Le Contentieux Immobilier en Droit Positif Béninois( Télécharger le fichier original )par Sylvie ADJE Université d'Abomey Calavi - Maîtrise 2004 |
B. De la colonisation à nos joursA l'avènement de la colonisation, les valeurs de la civilisation occidentale ont été introduites au Dahomey et la notion de la propriété foncière a évolué dans le temps et ne peut plus être considérée comme immuable. Les mutations profondes intervenues dans le régime foncier se sont effectuées essentiellement sous le coup de facteurs exogènes. Les rapports juridiques traditionnels de l'homme à la terre ont évolué vers une indépendance de l'individu et une individualisation des droits sur le sol. Cette évolution trouverait son origine dans les facteurs internes et externes. Ces derniers se situent dans la formation d'un droit moderne du fait de la colonisation, maintenu et renforcé à l'indépendance. Les causes endogènes de la transformation du droit foncier proviennent essentiellement de la désintégration de la famille traditionnelle et de la modification de l'ordre social. L'individu tend à s'affranchir du groupe, remplaçant ainsi la conscience collective par une conscience individuelle. La famille nucléaire restreinte s'affirme sur les sociétés globales ; ce qui a amené le professeur KOUASSIGAN Guy Adjété à affirmer que ``les liens de sang se resserre au détriment des liens sociaux''35(*). Par conséquent, ce relâchement des liens de parenté est à l'origine de l'éclatement du groupe au profit de l'individu. L'évolution de la société traditionnelle se traduit par le passage d'une économie de subsistance à une économie d'accumulation, par l'essor des religions monothéistes et enfin, par le déplacement des pouvoirs socio-politiques. Or il est bien compréhensible que toute modification de l'ordre social provoque une transformation du droit. Pour détruire la propriété collective traditionnelle, la puissance colonisatrice a eu recours à deux théories principales à savoir : - La théorie des terres vacantes et sans maîtres : cette théorie amène l'Etat à faire recours aux articles 53936(*) et 71337(*) du code civil français pour se déclarer titulaire de la propriété absolue et exclusive de toutes les terres restées vacantes et sans maîtres. Or la vacance d'un titre signifie son abandon par son ancien titulaire. Ce qui n'est pas le cas de la propriété foncière traditionnelle qui, demeure la chose des communautés lignagères ou villageoises. Quant au concept de terre sans maître, il n'est pas non plus acceptable, car l'absence de la propriété foncière au sens moderne n'exclut pas la notion de propriété cette fois collective sur le sol qui a un maître unique. Ce qui amène Raymond Verdier a souligné dans son thème : ``aucune terre n'était sans maître, il fallait tenir compte de la rotation des cultures, de l'usage intermittent des pâturages ; le coin le plus reculé de la brousse était sous la juridiction d'un chef''38(*). - La théorie de succession d'Etat : dans les colonies du Bénin où régnait une organisation pré-coloniale ou quasi étatique, l'administration coloniale brandit cette théorie pour s'emparer des terres des autochtones. Selon cette- théorie, les souverains locaux étaient les véritables propriétaires des terres. Par conséquent, celles-ci devaient revenir en propre à la puissance conquérante au nom de la théorie de la succession d'Etat. Le colonisateur avait fondé ses prétentions sur le fait qu'il a recueilli tous les droits qu'exerçaient les anciens souverains évincés sur les terres. En dehors de ces deux théories, l'administration coloniale a eu recours au système de TORRENS. - Le système de TORRENS39(*) est une procédure qui consiste à inscrire dans un registre public les droits que l'on exerce sur un bien en vue de le rendre ainsi opposable aux tiers. L'immatriculation a été instituée au début du 19è (XIXe) siècle par un ensemble de dispositions et singulièrement par le décret du 24 juillet 1906, qui a été repris à son tour par celui du 26 juillet 1932. Mais il n'y a pas eu que deux textes. A l'indépendance deux lois aujourd'hui vétustes consacrent l'hétérogénéité du régime foncier béninois. § II- Le domaine du droit foncier La réalité foncière nécessite une analyse des données de terrains afin d'éviter une construction juridique qui ne correspond pas au milieu étudié. En effet le domaine foncier est lié à la fois aux usages(A) et aux textes applicables(B). A. Les usagesLe monde réel des sociétés béninoises(ex-Dahomey) islamisées ou non se base sur des manières de faire, considérées comme indispensables à la survie de chacun des membres du groupe lorsque ces derniers ne font pas appel à une instance extérieure ou supérieure tel Dieu chez les chrétiens ou Vaudou chez les animistes, etc. pour les régler. C'est le modèle de comportement social, obligatoire ou une norme à suivre sous peine de sanction sociale ou surnaturelle. Et les hommes sont obligés de concilier le visible avec l'invisible pour exprimer leur vie. L'invisible des sociétés animales serait un monde parallèle au monde humain, il serait normal qu'il rentre en communication avec les hommes, soit pour leur réclamer un dû après avoir accordé un bienfait, soit pour transmettre un message provenant de cet outre-monde, soit pour négocier un contrat40(*). De ces phénomènes font partis les ancêtres, ils pourraient exprimer leur désaccord en envoyant des messages ; comme à Abomey précisément à Djidja où des sauterelles seraient venues détruire les récoltes de deux communautés villageoises qui étaient en conflit. Celles-ci ont interprété la venue de ces oiseaux comme une punition de leurs ancêtres les obligeant à se réconcilier. Dans la plupart des cas, la communication entre le visible et l'invisible s'effectue par l'intermédiaire des signes41(*) et des symboles42(*). Un lien profond lie donc l'énergie vitale43(*) caractérisant le vivant et l'énergie d'ordre cosmique44(*) dont chaque être participe. C'est ce qu'explique le sacrifice des animaux sur le ``Hêbièzo'' dieu de la foudre chez les Adja ou sur le ``Lêgba'' dieu de la terre chez les Adja-fon. L'animation des forces de la nature par des esprits est liée à la domination de ces forces sur les hommes. Les jours succèdent aux nuits avec une rigueur implacable, la foudre peut tomber sur les hommes qui ne respectent par les recommandations du chef religieux. Ce sacrifice a pour effet d'établir un dialogue avec les entités invisibles telles les génies du ``Ogou'' contre les accidents chez les Yoruba. En tant que telle, la terre constitue une représentation sociale que le juriste doit incorporer dans son appréhension des faits dans la mesure où le droit est l'art dogmatique de nouer le social, le biologique et l'inconscient pour assurer la reproduction de l'humanité. De façon plus générale, le droit doit s'enrichir des représentations socio-culturelles avant de poser un diagnostic ou de proposer des solutions qui vont marquer profondément les structures juridiques foncières. D'où la nécessité des textes pour la réglementation de la propriété foncière coutumière.
B. Les textes Plusieurs textes ont été pris pour organiser le Régime Foncier au Dahomey(BENIN). C'est ainsi que le décret du 24 juillet 1906 portant Organisation du Régime de la Propriété Foncière dans les colonies et territoires relevant du gouvernement a introduit au Dahomey la formule du titre foncier. Selon ce texte, l'immatriculation destinée à conférer la sécurité du droit de propriété sur l'immeuble n'est pas obligatoire. Le titulaire d'un fonds de terre peut choisir de l'immatriculer ou non44(*) ; toute personne propriétaire ou détenteur d'un immeuble, quel que soit son statut est autorisée à faire immatriculer son immeuble. Ensuite celui du 8 août 1925 qui vise à faire constater des droits fonciers sur requête des détenteurs45(*), ce qui veut dire que les collectivités ou les individus peuvent faire constater leur droit sur les propriétés domaniales. Quant au coutumier du Dahomey rendu applicable, par la circulaire AP128 du 19 mars 1931, il a consacré la notion de propriété qui est soit individuelle, familiale ou collective. Il ressort aussi de ce texte que, l'étranger qui demande l'autorisation de s'installer peut recevoir du chef de la terre, un terrain vacant à titre précaire sous condition expresse de reconnaître l'autorité du chef de village et de se soumettre à ses disciplines46(*). Puis le décret du 26 juillet 1932 qui fixe le mode d'extinction des droits du titulaire de l'immeuble immatriculé et le mode d'extinction des hypothèques47(*). Enfin, le décret-loi n° 55-580 du 20 mai 1955 portant Organisation Foncière et Domaniale en A.O.F48(*). et A.E.F49(*). Ce décret conserve la notion de propriété privée et même celle de la propriété collective. Mais impose la mise en valeur de l'immeuble comme critère de l'obtention de l'immatriculation. Tous les droits coutumiers, sans distinction de leurs caractères, peuvent être reconnus à travers une procédure publique et contradictoire sous l'autorité de l'administration locale50(*). A côté de ce droit foncier coutumier, il existe un droit foncier moderne dont il importe d'apprécier le contenu. Section 2- Du droit foncier moderne Le droit foncier moderne est l'ensemble des règles juridiques qui s'appliquent aux terres immatriculées ou ayant un permis d'habiter. Aussi, entend -on par droit foncier moderne l'ensemble des règles juridiques qui régissent ces terres. En droit béninois, il existe un régime foncier relevant du droit moderne régit par les lois sur le permis d'habiter et la loi régissant l'immatriculation foncière. Le contentieux lié à ce régime foncier est régit par les dispositions de ces deux lois et du code civil. Quels sont les domaines relatifs au régime foncier moderne (§1) et quels sont les textes applicables(§2)? § I- Les domaines concernés Nous analyserons l'immatriculation foncière(A) et avant l'étude du permis d'habiter(B). * 35 KOUASSIGAN (Guy Adjété) Professeur, Avocat et Ecrivain togolais ``l'homme et la terre'', éd. Nancy, 1966, 283 pages. * 36«Tous les biens vacants sans maître, et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers ou, dont les successions sont abandonnées, appartiennent au domaine public » art 539 C. Civ. * 37 « Les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à l'Etat» art 713 C. Civ. * 38 VERDIER (Raymond) `l'ancien droit et le nouveau droit foncier de l'Afrique, dans le ``droit de la terre en Afrique(au sud du Sahara), Ed. G.P. Maisonneuve et Larose, 1971, 155 pages. D'après la définition de biens vacants et de biens sans maîtres, ce sont des biens dont leurs propriétaires sont décédés ou disparus et dont personne n'est plus admise à réclamer la propriété. * 39 Le système de TORRENS est une procédure de l'immatriculation foncière inaugurée en Australie par TORREN'S Robert Directeur des douanes d'alors en Australie et qui fit l'objet de la Real Property Act du 2 juillet 1858. Tiré du cours du professeur (Philippes) NOUDJENOUME ``Droit comparé'', 4ème Année * 40 Par exemple à Abomey, il ne serait pas recommandable d'aller aux champs le jour du marché HOUNDJRO. Sinon les ancêtres exprimeraient leur désaccord par la foudre ou l'épidémie de la variole * 41 Signe : ce qui permet de connaître, de deviner, de prévoir ou, un indice ou, une marque. * 42 Symbole : signe figuratif, être animé ou chose qui représente une chose abstraite, qui est l'usage d'une chose. La présence d'un drapeau blanc hissé dans une maison est le symbole du fétiche ``dan''. * 4346 Dans la mythologie cosmique, on estime que le cosmos dispose d'une énergie pouvant conférer la vigueur à l'homme s'il est né sous tel ou tel autre symbole astral, ou, pratique tel ou tel acte mystique. * 44 Article 5 al1 de la loi 65-25 du 14 août 1965 portant Régime de la Propriété Foncière au Dahomey. * 45 Article 1 du décret du 8 août 1925. * 46 Article 231 du coutumier du Dahomey p32. NB : par DCC 96-063 du 26 septembre 1996 la Cour Constitutionnelle a estimé qu'une circulaire n'a pas de force exécutoire. * 47 L'hypothèque est une sûreté réelle soumise à la formalité d'inscription ; cette sûreté grève les immeubles et les biens meubles à statut bien immeuble comme les navires. * 48 A.O.F. : Afrique de l'Ouest Francophone. * 49 A.E.F. : Afrique de l'Est Francophone. * 50 Les droits coutumiers sont en général des droits non écrits dont la reconnaissance peut être faite par l'autorité administrative locale dans le cas d'une procédure orale et contradictoire réunissant les titulaires desdits droits des notables et personnes ressources. C'est l'exemple des ascenseurs des différentes coutumes siégeant dans la composition des tribunaux et cours d'appel statuant en matière du droit traditionnel. |
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