L'édition de manga : acteurs, enjeux, difficultés( Télécharger le fichier original )par Adeline Fontaine Université Paris VII Denis Diderot - Maîtrise de Lettres Modernes 2005 |
3.1.2. Glénat : le précurseurGroupe fondé en 1969 par Jacques Glénat, cette maison d'édition est divisée en 3 pôles : livres de mer et de montagne, magazines et bande dessinée. Cette dernière représente 80% du chiffre d'affaires de Glénat. Premier éditeur à connaître le succès avec le manga, Glénat compte, parmi ses plus fortes ventes de bandes dessinées, trois manga : Dragon Ball d'Akira TORIYAMA qui comptabilise plus de quatorze millions d'exemplaires vendus sur l'intégralité de la série, Kenshin le vagabond de Watsuki NOBUHIRO (plus de 800.000 exemplaires) et Akira de Katsuhiro OTOMO (700.000 exemplaires).
Les premières bases du manga en France sont posées dès 1980, lorsque Jacques Glénat acquiert les droits d'Akira de Katsuhiro OTOMO (qui comptabilise au total quelques 1.800 pages). En 1988, profitant de la sortie du dessin animé au cinéma, Glénat lance Akira sous forme de manga. Malheureusement, seuls 12.000 exemplaires sont vendus pour un tirage de 150.000. C'est un succès d'estime mais certainement pas un succès populaire : il lui manque le relais télévisuel, si nécessaire à la promotion du manga. La seconde tentative est la bonne. En février 1993, Glénat lance dans les kiosques la série Dragon Ball d'Akira Toriyama, conjointement à la diffusion du dessin animé sur les petits écrans français. En deux ans, l'éditeur vend plus d'un million de volumes de Dragon Ball. Le manga est dans sa phase de développement et Glénat est le seul sur ce secteur, avec, à un degré beaucoup moindre, Tonkam. Pour la seule année 1995, la maison d'édition annonçait 1,2 million d'exemplaires vendus, pour un chiffre d'affaires de 50 millions de francs, soit 25% de l'activité de la maison. Aujourd'hui, l'intégralité de la série Dragon Ball (soit 42 volumes) a été éditée mais il se vend encore entre 95.000 et 200.000 exemplaires par titre soit déjà plus de quatorze millions d'exemplaires vendus. Glénat, toujours leader du marché de la bande dessinée en 2003, s'est vu ravir sa place par le groupe Média Participations, avec lequel les éditions Dupuis ont fusionnées en 200416(*). La réaction du directeur général de Glénat, Dominique Burdot, ne s'est pas faite attendre : « Le groupe Glénat reste le premier acteur indépendant du secteur. Pour sa part, il n'est pas à vendre. Sa croissance, liée à une gestion plus patrimoniale, est surtout interne. Notre réponse à une vision capitalistique sera de nature éditoriale, certains auteurs préférant sans doute signer leurs oeuvres avec un éditeur indépendant à taille humaine et lui garantissant la pérennité éditoriale. » 17(*) Toutefois, malgré ce bouleversement dans le paysage éditorial français, Glénat se situe parmi les quinze plus grands éditeurs français avec un chiffre d'affaires de 55 millions d'euros en 2003 et reste le premier éditeur indépendant de bandes dessinées. Le secteur manga des éditions Glénat est en pleine expansion avec une croissance de 19% entre 2002 et 2003.18(*) Au cours du mois de janvier 2004, les éditeurs du Syndicat National de l'Edition section Bande Dessinée (SNE-BD) rencontraient certains membres de l'Association des Critiques et journalistes de Bandes Dessinées (ACBD). Lors de ce débat, la question de l'avenir du manga en France fut abordée. Jacques Glénat a considéré que la bande dessinée traditionnelle avait, grâce à ce genre, retrouvé des lecteurs qu'elle avait perdue. Dominique Burdot a précisé qu'avec une culture de l'image plus proche du cinéma ou du jeu vidéo, le manga correspond à une attente que les éditeurs français n'ont pas su satisfaire.19(*)
La politique éditoriale de Glénat est le reflet de son hégémonie sur le marché du manga en France depuis plus de 15 ans. L'ambition de l'éditeur est avant tout de maintenir cette position tout en proposant un catalogue cohérent et représentatif de la production nippone. Si le choix des titres étaient à leurs débuts évidents (des manga en relation avec les dessins animés japonais principalement), les éditions Glénat, face au développement de l'offre et de la demande sur le marché français de la bande dessinée nippone, proposent désormais un éventail de genres et de thèmes plus étendu. « Aujourd'hui le manga est solidement implanté en France, il n'est plus seulement lu par une poignée de fans irréductibles mais par des amateurs de bande dessinée. Il est respecté, analysé, plébiscité et reconnu. C'est pourquoi, aux éditions Glénat, le catalogue manga s'est enrichi et diversifié. »20(*) Trois collections ont été créées en 2003 et sont clairement identifiables sur le dos des différents volumes publiés depuis, grâce à un code couleur : vert pour le shonen*, rose pour le shojo* et marron pour le seinen*. Les collections shonen* et shojo* mettent chacune en vedette un mangaka* : Akira TORIYAMA pour la première (sept titres dont Dragon Ball) et Wataru YOSHIZUMI pour la seconde dont les quatre séries du catalogue traitent de la difficulté d'aimer. Depuis l'année dernière, trois oeuvres de Mitsuru ADACHI (Niji-iro tohgarashi, Touch et Rough), auteur à succès au Japon, ont été traduites par l'éditeur et intégrées dans la collection shonen*. De nombreux manga pour garçons ont pour thématique le fantastique et le sport (notamment les arts martiaux). Les chroniques de la vie quotidienne trouvent quant à elles plus leur place dans la collection de shojo* manga, mêlant vie scolaire, préoccupations adolescentes et humour. Le catalogue des titres seinen* que tente de développer Glénat présente d'ores et déjà des sujets variés. Si le fantastique est très présent, il n'est néanmoins pas exempt d'une certaine réflexion humaniste, tout comme les manga psychologiques : questionnement sur l'avenir de l'humanité et de la Terre, le bien-fondé de la justice, la menace extra-terrestre, la liberté humaine, les pouvoirs du cerveau... Depuis 2004, Glénat publie également un manga qui a eu d'importantes retombées sociales au Japon, Say hello to Black Jack. Shiho SAITO a épinglé avec ce thriller médical les carences du système hospitalier nippon et a, grâce à ce succès d'édition, incité le gouvernement à prendre des mesures concrètes en faveur des hôpitaux notamment dans le versement de salaires plus dignes. Reste à savoir si ce choix est, de la part de l'éditeur français, le reflet d'un engagement politique ou un simple plan médiatique destiné à stimuler les ventes. Enfin, à l'instar des éditions Asuka en 2004, Glénat lance cette année une collection bunko* qui regroupe pour le moment deux oeuvres des années 1960 et 1970, considérées comme des classiques au Japon : L'École emportée de Kazuo UMEZU et Urusei Yatsura de Rumiko TAKAHASHI. Vendus un euro de plus qu'un tankobon* estampillé Glénat, ces deux titres contiendront l'équivalent de deux tomes en un dans un format plus réduit. L'éditeur prévoit également de publier Golgo 13 de Takao SAITO, dont certaines histoires ont été préalablement traduites dans la première revue à évoquer le manga en France, Le Cri qui tue. Cependant, bien qu'ayant le même statut patrimonial au Japon qu'Urusei Yatsura et L'École emportée, ce titre sortira sous la forme d'un recueil de 1.300 pages, qui permettra de découvrir les meilleurs chapitres de cette série longue d'une centaine de volumes, ayant pour héros un tueur professionnel en lutte contre la mafia. Toutefois, si le catalogue s'est diversifié au cours de l'année 2004 en proposant de nouveaux thèmes et de nombreux titres pour adultes, Glénat a également envisagé de retravailler la maquette des manga publiés. « Nous revenons sur des choix qui s'imposaient d'eux-mêmes il y a quinze ans parce que nous débarquions sur un marché totalement neuf, mais qui aujourd'hui ont perdu en pertinence. C'est pour cela que nous avons commencé à publier nos manga sous jaquettes. [...] Nous avons également pris la décision de respecter à l'avenir le plus possible le sens de lecture original lorsque nous publierons de nouveaux titres. »21(*) One Piece sera par exemple réédité en sens de lecture japonais à la demande de son auteur Eiichiro ODA à partir du volume 16. L'éditeur japonais demande de même pour les quinze premiers numéros. L'éditeur a également annoncé dans sa lettre d'informations que les onomatopées des shonen* ne seront plus traduites mais les titres destinés aux adolescents ne seront néanmoins pas réédités sous cette nouvelle forme corrigée. Certaines onomatopées seront toutefois traduites quand elles n'apporteront pas de gêne au niveau du dessin et celles indispensables à la compréhension seront sous-titrées. Ce revirement de politique est pour le moins étonnant au regard du communiqué publié dans la FAQ (Foire Aux Questions) du site de l'éditeur : « Nos manga sont destinés à un très large public [...]. En ce qui concerne les onomatopées, nous les traduisons dans le même souci de lisibilité pour un public de non-initiés. Il faut savoir que souvent, ce sont les maisons d'édition japonaises qui exigent que nous traduisions l'intégralité des manga, ceci incluant bien évidemment les onomatopées. » Glénat a su suivre l'évolution du marché français de la bande dessinée japonaise en développant son catalogue et notamment en multipliant la sortie de titres pour adultes. Grâce à des moyens financiers colossaux, l'éditeur a les moyens de négocier les droits des best-sellers du manga au Japon. Cependant, la fusion de Dupuis avec Média Participations (Dargaud, Le Lombard, Kana, Lucky Comics, Blake et Mortimer, Fleurus et Mango) en 2004 qui en fait le plus grand groupe de bande dessinée, risque de mettre à mal sa position de leader du manga. De plus, il est regrettable que Glénat ne s'attarde principalement que sur des titres à gros tirages et n'investisse pas plus dans des projets de grande envergure à l'image du recueil de 1.300 pages Golgo 13. Du fait de son poids financier, Glénat aurait en effet les moyens de concurrencer Pika sur le marché de la prépublication... * 16 Glénat reste néanmoins le premier éditeur français de manga. * 17 Laurent Turpin, « D'un leader à l'autre », L'Année de la BD n°3. * 18 Tous ces chiffres sont ceux donnés par l'éditeur lui-même sur son site (cf. bibliographie). * 19 Source : www.actuabd.com * 20 Source : catalogue papier des éditions Glénat (2004). * 21Johan Scipion, « Glénat, 15 ans déjà », entretien avec Laurent Muller, directeur du développement éditorial et audiovisuel, AnimeLand n°93, juillet/ août 2003 |
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