L'effet normatif des conventionspar Dany MARIGNALE Université Paris XII - Master 2 recherche en droit privé 2007 |
Section 2. Une étude biaisée des effets de la convention.L'obligation est au coeur de l'explication traditionnelle de la force obligatoire de la convention. Toutefois, l'étude des effets obligatoires de la convention ne s'épuise pas dans l'étude des effets de l'obligation qu'elle contient. Aussi, le constat d'une force obligatoire intrinsèque de la convention s'impose t-il dès l'étude des effets non obligationnels des contrats (§I) mais de manière plus nette encore à l'étude des effets secrétés par les conventions qui n'ont pas pour objet la création d'une obligation (§II) Paragraphe I) Les effets non obligationnels du contrat.L'analyse des effets de la convention met au jour des effets non obligationnels, en marge du lien d'obligation qu'il crée entre les parties (A) et en l'absence de tout lien d'obligation (B).
A) Un effet obligatoire en marge de l'obligation.
12. L'éventualité. Le contrat de caution ou cautionnement conventionnel est la convention par laquelle la caution s'engage envers le créancier. La caution s'oblige ainsi à titre de garantie à remplir l'obligation du débiteur principal, pour le cas où celui-ci n'y aurait pas lui-même satisfait. Derrière la clarté de la rédaction de l'article 2011 du code Civil réside une notion fuyante du fait de sa formidable souplesse. La doctrine a dû composer avec l'élasticité et le caractère protéiforme de cette sûreté pour en définir le régime : caution professionnelles et « profanes », cautionnement personnel ou réel, cautionnement simple ou solidaire, pluralité de cautionnement d'une même dette, sous cautionnement, cautionnement à titre gratuit ou onéreux, cautionnement civil ou commercial... Le cautionnement illimité de dettes futures est l'un de ces mécanismes développés par la pratique. Instrument privilégié du droit des affaires lorsqu'il est souscrit par le dirigeant social, il est bien souvent la condition de l'allocation d'un prêt par les établissements financiers aux sociétés à risque limité (SA, SARL...). Il permet au prêteur de deniers d'abattre la cloison entre le patrimoine de l'entreprise et celui du dirigeant social. En stipulant que la caution garantira « toutes les dettes qui naîtront entre le débiteur et le créancier » la convention satisfait aux exigences de l'article 1129 du Code civil qui souffre un objet du contrat au moins déterminable bien qu'on ne puisse connaître avec exactitude l'étendue, la nature ou le montant desdites dettes au moment de la formation du contrat. Certes, la caution est tenue de payer les dettes contractées par le débiteur pour le cas où il y manquerait. Mais elle est également -- et parfois même uniquement pour le cas où le débiteur n'est jamais défaillant -- tenue au rôle rassérénant de débiteur subsidiaire que traduit la phase passive de l'exécution de son engagement. Dans cette dernière phase expectative, il est particulièrement difficile de rendre compte de l'engagement entre le créancier et la caution par le prisme de l'obligation civile. L'analyse suivant laquelle cette phase de couverture serait une obligation a exécution successive80(*), à charge pour la caution de garantir chacune des dettes nées durant son engagement, paraît ainsi devoir être repoussée : on détermine aisément le contenu de l'exécution successive à la charge du débiteur dans les contrats créateurs de ce type d'obligations (versements périodiques des loyers par le locataire dans le bail, des salaires par l'employeur dans le contrat de travail ou des arrérages de la rente viagère par l'acheteur débirentier). Quel serait ici le contenu de cette « exécution » de l'obligation de couverture ? On serait bien en peine de le déterminer sachant que le respect de son engagement ne requiert rien d'autre de la caution que son inertie ; elle est cantonnée dans un rôle parfaitement passif, antonyme de l'obligation civile, qui est nécessairement prestation ou abstention. Du reste, un auteur a fait très justement observer que cette pseudo « obligation de couverture » est insusceptible d'inexécution81(*). La dette impayée incarne l'élément déclencheur de la phase dynamique du cautionnement, phase génératrice des obligations civiles, durant laquelle la caution est « actionnée »82(*). Ce constat d'absence d'obligation civile dans la phase de « veille » de la convention peut de manière générale être étendu à toutes les conventions qui visent à aménager les conséquences de la survenance d'une éventualité. Les conventions qui lient les prestataires de services aux sociétaires ayant souscrit une convention d'assistance automobile par exemple ne produisent leur effet obligationnel, (prise en charge du déplacement du remorqueur, rapatriement du conducteur et des passagers au domicile, ou prêt d'un véhicule de remplacement) que dans la phase dynamique de l'engagement, phase répondant à la survenance de l'élément déclencheur : la panne ou l'accident. Du contrat d'assurance automobile obligatoire (prise en charge par la compagnie d'assurance des frais de réparation des dommages causés aux tiers dès la survenance de l'accident de la circulation), à la convention de télésurveillance (intervention d'un agent de sécurité en cas de déclenchement d'une alarme), la réalisation de l'évènement conditionne le déclenchement d'une phase active de la convention au cours de laquelle seulement des obligations trouvent à s'exécuter. On ne saurait pourtant affirmer que durant cette « phase de sommeil » des obligations contenues dans la convention aucun lien contractuel ne lie la caution au créancier, la société d'assistance ou la compagnie d'assurance à l'automobiliste malheureux : il est néanmoins impossible à ce stade de son exécution d'expliquer la force obligatoire du lien en question par un quelconque contenu obligationnel. 13. La bonne foi, effet des conventions. L'article 1134 alinéa 3 du code civil évoquant les conventions du 1er alinéa précise qu'« elles doivent être exécutées de bonne foi ». Dans cette même veine, les principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international invitent les parties à « se conformer aux exigences de la bonne foi » et les principes du droit européen du contrat posent que « dans l'exercice de ses droits et l'exécution de ses obligations, chaque partie est tenue d'agir conformément aux exigences de la bonne foi ». La bonne foi d'un individu peut être définie comme l'« attitude traduisant la conviction ou la volonté de se conformer au Droit qui permet à l'intéressé d'échapper aux rigueurs de la loi »83(*). La doctrine allemande du XIXe siècle divise son étude en deux aspects. On rencontre le premier, la guter glaube, notamment en droit de la famille ou en droit des biens. Il est « la croyance erronée en une situation juridique régulière ». Il y fonde la paralysie du jeu normal des règles de Droit et justifie les effets du mariage putatif84(*) ou la propriété du bien usucapé85(*). Le second aspect, la Treu und Glauben, est celui qui intéresse le droit des obligations. Il est « le comportement loyal que requiert, notamment l'exécution d'une obligation86(*) ». C'est évidemment87(*) dans cette seconde acception que la notion sera comprise dans les lignes suivantes. 14. La bonne foi, une obligation contractuelle? La question de la nature de l'exigence de bonne foi dans les contrats est des plus controversées : depuis 195388(*), il est constant que son inobservation s'analyse en faute délictuelle, curieuse notion juridique89(*), ou se conjuguent nature contractuelle et régime délictuel. Cela dit, l'origine contractuelle de la bonne foi en fait-elle nécessairement une obligation contractuelle ? D'énoncer que la bonne foi est un devoir imposé par le contrat à la qualifier d'obligation contractuelle il n'y a qu'un pas, que certains auteurs proposent d'ailleurs de franchir90(*). Cela dit, la classification de la bonne foi au nombre des obligations contractuelles, n'est pas sans montrer certaines limites91(*). C'est la polysémie du terme obligation92(*) - dans le sens commun, elle équivaut au devoir - qui semble déterminante dans le choix d'une telle position. Toutefois, il faut, avec d'autres auteurs93(*), constater que la qualification d'obligation civile emporte des conséquences juridiques qui ne cadrent ni avec la nature, ni avec le régime de la bonne foi. D'une part, l'un des traits caractéristiques majeurs de l'obligation civile est sa nature patrimoniale94(*). Or le comportement que commande l'article 1134 alinéa 3 n'est pas évaluable en argent et encore moins cessible. D'autre part, en cas de manquement à l'exigence de bonne foi par l'une des parties à la convention, les dispositions portant régime de l'inexécution des obligations civiles ne peuvent pas s'appliquer à l'exigence de bonne foi sans en contredire la nature. Ainsi, l'exécution forcée en nature par exemple, prérogative dont le créancier bénéficie en vertu de l'article 1184 alinéa 2, est-elle inconcevable ici sauf à vider l'article 1134 alinéa 3 de sa substance95(*) ; la faculté de remplacement de l'art. 1144 aboutirait, à l'extrême, à allouer un droit au créancier de l' « obligation de bonne foi » de la faire exécuter par un tiers est rendrait l'article 1134 alinéa 3 inutile puisqu'il vise à encadrer le comportement contractuel des parties. L'exception d'inexécution conduirait tout simplement à dispenser les deux parties de leur « obligation » de bonne foi96(*). Il faut ajouter que l'existence de liens contractuels est le préalable à toute exigence de bonne foi97(*). Cette influence sur le comportement de l'individu ne se conçoit que lorsqu'il est partie au lien contractuel. En concluant, il s'oblige à la bonne foi. En dehors de tout lien contractuel, rien ne lui interdit de se comporter avec « neutralité, détachement, ou même égoïsme »98(*) rien ne lui impose le « comportement effectif en harmonie avec le but assigné à la convention »99(*) qui mâtine le comportement du contractant. La bonne foi, certes imposée par la Loi, n'en est pas moins un effet des conventions. Aussi, bien que ne répondant pas aux caractères de l'obligation contractuelle, la bonne foi est-elle néanmoins à recenser au nombre des effets du contrat. 15. Suspension des obligations. La suspension est un mécanisme juridique qui est amené à fonctionner « chaque fois que l'une des parties ou les deux, sont autorisées à ne plus exécuter tout ou partie de leurs obligations »100(*). Ses causes sont multiples. Elle peut résulter d'une impossibilité temporaire d'exécution du contrat, comme la force majeure101(*), ou encore de l'exercice d'un droit incompatible avec l'exécution du contrat, l'exercice du droit de grève par exemple. La suspension a pour effet de légitimer l'inexécution de l'obligation civile et par conséquent d'en supprimer le caractère exigible. Le créancier ne pourra obtenir du débiteur ni l'exécution forcée de son obligation, ni en exiger la réparation sur le fondement de sa responsabilité contractuelle. La suspension de l'obligation n'emporte pas sa disparition mais en paralyse les effets. Pourtant, cette «léthargie du contrat n'est pas complète »102(*) car il est possible de faire la démonstration de la persistance des certains effets de la convention durant cette période où les obligations contractuelles n'en produisent plus. C'est ainsi que le salarié gréviste conserve le bénéfice de son logement de fonction, droit qu'il tient de son contrat de travail. Le salarié demeure en outre tenu de l'observation d'une certaine discrétion sur son activité ou sur celle de son entreprise si elle est induite par les termes de la convention, la circonstance suivant laquelle il serait en grève, ou empêché par un évènement répondant aux caractères de la force majeure n'aura aucune incidence sur le secret auquel il est contraint. Les engagements de non-concurrence ou d'exclusivité du salarié ne sont pas non plus affectés103(*) par la suspension des obligations contractuelles. Tous ces éléments paraissent moins être les effets d'une obligation contractuelle, a fortiori lorsqu'elle est suspendue, que des conséquences de l'application et du respect des termes contractuels. La survenance d'effets obligatoires durant cette période « non obligationnelle » de la convention appelle au rejet de la réduction de la force obligatoire de la convention à son contenu obligationnel. Les effets du contrat après l'extinction des obligations achèvent d'en démontrer la force obligatoire intrinsèque. * 80 « L'obligation de couverture est à exécution successive : son extinction ne peut avoir d'effet que pour l'avenir et laissera à la caution la charge des dettes de règlement nées avant cette extinction. » M.CABRILLAC, C.MOULY Droit des sûretés éd. LITEC, 2004, n°314. * 81 P.ANCEL « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat » préc. n° 39 p. 796 * 82 Terme particulièrement révélateur de la passivité de la caution dans la phase qui précède cette mise en action. * 83 G.CORNU, Vocabulaire juridique, éd. PUF, V°bonne foi ; Même si la bonne foi contractuelle invite également (cf. infra) le contractant à une attitude positive et dynamique, la définition générale n'en traduit pas moins la posture psychologique de celui qui agit en contractant loyal c'est-à-dire en ayant la conviction et la volonté de se conformer au Droit issu non pas cette fois de la Loi mais de la norme conventionnelle. * 84 Art. 201 du C.civ * 85 Art 2265 du C.civ * 86 .CORNU, Vocabulaire juridique, préc. V°bonne foi * 87 « Il paraît clair que l'art 1134 al. 3 vise le concept de bonne foi dans sa seconde acception (...) car si la bonne foi de l'art. 1134 al. 3 visait l'idée d'ignorance légitime, la disposition signifierait que les conventions doivent être exécutées dans l'ignorance des vices de l'exécution, ou, pour prendre une autre formule, dans un état de « croyance erronée ». P. STOFFEL-MUNCK, L'abus dans le contrat, Essai d'une théorie éd. LGDJ, 2000, n° 55. * 88 Soc. 11 juin 1953 D 1953. 661 ; 15 mars 2005 la cour de cassation condamne au visa de 1382 le manquement à l'obligation de bonne foi. * 89 « Bizarrerie juridique » selon M.STOFFEL-MUNCK, Solution « à vrai dire inexplicable » pour G.VINEY Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 2002, n°194. ; même aveu chez J.HUET Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Essai d'une délimitation entre les deux ordres de responsabilité, Thèse PARIS II, 1978, n°307. * 90 « La prestation promise par le débiteur de l'obligation de bonne foi est logiquement la « bonne foi ». R.DESGORCES, La bonne foi dans les contrats : rôle actuel et perspectives, thèse Paris II, 1992 n°172. * 91 Limites d'ailleurs parfaitement mises en relief par Monsieur STOFFEL-MUNCK dans sa th. préc. n° 145 et s. * 92 Sur la différence entre « être obligé » et être débiteur d'une obligation civile Voy. supra n°8. * 93 P.STOFFEL-MUNCK n°158 et s. ; en ce sens, mais différemment, Voy. également P.JACQUES, Regards sur l'art 1135 du Code civil, éd. Dalloz, 2005 n°167. * 94 Voy. supra n°8 * 95 « La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible... » L'impossibilité, nemo cogi potest ad factum, qui traduit l'impossibilité de la contrainte par corps en droit français, disposition protectrice de la liberté du débiteur, ne jouerait pas ici à moins de concevoir une liberté d'être de mauvaise foi du contractant qui viderait l'art 1134 al. 3 de sa substance. * 96 L'exception d'inexécution ou exception non adimpleti contractus permet au contractant de parer à la défaillance de son cocontractant en refusant d'exécuter l'obligation correspondante. Le contractant A n'est pas de bonne foi, en réponse B n'est pas de bonne foi, conséquence : la convention s'exécute à bon droit en toute mauvaise foi. ; Sur tous ces éléments, Voy. P.STOFFEL-MUNCK th. préc. n°158 et s. * 97 En ce sens et de manière explicite Civ. 3ème 14 septembre 2005, D.2006.761 note D.MAZEAUD « L'obligation de bonne foi suppose l'existence de liens contractuels, et que ceux-ci cessent lorsque la condition suspensive auxquels ils étaient soumis a défailli ». * 98 P. JACQUES Regards sur l'article 1135 du Code civil, éd. Dalloz, 2005 n°125 * 99 P. JACQUES Regards sur l'article 1135 du Code civil, éd. Dalloz, 2005 n°125 * 100 J.GHESTIN, C.JAMIN, M.BILLAU, Traité de droit civil, Les effets du contrat, LGDJ 2001 n° 354 * 101 Evènement imprévisible et irrésistible qui, provenant d'une cause extérieure au débiteur d'une obligation (...) le libère de son obligation... » G.CORNU, Vocabulaire Juridique, éd. PUF éd. 2005. * 102 J.TREILLARD, De la suspension des contrats in La tendance à la stabilité du rapport contractuel, Etudes de Droit privé sous la direction de P.DURAND, éd. LGDJ, 1960, p.99, n° 31 même si nous ne pouvons pas suivre M.TREILLARD dans son analyse des effets persistants en obligations contractuelles. * 103 Ainsi le salarié en congé sabbatique reste tenu des obligations de discrétion et de non concurrence pendant cette période de suspension des obligations contractuelles, Soc. 27 novembre 1991, Bull. civ n°537 ; Soc. 6 fév. 2001, JCP 2001, II, 10576. |
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