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L'impact des décisions administratives sur le suivi éducatif des mineurs étrangers isolés et des jeunes majeurs en France

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par Roland TCHOUAGA
Institut national de formation et d'application - Diplome d'état d'éducateur spécialisé 2006
  

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III. Le travail éducatif au quotidien

A. Comment s'y prendre ?

Beaucoup, voire tous les mineurs (ou présumés tels) qui arrivent et sont accueillis dans le service, sont dans un état de souffrance. Selon leurs histoires, comment ils se l'approprient et ce qu'ils en disent (ou même le silence qu'ils gardent) témoigne de souffrances, vécues, subies ou perpétrées. Au cours des entretiens que j'ai menés, j'ai recueilli des histoires de vies émaillées de violences, de ruptures, d'abandon, de mort. Afin de rester efficace dans l'accompagnement de ces mineurs, l'ensemble de l'équipe a demandé une supervision de nos pratiques. Nous avons commencé à réfléchir sur la manière d'accompagner l'autre dans sa souffrance sur notre place et sur celle du jeune accueilli. Nous avons compris au fil des séances que nous ne faisions pas qu'accueillir, mettre à l'abri et orienter les « mineurs isolés ».

1) La relation d'aide.

Nous sommes interrogés sur leurs souffrances. « Si jeunes et déjà autant de souffrances, de drames ». Disaient certains, « misérabilistes » répondaient d'autres. Nous étions tous d'accord pour ne pas hésiter à parler de traumatismes concernant beaucoup (tous ?) de jeunes accueillis pour accentuer la notion de danger au moment de l'orientation.

C'est ainsi qu'au fil des histoires que nous relatent ceux qui se sentent suffisamment en sécurité pour parler, nous entendons des jeunes qui ont fuit des guerres, subit des viols, des rapts, des massacres et trafics humains en tout genre.

Parfois, certains sont suffisamment lucides pour nous parler de leurs positionnements et de leurs rôles dans certains de ces événements.

Pour ma part, il est clair que lorsque j'entends un mineur de 15 ans raconter comment il a été enrôlé à 10 ans comme « enfant soldat » et qu'il a participé à des massacres.

Celui-ci a autant besoin d'être aidé que cette jeune fille, violée par des soldats.

Ainsi, apparaît-il des situations où coupables et bourreaux sont des victimes.

Comment organiser cette aide en direction des personnes victimes qui verbalisent ou non cette souffrance ?

Le travail de réflexion en équipe permet parfois aux éducateurs de réfléchir ensemble afin de prendre des décisions et orientations qui correspondent aux besoins du mineur.

C'est ainsi, que, soucieux de prendre en compte lesdites souffrances de ces jeunes comme faisant partie de notre travail, nous avons mis en place un partenariat avec une association spécialisée dans le traitement des traumatismes des populations en exil et victimes des guerres.

La relation d'aide va aider à entendre et identifier la souffrance du mineur lors des entretiens, des activités et tous les moments du quotidien. Observer, s'interroger, réfléchir en équipe lorsque un comportement nous parait « anormal » peut aider à ne pas se tromper ou de précipiter l'orientation du jeune.

2) la vie quotidienne

a) La vie quotidienne

Le lever se fait à 8 heures et le petit déjeuner jusqu'à 10h. Les jeunes qui n'ont pas de rendez-vous à l'extérieur participent au cours de FLE pour commencer l'apprentissage du Français.

Ainsi il est important de rythmer la journée de ces mineurs afin de leur fixer des repères.

Les moments du repas, de cours, et dans divers ateliers participent aussi à des objectifs à la fois éducatifs et conviviaux. Ce sont des moments de rencontres entre plusieurs cultures, plusieurs religions, plusieurs langues.

Le génie du travail consiste à faire que la cohabitation se fasse sans heurts et dans la bonne ambiance et le respect de l'autre.

A ce même titre, chacun participe aux tâches quotidiennes, et nous leurs disons souvent que chacun à sa part de responsabilité dans ce qui se crée ou dans ce qui se dégrade.

b) Les activités

Comme je l'ai mentionné avant, les activités sont des outils pour les éducateurs servant à observer le comportement des jeunes. Les activités ont aussi des objectifs ludiques.

N'oublions pas que comme tous les adolescents ils ont besoin de sortir, de s'amuser, de se défouler et d'avoir une vie privée. L'accompagnement pour l'activité est assuré pendant les premiers moments de leur arrivée.

Un après-midi je suis allé accompagner un groupe de jeunes au terrain de foot. La plupart de ces jeunes ne se connaissaient pas.

Le travail d'accompagnement ici va consister à être avec eux pendant plusieurs séances de foot à jouer avec eux, à permettre que tous se familiarisent les uns avec les autres. Je crée un facteur de lien. Je me suis rendu compte que comme avec les petits enfants, le jeu en lui-même est un moyen de communication.

Il peut être un tremplin qui va permettre à des personnes de développer d'autres moyens de communiquer quand le jeu cesse.

Après avoir accompagné plusieurs fois ce groupe de jeunes, j'ai compris qu'il fallait les laisser s'organiser entre eux.

Les activités contribuent dans notre travail à enrichir l'expérience par un regard porté sur le ou les jeunes en dehors de l'institution.

Maintenir le cadre est essentiel pour que les jeunes puissent s'en rappeler quand ils sont seuls.

3) Les partenaires

Nous avons vu tout au long des passages précédents que l'éducateur ne travaille pas et ne doit pas travailler seul.

Les personnes extra institutionnelles telles que l'Aide Sociale à l'Enfance, les associations, la justice, les hôpitaux, l'Education Nationale sont constitués de personnes sensibles à la problématique des mineurs étrangers isolés.

Dans le traitement de cette problématique chacun tente d'apporter des outils qui vont compléter celui de l'autre, afin d'être au plus près des besoins du mineur.

Les partenaires sont ceux avec qui nous réfléchissons pour bannir les méthodes inhumaines, dégradantes.

Lorsque le service mineur s'est rendu compte qu'il y'avait une trop forte recrudescence de demande d'examens de maturation osseuse avec un nombre important de  déclarés majeurs issus d'une zone géographique bien précise, le service s'est concertée avec les associations partenaires du dispositif afin de prendre une décision commune respectant l'intérêt et l'intégrité physique des jeunes. C'est d'un commun accord que tous ces partenaires ont dénoncé certaines pratiques discriminatoires, dégradantes et inhumaines.

Le partenaire peut être celui avec qui nous élaborons de méthodes de travail, et échangeons sur des pratiques professionnelles qui peuvent être distinctes mais complémentaires. Le partenaire c'est aussi celui qui apporte son concours financier et celui que nous informons régulièrement du danger de la situation des jeunes en errance, de l'évolution des lois, et des souffrances et des sévices subis par les jeunes.

Le partenaire est aussi un mécène qui finance un programme ou une activité et fait des dons. Le travail en partenariat se fait aussi avec des médecins, des hôpitaux, des thérapeutes spécialisés, l'Education Nationale.

Tous ces organismes peuvent nous adresser des mineurs lorsqu'ils les estiment en danger  pour une évaluation de sa situation.

Ces travaux en partenariat sont d'autant plus importants que les mineurs sont sans référents parentaux. Quels sens peut prendre, et comment se situer, dans le travail avec la famille ou les familles ? Kabongo est un jeune de 16 ans arrivé du sud Kivu en république démocratique du Congo, une zone de l'Afrique où règne une instabilité politique. Arrivé en France sans documents de voyage, il a été retenu en zone d'attente. Nous avons été informés par une association partenaire qui est autorisée à accéder en zone d'attente. Après 8 jours de détention, des démarches ont été entreprises auprès des autorités judiciaires afin d'obtenir sa libération ; Grâce aux information fournis par cette association partenaires, d'autres associations se sont mobilisées, et ce jeune déjà en souffrance, traumatisé par son accueil en France a été sauvé in extremis des mains des filières qui ont organisé son entrée en France.

4) La famille

L'accueil et la prise en charge des mineurs étrangers isolés se fait en l'absence de tout référent parental ou familial connu en France.

Néanmoins certains jeunes ont gardé le contact avec leurs parents, une adresse, celle du voisin, d'un ami de la famille, le numéro de téléphone de la cabine du quartier peut servir à entrer en contact avec la famille.

Mais certains jeunes par peur d'être renvoyés dans leur pays hésitent à communiquer ces adresses ou numéros de téléphone. Ils ont peur aussi que l'on se serve de ces indices pour retrouver ceux qui les ont fait rentrer en France.

Les premiers temps de l'arrivée du jeune dans notre service sont les moments de tous les secrets. Les jeunes ne veulent rien dire. Or la première question que nous leurs posons est de savoir si le mineur connaît quelqu'un de sa famille que nous pouvons prévenir.

Si la réponse est « non », nous considérons que les parents sont absents ou incapables de se manifester. Comment régler la question de l'autorité parentale tant la plupart des démarches à effectuer requièrent la signature d'un représentant légal.

L'article 375 et suivants du code civil dit que quand les parents sont absents ou ne peuvent pas se manifester, cela peut compromettre les conditions d'éducation et un juge pour enfant doit être saisi pour ordonner la protection de l'enfant.

Cela peut-il suffire à résoudre tous les problèmes qui assaillent un enfant étranger seul dans un pays qui n'est pas le sien ?

Outre cette absence parentale ou familiale dont il faudra prendre en compte dans le processus d'aide et d'accompagnement il faudra aussi tenir compte du travail sous d'autres aspects tels que :

- La configuration de l'aide sociale « axée » plutôt vers le retour du jeune dans sa famille.

- Les conditions d'adaptation d'un enfant étranger à son nouvel environnement avec toutes les barrières sociales, culturelles, linguistiques.

- L'absence de la famille et la rupture physique avec sa culture. Le fait que pour la plupart leur projet d'accompagnement doit être axé sur un projet de vie en France.

Dés lors, on constate qu'après avoir fait entendre leur désir et projet de rester en France, ces jeunes restent stigmatisés par leurs statuts.

Ces statuts dépendent des différentes démarches administratives à accomplir.

5) L'accompagnement administratif

a) Les démarches administratives.

Le concept « d'administration » prend son sens, à partir du moment ou l'adolescent accepte et signe le contrat d'accueil.

A son arrivée un dossier est ouvert et un numéro est attribué au jeune. Après avoir procédé à mettre un jeune en confiance et en sécurité, étape nécessaire avant toute démarche, il est important que celui-ci puisse s'approprier les lieux, nouer des affinités ou non, créer des liens avec les autres.

En principe l'accompagnement administratif s'inscrit dans les démarches qui vont aider le jeune à partir.

A l'arrivée de ce jeune la première démarche à faire est le pré signalement à envoyer au parquet. Il comporte les premières informations recueillies auprès du jeune : nom, prénom, âge, nationalité, type de papiers.

Ceci permet au parquet de vérifier que le jeune n'est pas déjà inscrit dans ses fichiers. La suite des démarches concerne les visites médicales obligatoires afin de vérifier que le jeune n'a contracté aucune maladie contagieuse.

Dans la plupart des cas l'absence de couverture maladie et l'absence des parents posent des difficultés aux professionnels qui ne veulent pas soigner les jeunes dans ces conditions.

J'ai accompagné un jour à la Pitié-Salpétriére (qui a un service de soin dentaire réputé), trois afghans dont les dents étaient complètement abîmées. Ils se plaignaient en permanence d'avoir mal.

Arrivés dans cet hôpital, ces jeunes se sont vus refuser les soins d'abord parce qu'ils n'ont pas de couverture maladie et ensuite parce qu'ils étaient mineurs.

J'ai rappelé à l'agent, chargé de l'inscrire aux soins, qu'il y avait un panneau juste au-dessus de sa tête qui affichait « En cas d'urgence les mineurs peuvent être soignés en priorité ».

Nous sommes arrivés à 9 heures du matin et nous sommes repartis à 22 heures.

J'ai insisté pour que ces jeunes soient soignés.

Ces questions et d'autres encore comme celle de la détermination de l'âge, ou de l'authenticité des papiers qu'ils présentent, font partie du lourd quotidien des mineurs isolés.

La question se pose en matière de compétences tant sur le plan territorial que départemental, de la prise en charge financière d'enfants qui n'appartiennent à aucune circonscription territoriale ou départementale française.

Est-ce cela qui fait diluer leurs statuts d'enfants en danger en sans papiers ?

Ce qui suppose que le jeune se trouve en situation de danger ou de vulnérabilité. En écoutant ces jeunes, je me suis rendu compte que ceux-ci ignorent le long chemin des démarches administratives car après le pré signalement au parquet, celui-ci nous renvoie une réponse consistant en un numéro de dossier.

Il estime que le jeune n'est pas en danger immédiat, étant accueilli par nos services.

Le parquet dans ce cas peut rendre une ordonnance de placement provisoire.

Le cas échéant, le jeune est présenté à la cellule d'accueil des mineurs étrangers isolés, un service de l'ASE, qui selon deux procédures accordera la protection du mineur.

Le cas contraire, celui-ci passera un EMO (Examen de Maturation Osseuse) demandé par l'ASE.

Il apparaît que le sort de ces mineurs, le droit pour eux de rester et de construire leur projet en France, et même parfois le droit d'accomplir certains actes élémentaires comme se soigner, est toujours suspendu à leurs statuts d'hypothétique de sans papiers.

Rappelons que les mineurs isolés sont des enfants qui fuient des drames de toutes sortes dans leurs pays, que d'autres sont victimes de drames dans notre pays. Tous ont en commun d'être isolés, sans famille, sans personne.

Tous demandent de l'aide à la France. Souvent dans leur fuite beaucoup n'ont pas eu le temps de rassembler les documents nécessaires. Beaucoup n'avaient pas prévu de changer de pays.

Etant donné le contexte difficile, il a fallu réfléchir sur le sens que peut prendre le projet individualisé pour le mineur.

En règle générale, à leur arrivée dans le centre, la plupart de ces mineurs ont leur projet. Ces projets viennent des rêves qu'ils ont entretenus.

Mon rôle a souvent été avec les jeunes d'articuler ce projet avec la réalité. Le sentiment d'être considéré comme un membre de la machine à broyer les rêves m'a souvent parcouru.

Après que des jeunes aient essuyé des refus de prises en charge par L'ASE, alors, la relation de confiance en prend un sérieux coup.

Cet épisode m'a appris que lorsque la situation est bloquée, le rappel à la loi et la patience à toute épreuve permettent d'obtenir une réponse.

L'enjeu était de faire disparaître cette douleur qui tenaillait les jeunes. A tel point que l'empathie n'était suffisante pour compatir à la douleur de ces mineurs. Les médecins étaient conscients de la souffrance des jeunes mais toutes leurs dents étaient cariées et demandaient une prise en charge qui aurait paralysée tout le service, m'a- t - on expliqué par la suite.

Les médecins ont procédé au nettoyage des dents, administré un traitement puis donné un rendez- vous pour le lendemain.

J'ai contacté, par la suite, l'assistante sociale de l'hôpital, afin qu'ils leur soient établis une aide médicale d'état (AME).

Deux jours après, les caries des 3 jeunes avaient été soignées et ils pouvaient enfin sourire de toutes leurs dents.

Même si je pouvais comprendre le raisonnement des médecins, j'interrogeais sans cesse leur éthique. Pour ma part, rien ne peut justifier ce que je considère comme une indifférence aux souffrances de ces jeunes.

Je ne comprenais pas qu'un hôpital public français puisse faire une entorse à la règle. Encore une fois, la souffrance du jeune venait se mettre en concurrence avec son statut. La douleur devait - elle attendre les papiers ?

Je pense qu'il fallait agir, insister pour que ces jeunes soient soignés.

Ces épisodes résument la situation des mineurs sans référents parentaux en France partagés entre le danger qu'ils encourent et la maîtrise du flux migratoire.

La vie de ces mineurs est comme suspendue par l'absence de papiers.

Cas de pratique

Je vais commencer par illustrer l'impact que peut avoir certaines décisions administratives sur le bien-être d'un jeune.

P. est un jeune de 16 ans accueilli dans le service pour une mise à l'abri. A son arrivée, c'était un jeune fragilisé. Nous avons pensé à l'orienter, une fois qu'il serait reposé et qu'il aurait repris des forces.

A l'approche de son départ, il a essayé de se suicider. Mais avant de se jeter par-dessus la rambarde à 10 mètres de hauteur, il a prévenu suffisamment à temps pour qu'on le retienne. Ce sont les jeunes qui étaient près de lui qui l'on retenu. Une fois maîtrisé l'adolescent a commencé à se battre de toutes ses forces et devenait très violent.

Nous avons appelé les pompiers. Ceux-ci l'ont maîtrisé puis l'ont emmené au service de psychiatrie infanto- juvénile. Le psychiatre en charge du mineur, connaissant notre association, a proposé de nous rencontrer afin de réfléchir avec P. sur l'aide et les soins à lui apporter.

Au fil des entretiens il s'est avéré que l'ampleur du traumatisme était très importante du fait de son histoire personnelle et familiale.

Est-ce le fait d'avoir voulu respecter le délai de 15 jours imparti pour l'accueil, l'élaboration de son orientation, qui nous a poussé à ne travailler que sur l'aspect administratif de la problématique de ce jeune ?

P. n'avait pas terminé son travail de deuil de sa famille. D'ailleurs avait- il pu le commencer ? Les rencontres entre le psychiatre, le chef de service, l'adolescent et moi lui ont permis d'amorcer son travail de deuil. Les séances successives nous ont permis de réfléchir sur la possibilité d'une orientation du jeune vers un service psychiatrique spécialisé dans le traitement des traumatismes des enfants en exil.

J'ai souhaité relater cette histoire car elle reflète la problématique que je vais traiter.

Même si la relation d'aide dans cet accompagnement s'avère utile, son utilité réside dans la pluridisciplinarité des compétences mise en place pour aider le jeune.

Comment ce fait il qu'un mineur arrivé en errance et en souffrance dans nos services demande de l'aide, et la seule réponse que nous avons à lui proposer c'est de ne l'aider que s'il a ses papiers ?

b) L'administration et la situation de P.

La situation de P dont j'ai commencé à parler, a profondément bouleversé le service par la violence des faits constitués. P. est un adolescent venu de côte d'Ivoire un pays actuellement en guerre. L'adolescent vit dans la capitale avec ses parents, son frère et sa soeur. Il n'avait pas l'intention de quitter son pays.

A son retour, il retrouve ses parents assassinés. Recherché lui aussi, ce sont les voisins qui l'aident à s'enfuir. Un ami de son père l'aidera à quitter le pays, muni de faux papiers.

Je reçois cet adolescent qui est accompagné par un éducateur de rue, d'une association partenaire. Deux autres jeunes sont avec lui, des jumeaux, tous des compatriotes. Ils se sont rencontrés dans le squat où ils vivaient tous à Paris et tous demandent de l'aide.

J'ai été désigné pour être le référent éducatif et culturel de P.

A son arrivée dans notre service en plein mois de décembre, le jeune m'a paru prostré et très fatigué.

Le squat où ils vivaient n'ayant aucun confort, ils dormaient tous dans le froid.

Il m'a semblé plus urgent de m'occuper de son état physique, de veiller à ce qu'il se lave, mange et se repose le temps qu'il faut.

Pendant son temps de repos, je signale sa présence au parquet des mineurs, puis je prends rendez-vous au comité médical des exilés pour la visite médicale obligatoire.

Cette visite sert à s'assurer que le jeune n'a contracté aucune maladie contagieuse.

Au moment de l'entretien, P. commence par me raconter son histoire. Je remarque en l'écoutant qu'il me parle de lui mais s'en faire allusion à ses parents à sa famille.

Quand je lui demande comment et avec qui il est arrivé en France, il éclate en sanglots. Je le laisse aller au bout de ses sanglots, une fois qu'il est calmé je lui demande ce qui le chagrine.

Il me dit que c'est un ami de ses parents qui lui a fait quitter son pays.

Je lui demande s'il peut parler de ses parents, de son frère et de sa soeur. Son père était un militant politique et pour divergence d'intérêts, liée à la situation du pays, il s'est fait des ennemis opposés au parti qu'il représentait.

Son fils a pu échapper à la mort parce qu'il était parti jouer au foot.

L'adolescent, qui me confie son histoire, demande pourquoi il a survécu, et me parle de vengeance.

La crainte pour nous était que l'adolescent s'enfonce dans un sentiment de devoir, et qu'il finisse par commettre l'irréparable, comme retourner dans son pays et s'enrôler  dans l'armée pour « venger sa famille ».

Le jeune même si c'était difficile souhaité raconter son histoire.

Il a commencé à pleurer, puis, au fil des séances, il semblait prendre de la distance avec son histoire mais j'avais toujours l'impression que le jeune portait un fardeau dont il fallait le décharger.

Participer à des groupes de parole l'a aidé à se déculpabiliser. Le groupe de parole pouvait l'aider à verbaliser, à parler de sa violence et à la confronter à celle des autres. C'est ainsi que les activités comme le sport, que j'ai mis en place avec les jeunes, participaient à autant de moments de loisirs, d'observations, d'apprentissage mutuel.

Il n'est pas anodin pour un adolescent de 15 ans de perdre sa famille et de se retrouver en plus confronté à la dépouille de ceux-ci.

Que dire si de plus il est en danger de mort et obliger de fuir son pays, sa culture, ses amis, ses racines, menacé par les assassins de sa famille. Arrivé en France, c'est une autre page de son histoire qui s'écrit. Il va devoir faire chemin seul.

Dans sa recherche de compatriotes il se retrouve dans un squat avec ceux-ci. Sait-il qu'il est mineur et que les lois les protégent ?

La rencontre avec un compatriote bénévole d'une association partenaire a réussi à le mettre suffisamment en confiance pour qu'il accepte de venir nous rencontrer.

Même si cet adulte a gagné sa confiance nous nous apercevons qu'il faut aider l'adolescent à regagner sa confiance en l'adulte, mais par ailleurs qu'il faut aussi l'aider à se reconstruire. Mais que doit-on reconstruire exactement ?

Peut- on reconstruire quelque chose pour cet adolescent qui dit avoir tout perdu ?

Ces questions que j'ai soulevées avec mon binôme ont fait l'objet d'une discussion avec le chef de service. Et lors des instances d'analyse de mise en pratique, il en ressort qu'il faut aider le jeune à restaurer plusieurs représentations d'images (celles qu'il se fait sur les adultes), de symboles (ce que représente ce pays qu'il a du fuir), de valeurs (l'importance de le vie malgré tout), qu'ils avait acquis. Et donc la disparition de sa famille l'a mis dans une situation de rupture, de négation de ces images valeurs et symboles.

Le jeune se retrouve dans une situation de vide (par l'absence de repères) et de trop plein (ses difficultés à accepter les nombreuses règles qui régissent le centre) où loin de ses valeurs, de sa culture il peine à intégrer de nouvelles règles pour avancer.

Percevant cela nous voulons l'orienter au plus vite, mais le jeune n'a pas de papiers et son hospitalisation en service infanto- juvénile a nécessité un signalement auprès du procureur de la république.

Ce signalement mentionne l'état d'un mineur sans papiers, sans couverture maladie et aussi sans référents parentaux. Il est demandé au procureur d'organiser sa protection. Le parquet a ordonné un examen d'âge osseux qui l'a déclaré majeur à plus de 18 ans.

Le parquet dit qu'en l'absence de papiers d'identité probants prouvant sa minorité, le jeune sera soumis à cet examen. Avant de poursuivre je vais définir ce qu'est un examen d'age osseux.

-L'examen de maturation osseuse

C'est un ensemble d'examens dont la méthode la plus courante consiste à faire des radiographies de la main et du poignet gauche.

Les clichés pris sont ensuite comparés à des tables de référence dit de Greulich & Pylle qui ont créé cet atlas en 1935 pour déceler des maladies,entre autres des cas de retards de croissance ou de précocité de croissance chez des enfants dont l'âge était connu.( 14(*))

Leurs recherches vont concerner des enfants des milieux favorisés aux Etats-Unis.

On peut donc considérer que l'examen osseux a été détourné de ses objectifs d'origines.

Selon A. Etiemble, « le processus de détermination illustre cette approche ambiguë de la question des mineurs isolés étrangers. Ils ne sont pas considérés comme des enfants en danger et certains doutent de leur état d'enfants ».

En ce qui concerne le jeune P. nous lui avons montré la lettre du procureur et nous lui avons expliqué les tenants et les aboutissants de l'examen d'âge osseux.

Même si ne nous sommes pas d'accord avec la décision du parquet nous devons respecter la loi.

Le jeune était confiant, sûr de sa minorité. Il nous disait : « C'est quand pas une machine qui va dire mon âge ? Moi je vous ai dit la vérité. »

Nous étions tous dans l'expectative sachant que c'est un examen nous paraissait aléatoire et surtout depuis qu'un autre jeune qui nous disait avoir 13 ans a été déclaré majeur une première fois puis mineur lors d'une contre expertise. J'ai accompagné P. ce matin là, à l'hôpital Trousseau où il a été très ému de voir d'autres jeunes qui se présentaient, menottés par les policiers, pour l'examen.

Ce qui pose la question de la condition de travail pour les médecins et d'examen pour le jeune.

Au résultat, P. est déclaré majeur à plus de 18 ans il n'a aucune réaction, il reste impassible, le trajet de retour au centre se déroule contrairement à l'aller, en silence.

On dirait qu'il est sonné mais tente de rester digne. Je vais le voir pour discuter avec lui. Je lui demande ce qu'il pense du résultat de l'expertise. P ne dit pas un mot du reste de la journée.

Il me répond : 

« De toute façon je vous l'avais dit, c'est pas une machine qui vous donné mon âge, c'est moi et je vous ai dit la vérité. » Il me semblait important pour lui que nous le croyons.

Puis le soir, il a refusé de manger et de participer à sa part de tâches.

Les jours suivants, il a refusé de participer au footing matinal que j'ai mis en place avec lui. P. était informé que les conséquences de son examen impliquaient son départ, c'est ce qui le révoltait. Il fallait lui trouver un hébergement d'urgence dès le lendemain.

Ne supportant pas l'idée de ce départ vécu comme un échec, il a tenté de mettre fin à ses jours en se jetant par-dessus la rambarde de 10 mètres et heureusement, comme je l'ai dit au départ, l'adolescent a prévenu d'autres jeunes qui l'ont retenu avant qu'il ne passe à l'acte.

C'est dans un état de crise qu'il a fallu appeler les pompiers qui l'ont hospitalisé. Le travail avec la psychiatre s'est articulé autour d'une amorce de travail sur les problématiques du jeune.

Le psychiatre ayant pris conscience des ressources du jeune, noyé dans ses difficultés nous a proposé de faire une demande conjointe à la nôtre au juge pour enfants.

De notre côté nous avons invoqué les articles 375 et suivants du code civil pour conseiller au jeune d'écrire au juge pour enfants ; et lui demander de se saisir de sa situation car il se trouve en danger. Nous recevrons par la suite une lettre du parquet qui ordonnait à nouveau une contre expertise, suite à notre précédent appel.

Nous avons par la suite reçu une lettre du tribunal pour enfants avec une date d'audience. C'est dans le courant de cette semaine que nous avons été informés par le compatriote bénévole qui nous l'a présenté, de l'arrivée d'un passeport.

Nous avons été très surpris. Il nous dit avoir été informé de l'impasse administrative dans laquelle était enfermée le jeune sans ses papiers.

Il y a un contact dans le pays qui s'est rendu à la mairie du lieu de naissance de P. et il a pu obtenir un acte de naissance, ce qui lui a permis de faire un passeport. Les documents avaient le mérite d'être vrais et appartenaient au jeune. Une question demeurait, le jeune savait-il que des démarches pour son passeport avaient été établies ?

L'arrivée de ce document lui évitait la contre expertise à l'examen d'âge osseux. A l'audience P. a été reconnu mineur, les papiers l'attestant faisant foi. Le juge n'a pas tenu compte de l'examen osseux, et ne s'est basé que sur la situation de danger et sur le fait qu'il avait des papiers prouvant sa minorité.

Le juge a aussi interpellé le mineur sur son parcours jusqu'en France en tentant de connaître l'identité de celui qui l'avait fait rentré en France mais sans succès.

Nous préconisons un suivi ethno- psychiatrique, conformément à la conclusion du travail avec la psychiatre, en plus du placement d'office. Nous avons aussi insisté auprès du juge sur la nécessité de soins pour le mineur. Celui-ci n'ayant pas achevé le travail de deuil de ses proches, il doit être aidé dans cette démarche.

Le juge est d'accord. Au vue de son histoire le magistrat lui conseille de réfléchir à une éventuelle demande d'asile. Il a refusé, il ne souhaite pas demander l'asile.

Il pense que demander l'asile, c'est se mêler de politique. Après l'audience nous nous entretenons seul avec le juge en lui expliquant que si l'enfant refuse la demande d'asile, cela peut signifier qu'il ne s'inscrit plus dans une négation de ses liens avec son pays, qu'il a une démarche de réconciliation, de reconstruction et de restauration. La situation de P. a mobilisé beaucoup d'énergie.

La question des papiers a été omniprésente tout au long de son évolution dans la prise en charge. Cette question a occulté ses difficultés et les traumatismes liés à son histoire personnelle et familial, à son parcours.

Comme je le disais précédemment, les mineurs étrangers dont j'ai la charge sont accueillis pour un accompagnement éducatif dans le cadre d'une absence parentale.

Ces mineurs ont vécu et ont quitté leur pays dans des conditions qui ont pu se révéler traumatiques :

Ce qui veut dire que je reçois des mineurs qui sont fatigués, fragilisés, traumatisés.

Le temps de l'accueil, les premiers temps servent à satisfaire aux besoins primaires du mineur puis de faire connaissance avec les autres jeunes, l'équipe, et se familiariser avec les lieux.

D'origine Africaine, je maîtrise 4 langues, le jeune se sent en confiance d'avoir en face de lui un éducateur Français qui parle sa langue, connaît l'histoire et la géopolitique, l'économie et les réalités de son pays. Il peut être encore plus surpris de savoir que je connais son quartier.

Le jeune Moundi, Camerounais anglophone de 16 ans et demi est accueilli au centre depuis une semaine. Au moment de son accueil, je suis absent. A mon retour du centre, je découvre que je suis l'un de ses référents, comme il est d'usage dans le service, d'attribuer un éducateur référent issu ou connaissant la langue et la culture du jeune. Le jeune parle et comprend le pidgin, une langue argotique parlée au Cameroun, au Nigeria, au Ghana, en Sierra Leone et au Libéria.

L'entretien d'accueil a déjà eu lieu avec mon collègue qui me remet le compte-rendu de l'entretien. En le lisant, je m'aperçois que le jeune raconte qu'il a pris le bateau pour la France, au nord du Cameroun, une province située à l'entrée du désert. Il est surpris que je lui explique, avec une carte du pays à l'appui. Il est impossible qu'il ait pris le bateau à cet endroit, ni même à 500 km à la ronde car il n'y a qu'une mer de sable à l'endroit qu'il indique. Le jeune a profité du fait qu'il n'y ait pas d'éducateur connaissant son pays au moment de l'entretien pour raconter une histoire assez fantaisiste. Mon collègue a cru qu'il ne parlait que le pidgin, alors que toute personne parlant cette langue parle aussi anglais. Celui-ci confirme que l'entretien a été pénible, car il a dû faire beaucoup de signes et de dessins pour tenter de comprendre le jeune. Je propose à Moundi de reprendre l'entretien et de le faire valider à nouveau par le responsable du service. S'il est important de connaître l'histoire du jeune afin de transmettre aux autorités une histoire qui reflète la réalité de vie du jeune, il est aussi important pour le jeune de ne pas commencer une nouvelle histoire dans un pays où il veut vivre, par le mensonge. Pour cela la connaissance de tous les éléments constitutifs de la culture du jeune sont importants. A ce stade de la prise en charge, le mineur s'approprie l'espace et les lieux.

L'issue de l'entretien détermine la priorité à donner aux démarches, suivant l'urgence de la situation, et la prise en charge à mettre en place pour le mineur en fonction de ses difficultés, de son histoire, des soins à apporter ou des démarches à entreprendre.

Le mineur qui a subi des violences n'aura pas la même prise en charge que le mineur qui est mandaté pour des besoins économiques.

Le quotidien dans le service s'articule, pour le jeune, autour des démarches, des soins, des questions matérielles et juridiques.

Les premiers temps vont permettre au mineur de découvrir le fonctionnement du service, la culture du pays accueillant, le partage, le quotidien et ses contraintes.

A savoir que celui- ci doit partager les tâches quotidiennes avec les autres jeunes et apporter sa contribution au bon fonctionnement du service.

* 14 Au départ il était destiné au domaine médical, aujourd'hui on s'en sert pour légitimer le refus d'aider et protéger ces mineurs, et pour une réponse rapide à des questions sociales qui mériteraient un plus large débat.

Ceux qui sont soumis à cet examen sont des jeunes étrangers en situation de vulnérabilité et même si l'examen osseux donne un age hypothétique, cela enlève t'il quelque chose au danger dont ils se disent victime ?

En sachant aussi que cet examen d'age osseux donne un résultat avec une incertitude à déterminer l'age à plus ou moins 18 mois.

Il n'a pas été conçu à l'origine pour les populations défavorisées des ghettos Américains ni pour des Asiatiques ou des Africains. Pourtant en France l'aide sociale à l'enfance demande, le parquet ordonne et on recourt à cet examen pour sceller le sort de jeunes étrangers dont le tort est d'avoir pensé que chez nous il serait libre de se projeter.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery