L'effet normatif des conventionspar Dany MARIGNALE Université Paris XII - Master 2 recherche en droit privé 2007 |
B) Essai d'une distinction de la convention et du contrat
«Le contrat apparaît par rapport à la convention comme l'espèce d'un genre plus vaste »54(*). La convention est avant tout un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, en vue de produire des effets de droit. Lorsque cet effet de droit est une obligation civile alors la convention prend le nom de contrat. 8. La notion d'obligation55(*). L'approche terminologique de l'obligation civile souffre d'un inconvénient notable tiré de la polysémie du mot56(*). Cette polysémie paraît d'ailleurs être à l'origine de l'amalgame entre l'obligation au sens commun, qui traduit d'une manière générale le devoir d'adopter le comportement dicté par une norme indéterminée, « le lien moral qui assujettit l'individu à une loi religieuse, morale ou sociale» 57(*) et l'obligation civile, terme spécifique qui recoupe une réalité technique précise assortie d'un régime juridique particulier58(*). L'étymologie permet néanmoins d'en approcher la substance car deux éléments caractéristiques de la notion y sont déjà en germe : obligation procède du latin obligare, lier lui même dérivé de ligare « lier » et ob, « en vue de ». L'obligation crée un lien qui unit le créancier à son débiteur (ligare) en vue de (ob) l'obtention de son objet. Mais ces éléments ne suffisent guère à distinguer l'obligation civile du devoir ; on pourrait, dans une conception extensive de ces premiers éléments, les adapter à l'obligation religieuse en objectant par exemple que Dieu serait Créancier et le croyant débiteur de l'amour du prochain... C'est l'objet de l'obligation civile qui scelle définitivement sa distinction d'avec l'obligation prise dans son sens commun puisqu'il a nécessairement un caractère patrimonial. Ainsi, l'obligation civile est-elle toujours évaluable en argent59(*).
9. Obligatio est vinculum juris... Le lien entre le débiteur60(*) d'une obligation civile et son créancier61(*) est un lien de droit. Ce lien est par conséquent l'objet d'une sanction étatique. Ainsi le créancier peut juridiquement exiger de son débiteur l'exécution de la prestation convenue. L'article 1101 qui ouvre le titre du Code civil portant régime des obligations civiles contractuelles opère une distinction entre trois types de prestations62(*) à la charge de ce dernier : l'obligation de donner, l'obligation de faire et l'obligation de ne pas faire63(*). L'obligation de donner effectue au profit du créancier une dation, un transfert de droit réel64(*). Le contrat de prêt met en place une telle obligation. Il s'agit du contrat65(*) par lequel une personne, nommée prêteur, remet une chose à une autre, nommée emprunteur, afin que cette dernière s'en serve pendant un temps, puis la restitue, en nature ou en équivalent. Le lien de droit entre le créancier, emprunteur, et le débiteur, prêteur, oblige le second à la remise de la chose du contrat au premier. L'obligation de faire « contraint le débiteur à accomplir, au profit du créancier, un fait (factum) autre qu'une dation, par exemple exécuter un travail, un transport »66(*). Dans le contrat d'entreprise par exemple, une personne, nommée entrepreneur, s'engage à accomplir un travail au profit d'une autre, nommée maître de l'ouvrage. Le lien de droit entre le débiteur, entrepreneur, et son créancier, maître de l'ouvrage contraint celui-ci à l'accomplissement d'une prestation positive, le travail promis. L'obligation de ne pas faire « consiste en une abstention »67(*). La clause de non-concurrence, stipulation par laquelle une personne se prive de la faculté d'exercer pendant une certaine période et dans une aire géographique déterminée une activité professionnelle susceptible de concurrencer celle d'une autre68(*), en est l'archétype. En toute rigueur, l'obligation est donc le lien en vertu duquel le créancier est en droit d'exiger de son débiteur soit l'accomplissement d'une prestation positive (exécution d'un travail, remise d'un bien), soit, au contraire, une abstention. Dans les deux cas, l'objet de la prestation est évaluable en argent. 10. Contrats et conventions, deux réalités distinctes. La création d'une obligation par l'acte juridique est le critère de distinction entre le contrat et la convention. Conformément à l'article 1101 du Code civil, l'obligation contractuelle ne peut consister qu'en la remise d'une chose, l'accomplissement d'une prestation ou en l'engagement de s'abstenir. De ce fait, lorsque l'objet de la convention ne peut entrer ni dans l'une ni dans l'autre de ces qualifications, elle n'est pas, stricto sensu un contrat69(*). La convention ne se limite pas à la création du rapport d'obligation car elle est une réalité plus vaste ; elle peut l'affecter en l'éteignant ou en le transmettant par exemple (transactions, cessions de créance, autant de conventions qui ne sont pas des contrats...), ou même définir une situation juridique, dans laquelle les parties conviennent d'évoluer en y circonscrivant leurs relations à venir (convention cadre, convention de régime matrimonial). Cette distinction n'est pas seulement terminologique. Elle est essentielle à l'observation des effets propres à la convention. Pourtant, l'analyse des effets du contrat est dissoute dans l'analyse des effets du rapport d'obligation qu'il met en place. * 54 J.GHESTIN Traité de Droit civil, La formation du contrat, n°5. * 55 La dimension du présent travail ne permettra évidemment pas de définir de manière exhaustive la notion d'obligation. Les quelques lignes suivantes ne rappelleront que ce qui est nécessaire à la démonstration. * 56 Ainsi, le Petit Robert de la langue Française en recense pas moins de dix sens différents : le lien de droit qui nous intéresse ici est évoqué dès les premières lignes, puis, l'acte authentique, le titre représentatif d'un emprunt à long terme, l'émission d'obligations par l'Etat, le lien moral, la responsabilité, le devoir impératif, la nécessité, le devoir de reconnaissance... * 57 Le petit Robert de la langue française 2006 V°obligation. * 58 « Obligation dont l'exécution forcée peut être demandée en justice à la différence de l'obligation naturelle » G.CORNU, Vocabulaire juridique, éd. PUF V°civil, (obligation). * 59 « L'obligation est un droit qui peut être évalué en argent, un droit dit patrimonial » H,L,J, MAZEAUD, Leçons de droit civil, obligations, t.2 par F.CHABAS ; « L'obligation est une valeur patrimoniale » J.GAUDEMET, Théorie générale des obligations, éd. SIREY, 1965, p.12 ; « L'obligation est une créance (...), l'obligation est une dette » G.MARTY, P. RAYNAUD, Traité de droit civil, Les Obligations, t.1, Les sources n°1 ; « l'obligation n'est rien d'autre qu'un rapport de droit entre deux patrimoines » C.LARROUMET, Droit civil, t.3, Les obligations, le contrat éd. ECONOMICA, n°20 ; « [elle] désigne le lien d'ordre patrimonial unissant les personnes juridiques entre elles. » A.BENABENT, Droit civil, Les obligations, éd. MONTCHRESTIEN, n°1. * 60 Le mot débiteur vient de debere, devoir. Le débiteur est la personne qui « doit quelque chose à quelqu'un ; sujet passif de l'obligation ; celui qui est tenu d'une dette.» G.CORNU, Vocabulaire juridique, éd. PUF V°débiteur. * 61 Le mot créancier vient du verbe latin credere, croire (faire crédit). Le créancier est « la personne à qui le débiteur doit quelque chose (en nature ou en argent), sujet actif de l'obligation ; titulaire d'une créance ». G.CORNU Vocabulaire juridique, éd. PUF, V°créancier. * 62 De la pertinence du débat doctrinal relatif à l'existence même des obligations de donner s'opérant sans la médiation de la volonté et de l'activité du débiteur (Voy. par exemple, M.FABRE-MAGNAN « le mythe de l'obligation de donner » RTD Civ. 1996.85 et s. ou D. TALLON, « le surprenant réveil de l'obligation de donner » D.1992 chr. p.67) et aux contours indéterminés de la notion d'obligation de faire « catégorie ouverte ou refuge c'est selon » qui tantôt permet l'exécution forcée et tantôt l'exclut, a émergé une remise en question de la présentation traditionnelle : l'obligation de praestare. Ainsi, J.CARBONNIER, Droit Civil, Les obligations, préc. n°10 p. 34: « le code civil a distingué trois objets de l'obligation : donner, c'est-à-dire transmettre la propriété, (dare et non pas consentir à une donation, donare), faire ou ne pas faire (art.1101, 1126). Mais quoique l'opposition se justifie par les différences de régime (1142), une synthèse est concevable : le concept de prestation venu du droit romain, praestare, peut recouvrir les trois termes ». Cette obligation qui peut se traduire par « mettre à disposition » s'inspire de la classification retenue par les juristes romains. Sur l'ensemble de la question, Voy. G. PIGNARRE, « A la redécouverte de l'obligation de praestare », RTD Civ. 2001 p.40 et s. * 63 « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Art. 1101 du Code civil. * 64 H, L, J, MAZEAUD, Leçons de Droit civil, Les obligations, par F.CHABAS éd. Montchrestien. n°19. * 65 « Contrat qui se forme par la remise effective d'une chose (re), la personne qui reçoit cette chose n'en devenant débiteur que par cette tradition réelle ». G.CORNU, Vocabulaire juridique, éd. Puf, V°réel (contrat). * 66 H, L, J, MAZEAUD, Leçons de Droit civil, Les obligations, par F.CHABAS éd. Montchrestien, n°19 * 67 H, L, J, MAZEAUD, Leçons de Droit civil, Les obligations, par F.CHABAS éd. Montchrestien, n°19 * 68 G.CORNU Vocabulaire juridique éd. PUF V°non-concurrence (clause de). * 69 La distinction est évoquée sans faire toutefois l'objet de profonds développements par plusieurs auteurs de manuels de droit des obligations : J.CARBONNIER, Les obligations, n°15 ; J.FLOUR et J-L.AUBERT, Les obligations, L'acte juridique n°79-80, A.WEILL et F.TERRE Les obligations, n°23 et s. ; Distinction plus nette chez J.GHESTIN in Traité de droit civil, la formation du contrat, préc. éd. LGDJ, n°5. |
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