Le FMI et la crise financière internationale depuis les années 80( Télécharger le fichier original )par Jean Bruno RAKOTOMALALA Université Montesquieu Bordeaux IV - DEA 2004 |
2- La prédominance du marché secondaire des titres de créances douteuses :D'après Norel [P.Norel , Saint-Alary, 1998], ce marché est né en 1983. Il s'agit d'instrument à l'usage des seules banques, destinés à leur permettre de se désengager des créances douteuses qui pèsent éventuellement sur leur bilan. Il s'agit véritablement « d'une bourse des dettes », qui plus est « clandestine sur laquelle se fixe entre les acteurs de ce marché (les banques) la valeur des créances bancaires sur le tiers-monde7(*). Les banques américaines ont été très impliquées dans ce marché. Ainsi, si la dette du Tiers Monde s'élevait à environ 635 milliards de dollars à la fin 1982, celle-ci était concentrée puisque la moitié est repartie entre cinq pays (Brésil, Mexique, Argentine, Corée du Sud, Venezuela). Les créances de ces banques sur ces pays représentaient, en 1982, « 141% des fonds propres de la Morgan Guaranty, 154% de ceux de la Chase Manhatan Bank, 236% de ceux de la Manufactures Hanover » [Harribery dans Toussaint et Zacharie, 2002, p14]. Pour y faire face les banques ont adopté d'une part des mesures de prévention par un désengagement vis-à-vis des PED, et d'autre part des provisions contre les risques de défaut. Comme le montre le tableau 4, malgré ces mesures, les créances des banques sur les PED ont toujours suivi un rythme de croissance soutenue après 1982, passant de 151,3 milliards à 250,9 milliards de dollar en 1989 et descendent à 167,7milliards en 1991. Tableau 4 : Créances des Banques sur les pays en développement (milliards de dollars)
Source : World Debt Tables 1991. Le marché secondaire des créances douteuses a joué au rôle capital dans l'endettement des PED.Concrètement sur ce marché, des banques rachètent à d'autres banques désireuses de s'en débarrasser des créances douteuses à une valeur ou un prix qui monte ou descend au gré des excédents ou déficits da la balance des paiements, des taux d'inflation ou des élections politiques dans chaque pays du sud pris dans cette crise8(*). Mais le plus souvent, cette vente de créances prend la forme d'un troc : une banque échange telle créance sur tel pays contre une autre créance sur tel autre pays. Ainsi en 1984, on a constaté des échanges d'un « papier » de 5 millions de dollars sur le Pérou, contre un « papier »de 2,5 millions sur Brésil. Autrement dit, la Banque qui effectue cet échange et qui vend « du Pérou » accepte de perdre la moitié du montant nominal de sa créance car elle a une bonne confiance dans le Brésil et ne veut plus mettre les pieds au Pérou [Norel , 1990] Né en 1983, avec environ 1 milliard de dollars d'échanges, ce marché a connu différentes phases d'épanouissement ou de repli, mais globalement, sa trajectoire en termes de volume de créances échangées est ascendante. (Compte tenu de la hausse des créances des banques sur les PED). Pourtant, ce marché est apparu comme étant un instrument « illégal » ou immoral. En effet, celui-ci est apparu dans un contexte où les créanciers privés paraissaient vouloir faire-part de manière unie face à la crise de la dette qui menaçait certaines banques. Le club de Londres en fait parti et le plan Brady de 1989 était inspiré de ce marché. (Cf chap II. Section II 1-2). En même temps, les banques ont progressivement renforcé leur capitalisation et augmenté les provisions sur leurs créances [Barthélemy et Vourc'h, p.39]. Les nouvelles directives en matière de fonds propre par la Banque des règlements internationaux, communément dénommées « Ratio Cooke » ont renforcé ce mouvement. D'après ces nouvelles règles instituées en 1988, le ratio fond propres/ actifs que les banques doivent respecter dépend du risque propre à chaque catégorie d'actifs. Ce ratio est de 100% pour les PED. Ce ratio et le prix du marché secondaire sont intimement liés l'un de l'autre. Le marché secondaire a pris de l'expansion dans le milieu des années 1980 sous l'impulsion des programmes de reconversion de la dette. Cette reconversion revête plusieurs formes, parmi lesquelles : swap de dette-action, titrisation de la dette, rachat de dette à escompte, swap de dette échange de biens, swap de dette-dette, conversion de dette en devise locale. [Emmanuel Nyahoho, 2002, p52]. Selon les estimées de la Banque Mondiale, le volume du marché secondaire de la dette (créances douteuses), de 4 milliards de dollars en 1985 passe à 50 milliards en 1988 et à 100 milliards en 1991. De janvier en octobre 1992, le volume se situe déjà à 120 milliards de dollars. Cette croissance phénoménale s'explique par le dynamisme des activités interbancaires et de liquidation de leurs actifs et aussi par l'apparition de nouveaux instruments financiers dont, les swaps, ouvrant de nouvelles possibilités d'arbitrage et de la gestion de risques. Quant à l'évolution des prix du marché, on distingue deux périodes distinctes. Ainsi , de 1985 à 1989, les prix ont considérablement chuté en raison de l'attitude défensive de nombreuses banques qui non seulement accroissent leurs provisions pour perte, mais liquident leur dette pour concessions fiscales. Ainsi comme le montre le tableau 5, le prix de l'Argentine sur le marché secondaire d'une valeur de 64% de sa vraie valeur en 1986 diminue à 47% en 1998 et se retrouve à 14% en 1989. Depuis 1989, les prix sur le marché secondaire ont tendance à se relever. Ce retournement de l'évolution des prix est relié à une perspective d'allègement de la dette, mais aussi de la situation macro-économique et financière de quelques pays émergents d'Amérique Latine et d'Asie. La baisse des taux d'intérêt américaine9(*) (qui a passé de 10,8% en 1983, à 10% en 1990 et 7,7% en 1994) y contribue d'une façon considérable.( cf tab1). Tableau 5 : Cours des titres de créances bancaires au marché secondaire ( en % de la valeur nominale)
Source : Salomon Brothers, tiré de Jean Claude Barthélemy, « L'endettement du Tiers-monde, PUF, 1990, p113 ». Comme le soulève Barthélemy (1990), la dette des PED n'a pas cessé de se déprécier sur le marché secondaire. Il conclut : « L'apparition de décotes massives sur le marché secondaire ouvre d'ailleurs la possibilité aux pays endettés de réduire d'eux même le poids de leur endettement, en rachetant leur propre dette sur le marché secondaire. La crise d'endettement des années 1980 a été considérée être résolue vers le début des années 1980. Pourtant cette crise est latente et toujours prête à rebondir à tout moment. La complexité du problème conjuguée à d'autres facteurs comme la turbulence financière et la volonté des mouvements de capitaux vont conduire l'économie mondiale dans un système marqué par la succession des crises multifacettes depuis les années 1990. C'est l'objet de la section II de ce chapitre intitulé : « Les résurgences multiples des crises financières internationales depuis les années 1990 ». * 7 Ainsi, en septembre 1987, la dette philippine s'achète à 60% de sa valeur nominale et la dette brésilienne à 40%. * 8 On peut noter dès à présent que les décisions d'achat ou de vente de ces créances douteuses dépendent d'un indicateur synthétique, c'est le risque pays. * 9 On parle ici de taux d'intérêt nominal. Le taux réel a passé de 7,6% en 1983 à 4,6% en 1990 et 5,5% en 1994. |
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