CONCLUSION
Les États de l'Équateur et de la Bolivie ont
été les précurseurs de ce qu'on appelle le
troisième cycle du NCL, consacrant l'existence d'un État
plurinational et interculturel à partir des revendications des peuples
autochtones. Ces derniers furent les protagonistes de ce nouveau
constitutionnalisme, après des centaines d'années confinés
à la marge de la société latino-américaine, ce qui
fut la grande nouveauté par rapport à d'autres théories
constitutionnelles, généralement fondées par des
intellectuels chacun de leur côté et mises en pratique par
l'État. Cette nouvelle théorie constitutionnelle est née
de la réalité sociale, dès lors, elle est devenue un objet
d'étude particulier par les chercheurs. Ainsi, dans cette recherche,
nous avons démontré que l'idée centrale de ce
constitutionnalisme est la décolonisation de l'État, qui se fait
à travers l'incorporation de droits collectifs des peuples autochtones
dans les constitutions, mais aussi l'incorporation de leurs cosmovisions pour
la construction d'un État juste, plurinational et interculturel. Par
ailleurs, nous avons pu constater que la plurinationalité et
l'interculturalité sont les deux concepts, ou principes, les plus
importants développés au sein de ces deux États, la
plurinationalité étant liée à la reconnaissance de
l'existence de plusieurs systèmes juridiques, économiques et
culturels au sein d'un même État et l'interculturalité
étant le principe qui permet une relation équitable entre eux.
Nous avons également démontré, à
partir du droit comparé, la volonté commune des deux pays de
promouvoir les droits et la culture des nations et peuples autochtones à
travers leurs dispositions constitutionnelles. Nous avons
démontré que la reconnaissance de droits collectifs à
certaines collectivités au sein de l'État est compatible avec le
système de droits individuels universels, ces derniers devant être
respectés et garantis par les autonomies autochtones. Cependant, nous
n'avons pas nié l'existence de possibles conflits au sein de cette
compatibilité. Notre réponse à ce problème a
été de dire que lorsqu'il y a un conflit entre les droits
collectifs et les droits individuels, le droit qui favorise le plus
l'émancipation des peuples devrait être pris en compte, toujours
au sein d'un dialogue interculturel. Concernant les droits collectifs, nous
avons mis en évidence trois d'entre eux que nous avons jugé les
plus significatifs du nouvel ordre instauré : le droit au « vivre
bien », le droit à la consultation préalable et le droit au
pluralisme juridique. Nous avons pu voir comment ces droits sont
exprimés dans chaque constitution et constater que malgré leurs
différences, les difficultés pour garantir ces nouveaux droits
sont les mêmes. Concernant le « vivre bien », nous avons
démontré qu'il est un objectif
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des deux États. Chaque constitution le prévoit
d'une manière ; en Bolivie il est clairement un objectif de
l'État, mais en Équateur il est plutôt un principe qui
imprègne toute action de l'État. La consultation
préalable, à son tour, est garantie par les constitutions comme
devant être non seulement préalable à l'action de
l'État qui affecte directement un peuple autochtone, mais
également libre, informée et de bonne foi. Enfin, concernant le
pluralisme juridique, nous avons vu qu'il est le droit qui caractérise
le plus l'État plurinational. À partir du moment où la
plurinationalité est reconnue, le pluralisme juridique est lui aussi
reconnu, l'État n'est alors plus la seule source du droit.
Dans la théorie, la reconnaissance constitutionnelle
des droits des peuples autochtones a été d'une grande importance.
Pourtant, nous avons démontré que l'État n'est pas
prêt à surmonter la colonialité. Le « vivre bien
» est constamment menacé par l'économie extrativiste des
deux États, cette dernière étant contradictoirement
reconnue et protégée par les constitutions elles-mêmes. La
consultation préalable est également menacée par cette
économie et, en outre, par les politiques, qui ne mettent pas en place
une loi afin de garantir la forme de déroulement de la procédure,
ce qui permettrait de concrétiser la règle constitutionnelle. Ils
considèrent que le consentement des peuples autochtones n'est pas
nécessaire et donc pas important et réduisent ainsi le droit
à la consultation préalable à une simple formalité.
Concernant le pluralisme juridique, nous avons pu démontrer qu'il subit
lui aussi de grandes difficultés de concrétisation tant en
Bolivie qu'en Équateur. Les deux États essayent de réduire
la portée de la juridiction autochtone et de la comprendre à
travers la lecture occidentale du droit et de la justice et non pas par le
dialogue interculturel. Cependant, nous avons vu qu'en Bolivie le juge
constitutionnel tend à protéger la juridiction autochtone,
peut-être parce que le TCP compte obligatoirement avec quelques juges
issus de la juridiction autochtone, ce qui annonce un bel avenir pour le
pluralisme juridique dans ce pays. Il n'en va pas de même pour
l'Équateur. En effet, dans ce pays, c'est le juge constitutionnel
lui-même (en Équateur il n'y a pas de loi qui réduit le
pluralisme juridique à l'instar de la Bolivie) qui minimise le
pluralisme juridique, comme nous avons pu le voir avec l'étude du cas
La Cocha II, ce qui indique nettement la difficulté à
surmonter la colonialité du savoir. Pour finir, nous pouvons dire que le
constitutionnalisme développé au sein des deux États est
toujours en transition, car sa finalité de décolonisation n'est
pas encore atteinte. Pour cela, il faudra encore une maturité de
l'idée de refondation de l'État pour inclure les peuples et
nations autochtones également comme ses fondateurs, à travers le
dialogue interculturel, qui ne peut prospérer qu'avec
l'expérience acquise au fil du temps.
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