MEMOIRE DE MASTER 2019-20
Gestion des conflits entre siège et filiale
:
l'intérêt des individus
biculturels
Cassandre THIERRY
Majeure International Business
1115093
Mémoire encadré par : Alexandre BOHAS
RÉSUMÉ
Au sein des multinationales, l'apparition de barrières
culturelles peut engendrer des situations de conflit entre le siège et
ses filiales. Nous nous intéressons dans le présent document
à l'intérêt des individus biculturels dans la
résolution de ces conflits. Les biculturels sont en effet
considérés comme des passeurs de frontière
privilégiés, qui permettent de créer des liens entre
siège et filiale. Cependant, leur rôle varie en fonction de la
structure organisationnelle de l'entreprise. Parmi les individus biculturels
facilitant la médiation intra-organisationnelle, nous citons
également les individus expatriés et impatriés.
Finalement, le biculturel nommé à la tête d'une filiale est
ici évoqué comme un acteur clé dans la gestion des
conflits.
Mots clés : Conflits
intra-organisationnels, biculturels, expatriés, filiale
L'ESSCA n'entend donner ni approbation, ni improbation aux
opinions émises dans ce Mémoire de Master. Ces opinions
doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
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l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
Attestation
Je soussigné Cassandre THIERRY certifie être
l'auteur exclusif/exclusive de ce Mémoire de Master.
Je certifie que ce mémoire n'a pas déjà ou
ne fait pas l'objet d'une soumission dans le cadre d'un autre diplôme.
J'assure avoir pris connaissance et compris la politique de
l'ESSCA en matière de plagiat. Je certifie que toutes les sources
documentaires sur lesquelles s'appuie ce travail sont portées à
la connaissance du lecteur de manière explicite et conformément
aux règles définies dans le guide du mémoire de Master de
l'ESSCA.
Je certifie que les données sur lesquelles s'appuient
ce mémoire ont été collectées et analysées
en respectant les règles de l'intégrité académique.
Je me tiens à la disposition de l'ESSCA pour produire les données
originales et les fichiers informatiques sur lesquels j'ai effectué
l'analyse.
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Remerciements
Avant toute chose, je tenais à remercier toutes les
personnes qui m'ont aidées dans la réalisation de ce
mémoire.
Je veux tout d'abord remercier mon tuteur Alexandre Bohas, pour
m'avoir guidée dans mes recherches et avoir répondu à mes
multiples interrogations.
Merci également à Philippe Mouricou et Delphine
Lherbier, pour leurs indispensables explications. Et enfin un grand merci
à mon entourage pour son soutien et ses encouragements.
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Sommaire
Introduction 1
Revue de littérature 7
I. L'influence du biculturel diffère selon la filiale qui
interagit avec le siège 7
A. Les différentes relations de pouvoir entre le
siège et les filiales 7
B. Les différentes réactions des filiales en cas
de conflit 9
C. Les différentes réactions du siège en
cas de conflit 11
II. L'utilité du biculturel en tant que passeur de
frontière 12
A. Les atouts des biculturels 12
B. Les passeurs de frontière 13
C. La théorie de la ligne de faille 14
D. Le biculturel permet une meilleure communication entre les
deux parties en conflit
15
III. Le cas particulier des expatriés et des
impatriés 16
A. La mobilité internationale permet une meilleure
compréhension entre les parties 16
B. Le développement d'une confiance mutuelle 17
C. Le fort potentiel de négociation des expatriés
et des impatriés 18
D. Les limites des expatriés et des impatriés
19
IV. Le rôle clé du biculturel nommé à
la direction d'une filiale. 20
A. Le directeur de filiale a un fort pouvoir décisionnel
à la fois sur le siège et sur la
filiale 20
B. Être biculturel permet au directeur de filiale de
prendre des décisions complexes 21
C. Le directeur de filiale biculturel favorise la coordination
des équipes 22
D. Le rôle de leader du directeur de filiale 23
Discussions 25
I. Les limites de l'utilisation des individus biculturels dans la
gestion des conflits 25
A. Les facteurs avec lesquels les individus biculturels doivent
composer 25
B. Les solutions alternatives aux individus biculturels 26
C. Les biais potentiels des biculturels 28
D. Questionnements sur l'intérêt des biculturels
29
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II. Voies futures de recherche 29
A. Comment mesurer l'impact de ces conflits ? 29
B. L'étude de la TMS 30
C. La diversité des individus biculturels 31
D. Le recours à des missions internationales plus courtes
et bidirectionnelles 34
E. L'impact de la confiance sur l'influence des biculturels
34
Conclusion 36
Références 39
Annexe 1 41
Annexe 2 42
Annexe 3 43
Liste des figures 44
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1
Introduction
« La culture, ce tout complexe qui comprend la
connaissance, les croyances, l'art, la morale, le droit, les coutumes et les
autres capacités ou habitudes acquises par l'homme en tant que
membre de la société. »
Edward Tylor, 1871
Le développement des multinationales à travers
le monde engendre des relations complexes au sein des entreprises. Schotter et
Beamish (2011) ont fait apparaitre dans leurs recherches que les conflits entre
maison-mère et filiale sont particulièrement fréquents. La
gestion des conflits étant essentielle au maintien de relations
fonctionnelles entre un siège et sa filiale, il nous semble donc
pertinent de nous pencher sur ce sujet.
Alors que certains auteurs ont suggéré que les
différences nationales sont progressivement absorbées par une
culture mondiale unique (Friedman, 2007 ; Tomlinson, 1999), les recherches
récentes tendent plutôt à démontrer l'importance
majeure des cultures et des institutions nationales (Furusawa & Brewster,
2015). Les politiques telles que « America first », le Brexit ou
encore l'arrivée au pouvoir de partis extrémistes au
Brésil et en Italie tendent à démontrer ce repli sur les
cultures nationales. De même, la gestion de l'épidémie
mondiale cette année 2020 vient corroborer ces observations.
L'intérêt de recourir à des individus biculturels pour
servir de ponts entre les différentes cultures répond donc
à une problématique très actuelle.
Si la recherche s'est penchée sur les individus
biculturels depuis de nombreuses années, ceux-ci ont d'avantage
été étudiés sur leur aspect psychologique (Abadir
et al., 2019 ; Huff, Lee & Hong, 2017) plutôt que sur leur
intérêt managérial (Dau, 2016 ; Tadmor et al.,
2012).
On note tout de même que de nombreuses études ont
été faites sur le rôle des expatriés dans les
relations entre maison-mère et filiales (par exemple Beamish et
al., 2010 ; Collings et al., 2010 ; Harzing et al., 2016
; Reiche, 2011 ; Salleh & Nankervis, 2015 ; Schotter & Beamish, 2011).
Mais
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les individus biculturels ne sont pas nécessairement
des expatriés. Ils peuvent simplement avoir vécu de nombreuses
années dans deux pays distincts, ou être les enfants ou les
descendants de personnes ayant déménagé d'un pays à
l'autre (Furusawa & Brewster, 2015).
Les enfants ayant des parents de nationalités
différentes et les personnes ayant longtemps vécu dans deux pays
différents (notamment les expatriés) sont également
considérés comme des individus biculturels.
Dans la littérature, le biculturalisme est
défini comme étant « un phénomène où un
individu s'affilie à deux systèmes culturels et les internalise
»1 (Abadir et al., 2019, p. 15).
Dau (2016) identifie le biculturalisme comme un cas
spécifique de multiculturalisme. Alors que les individus multiculturels
ont internalisé deux cultures ou plus, les biculturels sont des
individus qui ont internalisé exactement deux cultures.
Grosjean (2013) caractérise les biculturels par trois
traits distinctifs :
- L'intégration de l'identité biculturelle : le
biculturel participe régulièrement à la vie de deux
cultures ;
- Le changement de cadre culturel : il sait adapter son
comportement, ses habitudes et son langage à un environnement culturel
donné ;
- L'hybridation : il combine des traits de chacune des deux
cultures. Les attitudes, croyances, valeurs ou comportements du biculturel
peuvent soit provenir de l'une des cultures, soit en être la
synthèse.
Il convient ici de distinguer les notions d'individu
biculturel et d'individu bilingue. En effet un bilingue n'est pas
nécessairement biculturel s'il n'a pas assimilé la culture du
pays dont il apprend la langue. Inversement, tous les biculturels ne sont pas
bilingues. Ils peuvent avoir assimilé les cultures de deux pays parlant
la même langue (par exemple les espagnols et les mexicains parlent
l'espagnol mais ont des cultures distinctes).
L'augmentation du nombre de biculturels est principalement due
aux forts mouvements de migration constatés depuis l'émergence de
la mondialisation (Brannen & Thomas, 2010). Les prévisions estiment
que cette tendance d'accélération du nombre de biculturels va
continuer durant
1 Traduction libre « Biculturalism is a
specific case of the more general construct of multiculturalism, referring to a
phenomenon where an individual affiliates with two cultural systems and
internalizes them. » (Abadir et al., 2019)
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les prochaines décennies. En effet, le Rapport sur les
Migrations Internationales de 2017 estime que d'ici 2050, environ 40 % de la
population de l'Europe, du Canada, des États-Unis et de l'Australie sera
constituée d'immigrants ou d'enfants d'immigrants.
Ambos, Kunisch, Leicht-Deobald et Schulte-Steinberg
décrivent les relations entre le siège et les filiales comme
« des dyades à motifs mixtes dans lesquelles les parties ont des
intérêts à la fois interdépendants et
indépendants »2 (Ambos et al., 2019, p.67).
Les conflits entre filiale et maison-mère sont souvent
des conflits interculturels. Ceux-ci peuvent être dus aux
différences de cultures nationales ou de cultures organisationnelles
(Beddi, 2015 ; Joshi et al., 2002 ; Mense-Petermann, 2006 ; Barmeyer
& Mayrhofer, 2008).
Les études sur les conflits intra-organisationnels ont
généralement tendance à se concentrer sur les
externalités négatives des conflits. Ceux-ci peuvent par exemple
engendrer des implantations moins rentables que prévu, la
non-concrétisation de projets internationaux, l'apparition de
malentendus au quotidien ou encore la difficulté de développer
des innovations (Eisenhardt & Zbaracki, 1992 ; Menon et al.,
1996). Cependant, Pondy (1992) déclare que les conflits sont une
conséquence normale de la gestion. Les organisations devraient donc
internaliser les processus de conflit plutôt que de tenter de les
éliminer. On observe que les conflits peuvent également se
révéler positifs pour l'entreprise (Schotter, 2009 ; Schotter
& Beamish, 2011). Sur le long terme, ils entrainent plus de
créativité et d'adaptabilité, une augmentation des
performances de l'organisation (Ruekert & Walker, 1987) et une plus
équitable répartition des ressources (Coser, 1956).
On peut donc dégager deux types de conflits pouvant
survenir entre une maison-mère et une filiale :
- Les conflits dysfonctionnels, qui sont néfastes pour
l'entreprise et qui concernent en général les conflits
relationnels (Schotter & Beamish, 2011) ;
- Les conflits fonctionnels, qui entrainent des
résultats positifs et qui sont essentiellement dus aux conflits de
tâche.
Toutefois, même si un conflit peut s'avérer
positif, il ne doit jamais être considéré comme
étant une fin en soi. Il ne s'agit pas de provoquer intentionnellement
un conflit, mais bien de limiter les externalités négatives de
celui-ci.
2 Traduction libre « The extant literature
suggests that HQ-subsidiary relations are mixed-motive dyads in which the
parties have both interdependent and independent interests. » (Ambos
et al., 2019).
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Nous nous concentrerons dans cette étude sur les
conflits ayant une origine culturelle. On exclura volontairement les conflits
financiers, légaux (dus aux exigences réglementaires du pays
d'accueil et du pays d'origine) ou structurels (causés par une structure
opérationnelle sous-optimale).
Dans une multinationale, les conflits peuvent survenir
à la suite d'une initiative du siège, de la filiale ou de la
direction.
Pondy (1967) distingue trois sources principales de conflit au
sein d'une organisation : la compétition pour des ressources
organisationnelles limitées, le désir d'autonomie des acteurs et
les différences d'objectifs.
Les multinationales sont souvent partagées entre leur
désir d'instaurer une identité globale et leur
nécessité de répondre à des besoins locaux
spécifiques. Le désir d'autonomie des acteurs illustre bien cette
dualité. Si le siège a tendance à vouloir prendre
l'ascendant sur ses différentes filiales pour optimiser ses processus et
prendre des décisions cohérentes avec une stratégie
globales, les filiales souhaitent en général garder leur
autonomie afin de répondre aux problématiques du terrain
auxquelles elles sont confrontées. Ces divergences ont donc tendance
à instaurer une certaine méfiance entre filiale et
siège.
De même, les différents acteurs d'une
multinationale peuvent avoir des objectifs communs et des objectifs
individuels, qui sont susceptibles d'évoluer avec le temps. L'apparition
de nouveaux objectifs et les divergences d'intérêt peuvent
conduire à l'émergence de conflits (Beddi, 2015 ; Doz, 1996). De
plus, certains objectifs peuvent être ambiguës et donc sources de
tensions psychologiques (Beddi, 2015).
Selon Beddi (2015), la distance culturelle conduit à
des écarts de perception et peut également être source de
conflits. On définit la distance culturelle comme l'ensemble des
différences constatées dans le langage, les structures sociales,
les religions, la politique, les conditions économiques ou encore le
niveau d'alphabétisation.
Le manque de transparence, une mauvaise coordination ou encore
des problèmes de défiance entre les acteurs peuvent
également être des facteurs de conflits (Blazejewski &
Becker-Ritterspach, 2011 ; Kristensen & Zeitlin, 2005 ; Zaheer &
Zaheer, 2006).
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Les comportements déviants des individus (les cadres
cherchant à satisfaire leur intérêt personnel avant tout)
ou des entités (si le siège ou la filiale fait preuve de mauvaise
volonté) sont également à noter comme sources potentielles
de conflits.
Certains facteurs tels que la mise en place d'un
système de gestion imposée à l'ensemble du groupe, le
changement de mandat (marché géographique, autonomie des
produits, production, R&D...) ou encore la compétition pour des
ressources organisationnelles limitées citée plus haut (Pondy,
1967) peuvent également être sources de conflits. Cependant, les
individus biculturels ne pourront résoudre seuls ces enjeux et devront
s'appuyer sur d'autres méthodes de résolution des conflits.
Si le rôle des biculturels au sein des équipes
des multinationales a fait l'objet d'un certain nombre de recherches (Dau, 2016
; Hong, 2010 ; Jang, 2017 ; Lakshman, 2013), leur importance en tant que
boundary spanners (ou « passeurs de frontière ») n'a
encore été que très peu exploitée dans le cadre des
relations entre maison-mère et filiale (Furuzawa & Brewster, 2015 ;
Mäkelä et al., 2019). Nous tenterons donc de répondre
à ce manque de la littérature dans le présent document en
nous appuyant sur des résultats de recherches menées sur le
rôle des individus biculturels au sein des multinationales (Dau, 2016 ;
Furuzawa & Brewster, 2015 ; Mäkelä et al., 2019 ;
Søderberg & Romani, 2017 ; Yagi & Kleinberg, 2011) et sur les
conflits pouvant intervenir lors de relations entre une maison-mère et
une filiale (Beddi, 2015 ; Schotter & Beamish, 2011).
Au cours du présent document, nous tenterons de
répondre aux questionnements suivants : comment les individus
biculturels contribuent-ils à la résolution des conflits entre
siège et filiale ? L'organisation de l'entreprise a-t-elle une influence
sur l'impact des biculturels ? Quelles sont les limites des biculturels dans la
résolution des conflits ?
L'étude sera axée sur les multinationales et
leurs relations avec des filiales situées dans un pays différent
de celui du siège.
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Pour répondre à notre questionnement, nous nous
appuierons sur quatre hypothèses :
- Le rôle et l'influence du biculturel varient en fonction
de la structure organisationnelle de la multinationale et du type de filiale
interagissant avec le siège ;
- Les biculturels sont des passeurs de frontière
privilégiés au sein d'une entreprise ;
- Les individus expatriés et impatriés peuvent
être des éléments particulièrement actifs dans la
résolution des conflits ;
- Les directeurs de filiale biculturels ont un rôle
clé au sein des organisations.
Pour conclure, nous discuterons des limites de l'utilisation des
individus biculturels dans la gestion des conflits et nous aborderons les voies
futures de recherche envisageables.
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Revue de littérature
I. L'influence du biculturel diffère selon la
filiale qui interagit avec
le siège
Selon Beddi (2015), le conflit dépend, entre autres, de
l'intégration et de la différenciation des filiales au sein de la
multinationale.
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