2. LE SANGOEN ET LE LUPEMBIEN
C'est à Londres en 1882 que certains chercheurs
européens vont pouvoir observer pour la toute première fois des
pierres taillées d'Afrique centrale (Couttenier, 2012; Hore, 1882;).
Mais
6
l'idée d'une industrie d'Afrique centrale n'apparait
qu'en 1925 sous la dénomination de Tumbakultur (« culture
tumbienne ») provenant du lac Tumba au Nord-Ouest de la République
Démocratique du Congo (Menghin, 1925).
Le Sangoen
Le Sangoen serait le premier faciès technique du MSA.
Il est défini à partir du gisement de Sango Bay en Ouganda sur le
rivage du lac Victoria et donne son nom à un groupe
hétérogène d'industries lithiques typique en Afrique
tropicale. (Clark, 1982 ; Leroi-Gourhan and Collectif, 2005). Cette industrie
serait composée de « thick and heavy biface tools, including
core axes, picks, choppers, and core scrapers, which were shaped roughly by
striking a few flakes from large cobbles of tool stone » (Taylor,
2014 p.1213)..Selon R. Oslisly, le Sangoen pourrait en effet appartenir
à une période géologique nommée
Maluékien (70 000-40 000 BP), période sèche avec
recul des forêts et avancées des savanes. Cette période est
suivie par le Ndjilien (40 000- 35 000 BP) une période chaude
et humide favorable à l'épanouissement de la forêt,
où les traces d'occupations humaines sont rares. Le
Léopoldvillien (35 000- 12 00 BP) qui lui succède est
quant à lui une nouvelle phase de sévère
sécheresse, période à laquelle se serait développer
le Lupembien (Oslisly, 1998). Néanmoins, aucun consensus n'est vraiment
établi quant à la chronologie des deux faciès. Ainsi ; sur
le site 8-B-11 au Soudan des niveaux
Figure 3 Carte des outils emblématiques et
localisation
du Lupembien. Taylor,2011.
interstratifié Acheuléen récent et
Sangoen sont datés par OSL de 200ka-
180ka BP (Rots and Van Peer, 2006). En
Zambie Kalambo Falls, les premiers
niveaux Sangoens sont estimés entre 500
à 300ka (Duller et al., 2015).
Le Lupembien
Le Lupembien crée et défini par H. Breuil en
1944 à partir des industries de la rivière Lupemba dans le
Kassaï en République Démocratique du Congo est basé
sur une collection ramassée en surface (Breuil, 1944). C'est lors du
premier Pan-African Congress on
Prehistory en 1947 à Nairobi au Kenya que le
nom Lupembien sera retenu. Le Lupembien est
fortement retrouvé en Afrique centrale, surtout dans le
bassin du Congo, mais on le trouve aussi
en marge, en Afrique de l'est et de l'ouest (Figure 3). C'est
une industrie principalement composée par des « refined
bifacial lanceolate points, core axes, Levallois points, and blade tools »
(Figure 5) (Taylor, 2016. P.1213). La grande majorité de ces outils
évoque les questions d'emmanchent, d'adaptation à des espaces
géographiques de forêts et de savanes (Barham and Mitchell, 2008;
Clark and Brown, 2001; Cornelissen, 2002). Ainsi, afin de créer des
outils composites, les hommes pouvaient se servir de matière organique
et non-organique (Barham, 2010; Taylor, 2011). Ce faciès nous permet
ainsi de comprendre plus amplement le MSA dans le bassin du Congo et
l'apparition des premiers chasseurs-cueilleurs comme l'évoque Taylor
«
the Lupemban is of central relevance to understanding the
origins of hunting and gathering in
the Congo basin » (Taylor, 2011. P.2).
C'est au cours du Pléistocène supérieur
qu'apparaitrait le Lupembien (Barham and Smart, 1996; Van Peer et al., 2003).
Les dates obtenues pour l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Est estiment
l'âge du Lupembien entre 40ka et 30ka BP (Barham and Mitchell, 2008;
Clark and Brown, 2001; Cornelissen, 2002; Taylor, 2016).
Figure 4 Sangoen-Lupembien. (Clark,1963) : A : Pics
/B : Pointes bifaciales
Figure 5 Lupembien et Lupembo-Tshitolien. (Clark,1963) : 1
: Core-axe ; 2,3 et 5 : Pointes bifaciales lancéolées ; 4 :
Perçoir ;6 : Nucléus discoïde ; 7 et 8 : Biface ; 9 à
11 : Core-axes
7
Nous comprenons donc que malgré le manque de datations
dans certaines régions que les industries du MSA sont composées
de plusieurs types d'outils. Aussi les méthodes de débitage
visant à préparer un nucléus afin d'obtenir des
éclats à morphologie prédéterminée
(Levallois, discoïde, laminaire), sont utilisées au cours du MSA
d'Afrique centrale et l'utilisation de grands éclats comme support en
grande majorité conduit aux pièces façonnées
surtout bifaciales. Celles-ci sont nombreuses et certaines sont des fossiles
directeurs de ces industries que sont le Lupembien et le Sangoen. Par ailleurs,
le fait de retrouver les mêmes outils dans les deux
8
industries fait que nous pouvons rencontrer dans la
littérature des appellations telles que Sangoen-Lupembien (Figure 4)
(Clark, 1963). Découvrons désormais un de ces outils
emblématique du Sangoen et du Lupembien : le core-axe.
Le Core-axe
C'est dans le bassin du Congo que cet outil,
généralement attribué aux complexes Sangoen et Lupembien
du MSA (Clark, 1969; McBrearty, 1988; Rots and Van Peer, 2006; Taylor, 2009),
est largement retrouvé. Sa zone s'élargit néanmoins sur
plusieurs régions africaines, puisqu'il est retrouvé par exemple
au Sénégal au Cap Manuel (Richard, 1960) ; en Namibie sur le site
de Peperkorrel (MacCalman and Viereck, 1967) ; au Kenya sur le site de Muguruk
(McBrearty, 1988) et même au Soudan sur le site 8-B-11 de Sai Island (Van
Peer et al., 2003). Nonobstant sa présence tout au long du MSA et voire
durant une partie du LSA (MATOUMBA, 2013), le core axe demeure un
outil emblématique mais pourtant mal défini.
|
En ce qui est de sa fonction,
beaucoup d'auteurs, certains influencés par
l'environnement où avaient été découverts les
core-axes, à savoir des environnement aujourd'hui forestiers, ont
déduit que ces outils auraient pu servir pour le travail du bois et
qu'ils étaient potentiellement emmanché (Barham, 2001; Clark,
1963; Clark and Brown, 2001).
|
Figure 6 Pièce bifaciale allongé de Nzako Kono,
De Bayle des Hermens, 1975.
9
Parmi les différentes définitions existantes, D.
Cahen parle d' « Outils bifaces étroits à bords plus ou
moins parallèles ». Il explique par ailleurs, que «
Par cette longue périphrase, nous désignons des outils connus
sous des dénominations aussi variées que ciseaux, gouges,
ciseaux-gouges, herminettes, pics kaliniens (core-axes en anglais) et
qui sont typiques, en Afrique centrale, de l'âge de la pierre moyen, plus
particulièrement du complexe industriel lupembien. Ils présentent
une forme allongée et étroite avec des bords plus ou moins
parallèles. Le tranchant peut être pointu, arrondi ou rectiligne,
en biseau simple ou double, incurvé vers l'une ou l'autre face. Une
section transversale est généralement asymétrique, l'une
des faces est plus aplatie que l'autre. La retouche biface se distingue par des
qualités très reconnaissables : écailleuse, tangentielle,
mince, couvrante et très régulière. » (Cahen,
1975. P.53). Quant à J.D Clark, il définit les core-axes
comme des pièces bifaciales aux deux bords parallèles dont
les sections seraient lenticulaires et les parties actives distales (Clark,
1969; Clark et al., 2001). Au
Figure 7 Core-axes de Milolo (Gabon), Matoumba 2013
Kenya, S. McBreaty définit les core-axes de Muguruk
comme de « large artifact
with the flaking concentrated around the working end and
an untrimmed butt » (McBrearty, 1988).
Parmi ces auteurs il y en a qui les classent dans une certaine
catégorie d'outil déjà définit comme des racloirs
ou des ciseaux et auraient des parties actives latérales et distales
(Van Moorsel, 1968). M. Matoumba les compare à des hachereaux à
cause du profil symétrique, à des herminettes pour les
pièces à profil asymétrique et à des gouges pour
les pièces à bords concavo-convexes (Matoumba, 2013.)(Figure
7).
Figure 9 Possibilité d'emmanchement de core-axe,
Taylor 2011.
10
Figure 8 Différents types de core-axes, site
Peperkorrel. MacCalman 1967.
Figure 10 Type d'emmanchement décelé à
Sai Island, Rots et Van Peer 2006.
Néanmoins, nous remarquons dans les littératures
que certains auteurs s'accordent sur certaines caractéristiques
morphologiques et d'autres fonctionnelles (Tableau 2). Au vu de cette
diversité, nous comprenons qu'il soit difficile d'avoir une seule
définition de ces outils.
11
Tableau 2 Tableau récapitulatifs de la vision du
core-axe par certains auteurs
AUTEURS ET ANNEES
|
Définitions du core-axes
|
Matières premières
|
Supports utilisés
|
Types de façonnage
|
Utilisation
|
Emmanchement ?
|
(MacCalman and Viereck, 1967)
(Figure 8)
|
Pièce bifaciale ou unifaciale aux
extrémité pointu, arrondi ou droit avec des bords
parallèle et convergents. Des sections plano-convexe et
profil asymétrique.
|
-
|
Eclats épais L Max= 22 cm L Min = 12 cm
|
Bifacial Unifacial
|
-
|
Pas évoqué
|
(Des Hermens,
1975)
(Figure 6)
|
« Pièces Bifaciale allongée ». Les deux
bords seraient parallèle rectiligne ou sinueux souvent repris par une
retouche de régularisation. Une Section lenticulaire.P.135
|
Grès et Quartzite local
|
Eclat Plaquette L Max= 32,3 cm L Min= 6,2 cm
|
Bifacial
|
Faciès forestier
|
pas évoqué
|
(Rots and Van Peer,
2006)
(Figure 10)
|
« defined as thick bifacial tools with linear bits
» « ffff » P. 360
|
Quartz et Grès Local
Quartzite et Chert Importé
|
Bloc
L Max= 14,1 cm L Min= 3,6 cm
|
Bifacial
|
Outil composite
Utilisé pour creuser matière première
ou oxyde de fer
Exploitation d'aliment végétaux.
|
OUI
Enveloppé dans du cuire ou manche fendu
pour insérer le core-axe
|
(Taylor, 2011) (Figure 9)
|
« core-axes - are heterogeneous in form, occurring in
parallel-sided, convergent and divergent types, with distal ends that are
pointed or round ended » P.7
|
-
|
-
|
Bifacial
|
Outil composite Travail du bois
|
OUI
Latéro-distal avec matière organique.
|
(MATOUMBA,
2013)
(Figure 7)
|
« Le core-axe désigne une gamme d'outils en pierre
taillé du Sangoen ou Tshitolien. Il s'agit de pièces bifaciales
ou, non à bord généralement parallèles plus ou
moins long et d'usages variés. » Les bords sont convexes et
irréguliers : sinueux, concave ou
parallèle. Section biconvexe.
|
Quartz Local
|
Eclat épais Galet L Max= 7,9 cm L Min= 3,3
cm
|
Bifacial Unifacial
|
-
|
Pas évoqué
|
12
|