L'édition de manga : acteurs, enjeux, difficultés( Télécharger le fichier original )par Adeline Fontaine Université Paris VII Denis Diderot - Maîtrise de Lettres Modernes 2005 |
3.1.3. Tonkam, éditeur traditionnel et historiqueAvant d'être un éditeur reconnu dans le monde de l'édition de manga pour la qualité de ses traductions et de ses adaptations ainsi que pour la variété offerte par son catalogue, les éditions Tonkam ont une histoire, celle de la passion du Japon...
Tonkam est, à l'origine, l'histoire d'un lieu, la librairie Scheffer située à Bastille et créée en 1977, et celle d'une personnalité, Dominique Véret.
Dans les années 1970 et jusqu'au début des années 1980, Dominique Véret gagne sa vie sur les marchés en recyclant des bandes dessinées franco-belges invendues. Il se fixe en créant sa propre boutique aux «Puces» de Montreuil qui propose toujours des oeuvres européennes. Les jours d'ouverture sont les mêmes que ceux du marché de Montreuil, c'est-à-dire du samedi au lundi. Après avoir voyagé en Thaïlande, il rebaptise la boutique «Tonkam»22(*) le 1er novembre 1985, date à laquelle lui et Sylvie Chang, sa compagne, commencent l'importation de manga traduits aux Etats-Unis par Dark Horse et de comics. Le succès est tel que le couple est à la recherche d'une succursale à Paris. Or, les parents de Sylvie, propriétaires d'une librairie rue Keller à Bastille (la papeterie Scheffer), rencontraient des difficultés suite à l'expansion de grosses entreprises de vente de livres et étaient en perte de clientèle. De fait, dès 1988, Dominique en profite pour y mettre en dépôt des bandes dessinées et y envoyer sa clientèle de Montreuil en semaine, lorsque la boutique est fermée. Le rayon bandes dessinées de la librairie Scheffer est inauguré l'année du dragon. Dominique demande à un sérigraphiste un logo à cette occasion. Il sera stylisé par la suite pour donner le logo actuel des éditions Tonkam. Et c'est seulement au début des années 1990 que Sylvie et Dominique prennent pleinement en main la boutique de la rue Keller et ferment la librairie de Montreuil pour la transformer en entrepôt de stockage et bureau de distribution de produits japonais, à commencer par le manga. L'ambition première de la boutique Tonkam fut donc de faire connaître la production japonaise : les manga, la vidéo d'animation et la musique. Aidé par la diffusion des dessins animés nippons à la télévision, le succès est immédiat23(*). Celui-ci est tel que le rayon destiné à la production européenne disparaît totalement en quelques mois et plusieurs boutiques de province font appel à Tonkam pour vendre du manga en version originale.
La boutique se développant, l'idée de publier des manga estampillés Tonkam fait petit à petit son chemin dans l'esprit des gérants, d'autant que Dragon Ball d'Akira TORIYAMA (publié en 1993 chez Glénat) est un succès éditorial. Aidé par les résultats des ventes import dans son commerce, Dominique Véret fait facilement les choix qui s'imposent en matière de traduction et d'adaptation en français. En 1994, Tonkam lance son premier manga en français et une de ses meilleures ventes encore à l'heure actuelle, Video Girl Aï de Masakazu KATSURA, tiré, en première édition, à 4.000 exemplaires. Chiffre dérisoire au regard des ventes totales de la série : 40.000 exemplaires pour chaque volume (la série en comptant quinze) et une édition «deluxe» qui vient de s'achever au bout de 9 volumes.
L'année 2000 marque un tournant au sein des éditions Tonkam. Le fondateur historique, Dominique Véret, quitte l'aventure pour diriger le label Akata en collaboration avec les éditions Delcourt, suivi peu après par sa compagne, Sylvie Chang. Lui succède un nouveau directeur éditorial, Pascal Lafine. Passionné d'animation japonaise, celui-ci écrit dès 1991 quelques articles dans le mensuel spécialisé AnimeLand et participe à l'association Les Pieds dans le PAF. Il a également publié un article dans le magazine 60 millions de consommateurs où il dénonçait la programmation dans sa forme du Club Dorothée. Il déplorait notamment le fait qu'elle diffusait, sans distinction, des dessins animés pour jeunes enfants et pour adolescents voire pour adultes. Ceci alimenta la polémique qui naquit au cours des années 1980 qui dénonçait la violence et la crudité des scènes montrées dans les dessins animés japonais et de laquelle découla une critique plus ou moins sous-jacente des manga. Depuis 1993, Pascal Lafine travaillait pour Tonkam où il tenait un rôle de «touche-à-tout» probablement lié au fait que la maison Tonkam est une petite structure de plus ou moins vingt personnes. Cette polyvalence lui permet d'occuper à l'heure actuelle le poste de directeur éditorial et d'importer en France depuis plus de quatre ans les titres qu'il aime. Petit à petit, Tonkam est ainsi devenue la première société de distribution de manga en France avec quelques 300 points de vente approvisionnés. Leur chiffre d'affaires annuel avoisine les deux millions d'euros. Elle a proposé, en 2004, 92 nouveaux titres et prévoyait, dans son catalogue des nouveautés fin 2004/ début 2005, cinq nouvelles séries : § Spirit of the sun de Kaiji KAWAGUCHI (5 volumes, série en cours au Japon) ; § Cinq séries prépubliées dans Magnolia, le magazine de prépublication des éditions Tonkam : God Child, Les Princes du thé, Elle et lui, Parmi eux et Les Descendants des ténèbres. Tonkam est également la seule maison d'édition française à proposer des bandes dessinées traduites du chinois.
Depuis 1991, la boutique de la rue Keller importe et distribue manga, artbooks*, animation japonaise et musique nippone contemporaine. Tonkam s'est ainsi convertie aux manga sous toutes leurs formes mais aussi aux autres produits de la culture asiatique : jeux vidéos, rock et J-pop*, revues spécialisées françaises et nippones, goodies*...
Non contente de vendre sa production éditoriale, la maison Tonkam commercialise les manga des autres éditeurs français dans la librairie située à Bastille ou dans sa boutique en ligne ( www.tonkamshop.com) créée en 2001. Cette dernière propose sensiblement les mêmes produits que le magasin de la rue Keller, avec un stock plus important. De plus, elle offre la possibilité à ceux qui ne peuvent se rendre à Paris de commander ce qu'ils désirent et de recevoir directement leur commande chez eux.
Tonkam a développé une activité de distribution à mi-chemin entre la distribution japonaise et américaine : paiement comptant et pas de retours comme aux Etats-Unis (système du cash and carry) et remises de 35% sur les produits importés et 25% pour les titres édités par la maison elle-même (au Japon, les remises libraires sont plafonnées à 20%). Du jamais vu dans l'édition française mais qui continue de fonctionner ! Les autres éditeurs de manga adoptent des conditions générales de vente similaires aux autres éditeurs de bandes dessinées, avec un système d'offices, de facultés de retours et d'échéances. Cette politique de compte ferme est expliquée dans le catalogue gratuit Mangavoraces24(*) diffusé par Tonkam (ce projet s'est arrêté récemment faute de temps et d'argent) : « On préfère être éditeur avant tout et privilégier un réseau de petits libraires qui ne fait pas du livre «une culture de supermarché». On a l'esprit plus d'«artisans du manga» que de businessmen à la «Nike Donald»... Et, question d'éthique, cela nous ferait mal de voir nos auteurs soldés en pile ou de faire pilonner du papier quand on sait que demain, la Terre est déjà condamnée. » Une telle affirmation peut évidemment paraître démagogique mais elle se vérifie néanmoins dans les faits. En effet, les paiements comptants ont fait fuir les grandes surfaces (leur principe étant de vendre très vite pour faire fructifier l'argent en jouant sur les échéances) spécialisées ou non. On est toutefois en droit de s'interroger sur la pertinence d'un tel choix. En fait, Dominique Véret a pu constater l'importance des retours et de leur coût dans l'édition. Pour permettre à une petite structure comme Tonkam de survivre et de se développer, il a donc fallu parer à ce problème en interdisant les retours. Quant au paiement comptant, il résulte d'une logique similaire dans la mesure où il coupe court à tout montage financier et facilite la gestion de la trésorerie. Néanmoins, ces conditions peuvent paraître tout aussi difficiles pour les petits libraires... Elles le sont toutefois dans une moindre mesure. D'une part, le libraire y retrouve son compte, à partir du moment où le titre se vend (ce qui est généralement le cas des titres édités par Tonkam, sauf pour les titres de Taiyo MATSUMOTO comme Amer béton). D'autre part, la remise libraire est de 35% quel que soit le volume des ventes car il est évident qu'une librairie de 15 m² ne pourra jamais générer autant de chiffre d'affaires qu'une autre de 150 m². L'éditeur Tonkam privilégie ainsi les critères qualitatifs aux critères quantitatifs. L'année 2000, outre l'arrivée de Pascal Lafine en tant que directeur éditorial, est marquée par l'arrivée des oeuvres traduites par Tonkam au sein des réseaux Virgin et Fnac. Alors que ceux-ci avaient longtemps refusés le système de vente trop rigide de l'éditeur, mais ont finalement accepté les conditions de Tonkam au regard du succès de vente de leurs titres. Pascal Lafine expose sa vision du système de vente instauré par Dominique Véret : « Si on travaille de cette façon, c'est parce qu'on refuse l'idée qu'on nous renvoie des livres en piteux état sous prétexte, justement, que le libraire a la possibilité de les retourner. De toute façon, la taille de notre entreprise ne nous le permet pas. » 25(*) Les libraires sont donc amenés à faire davantage attention aux quantités commandées et pour Tonkam, cette vitrine supplémentaire a permis de maintenir ses ventes au milieu d'une masse de titres en perpétuelle augmentation.
Tonkam propose des titres variés grâce à une politique éditoriale adaptée.
Généralités Le catalogue Tonkam propose un large éventail de titres et de séries aux lecteurs. Pas moins de 78 séries le composent. Tonkam, ce sont 536 titres pour les séries dont la publication est terminée, sans compter les titres en cours de parution en France et/ ou au Japon au nombre de 21, représentant près de 310 titres supplémentaires. Le catalogue papier des éditions Tonkam propose une classification des titres par genre afin que même le novice en manga puisse s'y retrouver. Au lieu de la classification standard japonaise (c'est-à-dire shonen*, shojo* et seinen* dans les grandes lignes), le catalogue propose les thèmes suivants : «humour», «philosophie», «policier», «sport», «Tsuki sélection» (défini par l'éditeur comme une «sélection des jeunes auteurs français»), «historique», «suspense», «écologie», «action», «poésie contemplative», «sentimental» et «fantastique». Une politique d'auteurs On remarque un certain équilibre dans ce panel de titres et de séries présentés dans le catalogue 2003 des éditions Tonkam. Deux thèmes se détachent cependant : le «sentimental» et le «fantastique» qui regroupent les auteurs de prédilection de Tonkam et ceux qui ont fait sa renommée auprès des lecteurs de manga : CLAMP, Masakazu KATSURA, Yuu WATASE et Kaori YUKI. Ces mangaka* font partis des plus grands dessinateurs et scénaristes du Japon et leurs titres sont parmi les plus attendus aussi bien au Japon qu'en France. Pourtant, Tonkam a surtout fonctionné au coup de coeur pour ces auteurs et a tout de même pris un risque, car si ces titres ont rencontré le succès dans l'archipel nippon, il n'était pas prévisible qu'il en soit de même en France où la culture et par conséquent les goûts sont complètement différents. *CLAMP CLAMP est un collectif de quatre auteures : Nanase OKAWA, Mokona APAPA, Mick NEKOI et Satsuki IGARASHI qui se répartissent les différentes tâches qu'engendrent la création d'un manga : dessins, scénario... Elles ont écrit une vingtaine de manga dont plus de quinze ont été publiés en France. Les thèmes et les genres de leurs oeuvres sont tout à fait hétéroclites, naviguant entre récits violents d'inspiration biblique et histoires d'amour pour adolescentes. Tonkam propose sept de leurs titres :
*Masakazu KATSURA Masakazu KATSURA est en quelque sorte le mangaka* historique des éditions Tonkam. En effet, le premier manga traduit en français estampillé Tonkam et leur premier succès est un des titres de cet auteur, Video Girl Aï, série comptant 15 volumes. La finesse des dessins de cet artiste rivalise avec des scénario décrivant avec justesse les sentiments - notamment amoureux - de personnages au sortir de l'adolescence. Tonkam propose différents titres : § DNA² (cinq volumes ; noir & blanc ; catégorie «fantastique») § I''s (quinze volumes ; noir & blanc ; catégorie «sentimental») § Shadow Lady (trois volumes ; noir & blanc ; catégorie «fantastique») § Zetman (un volume ; noir & blanc ; catégorie «fantastique») et Zetman, la série (en cours au Japon) Video Girl Aï a bénéficié d'une réédition avec une nouvelle jaquette et une meilleure impression en format de poche (comme la première édition). Tonkam a également publié le roman Video Girl pour lequel les dessins de KATSURA côtoient le récit de Sukehiro TOMITA, une première en France alors que la mise en roman des manga à succès est très fréquente au Japon. L'histoire du roman n'est pas la même que celle de la série mais de nouvelles déclinaisons du thème de la video girl. Enfin, Video Girl Aï a connu une édition dite «deluxe». Moins de volumes (9), format plus grand donc plus lisible, nouvelle traduction et adaptation, le catalogue la présente comme « produit comme un livre de production, avec un signet, une reliure en tissu et une couverture rigide ». La maison propose également depuis peu le coffret permettant de ranger les précieux volumes. *Yuu WATASE Yuu WATASE est une mangaka* dont le succès n'est plus à démontrer en France : la publication et la traduction de ses titres par plusieurs maisons d'édition ainsi que de bons chiffres de vente en témoignent (Glénat a récemment acquis les droits d'Alice 19th au grand dam de Tonkam). Pourtant, Tonkam a encore joué le rôle de découvreur. Fushigi Yugi, publié par Tonkam, est en effet le premier manga de Yuu WATASE paru en France ainsi que le premier shojo* traduit en français. Fushigi Yugi est une saga de dix-huit volumes, pour laquelle les couvertures ont été retravaillées pour la seconde réédition. Désormais à l'image des couvertures japonaises, Fushigi Yugi a auparavant eu des couvertures en papier non pelliculé, une véritable création artistique 100% française. Les droits de la suite de la série, Fushigi Yugi : la légende de Gembu, en cours de parution au Japon, viennent d'être acquis par les éditions Tonkam. La seconde série (dans l'ordre chronologique) de WATASE parue chez Tonkam s'intitule Ayashi no Ceres et compte quatorze volumes. Enfin, la troisième et avant-dernière série de WATASE labellisée Tonkam est Imadoki qui totalise cinq volumes. *Kaori YUKI Les titres de cette mangaka* (parmi ceux qui ont été publiés en France) baignent dans une atmosphère gothique. Angel Sanctuary, par exemple, fait référence à la kabbale, à l'angéologie, à la Bible... Tonkam propose actuellement trois titres de l'auteure : § Angel Sanctuary (vingt volumes ; noir & blanc ; catégorie «fantastique») § Néji (un volume ; noir & blanc ; catégorie «fantastique») § Comte Cain (cinq volumes ; noir & blanc ; catégories «policier» et «fantastique») La seconde partie de Comte Cain, intitulée God Child, a été prépubliée dans le magazine de prépublication des éditions Tonkam, Magnolia et paraît au mois de mars 2005. Ces deux séries, qui se déroulent dans l'Angleterre victorienne, rappellent l'atmosphère des nouvelles d'Edgar Allan Poe avec ses meurtres sordides... Les titres «à part» Certains titres du catalogue sont quelque peu «à part» dans le sens où ils ne sont pas à l'image des manga commerciaux publiés par certaines maisons. Ces titres s'apparentent plus à des coups de coeur qu'à des coups de publicité. *Les oeuvres de Taiyo MATSUMOTO Elles sont au nombre de trois chez Tonkam et appartiennent au thème «poésie contemplative» : -Amer Béton (trois volumes ; noir & blanc) -Frères du Japon (un volume ; noir & blanc) -Printemps bleu (un volume ; noir & blanc) Malheureusement parues lorsque le manga n'était pas aussi diversifié et populaire (voire à la mode) qu'à l'heure actuelle, ces trois séries ont été un échec commercial de telle sorte que les droits n'ont pas été renouvelés et sont donc introuvables depuis le 31 août 2003 voire même avant puisque jamais réimprimés. Cependant, contrairement à certains éditeurs, Tonkam a, malgré l'échec, publié intégralement ces séries. Néanmoins, certains se sont interrogés sur le forum des éditions Tonkam et n'ont pas compris que ces séries soient arrêtées d'autant que deux autres éditeurs publient actuellement et avec un relatif succès Ping Pong (Akata/ Delcourt) et Number 5 (Kana) de Taiyo MATSUMOTO. *Les oeuvres historiques Le catalogue Tonkam propose deux titres pour le moins étonnant : Jésus et Jeanne de Yoshikazu YASUHIKO entièrement colorisés. Ces deux titres font respectivement le récit de la vie de Jésus de Nazareth et de Jeanne d'Arc à travers les yeux d'un jeune homme et d'une jeune fille qui les a suivis. Ces deux albums sont destinés à un plus large public que celui du manga. En vertu de quoi Tonkam les a publiés en sens de lecture occidental. *Les classiques revisités Auteur japonais réputé, notamment pour son manga Crying Freeman porté à l'écran par Christophe Gans il y a une dizaine d'années, Ryoichi IKEGAMI est traduit aux éditions Tonkam. Les Nouvelles de la littérature japonaise sont un recueil de quelques classiques nippons mis en images. Une oeuvre qui milite pour une reconnaissance du manga dont les sujets peuvent être littéraires et culturels. Tonkam propose un catalogue varié reposant sur des titres plus commerciaux et des titres plus intimistes. La maison s'est illustrée dans ses choix pionniers. Elle fut la première à publier du shojo* avec Fushigi Yugi de Yuu WATASE, du yaoi*, du kowai*, du seinen*, des romans adaptés de manga et de la bande dessinée chinoise. Les choix de Tonkam n'ont pas été guidés par la vague nostalgique (publier des oeuvres en relation directe avec les dessins animés japonais) qui a gagné un certain nombre d'éditeurs. « Nous n'avons pas l'ambition de rattraper d'autres maisons d'édition. C'est trop tard pour ça. Il aurait fallu prendre de gros titres comme Saint Seiya (connu en France sous le nom Les Chevaliers du Zodiaque, édité par Kana), City Hunter (ou Nicky Larson, publié par J'ai lu et aujourd'hui épuisé) ou Dragon Ball (édité par Glénat) tout de suite. Mais ce n'était pas notre volonté. Nous fonctionnons depuis le début avant tout par passion et avec un esprit de découverte. »26(*)
Pour maintenir son statut sur le marché concurrentiel du manga, Tonkam doit proposer une politique éditoriale en adéquation avec les attentes du lectorat et adaptée à sa petite structure.
Tonkam, rappelons-le, est une petite maison d'édition qui n'emploie qu'une vingtaine de personnes. Ses faibles moyens financiers (par rapport, par exemple, à Glénat, leader français du marché de la bande dessinée) influencent sa politique éditoriale. Ainsi, le choix d'un tirage faible a été fait. Quand d'autres éditeurs sortent quatre titres par mois à 30.000 exemplaires, Tonkam en édite huit à 9.000 exemplaires. Et lorsque des titres ne sont pas rentables, la maison ne renouvelle pas les droits lorsque la série prend fin. C'est le cas des oeuvres de Taiyo MATSUMOTO que nous avons évoquées plus haut ; d'Asatte Dance de Naoki YAMAMOTO ; de Butsu Zone de Hiroyuki TAKEI ; de Fever, un ouvrage collectif sur le thème du football ; de Short program de Mitsuru ADACHI ; du Jeu du hasard de Saki HIWATARI et de Zetsuai 1989 de Minami OSAKI. De même, les droits des oeuvres de Tsukasa HOJO ont été perdus par Tonkam mais indépendamment de leur volonté et malgré des chiffres de vente non négligeables. Ce départ est en effet le fait du transfert du mangaka* d'une maison d'édition japonaise à une autre. Cette dernière a alors décidé de regrouper tous les titres de HOJO dans une seule et même maison en France qui a déjà été désignée. Il s'agit de Génération Comics (qui appartient à Panini France) qui pourra rééditer les titres à succès de HOJO notamment City Hunter (proposé en édition luxe avec des pages en couleurs) qui est déjà inscrit au calendrier des parutions pour la fin de l'année 2005.
La politique de Dominique Véret en ce qui concerne les titres à traduire était de « proposer des auteurs de qualité et que le public français ne connaît pas encore27(*) ». Son départ pour les éditions Delcourt pour diriger le label manga Akata n'a pas été suivi de réelles modifications d'après Benoît Huot : « Je n'ai pas eu une grande impression de changement, je dirais que maintenant, le nombre de titres que l'on peut soumettre pour les traduire en version française est plus important qu'à l'époque de Dominique. Sans remettre en cause son travail, il faut bien avouer que certains titres étaient effectivement de son fait (Stratège, Tough) mais d'autres (comme les HOJO ou Maison Ikkoku) l'étaient du personnel de Tonkam. Le départ de Dominique a juste permis que les choix soient encore plus collégiaux ». Bien que relativement bien vécu, ce départ a eu tout de même quelques conséquences fâcheuses note le secrétaire d'édition. « Son départ n'a pas changé notre manière de travailler ni même le planning que nous avions. Le plus délicat a été les éditeurs japonais pour qui Dominique = Tonkam alors que cette équation était loin d'être vraie. Il a donc fallu les rassurer, leur rappeler que Dominique n'était pas le PDG, préciser certains points de vue... Mais en dehors de ces relations avec le Japon, le reste s'est passé sans encombres. » Actuellement, Pascal Lafine, le nouveau directeur éditorial des éditions Tonkam depuis le départ de Dominique Véret en 2000, sort un titre commercial pour financer un titre marginal. Mais cela ne fonctionne pas toujours parfaitement. Spirale, le manga horrifique de Junji ITO a eu un succès inespéré et Hikaru no Go de Takeshi OBATA et Yumi HOTTA est en tête des ventes de leur catalogue (alors qu'il n'était pas évident qu'un manga spécifiquement japonais sur le jeu de go rencontre son public en France). Tandis que Flame of Recca de Nobuyuki ANZAI peine à démarrer alors que, selon les prévisions, c'est le contraire qui devait se produire.
Tonkam a, dès ses débuts, fait le choix de respecter à la fois le sens de lecture et le fait de ne pas traduire les onomatopées. Le sens de lecture est donc japonais, c'est-à-dire de droite à gauche, et les cases (ou du moins ce qui les figure) se lisent de la même façon. Benoît Huot ajoute : « les seuls sens français que l'on fait, c'est parce qu'on estime que les titres en question sont susceptibles de toucher un lectorat autre que le lectorat manga habituel. C'est le cas des TEZUKA, de Jeanne et Jésus de YASUHIKO... ». De même, les manga publiés par Tonkam sont, comme au Japon, recouverts d'une jaquette que l'on peut enlever et remettre à loisir. « Le manga a la chance par rapport aux autres oeuvres de création de disposer d'un modèle sur lequel on peut se fonder. Autant en profiter quand le modèle en version originale est bon » affirme le secrétaire d'édition. Faute de moyens économiques suffisants, les imprimeurs qui travaillent pour Tonkam font appel à un CAT (Centre d'Aide pour le Travail qui permet aux handicapés de s'insérer dans la société par le biais du travail) situé en face des entrepôts de Tonkam à Montreuil pour plier les jaquettes. Une poseuse de jaquettes automatiques coûte très cher et par conséquent, nécessite des gros tirages pour l'amortir et la rentabiliser.
Il n'est pas toujours possible de faire avouer à une maison d'édition ce qu'elle projette de faire d'une année sur l'autre de peur que cela ne s'ébruite dans un marché déjà très concurrentiel. Tonkam prévoit néanmoins pour l'année 2005 de sortir un coffret de Trigun, la série de Nightow YASUHIRO, sans plus de détails. Il faut espérer que ce projet n'avortera pas prématurément comme le coffret collector de Hikaru no go prévu pour la sortie du numéro 10 qui devait comprendre, entre autre, un plateau de jeu de go et des pions à l'effigie des héros... Mais, confesse Benoît Huot, « nous n'avons pas été en mesure, compte tenu de tous les intervenants (japonais et autres) de sortir un coffret dans les temps. Or, un tel objet se doit de coïncider avec des dates-clé (comme Noël par exemple) ». Une autre idée en dormance évoqué dans un article d'AnimeLand daté de novembre 2003 : rééditer en format de poche à moindre prix de séries déjà publiées qui seront épuisées. Le format bunko* a été évoqué mais sans plus d'avancement à l'heure actuelle... Tonkam réunit plusieurs facteurs qui lui confère un statut bien particulier dans le marché du manga qui s'est développé de manière quasi tentaculaire : § une petite structure qui n'appartient à aucun groupe de bandes dessinées ou de littérature générale ; § une distribution militante qui a prouvée son efficacité ; § un catalogue original constitué essentiellement de découvertes mais aussi de paris risqués ; § un éditeur qui a su s'imposer dans l'achat des droits japonais grâce au sérieux (respect de l'édition originale) et à sa longévité (Tonkam est en effet, avec Glénat, l'éditeur qui s'est lancé le premier dans la traduction française de manga) ; § une grande visibilité lié à ses trois vitrines : la boutique de Bastille, le site commercial Tonkamshop.com et le magazine de prépublication qui permet à l'éditeur de rivaliser avec les autres grands éditeurs. Editeur quasi artisanal au regard de la taille de sa structure et de son indépendance totale, Tonkam a su et sait toujours se frayer une place parmi les plus grands éditeurs de bandes dessinées. * 22 «Tonkam» est une déformation du mot tongkam, nom donné à Dominique Véret par un moine thaïlandais en 1984 pendant l'un de ses nombreux voyages dans ce pays. Cela fait symboliquement référence à l'or, à la fortune. * 23 A titre évocateur, les trois derniers tomes (soit les numéros 40, 41 et 42) de Dragon Ball en japonais ont été vendus à plus de 5.000 exemplaires pièce, rien qu'en magasin. * 24 Mangavoraces n°15 daté du janvier 1999 * 25 Sébastien Kimbergt, « Portrait Tonkam », AnimeLand n°96, novembre 2003. * 26 Sébastien Kimbergt, « Portrait Tonkam », AnimeLand n°96, novembre 2003. * 27 Benoît Huot in Sébastien Kimbergt, « Portrait Tonkam », AnimeLand n°96, novembre 2003. |
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