B. La relation de confiance
Faut-il rappeler que ce sont des mineurs pour qui beaucoup
d'adultes sont des menteurs, des exploiteurs, des bourreaux.
Comment faire tenir dans un cadre à la fois exigeant et
contenant des mineurs qui ont perdu la confiance envers les adultes ?
1) Comment en tant qu'adulte je peux être
crédible ?
Le travail de mise en confiance se fait par la réponse
aux besoins urgents et primaires comme manger, se laver, dormir, s'habiller
proprement.
L'urgence du jeune c'est la sécurité, le
gîte et le couvert. Chez l'enfant, nous savons que la mère, pour
répondre à ses besoins primaires, va lui donner à manger
et prendre soin de lui. Le lien affectif unit l'enfant à sa mère
et alimente la relation de confiance.
L'éducateur, en tant que substitut parental, ne peut
pas faire l'impasse sur cette réponse urgente à donner.
2) Le jeu
Dans un deuxième temps, la relation de confiance se
crée autour du jeu. Le jeu permet à l'enfant de se construire en
apprenant les règles communes à chacun.
Les moments de jeu sont des instants qui
révèlent le caractère de chacun et je fais attention aux
particularités de chacun afin de mieux les interpeller par la suite.
En étant dans le jeu avec eux, je me mets au même
niveau de compréhension, d'écoute et de participation tout en
restant celui qui encadre.
Cela permet à l'enfant de se destresser et quelquefois
à évoquer des choses personnelles dont je peux discuter avec lui
par la suite.
La cohésion du groupe et les affinités passent
aussi par ce mode d'expression. Comme la lecture ou la peinture, le jeu peut
permettre de s'évader et d'oublier quelques instants sa situation et ses
difficultés.
Certains jeunes prennent l'initiative de faire
découvrir des jeux typiques de leur pays d'origine et cela favorise un
climat convivial et amical au sein du service. Ainsi ils peuvent s'apercevoir
que l'ouverture d'esprit peut et doit se faire sur un mode interactif et
transversal.
D'autres jeux font partie d'un univers en commun. Le baby-
foot a cet avantage de réunir des individus de pays et cultures
différentes autour de cette activité universelle car le football
se pratiquent dans le monde entier.
Je me sers souvent de c'est « outil » afin
de créer un lien entre les jeunes et moi puis entre jeunes.
Ce travail de confiance, qui commence par le jeu, va servir
par la suite à inscrire le jeune dans des activités plus
contraignantes. Je demande aux jeunes de participer au bon fonctionnement de la
vie du groupe dont l'entretien et le ménage des locaux en commun et de
leurs chambres.
Ils participent aussi à la préparation des
repas, à la mise de table et à la vaisselle. Ces actes les
responsabilisent et les inscrivent comme acteurs de leur vie et du bien-
être de chacun.
Tous ne participent pas activement à la vie quotidienne
du service car certains sont dans un état de crise, de carences et de
traumatismes telles qu'il faudra que l'on adapte nos propositions à
leurs capacités. Le jeune se sent respecté dans son
intégrité physique et morale par les actions que je mets en place
avec lui dans le service. Il se sentira d'autant plus respecté. Le jeune
doit me faire confiance, et j'ai intérêt à cela. De part ma
présence auprès de lui au quotidien, de mon intérêt
et des actions que je mets en place pour lui, je serai son éducateur
référent. Celui qui va être auprès de ces jeunes
à leur écoute lorsqu ils sont en souffrance, celui qui ne peut
pas leur mentir, qui osera franchir le seuil des questions sur leurs
intimités. En tant que référent, je suis celui à
qui le jeune se confie plus souvent, avec qui il évoque son plaisir de
vivre en France, et les difficultés de son vécu, le bonheur qu'il
a connu dans sa famille et ses perspectives d'avenir. Le travail de mise en
confiance peut parfois se heurter à plusieurs contraintes.
3) Les contraintes culturelles tels que la
barrière de la langue.
Le jeune qui ne parle pas le Français a non seulement
du mal à se faire comprendre, mais aussi à comprendre les
consignes. Il ne participera que difficilement à la vie du groupe.
C'est pourquoi j'ai toujours travaillé en binôme avec un
éducateur qui parle la langue du jeune dont j'ai la charge. Celui-ci
n'est pas toujours présent, et pour éviter que cela renforce le
sentiment d'insécurité, je communique avec le jeune de
manière non verbale et gestuelle. Entre autre, cette barrière
fait que beaucoup de jeunes accueillis, notamment les jeunes afghans et
pakistanais, ne restent pas au centre. Ils choisissent de partir en Angleterre
où ils pensent avoir plus de chances de réussite.
Le mode d'alimentation peut s'avérer incompatible avec
celui du jeune, et c'est pourquoi nous avons mis en place une atelier cuisine
qui a lieu une fois par semaine et chacun est invité à faire
découvrir sa culture par le mode d'alimentation.
4) Les contraintes liées aux
traumatismes
Wong a 16 ans et vient de Chine. Il aurait pris le bateau,
voyagé en car, en train et il aurait effectué une bonne partie du
voyage à pieds. Arrivé en France, il est accueilli par un couple
de compatriote qui serait en lien avec les passeurs. L'adolescent affirme qu'il
a travaillé nuit et jour pendant un mois et demi, sans salaire et sans
repos.
Nous recevons ce jeune à la demande de la brigade des
mineurs. Arrivé dans le service, outre la barrière de la langue,
le jeune est apeuré et recroquevillé sur lui-même, il est
sur la défensive. Je fais appel au médiateur chinois qui va
traduire et expliquer ma démarche vis à vis du jeune. Ceci va le
rassurer et lui permettre de commencer à parler de son histoire, de ses
souffrances. La présence d'un éducateur qui parle la langue, ou
issu du même pays permet au jeune de se sentir plus en confiance.
P vient d'un pays en guerre. Il dit qu'il a 17 ans. Il aurait
été enrôlé très tôt par des adultes qui
ont assassiné par sa famille. Il raconte de manière assez
distanciée la manière dont il a participé aux crimes et
exactions sur des civils et sur d'autres soldats ennemis, en compagnie
d'autres soldats. C'est un jeune qui reconnaît la gravité des
faits commis dans son pays.
Il ressasse sans cesse sa responsabilité sur la
situation dans son pays et culpabilise d'être vivant, d'être en
France,vivant alors que d'autres parents sont morts et que d'autres sont morts
par sa faute. Avant toute chose, il fut considéré comme victime.
Il y a des situations où les bourreaux se révèlent comme
des victimes et vice-versa. La prise en charge de ceux ci doit d'abord
s'orienter vers de objectifs de soins.
Dans ces différents cas de figure, il s'agit pour moi
d'adapter mes exigences et de ne pas hésiter à faire marche
arrière quand il y a un refus ou un blocage de la part d'un jeune.
Le travail auprès de ces jeunes demande une
interrogation constante sur le bien fondé des actions que je mets en
place, des règles que j'édicte, à savoir de m'interroger
sur la faculté des jeunes à intégrer et à s'adapter
à ces règles.
Ce fonctionnement que je considère comme un
fonctionnement normal pour un éducateur en situation d'aide ne
correspond pas toujours au schéma d'organisation des structures et des
administrations chargées d'assurer le lien, la continuité ou le
partenariat à effectuer pour répondre aux besoins du mineur dans
sa globalité.
C'est ainsi que la mise en place du travail de confiance avec
le mineur se retrouve souvent en paradoxe avec la mise en place des
démarches administratives.
En effet de l'accueil à la prise en charge
jusqu'à son départ du service, le quotidien du mineur est
organisé en considération de sa situation administrative.
Nous avons selon que le mineur soit en possession de documents
d'identité ou non, les conditions de son admission dans le droit commun
ne sont pas les mêmes d'un mineur à l'autre. J'ai connu des jeunes
qui avaient vécu les pires tragédies, des drames, avaient perdu
confiance en eux et dans les adultes. J'ai mené avec eux des actions
pour restaurer leur image et celle de l'adulte.
Ces actions, au delà de la confiance jeune à
gagner, devaient amorcer un processus d'insertion dans la société
française.
Ce travail peut-il être remis en question du fait de
l'absence de documents d'identité ? Que dire des moyens
utilisés en cas d'absence de documents d'identité
probants pour déterminer l'âge du mineur ? Dans le cadre
du travail auprès des mineurs étrangers, j'ai constaté que
la notion de protection de l'enfance en danger ne s'appliquait pas de
manière égalitaire pour tous dans le cadre de la procédure
d'assistance éducative.
Ce défaut d'égalité dans les traitements
me paraît contraires aux articles 375 et suivants du code civil qui
stipulent qu'en cas de danger avéré, si la santé, la
moralité et les conditions de vie du mineurs sont compromises pour son
éducation, le juge pour enfants doit être saisi dans le cadre
d'une assistance éducative à des fin de protection du mineur.
Ce défaut d'égalité dans le traitement de
la question des mineurs étrangers en danger sur le sol français
m'a amené à proposer une réflexion à
l'équipe en vue d'allonger le délai de prise en charge des
mineurs dans le but de tenir compte d'abord de leurs besoins éducatifs,
de soins. Le tribunal de Paris étant territorialement compétent
ainsi que l `Aide Sociale à l'Enfance de Paris qui a
créé en son sein une cellule d'accueil des mineurs
étrangers (CAMIE), ces structures étant saturés et ne
donnant plus des réponses au cas par cas, j'ai proposé que le
mineur soit adressé au structures judiciaires et de protection de
l'enfance du lieu ou celui-ci a été trouvé. Et ceci dans
le but de toujours rechercher des réponses administratives qui
correspondent aux besoins effectifs du mineur en danger.
Si je retranscris ces propositions et textes de lois en
l'adaptant à mon travail, et à celui de n'importe quel
éducateur, cela voudrait dire que tout mineur étranger
présent sur le territoire français sans référents
parentaux est un mineur en danger.
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