Deuxième partie
Les mémorables : pour que le temps
suspende son vol
Le Pr Diagne avance que pour échapper aux atteintes du
temps, les sociétés à tradition orale produisent ou
construisent du mémorable.
Chapitre I. Oralité et temporalité
I. Position du problème
La tradition orale, parce qu'elle est orale et qu'elle est
tradition, a pour gardiens des récitants. L'évocation du terme
« tradition » laisse aussi sous-entendre la notion de
durée, de temps. L'oralité nous met en présence de quelque
chose inséparable du temps vécu. C'est pourquoi M. Diagne conclut
que la conséquence d'une parole perdue, c'est la disparition pour
toujours. La volonté de triompher du temps, de la mort de toute parole
proférée amène le récitant à mettre en place
une ruse, un code.
L'éclairage de Mircéa ELIADE22
conforte la position du philosophe. La différenciation qu'elle fait du
temps sacré et du temps profane est essentielle pour voir comment
l'homme dit le temps et dit son aventure à travers le temps dans une
société d'oralité. Mamoussé Diagne
privilégie la mémoire orale du point de vue de son acte de
constitution en tant que mémoire fonctionnant selon des
modalités précises.
Dans ces considérations générales, le
chercheur rappelle les caractéristiques des concepts
d' « oralité » et de
« tradition » sous la lorgnette de Joseph
KI-ZERBO23 et de Paul ZUMTHOR24. Le premier attribue
à l'oralité un statut théorique précis lui
conférant un caractère global structurant, et perçoit le
concept « tradition orale» comme une vocation
essentiellement descriptive, classificatoire. La tradition orale se
résume alors à un ensemble de faits de discours qui ne suffit pas
à caractériser une culture. S'agissant de l'oralité, le
philosophe essaie d'en fonder la pertinence théorique sur des faits de
civilisation dépassant et englobant les seuls faits de discours.
Avec Paul ZUMTHOR, il amène les trois types
d'oralité :
- L'oralité primaire, immédiate : aucun
contact avec l'écrit
- L'oralité mixte : influence externe de
l'écrit partielle
- L'oralité seconde : elle se recompose à
partir de l'écrit
II. De l'histoire et des historiens
Dans cette sous partie, nous percevons l'intérêt
qu'ont les peuples à se remémorer. Cette création
historique est perceptible à travers Louis-Vincent Thomas et Cheikh Anta
DIOP25 dont les travaux sont cités par le Pr
Mamoussé. Le refus de vivre avec la mémoire d'autrui conduit
à la création d'une mémoire pour le peuple. Cf position
des premiers historiens africains à l'aube des indépendances.
Quant à la tradition orale, elle use de
procédés narratifs pour dire l'histoire. Ce sont des techniques
mises en oeuvre dans le discours oral pour agencer les faits, les
événements et les personnages dans des récits plus ou
moins stables afin de construire du mémorable.
III. Les pêcheurs d'étoiles
La civilisation d'oralité use donc de
procédés spécifiques pour emprisonner ce qu'elle tient
à sauver de l'oubli. Le filet de la mémoire dans la mer du temps
ramène dans leurs mailles des étoiles.
La chronologie, dans ces procédures, donne la
profondeur et la perspective historique nécessaire. L'élagage sur
une tranche historique importante est par moment noté. La durée
est parfois écrasée ; on a des télescopages de
périodes historiques ; une superposition des personnages
historiques. Dans une société d'oralité ces écarts
ne sont pas étonnants.
Devant un tel constat, la tentation est grande pour le
récitant de combler par des déplacements, des recréations
les « trous » existants.
A l'inverse, la surcharge de la mémoire cause des
effondrements suivis de réaménagements. L'oubli devient normal
car il est comme limites mnémoniques. Le récitant n'a pas le luxe
de trainer avec une mémoire morte.
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