B - Les lacunes organiques
Malgré l'effort consenti, le système
organisationnel nigérien reste encore lacunaire. Le système
suivant lequel les Cours et Tribunaux sont organisés au Niger constitue
des facteurs qui limitent sérieusement la protection des droits
fondamentaux. C'est
252 Le pluralisme juridique se caractérise par une
pluralité de sources de droit interne applicables simultanément
et concurremment aux mêmes matières.
253 Voir rapport du comité de l'enfant pour le Niger du 20
novembre 2008, p. 15.
254 Le code civil applicable au Niger est le code civil
français dans son état de 1960, seulement quelques modifications
avaient été enregistrées lors de la révision en
2003.
255 Selon le doyen Carbonnier, la coutume « est une
règles de droit qui s'est établie par pratique
répétée des sujets. C'est du droit qui est
constitué par l'habitude »
256 Boubacar HASSANE, «
Prolégomènes à une éventuelle réforme du
droit du divorce au Niger », loc. cit., p. 128.
257 Boubacar HASSANE (dir), Projet de
recherche sur la rupture du lien matrimonial en Afrique de l'Ouest, Institut
Danois des droits de l'Homme, Etude sur le Niger, op.cit., p.
6.
258 Boubacar HASSANE, «
Prolégomènes à une éventuelle réforme du
droit du divorce au Niger », loc. cit., p. 128.
259Idem.
260 Ibid., p. 30.
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ainsi que les modalités de l'installation
géographique de ces juridictions sur le territoire national a eu pour
conséquence de rendre la justice peu accessible à la
majorité de citoyens.
Au Niger, comme un peu partout en Afrique, la justice se
trouve éloignée des justiciables261. En effet les
juridictions se trouvent en majorité concentré dans la capitale
et dans les principaux centres urbains. Cette situation place du coup, les
populations dans l'obligation de parcourir des centaines voire des milliers de
Kilomètres avant de pouvoir espérer saisir le juge. Plusieurs
localités ne disposent pas encore de juridictions.
En outre, le département d'État des États
Unis explique dans le rapport sur la traite des personnes au Niger, les
victimes de la traite n'ont pas accès à la justice car elles sont
souvent mal informées sur leurs droits et manquent des capacités
et ressources financières nécessaires au déclenchement
d'action légale contre ceux qui les exploitent262. Ce rapport
ajoute que les affaires de traite pendantes devant les tribunaux n'ont connu
aucun progrès en 2016 et que les ONG ont critiqué cette
insuffisance liée à la lenteur des poursuites judiciaires en la
matière263. Malgré tout, peu d'agresseurs sont
poursuivis devant la justice264.
Les obstacles au jugement liés au traitement des
affaires qui se déroulent souvent dans la sphère privée,
loin de tout témoin en dehors de la famille et l'alerte tardive. Le
certificat médical exigé comme pièce maitresse, alors que
la femme victime a parfois énormément de difficulté
à faire face au coût265. Il est à noter que la
méconnaissance des différents contours des violences faites aux
femmes et aux jeunes filles par les structures judiciaires et
extrajudiciaires266, la non existence ou la faiblesse des
dispositifs d'accompagnement267.
261 Il s'agit d'un éloignement matériel qui ne
profite pas aux personnes vulnérables, en ce sens que l'installation des
Cours et Tribunaux met la justice en dehors de la portée des
justiciables.
262 Voir rapport Global de Suivi, op, cit., p.
34.
263 Ibidem
264 Voir rapport Global de Suivi, op, cit., p.
11.
265 Cf. Odile Ndoumbé FAYE, op,
cit.,, p. 61.
266 Ibid., p.59.
267 Notamment, des structures d'accompagnement psychologique,
économique des victimes et d'évaluation du préjudice.
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L'impunité institutionnalisée à travers
la notion de « puissance maritale », qui est souvent assimilée
à l'autorité et à l'exercice de sévices corporels,
au pouvoir conféré à l'homme de redresser les torts de son
épouse au Niger268. La faible vulgarisation des textes de
lois qui protègent les femmes en générale et les victimes
en particulier. Le faible accès des femmes à la
justice269, combiné à l'inefficacité de
l'application des lois270, et l'exécution des
décisions de justice font que le dispositif intentionnel demeure encore
lacunaire.
Par ailleurs, il faut souligner les obstacles amputables aux
acteurs de la société civile avec l'absence d'étude sur
les violences faites aux personnes vulnérables pose un sérieux
problème aux organisations de la société
civile271.
En outre, certains organes supranationaux, notamment la Cour
africaine de justice des droits de l'homme et des peuples n'offre pas une
protection efficace aux victimes. En effet, la question de l'accès des
individus voire des ONG à la Cour suscite beaucoup d'inquiétudes
quant au recule qui la caractérise. En plus des conditions
prévues à l'article 34 du protocole de Ouagadougou de 1998, une
condition supplémentaire vient corseter la possibilité de la
saisine de la Cour par les individus et les ONG. Cette fameuse condition se
trouve à l'alinéa 6 de l'article 34 du protocole de Ouagadougou,
qui prévoit qu'un État partie peut, au moment de la signature, du
dépôt de l'instrument de ratification ou d'adhésion ou
à toute autre période après entrée en vigueur du
protocole, faire une déclaration acceptant la compétence
contentieuse de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des
personnes physiques et ONG accrédité de l'Union272. A
défaut de cette acceptation de compétence, la saisine de la Cour
ne peut être envisagée par des individus et les ONG
accrédité par l'Union273.
Il est regrettable à ce niveau que les États
n'aient pas ouvert la possibilité aux individus et ONG de saisir
directement la Cour à l'image de la Cour de justice de la CEDEAO et de
la Cour européenne des droits de l'homme. S'agissant de la Cour de
268 Cf. Odile Ndoumbé FAYE, op,
cit., p. 59.
269 Idem.
270 Le Code penal et le Code civil
271 Cf. Odile Ndoumbé FAYE, op,
cit.,p. 64
272 Cette disposition de saisine figure aussi
à l'article 36 alinéas 4 du protocole portant création de
la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.
273 Saidou NOUROU TALL, op.
cit., p. 389.
justice de la CEDEAO, sa spécifique repose sur une
saisine directe qui n'exige pas que les voies de recours internes soient
été épuisées pour qu'une plainte soit puisse
être recevable274.
Quant à la Cour européenne des droits de
l'homme, conformément à l'article 34275, de la
convention européenne des droits de l'Homme276, elle a
compétence pour recevoir des requêtes individuelles obligatoires
et cette compétence vaut pour les États parties, sans exiger une
déclaration de reconnaissance de cette compétence
contentieuse.
En somme, on s'aperçoit que la saisine de la cour par
les individus et les ONG accréditées est réduite et
soumise au bon vouloir des États277, qui décident ou
non de faire une déclaration d'acceptation de la compétence
contentieuse de la cour pour permettre à ces derniers de porter une
affaire devant la Cour278.
En outre, il faut souligner l'intervention tardive de
certaines agences internationales, notamment l'UNICEF, pour n'avoir pas su
développer les programmes d'intervention prenant en compte la
responsabilisation progressive et définitive des États en ce qui
concerne la protection effective des enfants vulnérables, aussi pour
avoir fait le choix de financer des projets à court terme des
ONG279. A mis chemin des insuffisances objectives, se trouve celles
subjectives.
274 Voir pour une application : cour de justice CEDEAO, MANI
Hadidjatou c. Niger, arrêt du 27 octobre 2008, ECW/CCJ/JUD/06/2008.
275 La Cour « peut être saisie d'une requête
par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout
groupe de particuliers qui prétend victime d'une violation d'une
violation par l'une des hautes parties contractantes des droits reconnus dans
la convention ou ses protocoles »
276 Adoptée le 04 novembre 1950 et entrée en
vigueur le 3 septembre 1953.
277 On ne peut que regretter que le statut de la Cour africain
de justice des droits de l'homme et des peuples n'autorise les individus et les
ONG à saisir directement la cour que moyennant autorisation
préalable des Etats. Cette condition restreint considérablement
la portée de la protection accordée aux personnes
vulnérables et empêche de lutter efficacement contre
l'impunité. Le législateur de la Cour africaine aurait dû
s'inspirer de la technique déployée par le législateur de
la Cour interaméricaine des droits de l'homme en matière de
compétence personae. En effet, cette Cour exerce sa compétence
tant à l'égard des pétitions individuelles que des
communications interétatiques qui lui sont déférés
par la commission. Le système contentieux interaméricain repose
sur un mécanisme en deux étapes qui oblige le
pétitionnaire à saisir la commission interaméricaine qui,
en cas d'échec de cette première phase de la procédure,
transfert le cas à la Cour interaméricaine.
278 Il faut déplorer que les États africains ont
su avec habilité verrouiller l'accès à la Cour aux
individus et ONG qui constituent d'ailleurs les boucliers ou requérants
principaux en matière de protection des droits de
l'hommes.
279 Sakinatou BELLO, op.cit.,
p.212.
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