Chapitre III. Archéologie de la raison orale
(Michel Foucault)
La dramatisation apparaît dans les analyses
précédentes comme étant au service d'un certain nombre
d'objectifs : la mise en forme ; la transmission et l'archivage du
savoir social.
Parler, suppose l'existence d'un destinataire du message. La
notion de champ performanciel est incontournable. On a un « discours
avec » (discours en présence, voire avec le concours
d'autrui).
L'examen du socle archéologique d'une
société orale donne la clé d'intelligibilité du
contenu des messages et celle de leur archivage dans la mémoire des
individus et de la collectivité.
I. Mise en scène et paidéia
(pédagogie)
Dans une civilisation orale, la production et la conservation
du savoir se traduisent en un jeu, au sens où le savoir doit être
joué, c'est - à - dire incarné par des personnages qui
interprètent des rôles dans l'économie de l'histoire.
Ce que le Professeur Diagne appelle une pédagogie en
acte ou le mimodrame du savoir est fortifié par les travaux de Johan.
Huizinga17. Ce sera dans cette logique qu'il cite
Mangoné NIANG18 dans son étude du jeu de Kocc
Barma et ses adversaires. Ainsi, lorsqu'il déplace un pion, il
déplace une parole, de là on déplace un homme ou on
crée un événement historique. L'image est
dramatisée dans le jeu pour la rétention et l'assimilation d'un
contenu. Le texte dramatisé sera plus facile à retenir.
Pour soutenir cette thèse, M. Diagne convoque Dominique
Zahan19 qui pense que toute leçon est mimée,
dansée, organisée à la manière d'une pièce
de théâtre ».p. 121
Basile-Juléat FOUDA20 dans ses travaux
dépose dans le même sens. FOUDA précise que « le
message est capté aisément et déposé
pédagogiquement dans les caves vivantes de la mémoire affective
(...). Effets pédagogiques, effets durables ».
Parallèlement, Jean CAUVIN partage ce même point de vue. Ensemble,
ils retiendront que la dramatisation reste un fait majeur dans les
sociétés à tradition orale. L'enjeu est l'appropriation
individuelle et collective d'un savoir social. L'un des procédés
les plus récurrents est la canonisation. Certains récits ou
segments de récits sont canonisés pour des raisons qui tiennent
à la survie d'une civilisation d'oralité. Le conte fonctionne
donc comme un archétype et lorsqu'il voyage à travers des aires
culturelles différentes, il garde la même charpente. Le
récit consolide sa structure et jusqu'au contenu qu'il charrie dans
certains cas. Dans ces productions imaginaires, il ya des limites à la
fantaisie. Il s'agit de la gestion d'un capital symbolique dans sa
variété (la variance/ les variantes) en fonction des
intérêts supérieurs de la société. L'exemple
de Suzanne PLATIEL21 est illustratif dans son étude sur les
Mossi, les Bambaras ou les San.
II. De l'interprétation
Les récits des sociétés à
tradition orale fonctionnent comme un théâtre à
thèses. Un travail d'encodage accompagne le message émis et un
autre travail de décodage sur le même message est attendu à
l'arrivée. Le message émis est un défi lancé
à l'autre. Le « vouloir-dire » conduit à une
« exégèse préalable », une
maîtrise de cette image et du jeu des images. Le même cheminement
est attendu à la réception. L'émetteur et le
récepteur déploient le même effort. Le savoir est
élaboré, testé, mis en forme selon les procédures
qui seront révélées à l'expérience comme les
plus efficaces, pour être engrangé dans les silos de la
mémoire individuelle et sociale.
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