La morphologie viaire comme territoire de la
vitesse
La conception moderne de l'urbanisme et d
Illustration 18: Relations entre maillage et urbanité - Boarnet
et Crane cités par Antoine Bres (Bres, 2003)
e l'architecture approche de manière fortement
dissociée et ségrégée le rapport entre la voie et
l'îlot. Les productions urbanistiques de Le Corbusier, ou de
l'architecte-urbaniste américain Frank Lloyd Wright, illustrent cette
conception.
La fonction circulatoire doit être le champ de la
vitesse. A ce titre, les croisements automobiles sont considérés
comme des ralentisseurs. La conception "autoroutière" de la route
domine, la desserte des îlots étant assurée par des voies
de désserte en cul-de-sac hiérarchiquement inférieures. La
halte automobile, la station entre la voie et l'îlot, n'est presque pas
appréhendée par Le Corbusier, de même que les formes
urbaines produites ne présentent pas de lien avec la voie tant du point
de vue de la hauteur qu'en matière de proximité physique entre
bâti et voie. C'est l'habitat individuel qui prédomine dans les
oeuvres de Frank Lloyd Wright, alors que Le Corbusier associe lui l'habitat
collectif au maillage routier qu'il fait de la ville. Le peu d'attention
portée à la question du stationnement, du fait de la
sous-estimation de l'importance que prendrait le déplacement automobile,
explique également le très faible nombre de places de
stationnement.
La morphologie viaire comme maillage
Illustration 19: Relations entre type de circulation et formes urbaines
- Source: Lang, 2008
Pour les architectes et urbanistes "spatiaux", rattaché
à l'école du New Urbanism, l'intérêt
porté à la "morphologie viaire' réside dans le maillage.
La variété des formes que peut adopter un maillage, un
"patterns" (dispositif spatial de référence), sont
autant de possibilités plus ou moins aptes à
générer de "l'urbanité", terme qui est ici associé
à la rencontre entre l'automobilité et le piéton. Si les
chercheurs à l'origine de cette thèse, Christopher Alexander et
ses collaborateurs (ALEXANDER, 1977), admettent que ces deux usages de la ville
sont à priori antagonistes, ils montrent que c'est de leur rencontre
qu'apparaîssent les points de frottement générateurs de
ville: "les voitures sont dangereuses pour les piétons; cependant
les activités urbaines se trouvent là où les
piétons et les automobiles se rencontrent". Ainsi, si le
cloisonnement des territoires du piéton face aux voies automobiles
présente des qualités sécurisantes pour les
piétons, elle enferme les possibilités de halte automobile sur
les rives à la source de la vie urbaine générée par
la possibilité de rencontre des deux systèmes.
L'école du New Urbanism identifie et oppose
deux grands types de maillages, le maillage "viaire
conventionnel" et le maillage "néo-traditionnel", aux
aptitudes différentes. Le maillage néo-traditionnel permet de
réduire les parcours automobiles, de diminuer la consommation d'essence
et de favoriser une pratique pédestre du quartier, à
l'opposé des maillages viaire conventionnel étendu et en
cul-de-sac, à l'origine d'une pratique essentiellement automobile d'un
quartier.
Au delà du débat sur ces deux types de
maillages, la question du stationnement apparaît également
décisive sur les aptitudes d'un quartier à "faire ville", cela
à l'échelle de la rue. Le stationnement de type
"intégré" (le long du trottoir) est ainsi jugé
plus efficace que le stationnement de type
"intégré-dédié" (à
l'intérieur de l'immeuble). A l'échelle régionale, cette
approche se décline à travers la notion de "corridor".
Robert Lang (LANG, 2008) propose à ce titre un schéma de
l'évolution générale des formes urbaines commerciales
autour de la rue, en lien avec l'histoire de la voiture. La voie de la fin du
19ème siècle se caractérise par des trottoirs
de grandes tailles, une voie de circulation étroite conçue pour
les déplacements hypotractés, et un parcellaire adossé
à la rue, dont la largeur au contact du trottoir est petite. Avec
l'essor de l'automobilité, la taille de la voie augmente, ainsi que la
taille de la largeur des parcelles exposées à la voie, alors que
la taille des trottoirs s'est amenuisée. Des années 1910 à
aujourd'hui, il met en évidence la place croissante prise par le
stationnement automobile dans le processus de formation du parcellaire. Le
passage d'un stationnement de type intégré (riverain au trottoir)
à un type ségrégé (autour du bâtiment)
provoque une production du parcellaire déterminée par le
stationnement. Ainsi, le bâti tend à se détacher de la rue,
et à être entouré d'aires de stationnement. Dans le
même temps, l'espace de cheminement piétonnier
("sidewalks") a presque disparu.
Les liens entre îlot et voie approchés par les
chercheurs nord-américains sont approfondis par les auteurs
comtemporains, qui établissent une approche spécifique pour
traiter de la ville "comme un système de mouvement", par
opposition à la ville "comme ensemble d'activités".
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