L'effet normatif des conventionspar Dany MARIGNALE Université Paris XII - Master 2 recherche en droit privé 2007 |
INTRODUCTION.1. La convention, une loi ? L'autonomie de la volonté est le pouvoir dont dispose l'individu de se doter de sa propre loi. C'est en substance ce que la lettre de l'article 1134 alinéa 1er du Code civil semble confirmer : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Du latin con ventio dérivant de convenire, venir ensemble, la convention est le nom générique donné à l'accord de volontés2(*) entre deux ou plusieurs personnes destiné à produire un effet de droit quelconque3(*). L'affirmation du Code Napoléon est pour l'époque des plus originales. Reconnaître ainsi au simple accord entre deux particuliers force de loi semble particulièrement surprenant aux temps où la théorie du contrat social et le légicentrisme post-révolutionnaire consacrent la suprématie de la loi générale et abstraite issue du Parlement. Evidemment, la lecture de l'article 1134 al 1er est traditionnellement bien plus restrictive. Ainsi, la doctrine n'admet-elle l'analogie opérée par l'adage « la convention est la loi des parties » que dans la simple mesure où loi et convention ont toutes deux un caractère obligatoire4(*). Pourtant, l'étude de la sanction à laquelle expose l'inexécution de la convention invite à l'admettre dans une plus large mesure : cette sanction est fulminée par le juge étatique qui, à l'examen du comportement de la partie défaillante jugera de sa non-conformité avec ce que l'on était « en droit » d'attendre d'elle au regard de son engagement. Cette observation conduit à ajouter au constat d'un caractère obligatoire unanimement admis, le constat suivant : la convention s'impose également comme un modèle de référence. Modèle de référence tant pour les parties qui doivent s'y conformer dans le comportement qu'elles adoptent, que pour le juge qui est tenu de s'y reporter dans le rôle de contrôle qu'il peut être invité à remplir. Aussi, la convention est-elle l'instrument juridique qui permet à deux personnes de se contraindre mutuellement au respect d'une norme émanant non plus de la volonté générale, mais de deux ou plusieurs individus, les parties. 2. La convention, une norme. L'effet de la convention peut être compris dans deux acceptions différentes : soit ce que les parties voulaient lui faire produire en concluant, soit ce que l'acte a effectivement emporté comme conséquences. L'analyse de l'effet de la convention compris dans sa première acception se bornera à une analyse de la volonté individuelle des parties. Cette conception volontariste paraît loin de refléter le droit positif tant il est vrai que des éléments externes à la volonté originaire (la loi, le juge...) peuvent venir façonner le contenu de la convention5(*). C'est donc la seconde acception qui semble s'imposer pour qui souhaite procéder à une étude non biaisée de la phase d'exécution des conventions. La norme est « le type concret ou le modèle abstrait de ce qui doit être » 6(*). Ce mot exprime l'idée qu'une chose doit être ou doit se produire, en particulier qu'un homme doit se comporter d'une certaine façon. Ainsi, l'effet normatif des conventions appelle à recenser au nombre des conséquences de l'engagement des parties la production d'un modèle juridique de comportement auxquelles elles s'astreignent. Hans Kelsen notamment, en rejetant la distinction entre l'obligation juridique et le droit subjectif, place sur le même plan la loi et la convention en énonçant que « lorsque un individu donné est juridiquement obligé ou lorsque des individus sont juridiquement obligés de se conduire d'une certaine façon à l'égard d'un autre individu » on dira de ce dernier qu'il a « le droit » 7(*). Pour cette raison, cet auteur et ceux qui en poursuivent la pensée insèrent la convention à la base de la pyramide des normes bâtie par Kelsen étant, au même titre que les autres normes, à même de régir les comportements individuels. « Kelsen situe expressément les conventions individuelles dans l'enchaînement des normes objectives constituant le droit objectif. Il ajoute, en effet, la convention aux sources de règles qui, bien que particulières et non générales, n'en sont pas moins des règles de droit propres aux parties... »8(*) 3. Effet normatif et devoir moral. La norme juridique issue du lien contractuel se distingue néanmoins d'autres normes telles que celles pouvant résulter de la morale9(*). La morale qui anime l'individu est la seule cause de l'accomplissement du devoir10(*) qu'elle prescrit et auquel il se sent, par voie de conséquence, tenu. La morale étant une norme sociale, le devoir s'impose à tous et n'a pas de créancier déterminé alors que l'effet relatif11(*) circonscrit la force obligatoire de la convention aux parties. Toutefois, la seule sanction qui est attachée au devoir moral est psychologique. Les gentlemen's agreement 12(*) se situent par exemple à la frontière des normes envisagées ici. Accords de volontés, ils n'emportent néanmoins aucun lien juridique13(*) précisément parce que les intéressés n'ont pas entendu leur conférer cette prérogative14(*). Partant, ils n'ont aucun effet normatif. Cette conséquence de l'accord de volontés ne sera révélée que par les engagements15(*) auxquels l'auteur a décidé d'accorder à celui qui en bénéficie le droit d'en exiger en justice l'accomplissement16(*). Aussi, l'objet de la présente étude procède-t-il, lui, du Droit et contraint donc l'individu lié par la convention indépendamment de la noblesse de son âme. Une fois l'engagement saisi par le Droit, la sanction de son inexécution obéit à un régime légal de sorte que la partie ne saurait manquer à sa parole17(*) sans engager sa responsabilité. 4. Effet « obligationnel »18(*) et effet normatif. Obligatio est vinculum juris quo necessitate adstringimur alicujus solvendae rei 19(*). Selon une définition classique, « L'obligation est un lien de droit en vertu duquel un débiteur est tenu d'exécuter une prestation. Les obligations - sauf les obligations naturelles20(*) - sont assorties de mesures de contrainte »21(*). Le Code civil22(*) en recense trois types : les obligations de faire (facere), qui obligent à une prestation qui consiste en un fait positif que le débiteur promet d'accomplir, les obligations de ne pas faire (non facere) qui obligent elles à une abstention du débiteur, et de donner (dare) c'est-à-dire de transférer la propriété23(*). La présentation traditionnelle de la convention explique sa force obligatoire par l'effet des obligations qu'elle met en place24(*). La théorie d'un effet normatif de la convention porte, elle, à considérer la convention non plus seulement comme créatrice de droits subjectifs mais également comme créatrice de Droit. Ici, l'art 1134 C.civ. ne contraint plus seulement les parties à l'accomplissement des obligations auxquelles elles se sont éventuellement engagées dans l'accord de volontés, mais premièrement et principalement au respect de la norme qu'elles ont créée. Cette inscription de la convention dans l'ordonnancement juridique présente plusieurs intérêts. D'une part, sur un plan théorique, nous croyons, avec plusieurs auteurs que, même lorsqu'elle crée un rapport d'obligation entre les parties (entendre : un lien de droit entre un créancier et un débiteur), ce rapport n'absorbe pas l'intégralité des effets de la convention25(*). Aussi, la conception défendue ici s'attache-t-elle à distinguer les effets de l'obligation prévue au contrat des effets de l'acte juridique qui en est à la source. D'autre part, la convention ne paraît pas nécessairement emporter un lien d'obligation entre les parties26(*). L'explication de la force obligatoire de la convention au moyen des effets de l'obligation qu'elle engendrerait n'est, alors, plus appropriée. Enfin, sur un plan plus pratique désormais, en ce qu'elle invite au respect de la norme issue de la convention indépendamment de tout contenu obligationnel, la conception normativiste de la convention permet de remédier à l'inefficacité patente des contrats préparatoires, tant il apparaîtra que leur lecture restreinte au seul contenu obligationnel les a privés de toute force obligatoire. La question du fondement de la force obligatoire de la convention est une interrogation centrale en droit privé. Le propos du présent travail s'inscrit dans cette perspective et nourrit l'ambition d'expliquer comment les parties sont engagées d'abord et avant tout par la norme secrétée par la convention. En d'autres termes, nous voulons démontrer que l'explication des effets de la convention par le lien obligationnel qu'elle crée se révèle, à bien des égards insatisfaisante (chapitre I) et proposerons une explication des effets de la convention par l'effet normatif qu'elle emporte principalement (chapitre II). * 2 La volonté est « l'acte de volition constitutif du consentement nécessaire à la formation de l'acte juridique qui comprend un élément psychologique (volonté interne) et un élément d'extériorisation (volonté externe)». G.CORNU, Vocabulaire Juridique, éd. Puf, 2005 V°convention. L'accord de volontés, en droit français, se traduit par la rencontre entre l'offre, volonté externe du pollicitant et l'acceptation de cette offre, volonté externe du destinataire de l'offre : l'échange des consentements. * 3 G.CORNU, Vocabulaire juridique éd. Puf, 2005, V°convention. * 4 « L'art. 1134 al. 1er se manifeste pour les parties par le droit à l'exécution forcée et l'irrévocabilité unilatérale de la convention. » L. AYNES, « le contrat, loi des parties » Cahiers du Conseil constitutionnel n°17/2004 : loi et contrat p.77-80 spéc. p.78; « Le contrat devient comme une loi entre les parties, qui sont tenues envers les dispositions contractuelles au même respect scrupuleux que celui qu'un citoyen doit avoir à l'égard des dispositions légales » A. SERIAUX. Droit des Obligations éd. Puf 1998 p.167-168 ; « Pour bien marquer la force des obligations nées de l'accord de volontés les rédacteurs du Code civil ont utilisé une rédaction d'une très grande hauteur : le contrat s'impose aux parties comme la règle de droit s'impose à l'ensemble des citoyens » F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit Civil, Les obligations, éd. Dalloz, 2005, n° 438 p.441 ; « dans les rapports entre les parties, le contrat s'impose avec la même force que la loi, à condition qu'il ait été légalement formé. » C. LARROUMET Les obligations, le contrat, t. III, 5e éd. Economica, n° 592 p.611... * 5 L'art. 1135 du C.civ. en affirmant que la convention oblige non seulement à ce qui y est exprimé mais également à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature en est l'exemple-type le juge peut également influer sur l'exécution de la convention. * 6 Le Petit Robert de la Langue française, éd. ROBERT, 2006. V°norme. * 7 Théorie pure du Droit, H. KELSEN, Dalloz, 1962, p.170. * 8 « La notion de contrat » J. GHESTIN, D. 1990, chr. p.147, spéc. p.148 * 9 « Science du bien et du mal, ensemble de règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue ; théorie de l'action humaine en tant qu'elle est soumise au devoir et a pour but le bien ». Le Petit Robert de la langue Française 2006. V°morale ; « Ensemble des règles d'action et des valeurs qui fonctionnent comme norme dans une société », www.wikipédia.fr, V° morale. * 10 « Ce que l'on doit faire, obligation éthique particulière, définie par le système moral que l'on accepte ». Le Petit Robert de la langue française 2006, préc. V°devoir. * 11 Article 1165 du Code civil : « Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point aux tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 » * 12 « Nombreuses sont les obligations qui lient les hommes vivant en société. Certaines sont purement morales, d'autres sont seulement mondaines ; ni les unes, ni les autres ne lient l'individu sur le plan juridique. Les Anglais ont un terme pour désigner les conventions qui ne créent pas d'obligations juridiques, mais s'imposent cependant en conscience ou sur le plan de la correction : gentlemen's agreement» F. CHABAS, Leçons de droit civil, Obligations, théorie générale éd. Montchrestien. * 13 Les promesses politiques de même que les accords au titre des rapports mondains sont des accords de volonté mais n'obligent pas civilement leurs auteurs et ne confèrent pas à ceux qui les reçoivent un droit d'en exiger l'exécution. E.H. PERREAU « Courtoisie Complaisance, et usages non obligatoires devant la Jurisprudence » RTD Civ. 1914, 481. ; CA Paris 1ère ch. A 18 oct.1994 RTD Civ. 1995, 351 obs. J. MESTRE ; « L'amitié » D.MAYER, JCP 1974, I, 2663 ; « L'engagement d'honneur », B. OPPETIT, D.1979, Chr. 107 ; J.CARBONNIER Flexible Droit, 1997, p.20 et s. spéc. p. 31 et 32. * 14 « La complaisance » A. VIANDIER JCP 1980.I.2987 n° 16 et s ; « un contrat est conclu dès lors que les parties entendaient être liées juridiquement » (Principe du droit européen des contrats art. 2, 101, 1). Sur l'animus contrahendi, volonté de s'obliger nécessaire à la création d'effets juridiques, M.FABRE-MAGNAN Les obligations éd. Puf 2004. n°67 ; G.ROUHETTE Contribution à l'étude critique de la notion de contrat th. dactyl. Paris, 1965, spéc. p. 32. * 15 « Promesse ; plus généralement manifestation de volonté (offre ou acceptation) par laquelle une personne s'oblige » G. CORNU Vocabulaire Juridique, éd.Puf, 2005, V°engagement. * 16 Contra, pour la requalification d'un engagement stipulé comme moral en obligation civile Voy. Com. 23 janv. 2007, Bull.civ, IV, n°12 : « qu'en s'engageant, fût-ce moralement, "à ne pas copier" les produits commercialisés par la société Créations Nelson, la société Camaïeu International avait exprimé la volonté non équivoque et délibérée de s'obliger envers la société concurrente ; que la cour d'appel, qui n'encourt aucun des griefs du moyen, en a donc exactement déduit que cette clause avait une valeur contraignante » * 17 « L'engagement pris oralement, (parfois nommée parole d'honneur), par extension toute promesse faite. » G.CORNU Vocabulaire Juridique, éd. Puf, 2005, V°parole. * 18 Néologisme que nous utilisons à la suite de M. P. ANCEL et qui exprime la distinction que nous entendons opérer entre l'effet obligatoire de la convention qui engage les parties et l'effet résultant du rapport d'obligation qui peut exister entre un créancier et un débiteur (effet obligationnel) : « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD Civ. 1999, p. 771 * 19 La définition de l'obligation fournie par le droit romain : « l'obligation est un lien de droit qui nous astreint à une prestation envers autrui ». Institutes de Justinien, III, 13 * 20 « L'obligation naturelle est l'obligation dont l'exécution forcée ne peut être exigée en justice mais dont l'exécution volontaire ne donne lieu à répétition, en tant qu'elle est l'accomplissement d'un devoir moral (devoir alimentaire entre frères...) » G. CORNU, Vocabulaire Juridique V°naturelle (obligation) * 21 F.CHABAS Leçons de droit civil, Les obligations. éd. Montchrestien. * 22 « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose » art.1101 C.civ ; Summa divisio reprise par l'art 1126 C.civ. qui énonce que « tout contrat a pour objet une chose qu'une partie s'oblige à donner, ou qu'une partie s'oblige à faire ou à ne pas faire ». Bien que le Titre III du Livre IV ne concernent que les obligations crées par un contrat, M. LARROUMET enseigne néanmoins, avec la doctrine majoritaire, la portée générale de la distinction : « Bien qu'envisagée dans le Code à propos des obligations contractuelles seulement la distinction des obligations de donner, de faire et de ne pas faire à une portée tout à fait générale et concerne toute prestation mise à la charge du débiteur, quelque soit le fait générateur de son obligation ». Droit Civil, Les obligations, le contrat, t.III, éd. Economica, 2003 ; « ces règles s'étendent avec des modifications, aux obligations extracontractuelles sur lesquelles le Code a été beaucoup moins disert » P.MALAURIE, L.AYNES, P.STOFFEL-MUNCK, Les obligations n°1 p.2. * 23 Pour une présentation plus détaillée de la notion, lire infra n° 8. * 24 « Il est plus simple d'envisager directement comme effet du contrat les effets de l'obligation qu'il fait naître». J.CARBONNIER, Droit civil, t.IV, Les obligations, 21e édition, 1998 n°113. * 25 « Autre chose est la convention, autre chose est l'obligation et il est essentiel de distinguer l'une avec l'autre ». DEMOLOMBE, Traité des contrats et des obligations conventionnelles, XXIV, n°384 et s. ; P.JACQUES qui rappelle que « la formule « les conventions obligent » n'équivaut pas à celle selon laquelle « les parties sont tenues d'exécuter les obligations contractuelles » ; elle est plus riche d'implications ». P.JACQUES Regards sur l'art 1135 du Code civil éd Dalloz, 2005, n°21 p. 37 ; Voy. aussi J.GHESTIN qui déplore « le glissement de l'effet des conventions à celui des obligations » et écrit que « l'effet obligatoire du contrat doit être clairement distingué des obligations qu'il peut faire naître » J.GHESTIN, M.BILIAU, C.JAMIN, Traité de droit civil : les effets du contrat LGDJ 2001 ; Voy. également Madame FABRE-MAGNAN qui constate que l' « on confond souvent le lien né du contrat, qui oblige les parties (force obligatoire), et le fait que le contrat crée des obligations (contenu obligationnel), Les obligations, éd Puf coll. Thémis, n°63 p.144 ; également P.ANCEL qui s'interroge sur le point de savoir si « en ramenant la force obligatoire du contrat aux obligations qu'il fait naître on ne confond pas la source et l'effet », « Force obligatoire... » préc. n°2. ; Voy. cep. « Réflexions sur les effets du contrat », R. LIBCHABER Mélanges AUBERT, préc., p.211. * 26 La convention de changement de régime matrimonial, par exemple, est l'acte juridique rédigé sous forme notariée par lequel deux époux décident de changer le cadre juridique fixant l'ensemble des règles d'organisation de leurs relations patrimoniales. Cette convention ne fait que modifier la situation juridique des époux et ne fait pas naître de relation obligationnelle entre eux (elle ne rend par elle même aucun des époux créancier ou débiteur d'une obligation). |
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