- CHAPITRE 2 - NI INDEPENDANT, NI
ASSUJETTI, L'ENTRE-DEUX DE L'ACTEUR ASSOCIATIF.
Productrice de liens sociaux, l'association de gestion
développe sa propre perception de la demande sociale. Néanmoins,
son action prend corps conjointement à la commande publique. Ce faisant,
elle se confronte à la faible lisibilité de celle-ci. "La
complexification des problèmes sociaux, les changements de nature de la
demande exprimée par les bénéficiaires et le nouvel
impératif de coopération des acteurs n'ont pas reçu
d'écho au niveau de la définition de la commande
publique1." En effet, ce qui émerge de la critique du
Conseil économique et social (CES), c'est la sédimentation et la
complexité des dispositifs. Notamment, la commande publique
exprimée n'est pas déterminée par des "objectifs qui
s'appuient encore suffisamment sur des outils de diagnostic et sur des
démarches globales de long terme2."
Il importe alors, que la mission d'utilité sociale,
apparentée à une «mission de service public», ne se
transforme pas dans le contexte de la décentralisation, en une simple
subdivision de l'échelon de pouvoir politico-administratif. Pour cela,
il convient de mettre l'accent sur l'importance à accorder à un
espace de concertation neutre ; «neutre» en ce sens que les
partenaires s'y rencontrent à égalité. Ainsi, tout en
maintenant le partenaire municipal dans son rôle de décideur de la
politique locale, cet espace d'intermédiation que pourrait symboliser le
comité de pilotage3 représente la possibilité -
jamais assurée de sa pérennité - de contractualiser une
concertation symétriquement contraignante4.
1 - Un diagnostic à débattre en commun.
En tant que jugement porté sur un
phénomène et ses causes, le diagnostic fixe un choix
thérapeutique5 déterminant, qui nécessite, dans
l'action sociale, qu'il soit partagé pour être pertinent. Cette
démarche volontaire de coopération conduit à une
clarification des objectifs et des missions, de manière à
préciser les responsabilités de chacun.
La charte des centres sociaux6 et le projet du
centre social soumis à l'agrément7 de la CAF
apparaissent alors pour l'association de gestion comme des fondamentaux
permettant d'encadrer les conditions d'élaboration partenariale du
projet. Ce faisant, au-delà de l'assurance des moyens financiers, qui
fait l'objet du chapitre précédent, il importe de tenir compte de
la
1 Avis du Conseil économique et social (CES)
adopté le 24 mai 2000 et intitulé - Mutation de la
société et travail social in ASH du 26 mai 2000, N°
2168, p. 6.
2 Ibid.
3 Jalon 10 - Le comité de pilotage
mairie-association de gestion -
4 VINCENT Gilbert - Les associations du travail
social, acteurs politiques - in la revue MAUSS, n° 11, 1998, op.
cit., pp. 305-306.
5 M. GRAWITZ, 1991, article « Diagnostic »,
op. cit., p. 117.
6 Annexe3 - Le projet de charte
fédérale de la fédération nationale des centres
sociaux -
7 Jalon 5 - Historique de l'agrément
-
spécificité du contexte local et du point de vue
des acteurs, afin que les partenaires et financeurs participant à la
définition du projet, fassent valoir leurs propres priorités
pour, ainsi, s'ajuster à la réalité
territoriale1. Cette contractualisation "idéale", qui conduit
à modifier son interprétation de la situation, en amenant les
acteurs à agencer leurs logiques d'analyse, pour se doter d'une
compétence d'intervention partagée et appropriée aux
besoins mis en évidence2, n'est opératoire que si la
notion de «participation des habitants» s'inscrit dans les textes,
non comme une clause de style énoncée, mais comme un
rééquilibrage des pouvoirs entre les différents acteurs,
au profit des habitants. Sans que cela s'entende comme une méfiance
envers les institutions et, en particulier les élus, il s'agit de
trouver, par la construction collective, un juste terme entre des
intérêts et des enjeux qui ne sont ni de même nature, ni de
même ampleur3.
Ainsi, cette démarche commune de diagnostic ne prend
sens que dans la compréhension et la reconnaissance de
rationalités distinctes et légitimes, fondées sur la
conviction que les personnes, y compris les plus en difficulté, peuvent
être acteurs de transformations sociales. Evidemment, ce partenariat
n'exclut pas les tensions, suscite d'inévitables résistances et
oblige ainsi l'association « Centre social » à se
légitimer en tant que porteur de projet traduisant, à travers
celui-ci, les préoccupations de différents acteurs, de
manière à (dé)montrer à chacun
l'intérêt qu'il peut trouver à s'inscrire dans la
démarche.
En somme, ce processus, fondé sur la
compréhension des logiques d'intérêts respectifs,
s'appuyant sur la négociation et le dialogue, demande un investissement
lourd en temps, en élaboration d'outils, en méthodes et en
moyens, qui semble pourtant nécessaire à l'appropriation du
pouvoir partagé. On peut penser que les nouveaux dispositifs de gestion
(de co-production d'action publique) initiés par la politique de la
ville4 participent à cette régulation. Dans le
même même processus, la mise sur pied par la municipalité
dune administration de mission (DSU), parallèlement aux administrations
de gestion classique (CCAS) facilitent cette négociation. En effet,
cette nouvelle approche opératoire dissout, pour une large part, les
structurations institutionnelles, selon les logiques hiérarchiques et
statutaires ; elle privilégie, par conséquent, l'appartenance des
acteurs à des réseaux et à leur capacité à
jouer la médiation entre ces derniers5. Toutefois, cette
dynamique positive trouve ses limites par la place prépondérante
prise prise par les professionnels des divers organismes, faisant
apparaître en cela, le rôle institutionnel des techniciens. Ceux-ci
ont, en effet, une fonction de relais6 et d'agents, porteurs
d'intérêts propres à leur pôle de
référence institutionnel. Ces intérêts se
révélent aussi quelquefois dissemblables, parce que soumis
à des logiques de politique interne à leur structure de
rattachement, quand elles ne sont pas sous-tendues par des modes
différents d'intervention sociale.
Ce qui nous intéresse ici, c'est de mettre à
jour la difficulté qu'ont les professionnels à ne pas s'octroyer
les processus de contractualisation aux dépens des élus
municipaux et associatifs, et donc des habitants.
C'est pourquoi, pour se protéger de cette
déviance, le projet associatif, en référence à la
charte des centres sociaux, "s'oppose à la dérive d'un
équipement qui répondrait automatiquement à toutes les
sollicitations sans renvoi à un plan établi7."
Encore faut-il que la
1 A. FOUREST, 1998, doc. cit., pp. 49-50.
2 BOULTE Patrick, 1993 - Du dignostic aux
remèdes - Sciences Humaines, Juillet, n° 30, pp. 28-3 0.
3 A. FOUREST, 1998, doc. cit., pp. 50-5 1.
4 Schéma 2 - Les dispositifs locaux dont
est partie prenante l'association de gestion -
5 VALARIE Pierre, 1997 - Décentralisation
et contractualisation - Informations sociales, caisse
nationale des allocations familiales, n° 61, p. 19.
6 Cette fonction médiatrice de relais
partagé par les professionnels de l'association fera l'objet de la
discussion de notre dernier chapitre.
7 LADOUS Denis, avril 2000 - Le projet, question
de sens - Vitalités : lettre d'information trimestrielle
mise en oeuvre de ce plan d'action concerté soit :
"contrôlé, mesuré dans son exécution,
évalué dans ce qu'il produit, à travers des
procédures et des procédés discutés, et ce, afin de
garantir le sérieux et la pertinence de l'action1."
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