L'effet normatif des conventionspar Dany MARIGNALE Université Paris XII - Master 2 recherche en droit privé 2007 |
B) Le contenu extraconsensuel de la norme conventionnelle.27. Une norme dans la norme. La doctrine classique a longtemps refusé toute portée normative à la prescription de l'article 1134 al. 3, exigence de bonne foi dans les contrats conçue comme une « disposition technique dépourvue de signification substantielle »191(*), « ne présentant aucun intérêt » et « dépourvue d'effets juridiques propres », une « notion vide de tout contenu réel dans notre droit positif »192(*) faisant simplement l'annonce de l'article 1135 qu'elle précède193(*). Elle traduirait ainsi seulement le rejet par les rédacteurs du code Civil des contrats de droit strict opposés aux contrats de bonne foi194(*) en droit romain et ne serait qu'une règle générale d'interprétation des conventions195(*). Le droit positif fait pourtant la démonstration non pas seulement d'une simple règle d'interprétation des obligations exécutées par les contractants mais aussi d'une véritable règle de fond. La Cour de cassation en a fait un principe directeur du droit des contrats en fondant explicitement certaines décisions sur l'exigence d'une bonne foi dans l'exécution des conventions196(*). La chambre commerciale de la cour de cassation a même admis que le contractant engage sa responsabilité contractuelle au nom du devoir d'exécuter la convention de bonne foi lorsqu'il prive son cocontractant victime de l'imprévision des moyens de s'adapter aux nouvelles circonstances et donc d'exécuter correctement la convention197(*). Elle induit également une certaine loyauté contractuelle, qui, à son tour, a motivé l'interdiction de rendre plus difficile la prestation de son partenaire198(*), l'interdiction de pratiquer des prix concurrentiels199(*), ou encore de « déréférencer » brusquement un fournisseur. Elle interdit de manière négative de faire preuve de mauvaise foi dans l'exécution des conventions en neutralisant les effets des clauses résolutoires200(*), des clauses de dédit201(*) ou de non-concurrence202(*) dont le bénéfice est invoqué de manière abusive. Il semble donc que la bonne foi soit « un mode de vie, un comportement continu, guidant les faits et gestes de toutes les parties contractantes, du début de leur rapports jusqu'à leur achèvement » 203(*). Aussi, la bonne foi innerve-t-elle le comportement imposé par la convention. Notion dynamique, elle contribue à fixer la mesure de l'exécution, et à en déterminer les limites. Cette prescription enrichit le lien contractuel des éléments qui découlent de son observation. Cet enrichissement ne découle néanmoins en rien de la volonté initiale des parties204(*) et s'impose à elles dans la formation, l'exécution et même la dissolution de la norme qu'elles ont crée. Finalement, l'article 1134 alinéa 3 prescrit l'insertion d'une norme dans la norme conventionnelle ce qui réduit considérablement l'autonomie des parties dans l'exercice de la puissance normative qui leur est concédée. 28. L'effet complétif de l'article 1135 du code civil. « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage, ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ». Dès la première lecture, l'article 1135 du code civil fait obstacle à un absolutisme de la liberté contractuelle. Si la volonté individuelle est nécessairement à l'origine de ce qui est convenu elle n'est pas à l'origine de tout ce qui est conclu. L'étude de cette disposition a conduit un auteur à la reformuler comme suit : « Les conventions légalement formées emportent les effets (obligatoires et obligationnels) exprimés, qui correspondent à ceux dont les parties sont valablement convenues, expressément et tacitement, que ces effets apparaissent clairement ou après interprétation de leur accord. Les parties sont aussi liées par les effets (obligatoires et obligationnels) complétifs qui selon la loi, la norme coutumière ou à défaut l'équité composent le type dont leur accord relève ou qui servent sa finalité. Ces conséquences là s'ajoutent au contenu de leur accord, afin que la force obligatoire lui soit reconnue et elles lient les intéressés nonobstant les manifestations contraires de leur volonté. »205(*). La convention est vraisemblablement composée de l'accord de volontés enrichi de l'application de sources juridiques extérieures à ces volontés (la loi, l'équité, l'usage) révélant l'influence de l'environnement normatif sur la convention ayant vocation à s'y inscrire. 29. Conventions, statuts et institutions... L'influence de l'environnement normatif sur le contenu des conventions a conduit certains auteurs à nier la nature conventionnelle de certains accords de volontés tant celles-ci ne jouent qu'un rôle résiduel dans la détermination de leur contenu206(*). L'autoritarisme qui caractérise certains types de contrats aboutit à bâillonner la volonté individuelle et cantonne l'intervention des parties au choix du régime à laquelle elles souhaitent se soumettre. A titre d'exemple, le droit du bail peut illustrer le dirigisme qui caractérise l'exécution de certaines conventions. La conclusion d'un bail commercial contraint le bailleur, pour le cas ou le preneur souhaite demeurer dans les lieux, à renouveler son « consentement »207(*) ou à payer une indemnité d'éviction208(*). Lorsqu'il s'agit de baux d'habitation, les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 s'imposeront aux parties étant d'ordre public209(*), l'article 3 de cette loi énumérant un certain nombre de clauses qui figureront impérativement dans le contrat de bail. Lorsque le bail est rural, les parties n'ont pas le choix de la juridiction compétente et verront en dépit de leurs stipulations contraires le contentieux né de l'exécution du bail soumis au Tribunal paritaire des baux ruraux210(*). La société est également un exemple éloquent de ce recul du consensualisme. Si, la volonté en est indéniablement à l'origine, la conclusion d'un contrat de société place les contractants dans un carcan juridique constitué par une réglementation impérative dense, le statut, de sorte que le contenu de la convention ainsi passée sera bien plus imposé aux associés que résultant d'un consensus préalable. Le capital minimal, les apports, la répartition des bénéfices, la cession des parts sociales résulteront des dispositions légales en vigueur en la matière. L'expression de la volonté des parties dans le contenu de la convention se limitera alors aux espaces de liberté concédés par le Législateur, que seront les hypothèses du silence de la loi ou des dispositions supplétives de volonté. L'acte juridique est une manifestation de volontés destinées à la production d'effets juridiques. Lorsqu'il s'agit d'une convention, l'effet est normatif, permettant aux parties de s'astreindre au respect d'une règle de droit qu'ils auront eux mêmes conçue. Le contrat, lui, s'en distingue par la production d'un effet obligationnel, les parties sont mises en mesure de se contraindre à l'accomplissement d'une prestation ou d'une abstention. La confrontation des deux effets ainsi produits est à même d'en pointer les éventuelles singularités. * 191 J.FLOUR, J-L.AUBERT, ... préc. n°374 * 192 R.VOUIN La bonne foi, Notions et rôle actuel en droit privé français, LGDJ, 1939, n°243. * 193 Dépeinte comme une « paraphrase prolixe et médiocrement heureuse de l'art 1134 al. 3 » par BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIERE in Cours de droit civil français, T.VIII, 1936, n°307 ; contra pour une démonstration de l'absence d'union entre les deux dispositions et de la singularité de l'art 1135 du Code civil Voy. P. JACQUES Regards sur l'article 1135 du Code civil, éd. Dalloz, 2005 n°125 et s. * 194 Contrats ou « le fond l'emporte sur la forme » et dans lesquels « le juge peut rechercher librement l'intention des parties sans se préoccuper des paroles prononcées » P. JACQUES, Regards sur l'article 1135 du Code civil, éd. Dalloz, 2005 n°48 * 195 « Les conventions doivent être exécutées de bonne foi, c'est-à-dire conformément à l'intention des parties et au but en vue duquel elles ont été formées » AUBRY et RAU, Droit civil français, T.IV, par BARTIN 1942 n°646.Voy. aussi COLIN et CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, T.II par JULLIOT DE LA MORANDIERE 1959 n°74. PLANIOL et RIPERT Traité pratique de droit civil français, T.IV, par ESMEIN n°379. * 196 Récemment, Civ. 3e 13 mars 2007 n° de pourvoi 06-11156 ou Soc. 24 janv. 2007 n° de pourvoi 05-41263. * 197 Com. 3 nov. 1992 JCP 1993,II,22614 « en privant, en l'absence de tout cas de force majeure, un distributeur agrée des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, une société pétrolière n'a pas exécuté le contrat de bonne foi et doit dédommager le contractant du préjudice subi » ; Com. 22 déc. 1998 RTD Civ. 1999. 98 obs. MESTRE «Manque à son obligation de loyauté et à son devoir de mettre son contractant en mesure d'exécuter son mandat, le mandant qui informé des difficultés de son agent commercial ne prend pas des mesures concrètes pour permettre à celui-ci de pratiquer des prix concurrentiels proches de ceux des produits vendus dans le cadre des ventes parallèles par les opérateurs concurrents ». * 198 Com. 18 mai 1978, D. 1979, I.R. 140 * 199 Cass com 3 Nov. 1992, Bull. civ., IV, n° 338 * 200 Civ. 1ère 31 janvier 1995. D. 1995 p. 389 note JAMIN * 201 Civ. 3ème 11 mai 1976 D.1978 p 269 note TAISNE * 202 Com 4 janvier 1994 D.1995 p.205 note SERRA, RTD Civ. 1994 p 369 obs. MESTRE * 203 Répertoire civil Dalloz, V° Bonne foi, par P. LE TOURNEAU * 204 A cet égard il est révélateur de constater que la stipulation par laquelle les parties écarteraient l'exécution de bonne foi serait réputée non écrite. * 205 P.JACQUES, Regards..., th. préc. n°447 p. 946 * 206 Hauriou notamment * 207 Sauf à justifier des motifs graves et légitimes de l'art L.145-17 du C.com condition de l'admission du refus de renouvellement. * 208 L 145-14 et s. du C.Com * 209 Article 2 de la loi n° 89-642 du 6 juillet 1989 * 210 « Le tribunal paritaire des baux ruraux est seul compétent pour connaître des contestations entre bailleurs et preneurs de baux ruraux, relative à l'application des titres I à V du Code rural » article L.443-4 du Code de l'Organisation Judiciaire. |
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