I. Les limites de l'utilisation des individus
biculturels dans la gestion des conflits
A. Les facteurs avec lesquels les individus biculturels
doivent composer
Malgré leurs multiples qualités pour les
équipes multiculturelles, les compétences managériales
biculturelles peuvent être influencées par diverses questions.
Tout d'abord, Latukha et al. (2020) soulignent que le
contexte du pays d'accueil est susceptible d'avoir un impact
considérable sur la transmission des pratiques de gestion des ressources
humaines du siège aux filiales.
Ensuite, les compétences des managers biculturelles
sont susceptibles d'être influencées par leur développement
personnel. L'intégration identitaire, la psychologie et les influences
socioculturelles sont autant de facteurs de différentiation potentiels
(Hong, 2010 ; Kane & Levina, 2017).
Les compétences managériales des biculturelles
peuvent également être impactées par un manque
d'opportunités ou de soutien, qui peuvent limiter leurs effets (Kane
& Levina, 2017 ; Roberts & Beamish, 2017).
Le premier soutien nécessaire aux individus biculturels
dans la résolution des conflits intra-organisationnels est bien entendu
la direction générale du groupe. Le biculturel ne peut être
réellement efficace que s'il est encouragé et soutenu par cette
dernière, cela lui conférant une légitimité
organisationnelle ambidextre (Schotter & Beamish, 2011). Sans ce soutien,
il semble que même la présence d'individus biculturels ne permet
pas une communication efficace entre les différentes entités. Les
externalités négatives des conflits peuvent être
réduites si la direction du siège les identifie et les
gère activement. Cependant, il convient de mesurer l'implication de
la
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direction dans la prévention des conflits, qui sont
parfois inévitables, afin de ne pas être contreproductif.
Finalement, le style de management de l'entreprise est
primordial pour l'épanouissement des biculturels à des postes
clés dans la résolution des conflits. Ainsi, selon si les
individus sont choisis en fonction de leurs capacités ou en fonction de
leur position hiérarchique, les biculturels auront plus ou moins de
chance d'arriver aux postes adéquats à l'exploitation optimale de
leurs compétences.
B. Les solutions alternatives aux individus biculturels
La culture organisationnelle peut être un facteur
important lors de la résolution des conflits. Selon Pothukuchi et
al. (2002), son influence peut dépasser celle des cultures
nationales dans les relations entre siège et filiale. Le passeur de
frontière peut utiliser la culture organisationnelle comme
système de référence commune. Ainsi, les situations
conflictuelles ou stéréotypées peuvent être
réduites (Chevrier, 2004 ; Karjalainen, 2007), ce qui conduirait
à améliorer les relations entre siège et filiales (Viegas
Pires, 2008). On remarque toutefois que la culture organisationnelle d'une
multinationale est influencée par la culture nationale du pays
d'origine, où se situe en général le siège (De
Meier, 2010 ; Hofstede, 2001). Cette culture organisationnelle pourra donc
évoluer et être réinterprétée selon les pays
où se situent les différentes filiales (d'Iribarne, 2009). Si
l'utilisation de la culture organisationnelle est un bon outil pour
fédérer les individus, des malentendus culturels peuvent donc
persister (Chevrier, 2004 ; Karjalainen, 2007).
Dans leurs recherches de 2020, Lo et Tan mettent en avant le
fait que l'utilisation d'une langue et d'une culture communes facilitent la
création de liens et de connexions entre le siège et les
filiales. Les investissements sont donc facilités (Hou, 2002), notamment
dans le développement et l'implantation de nouvelles filiales. Une
langue et une culture communes permettent également une meilleure
fluidité dans la gestion des négociations au cours d'un
conflit.
Le développement d'une culture professionnelle (ou
culture fonctionnelle) permet de surmonter la barrière de la langue
(Harzing et al., 2011) et les différences culturelles. Ainsi,
les individus exerçant les mêmes professions peuvent plus
facilement se comprendre grâce à l'utilisation d'une langue
fonctionnelle. Par exemple, Harzing et al. ont constaté dans
leur étude de 2011 que les
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ingénieurs pouvaient surmonter de manière
informelle la barrière de la langue en utilisant des dessins et des
chiffres pour exprimer leurs idées. Permettre une communication directe,
sans intermédiaire, entre des personnes occupant le même poste, ou
un équivalent, entre filiale et siège permet donc de faciliter la
compréhension entre les deux entités. Dans ce cas,
l'intérêt de l'individu biculturel reste limité.
De plus, certains chercheurs ont mis en avant le fait que
l'apparition d'un objectif commun permettrait aux équipes de surmonter
leurs différences culturelles et faciliterait des communications
cordiales (Erez & Gati, 2004 ; Shokef & Erez, 2008).
Certaines études soulignent le rôle du leader
charismatique dans la cohésion globale d'une entreprise (Mayrhofer &
Barmeyer, 2009 ; Mayrhofer, 2015). Ainsi la culture d'entreprise se forme
autour de la personnalité ou des idées d'un seul individu, qui
incarne d'une certaine façon l'ensemble des valeurs défendues par
le groupe. Mark Zuckerberg, Steve Jobs ou encore Elon Musk sont autant
d'exemples de leaders qui ont su fédérer leurs collaborateurs
autours de leurs idées. Les individus travaillant dans les filiales de
Facebook, Apple ou Tesla ont donc développé un sentiment
d'appartenance au groupe forgé autour de leur leader historique.
L'utilisation d'outils de gestion, tels que le DFVT, Document
de Formalisation des Valeurs au Travail (Antheaume & Saleh, 2020 ; Hatchuel
& Weil, 1992) est également un moyen de gérer les
différences culturelles pouvant survenir entre siège et filiale.
Antheaume et Saleh soulignent toutefois que le DFVT est souvent
décrié concernant son influence limitée sur les
comportements et sa volonté excessive de contrôle.
Finalement, on notera que confier la direction des filiales
à des individus natifs des pays d'implantation ou encore
internationaliser le bureau de direction sont des solutions pouvant
également être envisagées par les multinationales.
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
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