B. Inarbitrabilité par suite d'une violation
d'ordre public
- 1. La notion de la violation d'ordre public
-
- La violation d'une règle à caractère d'ordre public
provoque l'inarbitrabilité du litige. Toutefois, un problème
survient lorsque le compromis d'arbitrage est illicite en raison de violation
d'une règle d'ordre public alors qu'aucune partie n'invoque cette
illicéité, mais elles tendent en revanche à demander
l'exécution de leur contrat illicite.
- Le principe est que les questions de licéité sont
arbitrables61(*), et
l'inarbitrabilité résulte seulement de la violation de l'ordre
public. A ce stade, à la suite de l'arrêt Tissot62(*) « la
nullité d'un compromis ne découle pas de ce que le litige touche
à des questions d'ordre public, mais uniquement du fait que l'ordre
public a été violé ».
- Il découle de cet arrêt que le litige n'est inarbitrable que
si l'opération litigieuse est frappée d'illicéité
comme ayant effectivement contrevenu à une règle d'ordre public.
Cela veut dire que s'il retenait que la situation litigieuse n'était pas
illicite, il pouvait procéder ; s'il constatait au contraire une
violation de l'ordre public, il devait se déclarer
incompétent63(*).
Des critiques ont été formulées à ce propos, le
pouvoir de sanctionner la violation d'ordre public devait être reconnu
aux arbitres. Pour cette raison, le principe de
compétence-compétence a été dégagé en
la jurisprudence.
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2. Le principe de
compétence-compétence
- L'important réside dans la question de savoir si l'arbitre peut
juger auparavant sur sa propre compétence et qu'en raison du principe
d'autonomie de la clause compromissoire, il est judicieux de reconnaître
le pouvoir de sanctionner la violation d'ordre public aux arbitres commerciaux
internationaux. La volonté présumée des parties ne peut
servir de justification au principe qui veut que le tribunal arbitral
décide lui-même sur les objections à sa
compétence64(*). En
jurisprudence, le sujet est très abordé. Deux arrêts de
principe ont été rendus en la matière, dégageant
ainsi le principe de compétence-compétence en droit
français de l'arbitrage international. Il s'agit des arrêts de la
cour d'appel de Paris redus le 29 mars 1991 (arrêt GANZ) et le 19 mai
1993 (arrêt LABINAL).
- Il convient de citer ici la formule qu'a jugé la cour d'appel dans
l'arrêt Ganz : « en matière internationale,
l'arbitre a compétence pour apprécier sa propre compétence
quant à l'arbitrabilité du litige au regard de l'ordre public
international et dispose du pouvoir d'appliquer les principes et règles
relevant de cet ordre public, ainsi que de sanctionner leur
méconnaissance éventuelle, sous le contrôle du juge de
l'annulation65(*) ». La portée de l'arrêt
Labinal est toute autre que celle de l'arrêt Ganz. La cour y ajoute que
« l'arbitrabilité du litige n'est pas exclue du seul fait
qu'une réglementation d'ordre public est applicable au rapport de droit
litigieux66(*) ».
- La portée de ce principe est que l'arbitre, qui constate une
contrariété à l'ordre public, a le pouvoir de la
sanctionner lui-même, par exemple en prononçant la nullité
du contrat. Plus généralement, il est compétent
d'appliquer les règles d'ordre public67(*). Il met ainsi fin au principe, qui était la
source de difficulté, selon lequel la juridiction arbitrale ne pouvait
sanctionner une violation d'ordre public car une telle prérogative
n'appartenait qu'aux tribunaux de l'Etat68(*). L'élément caractéristique qui
en résulte est donc le pouvoir de sanctionner la violation de l'ordre
public reconnu désormais aux arbitres internationaux.
- Finalement, la cour de cassation a, le 8 novembre 2005, jugé qu'
« il appartient à l'arbitre de statuer par priorité sur
sa propre compétence, sauf nullité ou inapplicabilité
manifeste de la convention d'arbitrage » et qui relève qu'en
l'espèce n'ont été constatées ni la nullité,
ni l'inapplicabilité manifeste de la clause d'arbitrage69(*). Cette solution a
été déjà approuvée par la cour d'appel de
Paris du 12 juin 2002.
* 61 Pierre MAYER,
« Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 217.
* 62 Cass. Com., 29 nov. 1950,
Tissot
* 63 J. Béguin, G.
Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C.
Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce
international, Litec, 2005. p. 906.
* 64 Homayoon Arfazadeh,
Ordre public et arbitrage international à l'épreuve de
mondialisation, LGDJ, 2005. p. 46.
* 65 C.A Paris, 1re
ch. Suppl., 29 mars 1991, Rev. Arb. 1991.478, note L. Idot.
* 66 C.A Paris, 1re
ch. Suppl., 19 mai 1993, Rev. Arb. 1993.645, note C. Jarrosson.
* 67 J. Béguin, G.
Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C.
Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce
international, Litec, 2005. p. 908.
* 68 Jean-Michel Jacquet et
Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz,
Cours, édition 3e, 2002. p. 387.
* 69 Thomas Clay,
« Arbitrage et modes alternatifs de règlement des
litiges : panorama 2005 », Recueil Dalloz, 15
décembre 2005, p. 3056.
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