L'effet normatif des conventionspar Dany MARIGNALE Université Paris XII - Master 2 recherche en droit privé 2007 |
Paragraphe II) Les effets des conventions non obligationnelles.Pour qu'une convention jouisse de la force obligatoire à elle conférée par l'article 1134 alinéa 1er, il n'est pas nécessaire qu'elle emporte la création d'une obligation. Ainsi, le droit français compte t-il des accords de volontés obligatoires ne portant pas création d'une obligation, les uns formés en vue d'aménager l'exécution des droits subjectifs des parties (A), les autres s'inscrivant dans le cadre de la négociation contractuelle (B). A) L'aménagement conventionnel des droits subjectifs des parties.
17. Les conventions abdicatives. On connaît les inconvénients de la justice étatique : ses résultats, bien souvent imprévisibles, peuvent se faire attendre des années, et elle est parfois source d'une publicité non désirée. De la recherche d'un palliatif à ces difficultés ont émergé un certain nombre de mécanismes mêlant accords de volontés et droit processuel : médiations, conciliations, arbitrages, transactions, autant de notions alternatives au procès, modes alternatifs de règlement des conflits. Objet d'une convention ad hoc pour les uns, résultant de l'application d'une clause de la convention (qui sont cependant, en un sens des conventions110(*)) pour les autres, les modes alternatifs de règlement des litiges ont pour objet la déchéance d'un droit, la fin d'une situation juridique. Ce sont des conventions dont l'effet principal est extinctif. Leur force obligatoire est, du reste, singulièrement énergique puisque la convention peut fonder la fin de non-recevoir qu'opposerait le juge à celle des parties qui aurait décidé, en dépit de la convention conclue, de revenir sur son engagement par la formation d'une action en justice111(*). La transaction, en ce qu'elle intervient entre les parties au litige et produit un effet de droit est une convention. Sa définition est fournie par le Code civil à l'article 2044 : « La transaction est un contrat112(*) par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître » 113(*). D'aucuns pourraient soutenir que l'effet de la transaction s'explique par une obligation de ne pas faire : abstention consistant pour les parties à « ne pas contester la transaction »114(*). L'explication proposée déforme toutefois considérablement la notion d'obligation de ne pas faire car y adhérer conduirait à admettre que toutes les fois où les parties s'engagent à ne pas contester les termes de l'accord intervenu entre elles on pourrait y déceler une telle obligation ce qui est contestable sauf à en relever l'existence dans toutes les conventions. De plus, puisque le juge est tenu de rejeter les actions formées en violation des termes de la transaction, cette obligation de ne pas faire serait par hypothèse insusceptible d'inexécution115(*). La partie ne pourrait pas y défaillir parce qu'elle n'a aucun rôle dans l'exécution de cette « obligation ». Son respect s'impose bien plus au juge : les parties n'ayant ni la charge, ni même la maîtrise de leur exécution, elles ne peuvent donc pas être désignées comme en étant débitrices. Les clauses d'arbitrage ou de conciliation souffrent la même objection. L'explication de leur force obligatoire par une obligation de faire (celle de soumettre le litige à un arbitre avant d'avoir recours au juge étatique) ne résiste pas à l'analyse pour la même raison que celle avancée plus haut : une inexécution ne se conçoit pas à leur sujet116(*). La remise de dettes, elle, n'est pas définie par le Code civil : l'article 1282 se borne à en consigner la forme et poursuit ainsi un dessein plus probatoire que didactique ; les articles 1283 à 1288 visant davantage à en établir les effets. Il est possible de la définir comme « l'acte par lequel le créancier libère volontairement le débiteur de tout ou partie de sa dette sans avoir obtenu ce qui lui est dû »117(*) . Il s'agit pour le premier d'abandonner son droit de créance au second, qui y consent118(*). Il s'agit donc d'une convention119(*). Ici encore ni prestation, ni abstention. La convention n'organise aucune obligation dont les parties seraient débitrices. L'efficacité de cette convention est néanmoins implacable. Emportant extinction de la dette remise, le créancier ne peut même plus revenir sur son engagement120(*). 18. Les conventions translatives : l'exemple de la subrogation. Le Code civil consacre deux paragraphes au paiement : le « paiement en général » et le « paiement avec subrogation » qui apparaît donc comme une variété particulière de ce mode d'extinction des obligations. L'article 1249 du Code civil en connaît deux déclinaisons : « La subrogation dans les droits du créancier au profit d'une tierce personne qui le paye est ou conventionnelle ou légale». L'article suivant distingue entre deux formes de subrogation conventionnelle. Cela dit, le fait qu'elle soit consentie par le débiteur ex parte debitoris ou par le créancier ex parte creditoris, le fait qu'elle soit légale ou conventionnelle, n'a pas d'incidence sur l'effet produit qui peut être ainsi résumé : la subrogation place le subrogé dans les droits du subrogeant. Lorsque ce mécanisme est d'origine contractuelle, le tiers qui paie la dette du débiteur conclut avec le créancier une convention qui aura pour objet la subrogation. La créance éteinte à l'égard du créancier subsiste au profit du subrogé qui dispose ainsi de toutes les actions qui appartenaient au créancier et qui se rattachaient à cette créance avant le paiement121(*). L'effet obligatoire de cette convention se traduit par l'acquisition par le subrogé de l'ensemble des prérogatives de son cocontractant. La convention se borne donc au transfert des droits et actions du subrogeant au profit du bénéficiaire de la subrogation. Dès l'accord formé, le subrogé est immédiatement investi de la créance primitive avec tous ses avantages et accessoires. La transmission des droits et actions s'opère sans le concours des parties. Le caractère automatique de l'effet translatif ainsi produit établit l'absence d'obligation civile qui suppose nécessairement l'intervention d'un débiteur de l'obligation sur lequel pèse la charge son exécution. 19. Le changement de régime matrimonial. La libéralisation du changement de régime matrimonial est l'une des expressions les plus nettes de la contractualisation du droit de la famille. Ainsi du principe d'une immutabilité absolue du régime matrimonial122(*) on est progressivement passé à une mutabilité encadrée par le pouvoir du juge puis plus récemment123(*) à une déjudiciarisation, puisqu'il a été accordé aux époux un droit de modifier par convention leur régime matrimonial124(*). Ainsi, les époux ont-ils le pouvoir de modifier les dispositions régissant leurs relations patrimoniales. Cette convention ne crée aucun lien obligationnel entre les parties125(*). * 110 G.CORNU, Vocabulaire Juridique, éd. PUF, V°convention ; Chaque clause et chaque stipulation qui composent la convention est le fruit d'un accord de volontés et produisent des effets de droit, elles sont donc elles mêmes des conventions. * 111 L'article 2052 du Code civil octroie « l'autorité de chose jugée en dernier ressort » aux transactions et interdit ainsi qu'un juge ou qu'un arbitre soit saisi du litige qu'elle a d'ores et déjà tranché. * 112 Le lecteur ne s'étonnera pas de l'utilisation du mot « contrat » y compris en l'absence d'obligation civile tant il a été démontré (supra n°7) que les mots étaient interchangeables sous la plume des rédacteurs du Code civil. * 113 Malgré le silence de l'art. 2044 sur ce point, les parties doivent procéder à des concessions réciproques. Ces concessions, conditions prétoriennes (en ce sens, Civ. 3 janv. 1883, D.1883.457, Civ. 13 mars 1922, D.1925. 139 ou encore Soc. 29 mai 1996, Dr. Soc. 1996 p. 689 obs. J SAVATIER), consistent souvent en l'accomplissement d'une prestation positive qui sera, elle, assimilable à une obligation. Il faut toutefois les recenser au nombre des conditions (et pas des effets) de la qualification de l'acte en transaction puisque leur absence conduira à sa disqualification en acquiescement au jugement (possibilité offerte au justiciable par l'article 408 et s. du Nouveau Code de Procédure Civile qui emporte en vertu de l'article 409 alinéa 1er NCPC soumission aux chefs de demande de celui-ci et renonciation aux voies de recours), ou en désistement d'instance (article 394 du NCPC qui pose la réserve de l'acceptation du défendeur pour que l'instance soit éteinte). * 114 F.BOULAN, La transaction en droit privé positif, th. Aix-Marseille, 1971, n°225. * 115 « Supposons que l'une des parties change d'avis et décide de reprendre le litige auquel il a pourtant été mis fin, ses prétentions seraient rejetées : il s'agirait d'une obligation bien curieuse « inviolable » par hypothèse » F.DREIFUSS-NETTER, Les manifestations de volontés abdicatives, LGDJ, 1985 n°43. * 116 Voy. par ex. Mix.14 févr. 2003 : « licite, la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent ». * 117 F.TERRE, P.SIMLER, Y.LEQUETTE, Droit civil, les obligations éd. DALLOZ, 2005, n°1359 ; G.MARTY, P.RAYNAUD, P.JESTAZ, Droit civil, les obligations, t.2, 2e éd, 1989, n°309 ; Encycl. Dalloz, V°Remise de dettes, par Y.PICOD. * 118 Sur cette exigence d'une acceptation par le débiteur de la remise consentie unanimement admise en doctrine P.STARCK, ROLAND, BOYER, Les obligations, t.3, Régime général, éd. 1992 n°364 ; P.MALLAURIE et L.AYNES Les obligations, éd. 1997 n° 1054 ; A.BENABENT, Les obligations, éd. 1995 n°883 ; H.L.J. MAZEAUD, Leçons de Droit civil, Les obligations éd MONTCHRETIEN n°1195 par F.CHABAS ; F.TERRE, P.SIMLER, Y.LEQUETTE, Droit civil, les obligations, éd. Dalloz, 2005, n°1359 ; F.DREIFUSS-NETTER, Les manifestations de volontés abdicatives, éd.LGDJ, 1985, n°35 et s. * 119Art. 1285 et 1287 du Code civil sont explicites sur sa nature conventionnelle; elle peut néanmoins être concédée par testament. * 120 Il se heurterait à l'impossibilité d'obtenir un titre exécutoire, l'extinction de plein droit de la dette remise étant un obstacle de taille à la preuve de sa certitude. * 121 En ce sens, Civ. 1ère 7 déc. 1983, Bull. civ. I, n°291 ; Com. 15 mars 1988, Bull. civ., IV, n°106; Com. 17 déc. 1985, Bull. civ., IV, n° 296 ; Com. 23 janv. 2001, Bull. Civ. IV, n°21. * 122 Cadre juridique fixant l'ensemble des règles applicables aux époux et à leurs biens. Convention de régime matrimonial qui du reste n'organise pas, non plus, de lien d'obligation. * 123 Art. 44 de la loi L. 2006-728 du 23 juin 2006. * 124 Ce changement repose sur l'accomplissement de certaines formalités et est soumis au respect de certaines conditions : un délai de deux ans entre la conclusion du mariage et la décision de changement de régime matrimonial, il doit être motivé par l'intérêt de la famille et la convention modificative doit être rédigée sous la forme notariée, le recours au juge pour l'homologation qui avait cours sous l'ancienne législation n'a désormais lieu que dans le cadre contentieux. * 125 L'indivision conventionnelle, le contrat de société, le pacte civil de solidarité sont également des conventions qui, se bornant à une réorganisation des relations patrimoniales entre les parties ne mettent pas à leur charge d'obligations civiles. |
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