Chapitre I : Temps de l'origine et des origines
La bipartition temps sacré et temps profane renvoie en
même temps aux contenus, à l'espace et aux modalités de
production. Le Professeur Diagne essaie « d'arracher le temps
raconté à l'indifférence » pour reprendre le mot
de Paul RICOEUR41.
Dans le champ de la connaissance ésotérique,
l'image est la seule manière de « mimer
l'inaccessible » qui sera d'ailleurs dramatisé pour rendre
possible l'appropriation sélective de son contenu. Michel
SERRES42 confirme cette idée avancée en ces
termes : « tout récit mythique n'est que la dramatisation
d'un contenu donné. »
Le philosophe sénégalais tente de
défendre l'hypothèse selon laquelle la nécessité de
la dramatisation dans le sacré se justifie par le fait que ce qui
constitue un noyau est essentiellement un drame. Autrement dit, la dramaturgie
est consubstantielle à l'expression même du sacré. Elle est
omniprésente.
I. L'oubli et la mort comme drame
linguistiques
La survie de la civilisation de l'oralité dépend
des procédés discursifs qu'elle déploie contre les
atteintes de l'oubli. La parole qui narre l'origine semble ne pouvoir le faire
qu'en mettant en scène la Parole originelle. Dans la mise en
scène et la dramatisation, dans une civilisation d'oralité, la
parole et la mémoire y jouent un rôle éminent. Une
civilisation orale exige de la mémoire. Le Professeur Diagne cite
l'exemple de la poésie orale dans l'Iliade43 et
l'Odyssée. Par ailleurs Homère dès les premiers
vers de l'Iliade invoque Mnémosyne déesse
Mémoire, mère des Muses.
La capacité de restitution de quelqu'un qui ne
dispose pas de support écrit s'adosse à une puissance
supérieure qui transcende le temps. Le support avec l'immortalité
surgit quand on est doté d'une mémoire inaltérable. Dans
cette partie il donne des exemples de la Grèce antique. La
représentation de la parole et de la mémoire est un fait de
l'oralité. Elle n'est pas exclusive à l'Afrique.
La parole est souffle, qu'elle soit magique, profane ou
sacré. La parole et la mémoire conjuguent leurs efforts dans le
champ de l'initiation pour dire l'origine et donner les moyens d'en
récapituler et d'en rejouer le drame.
Lorsque Luc de HEUSCH44 est cité dans ce
passage : « l'histoire est prise au piège de la
pensée mythique, qui impose aux rois sa propre
souveraineté », c'est pour signifier que le récit
mythique n'est pas susceptible d'être manipulé. Le récit
mythique met en scène des personnages qui, dès l'origine, sont
censées avoir joué la pièce initiale. Le mythe narre la
geste primitive pendant que les rites d'initiation qu'il inspire ont une
fonction de réédition de cette même pièce par l'acte
de commémoration.
A partir d'un même tronc mythique, la possibilité
est donnée de filer des rameaux figurant des destins
différenciés de groupes se réclamant d'un même
ancêtre. C'est ce qui engendre une multiplicité de variantes. Dans
les mythes de fondation, la fonction politique de légitimation et de
régulation sociale est perceptible.
Par le biais commémoratif du rituel de temps
historique, des hommes s'alimentent du hors temps du mythe.
Dans une civilisation d'oralité l'oubli a partie
liée avec la mort. L'oubli revêt un double sens dans les travaux
de LEVI-STRAUSS45. Il est défaut de communication
(malentendu) et indiscrétion (excès de communication avec autrui)
(défaut de communication avec soi).
II. L'ordre et le désordre
Le début du récit (situation initiale)
correspond à un ordre des choses. Bousculé par une rupture
d'interdit il s'en suit une césure introduite par un véritable
désordre. Un phénomène inconnu apparait : la mort
Le Pr. Diagne illustre son propos à l'aide d'exemple
sous forme de tableau. Une transgression d'ordre linguistique et de l'ordre
linguistique sont visibles dans le récit. Le mythe nous installe dans la
problématique d'une communication défectueuse frappée
d'interdits. Le rituel de commémoration désamorce l'angoisse de
la mort par la promesse de la résurrection. La mémoire est la
seule faculté qui triomphe de l'oubli, de la mort.
« Les rites sont dans le temps ce que la demeure
est dans l'espace ». Cette boutade de Saint-Exupéry permet de
faire ressortir l'idée d'un ancrage et d'une volonté de
sédimentation se prolongeant en une entremise d'organisation de
l'espace. Un système de normes est introduit afin de restaurer un ordre
perturbé. On se donne les moyens de récapituler
périodiquement certains paradigmes de l'origine. C'est trouver une
parade à l'oubli en « marquant » le temps
lui-même.
Deux impératifs se posent : la connaissance et le
respect de ce que nous appelons les sens interdits et les sens des obligations
de la parole ; l'extrême vigilance de la mémoire sur la
topographie du permis et du défendu. La mise en scène, en
même temps qu'elle rend pensable la mort comme sanction d'une faute, fait
intervenir ce qui en figure l'antidote ou le dépassement.
Le philosophe sénégalais en arrive à
découvrir que le rituel de la commémoration à
périodicité empêche l'oubli d'affecter la mémoire
des hommes. Préserver les sociétés humaines de l'oubli,
c'est toujours « humidifier », c'est-à-dire
rendre féconde leur mémoire. Ainsi, s'initier, c'est mourir
symboliquement, afin de restaurer le pacte originel. Mourir, dans le but de
vivre, telle est la finalité poursuivie.
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