3. LA FRANCE, TERRE D'ACCUEIL DU MANGA
3.1. Glénat et
Tonkam : les débuts du manga en France
Avant de commencer à retracer les prémices du
manga en France, il nous semble nécessaire de signaler que l'Hexagone va
à contre-courant du Japon. En effet, au pays du Soleil Levant, le
succès rencontré par un manga engendre la création du
dessin animé, produit dérivé de la série papier.
Au contraire, en France, le succès
phénoménal rencontré par les dessins animés
japonais à la télévision a conduit à
l'émergence d'un nouveau genre de bande dessinée pour le pays, le
manga.
3.1.1. Histoire du manga en France
Comme le dessin animé est à l'origine du manga
en France, nous retracerons ses débuts à la
télévision française et sa réception pour pouvoir
poser les bases du développement de l'édition des manga en
France.
3.1.1.1. 1er stade : les dessins
animés japonais et leur réception en France
Après la dissolution de l'ORTF (Office de Radio
Télévision Française) en 1974 se créent trois
nouvelles chaînes distinctes : TF1, Antenne 2 et FR3, qui vont
développer des unités indépendantes de programmes pour la
jeunesse.
Ces nouveaux moyens mis en place pour proposer plus de
programmes et plus de choix aux enfants doivent trouver matière et
contenus pour nourrir leurs ambitions. Mais la France et l'Europe en produisent
peu, il faut donc les importer de l'étranger. Deux sources apparaissent
alors riches et séduisantes : les Etats-Unis, à qui l'on
faisait déjà beaucoup appel (en témoignent la diffusion et
rediffusion des cartoons), et le Japon.
Les deux pays proposent une production de dessins
animés sur le principe du plus grand nombre d'heures possibles pour le
coût le plus faible. Pour les chaînes françaises, le rapport
entre le coût et l'audience recueillie de ces programmes est plus
intéressant.
Les dessins animés venus d'Orient sont une
découverte bouleversante pour les Français. C'est un nouveau ton,
des scénarii soutenus et un graphisme innovant. Mickey et Casimir
doivent désormais affronter Goldorak, Candy et bien d'autres à
venir.
En 1972, la télévision française diffuse
pour la première fois un court-métrage d'animation nippon. Il
s'agit d'un dessin animé en noir et blanc intitulé «Le
Roi Léo» et produit par Osamu TEZUKA. Le succès n'est
pas au rendez-vous mais une nouvelle tentative est lancée deux ans plus
tard avec la diffusion de «Prince Saphir» produit
également par TEZUKA.
Cependant, le tournant décisif dans l'histoire de la
«japanimation» se produit le 3 juillet 1978. L'émission pour
la jeunesse Récré A2 (diffusée sur Antenne 2) programme
«Goldorak», puis «Candy» en septembre de
la même année. Presque immédiatement, le jeune public est
fasciné. C'est le début de l'âge d'or du dessin
animé japonais en France.
En 1979, TF1 riposte en diffusant «La Bataille des
planètes» dans l'émission des Visiteurs du mercredi. En
parallèle, Antenne 2 retransmet «Albator 78».
Au début des années 1980, «Capitaine
Flam», «Ulysse 31» (fruit d'une collaboration
franco-japonaise) et «Cobra» viendront rejoindre le quatuor,
fer de lance de toute une série de dessins animés japonais.
Les séries diffusées se multiplient alors
à la télévision, principalement sur TF1 et sur La Cinq.
C'est la fameuse époque des «Chevaliers du Zodiaque»,
«Ken le survivant», «Juliette je t'aime»,
«Nicky Larson», «Olive et Tom»,
«Jeanne et Serge», «Max et compagnie»,
«Creamy merveilleuse Creamy», «Emi
magique», «Embrasse-moi Lucille», «Lady
Oscar», pour ne citer que les plus célèbres.
Néanmoins, très peu de dessins animés
arrivent à obtenir une réelle longévité
télévisuelle. Il en existe un cependant qui a su évoluer
en même temps que son public : «Dragon Ball».
L'oeuvre d'Akira TORIYAMA épouse à merveille l'évolution
des téléspectateurs. Là où la première
série s'adresse avant tout à des jeunes, «Dragon Ball
Z» touche les adolescents et les adultes. Pour preuve de sa
réussite, le dessin animé reste près de dix ans sur les
écrans français.
De «Goldorak» à «Jeanne et
Serge», l'animation japonaise domine, en plein milieu des
années 1980, le panorama des émissions destinées à
la jeunesse. Les critiques, le mépris ou la défense qu'elle
génère soulignent sa présence, son existence, mais aussi
l'influence qu'elle peut exercer sur le jeune public.
A cause d'un engouement de plus en plus important pour les
séries japonaises, des parents outrés par le contenu de ces
dessins animés étrangers commencent à faire entendre leurs
voix. Des associations de familles critiquent ce qu'elles jugent violent,
véhiculant des valeurs qu'elles ne partagent pas et responsable d'un
«abrutissement» de leurs enfants. Le Conseil
Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) intervient sous la pression et menace
les chaînes de représailles si elles ne répondent pas aux
exigences du grand public. Dès lors, des séries comme
«Ken le Survivant», «Nicky Larson» ou
«Les Chevaliers du Zodiaque» subissent la censure.
Les chaînes considéraient que ces oeuvres
s'adressaient avant tout à des enfants, alors qu'en fait, leurs
qualités graphiques et scénaristiques les destinaient à un
public adulte. Un problème que soulève Benoît Huot,
secrétaire d'édition chez Tonkam :
« Une équation caractérisait les
dessins animés en France : dessin animé = enfant. En effet,
le bouillon culturel dans lequel baignait notre pays était en grande
partie hérité des Etats-Unis et, par voie de conséquence,
de leur conception des dessins animés. En d'autres termes, il existait
deux types de dessins animés : les Tex Avery, destinés
à un public adulte (quoique pouvant être vus par n'importe qui en
raison de la dérision qui accompagne chaque cartoon) et les Disney,
destinés aux enfants. En dehors de ces deux catégories, il
n'existe point de salut. ».
Les coupures et les censures dénaturent
complètement les histoires et l'ordre des séries, qui
désertent progressivement les chaînes hertziennes. Car si le CSA
n'a pas légalement interdit la diffusion des séries japonaises,
ses directives restent des menaces pour le monde de l'animation nippone. La
chaîne Mangas (qui appartient au bouquet satellite du groupe AB) s'est
ainsi vue menacée de devoir payer une amende de 150.000€ pour ne
pas avoir respecté le quota de diffusion d'oeuvres européennes et
françaises. Un comble pour une chaîne nommée Mangas !
Notre législation ne fait rien pour aider l'apparition de
nouveautés, à cause d'un protectionnisme non avoué.
L'engouement pour les manga en France a principalement
été le fait des dessins animés japonais. Ceux-ci
s'étant implantés dans notre pays bien avant la parution des
premières bandes dessinées nippones, ils ont essaimé,
devenant au fur et à mesure des références culturelles.
3.1.1.2. 2ème stade :
l'éclosion du manga - bases et limites
La première apparition du manga en France est
liée à un homme d'origine japonaise résidant en Suisse
dans les années 1970, Atoss TAKEMOTO. Passionné par les
échanges internationaux et interculturels, il décide de faire
découvrir le manga aux lecteurs français par le biais d'un
magazine de sa création, Le Cri qui tue. Financé sur ses
propres deniers, ce journal paraît au début de l'année 1978
à un rythme trimestriel et un tirage ambitieux de 40.000 exemplaires.
Dans ses pages paraîtront notamment une oeuvre d'Osamu TEZUKA, Le
Système des Super Oiseaux.
La volonté première, assez ambitieuse dans un
pays où la bande dessinée est alors plus orientée vers un
lectorat de jeunes enfants, est de cibler un public d'adultes, tout en tenant
compte des goûts européens. L'aventure prend fin en 1982 avec un
bilan plus que mitigé.
Atoss TAKEMOTO a été notamment confronté
à des problèmes liés à la Commission paritaire.
Pour distribuer un périodique en France, il faut en effet que la
Commission lui attribue un numéro. Comme Atoss TAKEMOTO était
basé en Suisse, elle lui a refusé cette attribution. De plus, le
fondateur du Cri qui tue n'avait aucun contrôle sur les ventes,
les invendus étaient détruits ou ne lui étaient pas
retournés. Et la dévaluation du franc français en 1981 a
rendu encore plus difficile l'exportation de la revue suisse dans
l'Hexagone.
En parallèle, Atoss TAKEMOTO, en collaboration avec un
libraire suisse nommé Rolf Kesselring, fait paraître, dès
1979, le premier de bande dessinée japonaise traduite en
français, Le Vent du nord est comme le hennissement d'un cheval
noir, une intrigue médiévale signée ISHIMORI. Il est
publié en grand format par crainte d'un rejet du format de poche par le
lectorat français mais ne rencontre pas le succès.
Il faudra attendre 1990 pour voir naître le premier
véritable succès du manga en France grâce à
l'initiative de Jacques Glénat (à la tête de la maison
d'édition du même nom) qui fait publier Akira de Katsuhiro
OTOMO. Sa première édition est de format classique
(c'est-à-dire en format A4), dans le sens de lecture occidental et en
couleurs. Quatre ans de publication sont nécessaires pour éditer
les 2.200 planches du manga, sur quatorze volumes.
A partir de 1993 commence la déferlante des manga dont
l'adaptation animée est en train d'être diffusée ou a
été diffusée sur les petits écrans
français.
Glénat lance l'offensive avec Dragon Ball, bande
dessinée la plus vendue de son catalogue, toutes séries et toutes
origines confondues, avec plusieurs millions d'exemplaires vendus. L'apport
financier est tel qu'il permettra à l'éditeur de lancer de
nombreux titres.
Le manga commence alors à pénétrer dans
les cours d'école. Après la parution de Dragon Ball
suivront Candy, Ranma 1/2, Sailor Moon, Dr Slump,
Nicky Larson, Fly, Ken le survivant, Olive &
Tom, Cat's eyes, Kimagure Orange Road (diffusée en
France sous le nom de Max et compagnie), Cobra,
Goldorak, Les Chevaliers du Zodiaque, Albator, Juliette
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