PARTIE III : L'ENQUÊTE DE TERRAIN
I. Exposition de la problématique et des
hypothèses de départ
Cette première partie de recherches documentaires a
permis d'approfondir et d'avoir une vision plus globale concernant
l'accompagnement à l'acquisition du langage par le jeune enfant et des
enjeux relatifs aux transmissions familiales au sein des familles migrantes.
Après ces précisions, je peux maintenant formuler une
problématique : « En quoi les professionnels ont une place
et/ou un rôle dans l'accompagnement de l'apprentissage du langage
auprès des familles issues de l'immigration ? ». Lors de
la phase exploratoire, nous avons pu toucher du doigt de nombreuses
sensibilités au sein de cet apprentissage et au sein même de la
famille, sa construction en lien avec l'immigration et son intégration
dans le pays d'accueil. Par cette enquête auprès des
professionnels et l'observation des familles, j'aimerais pouvoir observer
qu'est ce qui est mis à l'oeuvre dans les accompagnements faits ou les
réflexions portées par les équipes et les structures.
Mon hypothèse en réponse à cette
problématique sont que, oui, le professionnel peut jouer un rôle
et trouver une place adéquate dans l'accompagnement au
développement langagier de ces enfants, mais selon certaines conditions.
Les conditions auxquelles je pense à ce moment T de ma recherche, sont :
la conformité de l'accompagnement réalisé avec les
attentes, valeurs et idées de la famille ; le respect des besoins
de l'enfant, de son développement et de l'intérêt des
actions mises en place dans son sens ; et à condition que cet
accompagnement soit en accord avec les missions et moyens de la structure ou du
(des) professionnel (s).
1. Les outils d'enquête et les
destinataires
Pour cette enquête, j'ai choisi d'utiliser
différents outils d'enquête qui sont des questionnaires et
entretiens en direction des professionnels et l'observation des familles dont
la langue première n'est pas le français et accueillies au sein
de l'AME. Pour aborder différentes pratiques professionnelles et
différents types d'accompagnement, j'ai fait le choix d'interroger des
professionnels ayant différents diplômes et travaillants dans des
structures variées. Les professionnels interrogés sont tous des
acteurs de l'accompagnement pluridisciplinaire fait autour du langage de
l'enfant et dans le soutien à la parentalité.
A- Questionnaire en direction des professionnels travaillant en
EAJE
Dans un premier temps, j'ai souhaité interroger les
pratiques professionnelles au sein des Etablissement d'Accueil des Jeunes
Enfants (EAJE) sur ce sujet. Le choix des EAJE, c'est fait, car ces structures
représentent un acteur majeur de l'accompagnement du jeune enfant
25
et sa famille, hors institution médicale ou
médico-sociale ou domaine social. La Charte Nationale pour l'Accueil du
Jeune enfant (23 septembre 2021) rappelle au niveau national les principes
d'accueil pour le bon développement des jeunes enfants, dont
l'écoute et l'accompagnement de leurs besoins, un accueil bienveillant
de sa famille par la structure et le besoin des professionnels de se former.
L'écoute de la famille et de ses volontés pour l'éducation
de son enfant fait donc partit des missions des professionnels en EAJE pour
l'accueil de l'enfant. Dans cette vision de ces structures participant à
la co-éducation, je pense intéressant de prendre connaissance des
pratiques et des connaissances des professionnels concernant les familles
issues de l'immigration, leurs spécificités et le
développement du langage chez le jeune enfant. Le questionnaire
distribué (voir en annexe 1) s'intéresse à
l'accompagnement fait auprès des enfants bilingues et les adaptations
mises en place, ou non, pour favoriser le développement du langage et le
contact avec la famille.
Pour recueillir des réponses quantitatives et
qualitatives en quantité significative, j'ai fait le choix du
questionnaire. Par mon expérience en EAJE, j'ai une certaine
connaissance de l'accompagnement réalisé auprès des
familles. Pour autant, je ne m'étais pas concentré jusqu'alors
à l'accompagnement spécifique des familles issues de la
migration. Ce questionnaire est donc dans le but de me renseigner sur
l'accompagnement adapté qui peut être mis en place dans ce type de
structure et les visions des professionnels sur celui-ci.
B- Entretiens avec une professionnelle
spécialisée dans l'interculturalité
Au sein de l'AME, j'ai eu la chance de travailler avec de
nombreux professionnels qui par leurs expériences ont
développé des connaissances et des compétences
poussées dans l'accompagnement des familles issues de l'immigration et
dans des situations d'interculturalité. Les développements du
jeune enfant sont aussi des sujets bien connus des professionnels par l'accueil
d'enfant de moins de 3 ans. Parmi les professionnels rencontrés, une
éducatrice spécialisée et formée à
l'interculturalité et l'accompagnement des familles de par ses
expériences et sa pratique professionnelle. Dans le cadre de ma
recherche, il m'a paru pertinent de pouvoir aborder avec elle ses
réflexions et connaissances concernant l'interculturalité,
l'accompagnement des familles immigrées et l'accompagnement qu'elle peut
proposer dans le cadre de son poste en AME. Lors de cet entretien (voir en
annexe 2) nous avons abordé sa vision du développement langagier
du jeune enfant et ses influences familiales et sociales, les
spécificités de l'accompagnement des familles en lien avec
26
l'immigration et principalement, l'accompagnement des
différents développements chez le jeune enfant.
Pour cette rencontre, la forme de l'entretien m'a paru la plus
appropriée. Il permet le recueil de données qualitatives, de
pouvoir approfondir les notions et points abordés lors de la discussion,
ce qui me parait essentiel dans un sujet si complexe que représente
l'accompagnement des enfants et des familles et l'interculturalité.
Cette forme me permet aussi de pouvoir compléter et approfondir les
données recueillies dans les questionnaires en direction des
professionnels et les observations des familles.
C- Observation des familles accueillies à l'AME
Pour compléter les réponses des
professionnelles, j'ai voulu observer les familles et leurs utilisations des
langues au sein de l'AME. J'ai réalisé des observations des
familles sur des moments où les mères liaient l'utilisation de
leur langue maternelle et du français pour s'adresser à leurs
enfants. J'ai profité de ce support et de la relation mise en place avec
les mères pour engager une discussion avec elles sur leur langue
maternelle, son apprentissage par leur enfant et la façon dont elles la
considéraient. Ces observations et ces entretiens informels ont permis
l'échange entre nous, mais aussi la valorisation de cette langue et de
leurs compétences auprès des mères (voir en annexe 3).
II. Résultats de l'enquête
1. Données recueillies auprès des
professionnels
Le questionnaire était adressé aux
professionnels de la petite enfance, exerçant dans différents
types d'EAJE. 33 professionnels ont répondu à ce questionnaire,
ayant différentes formations (psychologie, CAP AEPE, bac professionnel
ASSP, moniteur éducateur et EJE) et exerçant principalement en
multi-accueil, micro-crèche ou crèche familiale. Les
réponses rendues démontrent que l'accompagnement des familles
migrantes reste minoritaire au sein des EAJE (72.7% de réponses «
rarement » à la question concernant la fréquence des
accompagnements auprès de familles bilingues, issues de l'immigration).
L'entretien réalisé était auprès de
l'éducatrice spécialisée, formée à
l'interculturalité et travaillant très fréquemment
auprès de familles issues de l'immigration.
Le questionnaire transmis s'intéressait aux pratiques
mises en place par les équipes et les structures pour favoriser le
développement du langage des enfants et l'accompagnement global des
familles issues de la migration. De manière générale et
collective : les supports utilisés par les professionnels sont
majoritairement les livres et les chants (temps lecture et
27
chanson (90.9%), livres en libre accès (54.5%)). On
retrouve ensuite l'utilisation d'un langage non-verbal avec la mise en place de
la « langue des signes bébé » (81.8%). En
complément, et plus, majoritairement, on retrouve des jeux mis en place
en lien avec le langage (36.4%) et l'utilisation du picto-langage (18.2%).
72.7% des professionnels ont répondu que les supports déjà
mis en place de manière générale pour soutenir le
développement du langage de l'enfant dans la structure où ils
exercent n'ont pas été « adaptés ou davantage
développés » dans le cadre de l'accompagnement des enfants
bilingues. Bien que davantage de difficultés aient été
remarquées. Plus de la moitié des professionnels
interrogés (54,5%) disent avoir remarqué des difficultés
dans l'apprentissage du langage pour les enfants de familles bilingues et
migrantes. Cela alors que les recherches exposées
précédemment affirment que les troubles du langage et les
difficultés dans l'apprentissage, même multiple, ne concernent pas
davantage les enfants bilingues que monolingue. À cette question, se met
aussi dans l'analyse la subjectivité de ce qui est compris par les
professionnels dans le terme « difficultés » dans
l'apprentissage du langage. Cela peut faire référence à la
phase d'apprentissage déséquilibré, mais normale, des deux
langages avant les quatre ans de l'enfant.
Dans les cas où ils ont été
adaptés (18.2% des professionnels interrogés) on remarque que les
aménagements se concentrent d'une part autour du langage avec
l'adaptation des pratiques et de la communication par les professionnels
(débit de parole lent, associer les mots à des gestes ou des
objets), l'élaboration de réflexion autour de l'accompagnement de
l'enfant en équipe et notamment en utilisant le principe de
référence, mis en place dans de nombreux EAJE. Les autres
réponses données se concentrent autour de la famille de l'enfant
et de sa langue maternelle : 1/4 des professionnels disent inclure le langage
premier de l'enfant au sein de la structure ; et la moitié de ceux ayant
fait des aménagements disent mettre en place des discussions et
rencontres permettant l'échange avec les familles autour des besoins de
leur enfant et leurs volontés pour celui-ci.
L'éducatrice enquêtée aborde elle aussi
l'importance d'investir les familles dans les propositions et l'accompagnement
fait auprès de leurs enfants. Elle note la nécessité de
comprendre ce qui fait sens pour les familles. Au sein de l'AME, un
accompagnement global et quotidien est réalisé, permettant aux
professionnels d'observer et d'interpréter plus aisément les
comportements éducatifs mis en place par les familles et les
réactions et réponses aux propositions d'accompagnement des
professionnels de l'équipe. Ainsi, elle note que les apports de
l'équipe peuvent résonner avec ce qui fait sens, avec les
sensibilités
28
des familles en lien avec l'éducation des enfants
(répétition et inscription dans les habitudes de la famille des
propositions de l'équipe, intérêt démontré
par la mère dans les apports de l'équipe). Dans le cas inverse,
elle insiste sur l'importance de respecter le positionnement de la mère,
dans la limite où l'enfant ne subit pas de « déficit de
développement » et où la famille « porte »
l'enfant d'une manière qui lui est propre. Elle met en perspective les
différences en termes d'éducation liées à la
culture et à l'éducation reçue par les mères :
l'éducation européenne met l'accent sur le langage et la
verbalisation dès la petite enfance, quant au sein de l'éducation
à l'africaine, c'est davantage par le toucher et les soins ( « le
kinesthésique » ) que les parents portent l'enfant et lui
démontre l'attention. Remarquer et comprendre de telles
différences nécessitent forcément une première
approche et connaissance de l'interculturalité et/ou des pratiques
éducatives à travers le monde. Ces différences de
comportements, pour peu qu'elles ne soient pas comprises, peuvent amener les
professionnels à se questionner. À travers les réponses
des professionnels exerçant en EAJE, on remarque ces inquiétudes
: les réponses indiquent des difficultés dans l'accompagnement
des enfants qu'ils suspectaient porteur de Trouble du Spectre Autistique (TSA)
ou de retard dans le développement de l'oralité, dans les cas
où l'enfant se montre mutique ou lors du développement
inégal des deux langages de l'enfant. À travers la recherche
théorique, nous avons pu voir que le bilinguisme précoce
n'amène pas davantage de risque de troubles du langage ou de
l'oralité chez les enfants. Pour autant, nous avons pu noter que la
socialisation et la communication de l'enfant peuvent être
impacté, notamment dans les cas où l'enfant n'a pas encore
développé sa sécurité linguistique et pris
confiance dans l'utilisation des langues apprises.
À la question « Imaginez-vous d'autres
aménagements ou accompagnements possibles au sein de votre structure
pour ces enfants et leurs familles ? », les réponses des
professionnels s'orientent vers la valorisation des cultures et des langues des
familles et de les inclure davantage au sein de la structure
(échange de chansons, mots importants pour l'enfant de la famille
aux professionnels, valoriser et encourager l'apprentissage de la langue
première de l'enfant au domicile, la création d'outils
éducatifs autour des différents langages (premier et second) de
l'enfant, mise en place d'ateliers parent-enfant par l'équipe).
Mais aussi des évolutions internes à la structure avec le
développement de jeux autour du langage et d'en diversifier les langues,
aménager les temps d'accueil des familles pour en dégager plus de
disponibilité et de temps et avoir accès à des formations
professionnelles sur ce sujet et les outils possibles pour les équipes.
En termes d'accompagnement, l'éducatrice rappelle
29
que les propositions sont individuelles. L'idée majeure
reste l'échange avec les familles, de partir d'elle afin d'en
dégager « ses priorités », sa vision de
l'éducation, de ce qui est important pour le parent et ses enfants et
venir comprendre ses pratiques éducatives. Cela permettra ensuite de
pouvoir amener le point de vue des professionnels, leur compréhension du
développement de l'enfant et ses besoins et d'adapter les interventions
auprès de la famille. Une des clés peut aussi être
l'observation conjointe et commentée de l'enfant avec le parent :
pointer ses actions, ses développements pour faire remarquer au parent
son évolution, ses compétences, ses besoins. Un étayage
peut aussi être bénéfique à l'enfant, en multipliant
les acteurs autour de la famille. L'éducatrice rappelle que « la
famille ne peut pas tout faire », en termes de socialisation, d'apport et
d'apprentissage. Notamment dans le cas du bilinguisme précoce, si les
parents ont des difficultés de maîtrise dans la langue du pays
d'accueil. L'étayage peut donc passer par différents acteurs :
les modes de garde et de socialisation (EAJE, Lieu d'Accueil Parent-Enfant,
...), les acteurs de soins et d'éducation (PMI, école).
Pour autant, de par les réponses des professionnels en
EAJE et ce que l'éducatrice fait remarquer, l'interculturalité au
sein des familles est une donnée peu prise en compte dans les
accompagnements mis en place par les différents acteurs. Les
professionnels d'EAJE disent être désarmés et peuvent se
sentir en difficulté pour communiquer et construire la relation de
co-éducation recherchée avec les familles («
obligé d'utiliser Google Traduction », présence
d'un traducteur lors des entretiens avec les familles) ou lorsque ces
accompagnements sont rares par manque d'outils et « mal à
l'aise ». Mais on sait aussi que de par la prise en charge au sein de
la collectivité des crèches, les difficultés à
rencontrer les parents hors des temps d'adaptation ou de transmission
(arrivée et départ de l'enfant), les temps d'échanges
entre familles et professionnels sont difficiles à mettre en place. Au
sein de l'AME et par l'accompagnement très fréquent de familles
issues de l'immigration, des formations sont mises en place en interne et les
professionnels sont sensibilisés et informés sur ce type
d'accompagnement.
2. Données recueillies par l'observation
des familles
À travers les observations recueillies auprès
des familles de l'AME, et présenter en annexe (Annexe 3), j'ai pu
remarquer dans un premier temps l'alternance des langues premières et
secondes au sein de la communication mise en place entre la mère et
l'enfant. Cette alternance est appelée changement de code, soit
le processus de changement de langue lors d'une discussion ou de comportement
communicatif. Dans les deux observations, on
30
remarque que les mères alternent l'utilisation de leur
langue première, puis secondaire pour s'adresser à leur enfant,
dans des contextes différents. Dans l'observation A, la mère
s'adresse à son fils dans un contexte de jeu : Madame s'adresse à
lui en malgache pour jouer, chanter, être proche de lui, le
récupérer lorsqu'il sort de la chambre. Ma présence et le
fait que je ne parle pas malgache la pousse à parler en français,
du moins lors de notre discussion, mais aussi avec son fils, pour
peut-être que je comprenne aussi ce qu'elle lui exprime. Elle
intègre son fils à notre discussion en lui parlant
français, puis reprend un lien qui leur est propre et intime en
s'adressant à lui en malgache. Dans l'observation B, c'est au contraire
dans un contexte d'autorité que la mère utilise sa langue
maternelle (le vietnamien) pour reprendre son fils en colère et dans le
rejet de l'adulte. La présence et l'intervention conjointe à la
sienne d'une éducatrice l'ont sûrement poussé à
utiliser le français dans un premier temps. On voit ensuite, qu'elle
reprend la situation et affirme son autorité en vietnamien. Sa
communication ayant changé et semblant plus sure d'elle et de la
manière dont elle s'exprime ont surement aidé à calmer
l'enfant. Dans les deux cas, on remarque que l'utilisation de la langue est
influencée par le contexte (moment de jeu, colère,
présence des éducateurs, enjeux dans la situation) et du message
transmis à l'enfant. Son utilisation peut aussi ramener la mère
et l'enfant dans une relation de proximité, car leur dialogue n'est
compris que d'eux et leur ai propre. Elle peut aussi être davantage
aisée pour les parents de s'adresser à leur enfant dans la langue
qu'il maîtrise la mieux. Ces observations ne permettent néanmoins
pas une analyse plus poussée des habitudes remarquées dans les
langues premières et secondes des familles, d'autant plus que l'on peut
imaginer que ces habitudes sont propres à chacun.
Dans ces dialogues, on remarque aussi que les enfants
comprennent et sont réceptifs à la langue première de leur
mère dès les premiers mois, signe qu'ils y sont habitués.
Thomas (8 mois) réagit aux comptines malgaches chantées par sa
mère et à ses interpellations. Gabin (3 ans et 4 mois) peut
repérer l'alternance des langues et les comprendre, regarde les objets
nommés et montrés par sa mère en vietnamien. Il
répond en français quand sa mère lui parle.
À travers l'utilisation de la langue et notamment dans
des contextes de tension ou de proximité mère-enfant, on peut
imaginer la valeur portée par les mères à leur langue
maternelle et à leurs transmissions à leurs enfants. Lors de
l'observation A, la mère de Thomas a exprimé l'importance
qu'avait pour elle la transmission du Malgache à son fils, dans le but
qu'il puisse entretenir le lien avec sa famille élargie et par extension
leurs histoires. Elle pointe aussi une notion que nous avons abordée
précédemment : le sentiment de responsabilité
portée par les parents à transmettre et faire apprendre la langue
maternelle
31
aux enfants (« si ce n'est pas moi qui lui apprends,
personne ne le fera. »). Cependant et nous l'avons traité dans
la partie exploratoire, la relation d'un individu ou d'une famille à son
histoire, son origine et sa langue sont propres et intimes. Je ne pense donc
qu'aucune généralité ne peut être faite concernant
ce rapport aux biens culturels portés par la famille.
III. Analyse globale des données recueillies et
réponse à la problématique
En rappel, cette enquête était motivée par
la problématique : « En quoi les professionnels ont une
place et/ou un rôle dans l'accompagnement de l'apprentissage du langage
auprès des familles bilingues, issues de l'immigration ?
». Les hypothèses imaginées en réponse
à cette problématique étaient à condition que :
- 1 : la conformité de l'accompagnement
réalisé avec les attentes, valeurs et idées de la famille
;
- 2 : le respect des besoins de l'enfant, de son
développement et de l'intérêt des actions mises en place
dans son sens ;
- 3 : et à condition que cet accompagnement soit en
accord avec les missions et moyens de la structure ou du (des) professionnel
(s).
En réponse aux hypothèses
énoncées, on remarque que l'hypothèse 1, sur l'importance
de la conformité de l'accompagnement envers les pratiques
éducatives et volontés de la famille, semble se confirmer
d'après les résultats de l'enquête. En effet, les
professionnels interrogés expriment tous l'importance d'investir les
familles dans les accompagnements faits auprès des enfants, peu importe
la structure (EAJE ou AME). Les principales idées sont l'échange
des connaissances entre famille et professionnel (linguistiques, pratiques
éducatives, importance et valeurs portées), des observations de
l'enfant et de son développement et l'importance de connaître les
volontés des parents pour les propositions mises en place par les
professionnels auprès de l'enfant. Avec certaines réponses, on
note aussi l'idée d'impliquer les familles dans les réflexions
menées par les équipes. Une réflexion partagée et
des échanges famille-professionnel peuvent être
bénéfiques dans le but de soutenir le lien parent-enfant, les
transmissions intra-familiales et les pratiques éducatives mise en place
par les parents. Car, comme l'ont montré la recherche théorique
et les observations des familles, chaque famille à sa propre utilisation
des langues, d'autant plus dans le cas du bilinguisme intra-familiale. Cet
investissement de la famille dans les pratiques des professionnels ne peut
être efficient et cohérent avec les attentes de la famille sans la
prise en compte de l'interculturalité et des différences pouvant
exister concernant les pratiques éducatives et les logiques culturelles
entre les familles et les équipes. Auquel cas l'accompagnement risque
32
de ne pas prendre de sens pour la famille et de ne pas
être investis, perdant ainsi ses objectifs et entravant la mise en place
d'une relation de confiance et de co-éducation autour de l'enfant.
L'hypothèse 2, avancée la condition que les
besoins de l'enfant devaient être respectés et les actions
réfléchies dans l'intérêt de son
développement. L'analyse théorique a rappelé l'importance
du développement psycho-affectif et social dans le développement
du langage et donc l'importance de la famille et son investissement
auprès de l'enfant dans cet apprentissage. Lors de l'analyse des
données recueillis par l'enquête, les réponses des
professionnels démontraient avoir conscience de l'importance de la
famille dans cet accompagnement spécifique de la petite enfance. Des
aménagements et des réflexions d'équipe sont mis en place
au sein des structures pour accompagner les enfants bilingues et leurs
apprentissages (aménagement de l'espace, des propositions
éducatives). Cela montre, selon moi, le regard et la volonté des
professionnels à accompagner au mieux les jeunes enfants, en fonction de
leurs besoins et stades de développement. L'étayage au sein de
l'accompagnement de l'enfant et en fonction de ses besoins peut ainsi amener
une partie de réponses. Il peut être bénéfique dans
les cas des retards de développement sont observés, où le
cadre de l'accompagnement par une structure ne permet pas de couvrir tous les
besoins de l'enfant et sa famille. L'étayage peut permettre
l'observation des besoins de l'enfant par différents acteurs et
l'adaptation des accompagnements (éducatif, médical, social) de
l'enfant et/ou de la famille en réponse aux observations et
réflexions pluridisciplinaire menées.
Pour finir, une des conditions imaginées était
que les accompagnements mis en place devaient être en accord avec les
missions et moyens de la structure ou du (des) professionnel (s). En effet, les
structures et professionnels pouvant être amené à
accompagner les jeunes enfants dans le champ de la petite enfance, du
médical ou du social rassemble différents cadres d'interventions,
missions et compétences de par leurs organisations, possibilités,
contraintes et spécialisations. De par ces spécificités,
une structure peut difficilement répondre à tous les besoins du
jeune enfant et sa famille, d'autant plus dans le cas de
l'interculturalité. Ainsi étayer
l'accompagnement en diversifiant les acteurs peut être
bénéfique. Le principe d'étayer permet alors
l'accessibilité à diverses compétences, moyens
détenus par différents professionnels ou institution et
structures. Il permet aussi un regard croisé sur les situations et donc
une réflexion partagée et complémentaire entre les
acteurs. Pour cela, il peut prendre la forme du travail en réseau ou
33
de partenariat entre les structures autour de la famille.
À côté de ça, les professionnels interrogés
expriment leurs souhaits et l'importance d'accéder à des outils
pédagogiques et à des formations en lien avec le
développement du langage et le soutien à la parentalité
dans le cadre de l'interculturalité.
En conclusion, oui, l'accompagnement du développement
du langage par les professionnels dans les situations de bilinguisme
précoce et d'interculturalité me paraît pertinent, si
celui-ci respecte les besoins, les droits des familles et les
compétences de chacun des acteurs ou des structures intervenants dans la
situation. Par la suite, nous verrons comment ces conditions peuvent être
mises en place concrètement au sein de l'accompagnement des familles.
34
PHASE IV : POSITIONNEMENT PROFESSIONNEL
À partir des données et notions amenées
précédemment lors de la recherche théorique et
auprès des professionnels de terrain, je présenterai maintenant
leur mise en pratique au sein de la pratique professionnelle et du
positionnement en tant qu'EJE. Au sein de cette thématique, la
réflexion a été portée sur l'enfant en situation de
bilinguisme, les familles bilingues et issues de l'immigration et
l'accompagnement par les professionnels du champ social et de la petite
enfance. Nous aborderons donc cette partie traitant du positionnement
professionnel en distinguant les actions éducatives et le positionnement
parmi le public (enfant et famille) et les professionnels en fonction des
besoins relatifs au développement de l'enfant et à
l'accompagnement des familles en situation interculturelle.
I. En direction des enfants bilingues,
L'importance de prendre en compte les
spécificités de chaque enfant et de sa famille et de soutenir les
développements de l'enfant dans les accompagnements proposés en
EAJE est soulignée par la Charte Nationale pour l'Accueil du Jeune
Enfant et apparaît dans les projets de service, éducatif et
pédagogique des différentes structures de soutien à la
parentalité et d'accompagnement de la petite enfance. Nous commencerons
donc cette partie sur le positionnement professionnel par les actions
éducatives possibles en direction des jeunes enfants.
Lors de la phase exploratoire et de l'enquête
menée, il a été remarqué que les familles avaient
le sentiment d'être responsable de l'apprentissage de la langue
première de leur enfant, mais aussi que l'accueil de l'enfant au sein de
structure pré-scolaire lui permettrait d'apprendre la langue seconde,
nationale. Apprentissage qui peut s'avérer difficile à
accompagner pour les parents si eux-mêmes ne le maîtrise pas, ou en
ont l'impression. Suivant cette logique, il me parait donc important de pouvoir
répondre à cette attente de la famille envers le milieu de garde
et soutenir l'apprentissage du langage, mais davantage de manière
plurielle, en prenant en compte les deux langages de l'enfant et leurs
apprentissages. Car on sait maintenant l'importance de la mise en place de la
sécurité linguistique pour l'enfant. Dans un premier temps,
l'observation des développements de l'enfant permettra d'ajuster les
actions éducatives qui lui sont proposées. Pour cela, des grilles
d'observations peuvent être mises à disposition des
professionnelles, notamment s'il y a un système de professionnels
référents par enfant en place. Les grilles d'observation
individuelles pourraient se présenter sous la forme d'un tableau avec
plusieurs entrées : avec les stades dans les différents
développements de l'enfant ; et les âges d'acquisition (en mois)
à compléter par le
35
professionnel référent. Une grille d'observation
de ce type est en train d'être mise en place à l'AME (voir annexe
4) dans le but de faciliter les observations par les professionnels, la mise en
place d'un outil clair et précis qu'il sera aussi possible de
transmettre aux mères dans l'idée de les investir aux
observations menées par les équipes sur leurs enfants. L'outil
mis en place comprend tous les développements de la petite enfance, mais
son principe peut être repris dans le but de cibler un
développement précisément, comme le langage, et selon les
objectifs de l'observation. Cet outil permet une observation neutre et
factuelle de l'enfant et son évolution par stades de
développement, en limitant les subjectivités liées aux
représentations culturelles ou personnelles sur l'enfant et ses
développements. Avec les apports de l'observation et en lien avec la
complexité des influences et des évolutions du
développement du langage en situation de bilinguisme précoce, des
accompagnements individuels et sur le long terme me paraissent le plus
approprié. Un accompagnement à long terme permet le suivi des
évolutions faites par l'enfant et d'adapter les actions mises en place
au mieux. L'accompagnement et le soutien au développement langagier de
l'enfant sont possibles de différentes manières et formes. Il
permet de pouvoir étayer les compétences acquises de l'enfant et
les apports reçues dans les différents environnements de
l'enfant. Les accompagnements sont évidements à adapter et faire
évoluer en fonction des besoins des enfants, des familles et des
situations.
Parmi les propositions d'actions éducatives que j'ai
imaginées, j'ai pensé dans un premier temps à la lecture
et aux chants pouvant être associé à des gestes. Ces
pratiques sont connues pour être des outils pédagogiques courants
auprès des jeunes enfants pour favoriser l'acquisition du vocabulaire et
la compréhension de la logique linguistique. La verbalisation par les
adultes peut aussi inciter les enfants à répéter les mots
et les formules de phrases. D'autres actions éducatives peuvent
également être bénéfiques, comme des histoires
racontées par les enfants eux-mêmes ou des livres audio (dans le
but de diversifier les intonations, prononciations entendues par les enfants),
des jeux collectifs ou de coopération, des activités manuelles
(bricolage, jardinage, cuisine), qui favorisent la communication verbale et
non-verbale entre les enfants et avec les adultes. La théorie
socio-culturelle sur l'acquisition du langage défendue par Jean Piaget,
présente cet apprentissage comme imprégné et
interdépendant de l'environnement, des stimulations et des rencontres
avec les langues qui sont proposés à l'enfant. Favoriser
l'écoute et la pratique par l'enfant d'une langue va donc lui permettre
d'appréhender et d'entrainer sa compréhension et son expression.
Des représentations de la diversité par des jeux symboliques
peuvent aussi
36
permettre à l'enfant de s'identifier et de normaliser
les différences au sein du groupe : avec la mise à disposition du
groupe des poupons de phénotypes variées (fille, garçon,
différentes couleurs de peau, handicap ou la représentation des
fauteuils roulants, béquilles, lunettes, ...) ; des livres en plusieurs
langues peuvent aussi avoir cet objectif, en plus du soutien au langage.
Par ces biais, il est donc important d'inclure le langage
premier de l'enfant dans la vie quotidienne de la structure. Afin de soutenir
les apprentissages linguistiques propres à la famille de l'enfant, les
reconnaitre et les valoriser. Pour cela, les professionnels peuvent apprendre
les mots forts ou fréquents de la langue maternelle de l'enfant et les
utiliser dans les interactions quotidiennes. L'utilisation d'outils
pédagogiques tels que des imagiers bilingues peuvent également
aider à renforcer le langage maternel de l'enfant et à favoriser
son investissement dans la langue seconde. Pour faciliter la communication et
la confiance de l'enfant lorsqu'il s'exprime, d'autres pratiques
éducatives et actions peuvent être pensés comme
l'utilisation du picto-langage, de langue des signes bébés. La
reconnaissance des compétences de l'enfant et des
spécificités de la famille vont ainsi l'aider à construire
sa sécurité linguistique.
Enfin, l'accompagnement du développement langagier des
enfants bilingues précoces et issus de familles migrantes demande une
approche globale et personnalisée, qui intègre les
spécificités de chaque enfant et sa famille. Les actions
éducatives mises en place peuvent s'appuyer sur la volonté
d'imitation et la curiosité naturelle de l'enfant pour favoriser son
développement linguistique.
II. En direction des familles bilingues et issues de
l'immigration,
Après avoir abordé l'accompagnement
imaginé auprès des enfants dans le but de favoriser leur
développement langagier et de soutenir leur construction individuelle,
nous aborderons les accompagnements pensés en direction de la famille
suite aux données récupérés lors de la recherche.
Ma vision actuelle est que, dans le but d'accompagner les familles migrantes,
la prise en compte des spécificités liées à
l'intégration dans le pays d'accueil et l'interculturalité est
essentielle pour garantir un accompagnement respectueux et en accord avec la
réalité des familles.
Dans un premier temps l'inclusion des familles au maximum dans
les divers accompagnements réalisés (santé, social,
médico-social). Cette inclusion peut prendre la forme de la transparence
et l'échange des informations entre professionnels et familles. La
37
loi 2002-2, rénovant l'action sociale et
médico-sociale, réaffirme les droits des usagers dans les
accompagnements mis en place, notamment leur investissement et la
reconnaissance de leurs droits et libertés. La charte nationale du
soutien à la parentalité (2022) rappelle aussi qu'un des
principes devant être mis en place et l'accompagnement des parents en
intégrant « toutes les dimensions et l'ensemble du contexte de
la vie familiale » (Charte nationale du soutien à la
parentalité, principe 3). Ne pas respecter, écouter ou prendre
compte les volontés des familles concernant leur enfant et la mise en
place du principe de co-éducation revient donc à ne pas prendre
en compte les recommandations et le cadre législatif et éthique
mis en place au niveau national.
Concrètement, l'inclusion des familles peut se faire
à travers le principe de l'empowerment. L'empowerment a pour
but de remettre au coeur des actions, notamment sociales, « la
capacité des individus et des collectivités à agir pour
assurer leur bien-être ou leur droit de participer aux décisions
les concernant » (Simon, 1994). Ce principe a été
pensé à l'origine dans le cadre de l'intervention sociales
auprès des personnes dites vulnérables aux Etats Unis, puis
démocratisé à l'échelle internationale. Par son
utilisation, l'objectif est la mise en place d'un travail de collaboration
autour de buts communs entre professionnels et usagers. Les usagers ont toute
leur place dans les réflexions, projets qui sont mis en place pour leur
situation. Ce faire avec incite donc davantage et pousse les familles
et les professionnels à échanger leurs points de vue, valeurs et
les enjeux de chacun dans le but d'une co-construction où l'usager est
acteur. Pour cela différents moyens sont possibles, et sont à
adapter en fonction des situations rencontrées, objectifs, contraintes
et possibilités. Une possibilité serait la mise en place ou
l'aménagement de rencontre entre usager et professionnel : que ce soit
l'aménagement de l'espace, de la temporalité des rencontres,
leurs objectifs et leurs formes (entretiens, temps d'échanges, informel,
...). Notamment la définition d'objectifs clairs par les parents et les
équipes dans l'accompagnement de l'enfant et du soutien à la
parentalité, dans le but de définir un fil conducteur aux
situations éducatives, mettre en place et consolider le travail de
co-éducation et de médiation. Un exemple de contrat d'accueil,
d'accompagnement est mis en place au sein des structures de garde
pré-scolaire au Québec, appelé le dossier personnel.
Il précise les besoins, les demandes des familles et les objectifs
formulés.
Dans un second temps, je pense important la reconnaissance de
l'interculturalité au sein de l'éducation familiale et le respect
qui lui est porté au sein de la structure d'accompagnement ou de garde.
Une idée qui m'a marqué, prononcé par Serge Bouznah
38
lors d'une conférence autour de la
psychothérapie transculturelle (2023) est de « Suivre l'autre
là où il est ». Il a aussi insisté sur la notion
de discuter d'un monde à l'autre rappelant les
différents systèmes de pensées, de logique culturelle
pouvant exister et la nécessité de prendre en compte cela dans le
but de collaborer avec les usagers. Et par cette vision des différences
existantes entre les cultures, élaboré le « regard
culturisé » (Petite enfance, migration et diversité
(2014). Page 33.) des professionnels qui a son importance dans
l'accompagnement du plurilinguisme de l'enfant et dans la relation avec les
familles. Il paraît plus difficile pour les familles issues de la
migration de prendre place lors de leur accueil de leur enfant en milieu
préscolaire et scolaire (Petite enfance et migration, 2014).
D'une part par peur de mal faire, d'un sentiment d'illégitimité
ou d'impuissance à amener les compétences à leurs enfants
en comparaison aux professionnels. Pour autant, les parents interrogés
exprimaient l'envie et démontraient de l'intérêt pour
l'accompagnement fait auprès de leurs enfants et leurs
évolutions. Pour éviter cette mise à l'écart il est
nécessaire, selon les études présentées dans cet
ouvrage, d'inclure les familles dans les réflexions, décisions
faites. D'autant plus que la situation d'interculturalité implique des
pratiques éducatives souvent différentes qu'il est
nécessaire pour les professionnels d'intégrer dans le soutien
à la parentalité réalisé afin qu'il soit le plus
juste et efficace. Cette reconnaissance des différences
éducatives peut aussi s'exprimer par la valorisation, la volonté
de comprendre et d'échanger des professionnels envers les pratiques et
les valeurs des familles. Cet échange est dans le but d'un travail de
collaboration respectueux du cadre de référence de l'enfant et
ainsi de la sécuriser affectivement et linguistiquement.
III. Et en direction des professionnels du champ
social et de la petite enfance Lors de la recherche, nous avons pu
noter que la majorité des professionnels, notamment ceux exerçant
dans le champ de la petite enfance comme les structures EAJE, travaillent
rarement avec des familles issues de l'immigration mais peuvent davantage
rencontrer des situations de bilinguisme précoce. Le questionnaire
démontrait aussi que des difficultés dans l'oralité de
l'enfant peuvent être associé au bilinguisme, ou présentait
les relations avec les familles issues de l'immigration comme « difficile
» de par la communication ou l'entrée en relation. Cette
méconnaissance s'explique surement de par le peu de rencontres des
professionnels avec ces familles mais peut être aussi par un manque
d'informations lors des formations diplômantes de la petite enfance ou
lors des formations internes aux structures.
Les professionnels EJE exerçant au sein d'EAJE portent
des missions relatives à l'équipe comme des apports
théoriques en lien avec les enfants accueillis, proposer des
réflexions
39
d'équipe sur les pratiques en places au sein de la
structure et peuvent être à l'initiative des projets
d'accompagnements. En tant que professionnelle EJE, au sein de structures EAJE
ou autres, une des actions possibles et la sensibilisation et l'information des
professionnels sur la question du bilinguisme précoce afin
d'éviter les inquiétudes, incompréhensions des
professionnels autour de l'enfant et de favoriser un accompagnement efficient
et prenant en compte les spécificités et enjeux de la situation.
Notamment un accompagnement et un positionnement par l'équipe comme
personne ressource et soutien pour la famille pouvant faire face
à des incertitudes et questionnements. Mais aussi informer les
professionnels sur les enjeux d'un accompagnement en situation
d'interculturalité, l'importance d'inclure la famille, ses valeurs et
pratiques dans les propositions faites à l'enfant au sein de la
structure. Pour cela, il sera possible de passer par différents outils
de communication et d'information en direction des professionnels : comme
l'apport d'informations lors de formation interne à la structure, de
réunion ; la mise en place d'une communication écrite (affiche,
mise à disposition d'articles, livres) sur le sujet, ses enjeux et les
outils possibles lors de l'accompagnement des familles par les professionnels.
En plus de la sensibilisation des équipes, l'enquête a
démontré le besoin d'étayer les apports et les acteurs
présents autour de la famille. En effet, les divers besoins de l'enfant
et sa famille nécessitent parfois l'intervention d'équipe
formée et/ou spécialisée et ayant les moyens humains,
matériels nécessaires à une intervention efficace. Cet
étayage peut donc prendre la forme d'un travail en réseau ou en
partenariat avec des institutions spécialisées sociales,
médicales ou médico-sociales (orthophoniste, CMPI, PMI,
école maternelle/primaire, LAEP, association de famille,
...)8 ou des acteurs culturels comme les Centre Social,
bibliothèques, MJC. Ces acteurs très divers peuvent
répondre notamment à des besoins de socialisation de la famille,
d'éveil pour l'enfant, ou d'accompagnement et de soins en cas de
difficultés ou de troubles de développement.
Lors de cet écrit et au sein des textes scientifiques
ou législatifs cadrant l'accompagnement des enfants et des familles, il
est rappelé la nécessité de placer la famille au coeur des
réflexions et propositions faites par les professionnels. Pour autant,
les études présentées précédemment ont
démontré les difficultés des familles à investir et
prendre place au sein des accompagnements faits pas les structures. Ces
difficultés peuvent venir de
8 Centre Medico Psychologique Infantile (CMPI) ; Protection
Maternelle Infantile (PMI) ; Lieux d'Accueil Enfant Parent (LAEP) ; Maison de
la Jeunesse et du Citoyen (MJC)
40
multiples facteurs : fonctionnement de la structure, situation
familiale, enjeux de l'accompagnement, positionnement des équipes,
représentation des familles sur l'accompagnement fait ou leur
compétences et place en son sein, ... L'interculturalité comme
elle a été citée plutôt peut rendre difficile la
mise en commun entre famille et professionnel autour des objectifs et des
actions éducatives envers l'enfant. J'aborderai donc différentes
stratégies éducatives autour du langage et méthodes de
travail et de réflexion en direction des professionnels lors de
l'accompagnement interculturel.
Dans un premier temps, la notion de translangaging
(TL), ou l'intercompréhension, est une notion utilisée
dans les recherches portant sur le bilinguisme et dans les contextes
éducatifs ou scolaires. Cette notion d'abord pensée au sein des
classes Galloises puis défini en 2001 par Baker et Garcia en 2014, est
en constante évolution et soumis à différentes
compréhensions. L'idée principale reste l'apprentissage ou
l'utilisation de plusieurs langues par un individu dans un même contexte
(compréhension et/ou expression, réceptivité et/ou
production). (Reisner, Christina & Schwender, Philipp. (2020)). Notamment
l'articulation des langues et des apprentissages en en multipliant les
approches. Le changement de code, abordé lors de l'analyse des
observations des familles, est aussi en lien avec cette notion de TL.
L'orientation du TL a évolué vers la pratique linguistique mais
aussi « la construction du sens » chez les enfants ou
personnes bilingues (Reisner, Christina & Schwender, Philipp. (2020).
Translanguaging et intercompréhension -deux approches à la
diversité linguistique?. Page 210). Cette évolution permet donc
l'ouverture de la pratique hors du cadre scolaire (avec l'utilisation de
plusieurs langues au sein d'une même classe) et porte attention aux
processus cognitifs et sociaux en jeu dans ces apprentissages. L'apprentissage
de deux langues en même temps et son efficacité reste un point de
questionnement parmi les chercheurs en linguistique et n'est pas reconnu de la
même manière selon les approches et les modes éducatifs.
Pour autant, la notion de TL peut être observé dans de nombreuses
régions du monde, notamment des pays où plusieurs langues
nationales ou régionales cohabitent (exemple : le Maroc où
l'arabe et le français sont maitrisés conjointement par une
grande majorité de la population). Il est ainsi reconnu que les
personnes bilingues peuvent naviguer entre les langues et leurs
compétences linguistiques, et donc avoir accès à
différentes compétences et modes de communications au sein de
langues différentes et autonomes dans le but de rendre leur
communication plus efficace et d'en augmenter le potentiel. (Garcia, 2009)
41
Maintenant, parmi les différentes pratiques
professionnelles autour de l'interculturalité et de l'accompagnement des
personnes étudiées et réfléchis nous aborderons
d'abord les modèles de travail social selon Bolzman. Claudio
Bolzman9 a identifié différents modèles
d'interventions au sein de la pratique des travailleurs sociaux en lien avec
les populations migrantes (Bolzman, C. Modèles de travail social en
lien avec les populations migrantes : enjeux et défis pour les pratiques
professionnelles. 2009). Il présente ainsi cinq modèles de
travail social, souvent inconscients chez les professionnels. Le modèle
réparateur-assimilationniste : l'idée que les personnes migrantes
ont des manques ou des déficits à combler, avec la perspective
pour le professionnel de venir les réparer et de renforcer les
ressources des familles. Le modèle ethnoculturel, prend en compte la
culture de l'individu ou du groupe, en lien avec son origine et son histoire de
vie et nécessite dans ce cas une bonne connaissance de la culture et du
parcours de vie. Le modèle communautaire se base sur les similitudes du
parcours de vie (origine, événements marquants, traumatismes)
pour expliquer les problématiques communes rencontrées par les
personnes migrantes. Le modèle interculturel prend appui sur la
pluriculturalité et la complexité de l'environnement des
personnes, tout en valorisant le vivre ensemble et les ressemblances.
Et le modèle antidiscriminatoire pointe la discrimination et le
traitement inégal au niveau du statut juridique et de l'accès aux
droits en rapport avec les autochtones, mais s'intéresse moins à
la question culturelle. Chaque modèle aborde l'accompagnement des
personnes migrantes selon différentes perspectives, priorités et
valeurs et sont souvent utilisés conjointement. Ils sont aussi en lien
avec la dynamique de la société dont les politiques
d'immigration, des structures et institutions et l'évolution des
populations et des flux migratoires.
Une autre méthode utilisée pour analyser les
différences culturelles est celle des chocs culturels mise en
place par Margarlit Cohen-Emerique10. Cette méthode s'appuie
sur l'observation et l'analyse lors d'une interaction entre personnes ayant des
cadres de références culturels différents
(Introduction à la méthode de M.Cohen-Emerique & Mdash
; Prismes, 2020). L'observation se base alors sur les manifestations
visibles de la culture chez les professionnels et les usagers, et l'analyse de
la partie invisible de la culture. Elle pour but d'installer une
meilleure compréhension chez les professionnels des réactions,
choix chez les personnes accompagnées. Il y a trois étapes : tout
d'abord la décentration (prendre
9 Claudio Bolzman : sociologue, Professeur à la
Haute école de Travail Social et de sociologie à Genève
10 Margarlit Cohen-Emerique (1932- ) : docteure en
psychologie clinique et sociale, française.
conscience du cadre culturel personnel : codes, valeurs,
croyances) ; la découverte du cadre de référence de
l'autre (prendre connaissance des valeurs, modèles culturels de
l'autre et qui influencent ses comportements et réactions) ; puis la
négociation (dans le but de trouver une solution au
problème concret en ayant conscience des influences du
référentiel culturel de chacun des acteurs). Durant ces
étapes, les compétences clés sont l'observation de soi et
de l'autre et des valeurs en jeu, la curiosité envers une culture qui
est inconnue au professionnel, l'écoute et la communication. Mais aussi
la nécessité pour le professionnel de pouvoir comprendre l'autre,
ce qui est un des buts de cette méthode, comme de se comprendre
soi-même et ses propres blocages et/ou réactions à la
situation présentée. Cette méthode correspond à une
des formes de la négociation culturelle.
Il existe de nombreuses autres méthodes et
stratégies en direction des professionnels pour accompagner les publics
et l'interculturalité. Une autre méthode marquante dans le champ
de la santé et notamment la santé mentale est la
psychothérapie transculturelle, présentée par
Marie Rose Moro11 dans l'ouvrage « Guide de
psychothérapie transculturelle » (2020). Cette
psychothérapie s'inscrit dans les parcours de soins qui peuvent
être proposés aux migrants notamment les enfants et adolescents en
se basant sur l'anthropologie, la psychanalyse et la thérapie familiale.
Elle prend la forme d'échanges et de réflexion commune lors d'une
synthèse réunissant l'usager et sa famille et d'un
groupe pluridisciplinaire composé des professionnels acteur
auprès de l'usager (thérapeutes, professionnels du médical
ou du social). Elle a pour but de rechercher des solutions et comprendre
certaines situations devenues complexes, en lien avec l'interculturalité
(incompréhension, différences de systèmes de croyances,
mise en lien de l'histoire de la personne avec les événements
vécus actuellement, ...). Cette méthode de négociations
culturelle s'appuie sur les travaux de Devereux (1968) portant sur
l'ethnopsychanalyse et utilisé comme base à la perspective
transculturelle.
Par la présentation et la connaissance de ces
méthodes, il est possible d'engager des réflexions
d'équipe sur les accompagnements mis en place, leur efficacité et
les mécanismes inconscients qui se jouent chez les professionnels. Mais
aussi pouvoir réutiliser des principes existants et les adapter en
fonction des besoins de la situation. Ce point peut permettre, à mon
sens, de questionner les accompagnements déjà en place dans le
but d'une meilleur compréhension des enjeux personnels et
institutionnels existants.
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11 Marie Rose Moro (1961- ) : pédopsychiatre,
professeure en université en psychiatrie de l'enfant,
française.
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