IV. Le rôle clé du biculturel nommé
à la direction d'une filiale.
Le dirigeant biculturel est identifié comme un
boundary spanner potentiel dans la littérature (Beechler et
al., 2004 ; Ernst & Chrobot-Mason, 2011 ; Schotter & Beamish,
2011). Schotter et Beamish (2011) vont même jusqu'à estimer qu'un
directeur de filiale est plus efficace en tant que passeur de frontière
que les autres membres de son équipe. En effet, ses décisions
auront tendance à être guidées par sa personnalité
individuelle et ses antécédents professionnels sans être
influencées par un intérêt financier. Le directeur de
filiale biculturel sera donc moins susceptible de s'aligner sur le
siège, comme le suggère la théorie de l'agence3
(Eisenhardt, 1989), et défendra mieux les intérêts de la
filiale.
A. Le directeur de filiale a un fort pouvoir
décisionnel à la fois sur le siège et sur la filiale
Le directeur de filiale est un élément
clé de la relation entre siège et filiale, puisqu'il
possède en général un fort pouvoir décisionnel. De
plus, Ambos et al. (2019) estiment que le degré d'influence du
directeur de filiale sur les décisions du siège a un fort impact
sur les conflits d'objectifs et sur le niveau d'autonomie accordée par
le siège.
3 La théorie de l'agence formulée par
Eisenhardt en 1989 étudie l'asymétrie d'information ainsi que les
divergences d'intérêt et de motivation qui peuvent exister entre
deux parties.
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L'issue d'un conflit au sein d'une même entreprise
dépend de l'utilisation des différents pouvoirs mobilisés
pour les résoudre. Ainsi le directeur de filiale peut s'appuyer sur le
pouvoir organisationnel et sur le pouvoir de gestion individuel. Le pouvoir
organisationnel dépend de la maitrise d'une zone d'incertitude. Crozier
et Friedberg (1977) définissent un acteur stratégique comme
étant un individu maitrisant au moins en partie une zone d'incertitude
importante pour l'entreprise. Par exemple, le fait que le directeur de filiale
puisse comprendre la culture et les motivations du siège et de la
filiale lui permet d'anticiper les réactions des différents
acteurs. Le pouvoir individuel, quant à lui, est divisé en six
catégories par French et Raven (1959) :
- Le pouvoir légitime qui s'appuie sur les positions
hiérarchiques des individus ;
- Le pouvoir de récompense qui passe par l'attribution de
récompenses ou la suppression de
sanctions ;
- A l'inverse, le pouvoir coercitif qui est obtenu en appliquant
des punitions ;
- Le pouvoir d'expert, obtenu grâce à la maitrise de
certaines compétences ou connaissances ;
- Le pouvoir de référence, découlant de
l'admiration portée par des individus ;
- Le pouvoir d'information, enfin, qui peut concerner le
contrôle de l'information ou la capacité
perçue d'acquérir des informations en
période d'incertitude organisationnelle.
Schotter et Beamish (2011) mettent en avant que les managers
ayant un rôle de passeur de frontière ont tendance à
utiliser leur pouvoir personnel plutôt que leur pouvoir fonctionnel.
Ainsi on peut en déduire que les directeurs de filiale biculturels
préfèrent en général s'appuyer sur des pouvoirs
d'information et de référence ou sur une légitimité
informelle et évitent d'utiliser leur pouvoir hiérarchique formel
ou de mettre en place des systèmes de récompenses ou de
sanctions.
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