Le Contentieux Immobilier en Droit Positif Béninois( Télécharger le fichier original )par Sylvie ADJE Université d'Abomey Calavi - Maîtrise 2004 |
A. La période pré-colonialePendant cette période, les hommes vivaient en commun au sein des communautés rurales organisées en tribu15(*), clan16(*), ethnie17(*) et famille18(*). Cette communauté de vie s'explique au vu des pratiques de l'époque. Les hommes vivaient de la chasse, de la pêche, des cueillettes et travaillaient au nom du groupe, du tribu, du clan etc.... Un groupe, une famille ou une communauté de village peut, certes, prétendre avoir de réserve de chasse, de pêche ou de cueillette sur un domaine de terre, un territoire, mais on ne conçoit pas qu'un individu isolé puisse le faire. Traditionnellement la terre n'est pas susceptible d'appropriation privée, en cela, elle est davantage traitée comme peut l'être la mer ou l'air dans les droits européens19(*). Plus exactement, si l'on tient absolument à relever une relation d'appartenance, il convient alors de dire que la terre appartient à la divinité20(*), aux fétiches21(*) ou aux ancêtres21(*), qu'elle a été affectée à la communauté plus ou moins large qui en use et tire profit des produits qu'elle fournit. Nul ne peut se l'approprier à titre individuel. Pour ce qui concerne nos préoccupations à savoir le droit foncier de la terre, certains chercheurs africains y ont consacré leurs travaux. Desquels ressortent trois caractères de la terre à savoir : sacré, communautaire et inaliénable. - Le caractère sacré tient à ce que sans maître au départ, la terre appartient aux premiers occupants qui ont eu un lien très intime avec elle, au point où on constate une sorte de pacte entre eux. C'est ce qui conduit Malgras22(*) à écrire à propos de Minyaka23(*) que ``toute communauté, quelle qu'elle soit, s'installant sur un domaine doit, avant de la défricher, s'assurer la bienveillance de ses puissances surnaturelles qui en sont les vrais propriétaires''24(*). D'où la relation religieuse entre les hommes de l'Afrique pré coloniale et la terre. Dans la société du Danxomè25(*) et de l'aire géographique Adja-fon, la terre est également objet de vénération au point où la variole est considérée comme les manifestations de sa colère contre les hommes. Le caractère sacré de la terre est surtout lié à ce culte des ancêtres dont la vénération se confond avec la terre qui porte leurs sépulcres. La terre selon Etienne LE ROY ``appartient à une vaste famille dont de nombreux sont morts, quelques-uns sont vivants et d'innombrables sont à naître''26(*). - Le caractère communautaire de la terre provient du fait que l'accès à la terre est par principe ouvert à tous et chacun y a un droit potentiel d'exploitation. Ceci explique d'une part que le droit de jouissance27(*) de la terre constitue un attribut de la personne28(*) et non pas un droit réel29(*) ; cela justifie d'autre part le fait que ce droit s'exprime dans le cadre d'une communauté lignagère30(*). L'individu isolé n'a pas d'existence juridique car il ne correspond à aucune réalité sociale. Ce n'est qu'en tant que membre d'une communauté qu'il est considéré. Il est dans ce cas sujet potentiel d'un droit d'exploitation de la terre, mais cette potentialité n'accède à la réalité qu'à travers l'existence de cette communauté. Donc l'individu ne s'affirme qu'au sein de la communauté, support des droits portant sur la terre. La terre représente un enjeu pour la société dont sa mise en valeur dépend, de telle sorte que le droit d'exploitation de l'individu sur le sol dépend du groupe auquel il appartient. L'homme s'y attache donc de génération en génération. La terre qui est sacrée et communautaire ne doit pas, par évidence faire l'objet d'un droit de disposition31(*). Elle est donc inaliénable32(*) - Le caractère d'inaliénabilité confère à la terre la notion d'un bien indivis32(*). Aucun individu ne peut s'en dessaisir définitivement au profit d'un autre individu ou d'une autre collectivité. La renonciation de ses droits sur une parcelle de la terre entraîne le retour de celle-ci à la communauté. `L'individu ne dispose que d'un droit d'administration générale33(*) qui ne lui permet pas de disposer de la terre, ni de l'aliéner. Même quand on dit que la terre appartient au chef ou au prince, ceci traduit simplement une façon de confirmer que c'est pour le clan ou pour le groupement territorial. Le chef est partout considéré comme le symbole de la terre, gérant de celle-ci pour le compte de la communauté.34(*) Ce chef joue à l'égard de ceux-ci le rôle de dépositaire ou d'administrateur universel de la terre. C'est lui qui repartit entre les chefs de famille les portions de terre que ceux-ci redistribuent à leur tour entre les membres du groupe familial aux fins d'exploitation et non d'aliénation. Cette pratique se poursuit de nos jours et est loin de disparaître dans certaines zones du Bénin. Mais la colonisation a introduit des valeurs nouvelles en matière de propriété foncière. * 15 Une tribu est un groupement consanguin réunissant les descendants d'un même ancêtre. Il est traduit en langue Fon par Houendo. * 16Un clan est un groupement de plusieurs tribus sur un même territoire parlant la même langue et se réclamant d'une histoire commune. C'est ce qui est traduit en langue Fon par ``Ako'' et en Yoruba ``Ibi-ilé. * 17Une ethnie est un regroupement de plusieurs clans, parlant la même langue malgré les variantes dialectales, partageant globalement les mêmes valeurs culturelles et se réclamant d'une histoire commune. Ces trois définitions sont tirées de Alfred MONDJANNAGNI ``Campagnes et villes au sud de la République Populaire du Bénin'', thèse de doctorat d'Etat, Edition Mouton-La Hayes, Paris,1977. * 18 La famille est une communauté d'individu qui se réclame d'un ancêtre commun uni les uns aux autres par les liens de parenté qui ne sont pas nécessairement fondés sur la consanguinité, pratiquant le même culte en observant les mêmes interdits qu'il comporte, soumis à l'autorité d'un chef qui est à la fois représentant du groupe et administrateur de son patrimoine commun. Cf. Guy KOUASSIGAN ``Quelle est ma loi ?'' éd. Nancy, Paris, 1974, 157 pages. Cette définition tend à être réduite à la famille mononucléaire c'est à dire celle composée des époux et de leurs enfants par la conception moderne. * 19 Droit européens : en droit européen la mer et l'air ne peuvent pas faire l'objet d'une appropriation privée par les particuliers. Même les Etats ne peuvent exercer leur souveraineté que sur une partie de la mer intérieure. * 20 21 Traditionnellement, la terre faisait l'objet de vénération dans les sociétés africaines. On trouvait en elle la propriété des divinités, des fétiches qui ont une certaine suprématie sur l'homme. * 21 Dans cette tradition africaine, les ascendants lointains décédés depuis des lustres font l'objet d'un culte de vénération, ce qui explique que l'on attache une importance à leurs esprits auxquels l'on attribue la propriété de la terre. * 22 C'est un écrivain africain, professeur de nationalité algérienne qui a eu pas dérogation la nationalité française. * 23 Les minyaka sont les populations proches des sénoufo. Ce sont les bambara du Mali qui sont nommés ainsi à cause de leur caractère animiste. * 24 Note de Cours de Droit Comparé 4e année 2002-2003 du Professeur NOUDJENOUME (Philippes). * 25 Danxomè veut dire bâtir dans le ventre de Dan. C'est une histoire qui s'est déroulée entre Dan Roi de Guedevito et Akaba un guerrier qui a laissé ses frères à Allada pour venir s'installer à Abomey. * 26 Etienne LE Romey `` la Sécurisation foncière'', Ed. ORSTOM ,1991, Col. 483 pages * 27 Droit de jouissance : c'est le droit dont dispose une personne, lui conférant la possibilité d'utiliser une chose ou d'user de ses fruits. * 28 En raison du caractère communautaire de la terre dans les sociétés traditionnelles africaines chaque membre de la communauté dispose d'un droit de jouissance sur les terres de la dite communauté, lui permettant d'en exploiter une portion ou de profiter des fruits de l'exploitation des communautaires par le représentant de la communauté agissant pour le compte de celle-ci. * 29 L'individu vivant au sein de la communauté n'a pas en réalité un droit portant sur la terre en tant que bien matériel, qui lui est propre. Mais il dispose simplement d'un droit de jouir de ses fruits. * 30 Ce droit de jouissance n'est pas personnelle à un individu de la communauté& à l'e »exclusion des autres membres de la dite communauté ; mais tous les membres ont conjointement ce droit de jouissance sur la terre. * 31&31 La terre appartenant à la communauté et faisant l'objet de vénération, l'individu n'avait sur aucun droit de disposition et elle ne pouvait être vendue ni fait l'objet de libéralité par un membre de la communauté. * 32 Indivis : cela veut dire toute chose qui ne peut faire l'objet d'aucun partage. * 33 Administration générale : droit en vertu duquel un individu a un pouvoir de gestion collégiale sur les bien d'une communauté. * 34 C'est le cas des Aïnon chez les Fons ou les Goun |
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