un rapport de tutelle mais de «semblables» solidairement
associés dans une oeuvre commune5." C'est ainsi que
Robert Durand présente, dans son ouvrage, cette réflexion
fondatrice comme contribuant à l'émergence du centre social, ce
qui en explique les caractères essentiels.
C'est bien sur ce principe que sont énoncés, dans
le projet de charte, quatre orientations fondamentales :
- Promouvoir la prise de responsabilité individuelle et
collective des habitants, et par là l'exercice de la
citoyenneté.
- Elaborer des règles partagées permettant de
favoriser ou de rendre possible une vie commune.
- Inscrire dans une démarche d'éducation
populaire (dans une double dimension, d'éducation permanente et de
formation civique) le passage de l'habitant-usager d'espaces et de territoires
aménagés par d'autres, à l'acteur pleinement responsable
du développement de son environnement géographique.
1 TOUMI Samir, 1998 - Qualifier les acteurs,
qualifier les projets - Ouvertures, la revue des centres sociaux, FNCS,
juin, n° 2, p. 5.
2 Le terme sous-entendrait que des CAF peuvent avoir
ce type de pratiques.
3 Projet de charte fédérale, 1999, FNCS,
doc. cit., pp. 1-2.
4 Ibid.
5 BOURGEOIS Léon (1851-1925), l'un des
promoteurs de la Société des Nations. Prix Nobel de la paix en
1920, cité par CASTEL Robert, 1975 - Les Métamorphoses de la
question sociale, Editions Fayard, p.p. 279-280 in R. DURAND , 1996, op.
cit., pp. 40-43.
- Positionner le centre social comme générateur
d'une forme de démocratie locale et participative qui a la vocation
permanente à exercer une fonction de médiation pour un
«mieux vivre ensemble»1.
Ce cheminement réflexif sur les fondamentaux, dont les
deux termes sont la demande sociale et la commande publique, conduit à
poser le cadre de la représentation politique du réseau des
centres sociaux.
En effet, le projet centre social se construit dans la mise en
oeuvre de méthodes qui font de ce "lieu un espace de
médiation entre la population et les pouvoirs publics et les
institutions, mais aussi entre les institutions
elles-mêmes2."
Cette primauté donnée à la
démocratie participative établit de la sorte "une
hiérarchie entre le projet politique, qui est placé au premier
plan, et les missions ou les fonctions confiées ou
négociées avec les partenaires
institutionnels3."
Comme l'indique l'avant-projet de charte fédérale,
"cette position privilégie la question du projet et du sens : que
fait-on, avec qui, comment, pourquoi, dans quelle
direction4 ?"
Ainsi, nous situerons notre démarche sur le plan local et
particulièrement dans le rapport partenarial dans lequel s'inscrit le
centre social et sa ville d'implantation.
En effet, les lois de décentralisation ont mis en
première ligne les collectivités territoriales comme pilotes de
l'action sociale locale.
Le secteur social est un des domaines d'action des pouvoirs
publics où la décentralisation a été la plus
poussée.
La loi du 23 mars 1982, sur «les droits et les
libertés des communes, des départements et des
régions», pose le fondement de la nouvelle organisation politique
administrative. La loi du 22 juillet 1983 prévoit le transfert, au
1e janvier 1984, de la quasi-totalité des compétences
en matière sanitaire et sociale. Le département devient la
pièce maîtresse du nouveau dispositif. La loi du 26 janvier 1984
crée une fonction publique territoriale : les collectivités
locales ont la maîtrise de leurs services.
Le 6 janvier 1986, la loi n° 86-17, dite «loi
particulière», réalise l'adaptation de la législation
sanitaire et sociale aux transferts de compétence résultant des
lois de décentralisation.
Mais cette loi ne prend pas en compte les centres sociaux.
Ceux-ci continuent d'appartenir au champ du «recommandé» par
voie de circulaire(a) et relèvent donc du facultatif.
Parallèlement, la CNAF, dans une circulaire du 31
décembre 1984, décentralise les règles de
l'agrément des centres sociaux qui ouvrent droit à la prestation
de service. Celle-ci reste un financement national mais la décision
d'agrément relève de la seule caisse locale. En ce sens, c'est
une adaptation à la situation créée par la politique de
décentralisation conduite par l'Etat depuis 1982(b).
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(a) Circulaire ministérielle du 12 mars 1986, cit..
(b) Les centres sociaux et l'action sociale des CAF, constats et
perspectives - CNAF, juillet 1984, p. 6.
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Source : R. DURAND, 1996, op. cit., pp. 185-2 18.
JALON 9 : Les centres sociaux et les lois de
décentralisation.
1 Projet de charte fédérale, 1999, FNCS,
doc. cit., p. 2.
2 Avant-Projet de charte fédérale :
«13 propositions...», FNCS, doc. cit., p. 4.
3 Ibid.
4 Ibid.
Ces mesures confirment que les décisions, en
matière d'action sociale, dépendent de l'état des rapports
entre les partenaires locaux. L'inscription de la pratique des centres sociaux
dans la vie sociale quotidienne et la dimension facultative de leur action
sociale conduisent à privilégier naturellement les relations
partenariales avec la commune1.
1 Un groupe de travail est mandaté depuis
novembre 1997, par la FNCS, pour instruire une réflexion
préalable à une démarche institutionnelle sur le
thème des relations entre centres sociaux et municipalité. Cette
étude, qui concerne l'ensemble du réseau, devrait voir le jour en
2000 - Lettre fédérale - 1999, FNCS, octobre, n°
69, p. 3 - Centres sociaux et municipalités - doc. cit..
Une proximité de reconnaissance.
Le projet « Centre social », conçu pour
prendre en compte la « question sociale », s'est, en près d'un
siècle, transformé en un « dispositif d'action, d'animation
et d'intervention dans la vie locale »1. Organisé
nationalement au sein d'une fédération (FNCS),
l'équipement de voisinage, familial à l'origine, en a
gardé cette dimension quotidienne tout en promouvant les pratiques de
participation des habitants et la notion de citoyenneté active.
L'Etat a intégré le projet « Centre social
» à sa politique familiale, à travers le pouvoir de
labellisation de la CNAF. De fait, ce sont les lois de décentralisation,
en déplaçant le lien politique au niveau de la CAF et de la
commune, qui ont obligé le projet « Centre social » à
se poser la question de son positionnement local.
En effet, la décentralisation a été
pensée par le législateur pour rapprocher le lieu de
décision des citoyens et permettre aux élus locaux à
disposer d'un plus grand pouvoir2. Au fil des années, se sont
multipliés des dispositifs et des procédures d'insertion
impulsés par l'Etat et marqués par la conjoncture politique et
l'urgence sociale. Cet "empilement" de programmes successifs a contribué
à complexifier les modalités de partenariat3. Ainsi,
au coeur des dispositifs d'insertion sociale la commune s'est retrouvée
le pivot des politiques locales4.
De la sorte, le centre social a été
identifié par l'Etat comme "relais essentiel pour la connaissance
des réalités sociales de terrain"5 et
légitimé par la CNAF comme généraliste de l'action
sociale de proximité, porteur d'une démarche de participation
citoyenne. Ce faisant, il a dû, à partir de son réseau
fédéral, s'adapter, s'interroger, se positionner dans ce champ
rénové du social local.
Sa démarche affirmée de démocratie
participative se mesure ainsi à la légitimité
élective de la municipalité et l'oblige à interroger ce
qui caractérise son appréhension de la vie sociale d'un
territoire confronté à la connaissance du tissu local, des
élus et des services municipaux. C'est pourquoi, en partant de
l'étude particulière de l'association de gestion des centres
sociaux Dolto et Montaberlet, nous allons examiner cette situation, en
postulant que les valeurs d'un centre social s'énoncent par son
savoir-faire et que son champ de compétences est le produit de son
système d'organisation.
Dans cette deuxième partie, nous comparerons comment
est prise en compte l'action sociale dans l'organisation municipale de la ville
de Décines et dans l'organisation de l'association de gestion des
centres sociaux Dolto et Montaberlet. Pour ce faire, nous mettrons à
jour les logiques d'acteurs, dans leurs dimensions collectives et
individuelles.
Nous croiserons la lecture d'élus municipaux,
d'administrateurs de l'association de gestion et de cadres communaux sur
l'état de la coopération dans le champ de l'action sociale
locale. Nous nous attacherons à pointer la spécificité de
leur point de vue sur la place respective des acteurs associatifs, centre
social et commune, dans le développement social local.
Nous indiquerons la méthodologie et le cadre
théorique qui conduiront notre analyse.
1 R. DURAND, 1996, op. cit.
2 D. CLERC, 1997, , op. cit., p. 99.
3 - Centres sociaux et municipalité -
doc. cit., p.80.
4 J. ION, 2000, op. cit., pp. 124-129.
5 Circulaire ministérielle du 14 mai 1996, cit.
p. 2.
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