5. L'EXPRESSION
MULTILIGUE DE
KHUDI DANS LA
PENSÉE D'IQBAL
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5.1 Le contexte multilingue d'Iqbal
Iqbal est né dans un territoire multilingue et
multiculturel dès l'antiquité - le sous continent sud-asien
à l'époque colonial. On compte aujourd'hui 575 langues dans les
trois pays qui en faisaient jadis partie (454 en Inde, 77 au Pakistan et 44 au
Bangladesh). L'index Greenburg de diversité place l'Inde au
numéro 14 dans le monde entier par rapport à la diversité
multilingue.1
La capacité extraordinaire de la région pour
l'assimilation de nouvelles langues et cultures a fait du multilinguisme un
élément intrinsèque de sa vie quotidienne. Les langues
s'entremêlent, entre-agissent, souvent dans une même parole ; les
interférences linguistiques et la communication plurilingue fait partie
de sa culture. Par exemple, en lisant le court texto suivant, on peut remarquer
déjà des déviations grammaticales, des emprunts et des
translittérations2:
Plz call me, its urgent. Ek axident ho gaya
hai. (Appelle-moi, s'il te plait, c'est urgent J'ai eu un
accident)
L'intégration d'anglais dans l'usage quotidien est une
évolution moderne d'une tendance qui était bien populaire
à l'époque d'Iqbal. On mélangeait volontiers les langues
dans la littérature, surtout dans la poésie, ce qui ajoutait
à sa délicatesse et permettait une plus grande
variété des mots à sens double et des traits d'esprit
souvent intraduisibles mais parfaitement compréhensibles au public
visé. Bien sur qu'il y avait aussi les puristes de langue qui
insistaient sur les distinctions, mais la plupart de la population s'en
souciait peu. Ainsi on peut remarquer dans cette strophe de
Ghâlib3, rédigée en Urdu, l'utilisation du mot
arabe
« ÀÏÆÇã » (la nappe)
et une syntaxe adoptée du persan:
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ÏÑÏ
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ÊÐá
|
?ÏÆÇã ÇÊ
ÀÏÒ ÊÑÓÍ
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áÏ
|
áÇ
|
·ÇÏÏ
|
æ Èá ÑÏÞÈ Ç
·æÑÇí
|
ãÇ4
|
Mon coeur déprimé était la nappe des
délices de la douleur Les amis ont profité de ce festin selon
leur capacité
1 Canagarajah, S. et Ashraf, H. (2013) « Multilingualism
and Education in South Asia: Resolving Policy/Practice Dilemmas »
Annual Review ofApplied Linguistics, 33, p. 258-285.
2 Ibid
3 Poète classique d'ourdou
4 Ghalib, Sharah Deewan-e Ghalib Éd. &
annoté par H. Mohani. Lahore, Khazana Ilm o Adab, 2002, p. 11
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Ainsi, chez une famille musulmane du Panjab au début du
XXème siècle, (comme celle dans laquelle Iqbal était
née), les langues de socialisation quotidienne étaient le panjabi
et l'ourdou. Pour l'expression littéraire raffinée, on utilisait
l'ourdou et le persan, et pour les études religieuses, l'arabe.
Cette culture orthodoxe musulmane a été
modifiée à une certaine mesure par la colonisation britannique.
Les musulmans, méfiant les colonisateurs et soucieux de leur
identité religieuse, avaient d'abord rejeté la langue et
l'éducation anglaise.5 Or, l'apprentissage d'anglais
était devenu un besoin économique que l'on a fini par accepter.
Iqbal a reçu donc, comme un grand nombre de jeunes hommes de son
époque, une formation non seulement multilinguistique et
multiculturelle, mais multi civilisationnelle.
5 Canagarajah, S. et Ashraf, H. (2013) « Multilingualism
and Education in South Asia: Resolving Policy/Practice Dilemmas »
Annual Review ofApplied Linguistics, 33, p. 258-285.
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