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Les droits des peuples autochtones sous le nouveau constitutionnalisme latinoaméricain en Bolivie et en Equateur


par Thayenne Gouvêa de Mendonça
Université Clermont Auvergne - Master 2 Droit Public Approfondi 2022
  

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Section II - Les atteintes au pluralisme juridique

Dans cette section, nous démontrerons que malgré la reconnaissance constitutionnelle du pluralisme juridique, dans les années qui ont suivi la constitution, il a été minimisé et la juridiction autochtone (inconstitutionnellement) limitée. Pour démontrer la minimisation du pluralisme juridique en Bolivie, nous avons décidé de faire l'analyse de la loi n. 073 de 29 décembre 2010, relative à la délimitation juridictionnelle (Ley de deslinde jurisdiccional), qui a limité la juridiction autochtone de manière contraire à la constitution et à la consultation préalable de l'avant-projet de loi en Bolivie. Pour faire l'analyse des atteintes au pluralisme juridique en Équateur, nous avons décidé de prendre pour exemple l'affaire La Cocha II, connue comme une des affaires les plus paradigmatiques qui a été analysée par la Cour constitutionnelle équatorienne et qui exprime parfaitement les tensions entre le projet juridico-politique de l'État plurinational et la conception herméneutique moniste. Ainsi, il convient d'abord d'analyser plus profondément la portée du pluralisme juridique en Bolivie et en Équateur, telle qu'elle est disposée dans les deux constitutions, qui prévoient, à leur tour, une relation interculturelle et à égalité entre la juridiction ordinaire et la juridiction autochtone (A) pour ensuite analyser la Loi bolivienne n. 073 de 2010 et également l'affaire La Cocha II de la Cour constitutionnelle équatorienne, les deux exemples les plus significatifs dans chacun des pays étudiés en ce qui concerne la minimisation du pluralisme juridique dans la période post-constituante (B).

204 Bolivie, Tribunal constitutionnel plurinational, 18 juin 2012, décision constitutionnelle n. 0300/2012, p. 38.

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A - Une relation interculturelle et sur un pied d'égalité entre la juridiction ordinaire et la juridiction autochtone

Nous avons vu dans la partie précédente de ce travail l'importance de la construction de l'État plurinational et interculturel pour les mouvements autochtones en Bolivie et en Équateur. Dans cette section nous analyserons une des principales revendications de la période de l'Assemblée constituante : le pluralisme juridique, autrement dit le droit des peuples autochtones d'administrer leurs propres territoires à partir de leurs autorités et de leurs cosmovisions ou visions du monde. La justice autochtone est un des aspects fondamentaux pour une analyse critique du processus constitutionnel andin, à l'instar du droit du « vivre bien » analysé ci-dessus, car à partir des conflits concernant cette thématique nous pouvons identifier les limites et les difficultés d'implémentation des constitutions du troisième cycle du NCL. Ainsi, nous allons analyser ici les dispositifs constitutionnels qui ont reconnu le pluralisme juridique en Équateur et en Bolivie, afin que le lecteur comprenne la portée du pluralisme juridique et qu'il puisse ainsi opposer le texte constitutionnel à l'interprétation du juge constitutionnel, dans le cas de l'Équateur, et à la loi, dans le cas bolivien.

Grâce à la force, à l'articulation et à la pression des mouvements autochtones, analysés dans la première partie de ce mémoire, une série de revendications historiques, y compris « les droits liés à la pluralité juridique et à la nécessité de garantir le droit de l'exercer de manière autonome par les peuples autochtones »205 ont été reconnus par les constitutions équatorienne de 2008 et bolivienne de 2009. Mais en quoi consiste précisément le pluralisme juridique ?

Selon Willan Andrade206, le concept de pluralisme juridique a donné lieu à beaucoup de polémiques. En premier lieu parce qu'il existe une insécurité juridique par rapport à la reconnaissance de la libre détermination des peuples autochtones, si ces peuples dès lors peuvent constituer un État et, en conséquence, un système juridique indépendant. Selon l'auteur cité, sans nul doute que le droit à la libre détermination implique l'autonomie des peuples autochtones pour qu'ils puissent déterminer leur

205 MALDONADO BRAVO Efendy Emiliano, Os (des)caminhos do Constitucionalismo Latino Americano : o caso equatoriano desde a plurinacional idade e a Libertação, thèse de doctorat : droit, État et Société (sous la direction d'ALBUQUERQUE Leticia et WOLKMER Antonio Carlos), Florianópolis : Université Fédérale de Santa Catarina, 2019, p. 174.

206 ANDRADE Willan, « Pluralismo jurídico y deslinde jurisdiccional », Anuario de derecho constitucional latinoamericano, n. 21, 2016, p. 663-664.

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condition politique, économique et juridique afin de garantir leur propre développement, mais cela ne signifie pas le droit de former un nouvel État. En deuxième lieu, la polémique est due au fait que la majorité des oeuvres et recherches sur le pluralisme juridique viennent de la sociologie juridique et de l'anthropologie juridique, matières développées en dehors des concepts juridiques développés par la théorie générale du droit et ses concepts de norme, sanction, etc. Ainsi, il est parfois considéré que réaliser un travail de sociologie juridique ou d'anthropologie juridique sans l'aide du « juridique » tel qu'il est donné par la théorie générale du droit serait peu scientifique. Ainsi, le pluralisme juridique invoque que l'État n'est pas le seul producteur du droit, mais un des producteurs qui existent dans un espace territorial et que tous les « sous-systèmes » coexistent à égalité. L'auteur appelle ce système « pluralisme formel de type égalitaire » et explique que le droit officiel reconnait ainsi la validité des normes des divers systèmes de droit sur son territoire et leur source dans une communauté spéciale et différenciée, mais qui intègre la société et par conséquent a la capacité que son droit soit reconnu comme partie intégrante de l'ordre légal national. Selon Victor Audubert, le pluralisme juridique signifie que « l'État n'est plus la seule source de droit, il n'est plus le seul à devoir assumer les fonctions traditionnelles qu'il lui incombait auparavant. Désormais, la justice peut être rendue par l'État, mais aussi par les communautés »207 autochtones. « Cette consécration du pluralisme juridique est renforcée par l'égalité qui est proclamée entre la juridiction ordinaire - celle de l'État - et les juridictions »208 autochtones, ainsi le pluralisme juridique se substitue au monisme juridique et s'articule de fait avec le principe structurant d'interculturalité.

Voyons maintenant comment les constitutions équatorienne et bolivienne prévoient le pluralisme juridique. La constitution équatorienne de 2008 dispose dans son article 57, n. 10 et dans son article 171 :

Art. 57. Les droits collectifs suivants sont reconnus et garantis aux communes, communautés, peuples et nationalités autochtones, conformément à la Constitution et aux pactes, conventions, déclarations et autres instruments internationaux relatifs aux droits humains : [...] 10. Créer, développer, appliquer et pratiquer leur droit propre ou coutumier, qui ne doit pas violer les droits constitutionnels, en particulier ceux des femmes, des enfants et des adolescents.

207 AUDUBERT Victor, p. 22.

208 Ibid., p. 22.

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[...]

Art. 171. Les autorités des communautés, peuples et nationalités autochtones exercent des fonctions juridictionnelles, fondées sur leurs traditions ancestrales et leur propre droit, dans leur domaine territorial, garantissant la participation et la décision des femmes. Les autorités appliqueront leurs propres règles et procédures pour la résolution de leurs conflits internes, et qui ne sont pas contraires à la Constitution et aux droits humains reconnus dans les instruments internationaux. L'État garantit que les décisions de la juridiction autochtone soient respectées par les institutions et les autorités publiques. Ces décisions sont soumises au contrôle de constitutionnalité. La loi établira les mécanismes de coordination et de coopération entre la juridiction autochtone et la juridiction ordinaire209.

Ainsi, la constitution équatorienne dispose que les peuples autochtones ont le droit de créer, développer, appliquer et pratiquer leur propre droit, sous condition que ce droit ne viole pas les autres droits reconnus par la constitution ainsi que les droits humains reconnus dans les instruments internationaux. En outre, l'activité juridictionnelle, autrement dit la possibilité de rendre des décisions de justice, des autorités autochtones sont reconnues par la constitution, y compris le fondement ancestral et traditionnel de leur justice. L'État n'a pas le droit d'intervenir dans le droit propre des peuples autochtones. Au contraire, il doit garantir que les décisions de la justice autochtone soient respectées par les autorités publiques. Le seul contrôle de la juridiction autochtone est effectué par la Cour constitutionnelle équatorienne au sein du contrôle de constitutionnalité. Au-delà du contrôle de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle est compétente pour dirimer les éventuels conflits de compétence entre la juridiction ordinaire et la juridiction autochtone (fonction prévue dans l'article 436, n. 7 de la constitution de l'Équateur). Cela renforce la relation sur un pied d'égalité entre les deux juridictions. Enfin, la loi, selon les articles précédemment cités, ne peut prévoir que les mécanismes de coordination et de coopération entre la juridiction ordinaire et la juridiction autochtone, c'est-à-dire que la loi ne peut pas restreindre ou limiter la juridiction autochtone, ses limitations sont uniquement prévues par la constitution. Il est important de souligner, ainsi, que le Code organique de la fonction judiciaire prévoit dans son article 344 les principes de la justice

209 Équateur, Constitution de l'État, Disponible sur

https://www.oas.org/juridico/pdfs/mesicic4_ecu_const.pdf consulté le 22 aout 2022.

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interculturelle, qui sont la diversité, l'égalité, le non bis in idem, le principe pro-juridiction autochtone et le principe de l'interprétation interculturelle.

La constitution bolivienne de 2009, à son tour, dispose dans ses articles 178, 179, 190, 191 et 192 :

Article 178. I. Le pouvoir de rendre la justice émane du peuple bolivien et repose sur les principes d'indépendance, d'impartialité, de sécurité juridique, de publicité, de probité, de célérité, de gratuité, de pluralisme juridique, d'interculturalité, d'équité, de service à la société, de participation citoyenne, de paix sociale et de respect des droits.

Article 179. I. La fonction judiciaire est unique. La juridiction ordinaire est exercée par le Tribunal suprême de justice, les tribunaux départementaux de justice, les tribunaux de sentence et les juges ; la juridiction agroenvironnementale par le Tribunal et les juges agroenvironnementaux ; la juridiction autochtone originaire paysanne est exercée par ses propres autorités ; il y aura des juridictions spécialisées régies par la loi. II. La juridiction ordinaire et la juridiction autochtone originaire paysanne jouiront de la même hiérarchie [...]. Article 190. I. Les nations et peuples autochtones exerceront leurs fonctions juridictionnelles et de compétence à travers leurs autorités et appliqueront leurs propres principes, valeurs culturelles, normes et procédures. II. La juridiction autochtone originaire paysanne respecte le droit à la vie, le droit à la défense et les autres droits et garanties établis dans la présente Constitution.

Article 191. I. La juridiction autochtone originaire paysanne se fonde sur un lien particulier des personnes qui sont membres de la nation ou du peuple autochtone originaire paysan respectif. II. La juridiction autochtone originaire paysanne s'exerce dans les domaines suivants de validité personnelle, matérielle et territoriale : 1. Sont soumis à cette juridiction les membres de la nation ou du peuple autochtone originaire paysan [...]. 2. Cette juridiction traite des questions autochtones originaires paysannes conformément aux dispositions d'une loi de délimitation juridictionnelle. 3. Cette compétence s'applique aux relations et événements juridiques qui se déroulent ou dont les effets se produisent dans la juridiction d'un peuple autochtone originaire paysan. Article 192. I. Toute autorité ou personne publique se conformera aux décisions de la juridiction autochtone originaire paysanne. II. Pour

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l'exécution des décisions de la juridiction autochtone originaire paysanne, ses autorités peuvent demander l'appui des organes compétents de l'État. III. L'État favorisera et renforcera la justice autochtone originaire paysanne. La loi de délimitation juridictionnelle déterminera les mécanismes de coordination et de coopération entre la juridiction autochtone originaire paysanne et la juridiction ordinaire, la juridiction agroenvironnementale et toutes les juridictions constitutionnellement reconnues210.

Nous pouvons d'abord constater que la constitution bolivienne traite le sujet d'une manière plus approfondie que la constitution de l'Équateur par le nombre et la longueur des dispositions qui traitent du pluralisme juridique. La Bolivie considère le pluralisme juridique, ainsi que l'interculturalité, comme des principes du pouvoir de rendre la justice, c'est-à-dire comme des principes de la fonction juridictionnelle. Autrement dit, le pluralisme juridique, compris comme l'indépendance et l'égale hiérarchie entre les juridictions, et l'interculturalité, comprise comme le principal instrument de décolonisation, doivent imprégner toutes les procédures ou décisions de justice, qu'elles concernent la juridiction ordinaire, la juridiction agroenvironnementale ou encore de la juridiction autochtone. À l'instar de la constitution équatorienne, la constitution bolivienne limite la juridiction autochtone, en disposant qu'une telle juridiction doit respecter les autres droits prévus par la constitution. La constitution équatorienne délimite la compétence de la juridiction autochtone par la territorialité, comme vu dans son article 171. La constitution bolivienne va au-delà de la compétence territoriale et prévoit deux autres règles de compétence pour la juridiction autochtone dans son article 191 : la compétence personnelle et la compétence matérielle. Pour avoir la compétence personnelle, la personne soumise à la juridiction autochtone doit avoir un lien particulier avec le peuple ou nation autochtone (art. 191.I, CPEB), soit d'identité culturelle, soit de langue, soit de tradition historique, tel que dispose l'article 30.I de la CPEB211. À son tour, la compétence matérielle concerne tous les sujets autochtones en conformité avec une loi de délimitation juridictionnelle. Ainsi, une loi infra-constitutionnelle doit délimiter les matières de compétence de la juridiction autochtone

210 Bolivie, Constitution Politique de l'État, disponible sur

https://www.oas.org/dil/esp/constitucion_bolivia.pdf consulté le 22 aout 2022.

211 Bolivie, Constitution Politique de l'État, article 30. I. C'est nation et peuple autochtone originaire paysan l'ensemble de la communauté humaine qui partage l'identité culturelle, la langue, la tradition historique, les institutions, la territorialité et la cosmovision, dont l'existence est antérieure à l'invasion coloniale espagnole.

selon la manière avec laquelle ils traitent le sujet et non pas selon la manière avec laquelle la juridiction ordinaire les traite ; par exemple, les divisions classiques du droit en droit civil, droit du travail ou droit administratif. Enfin, la compétence territoriale en Bolivie est prévue de manière plus poussée qu'en Équateur, puisque la constitution bolivienne définit que la juridiction autochtone s'applique aux relations et faits juridiques qui sont réalisés ou dont les effets sont produits dans la juridiction d'un peuple autochtone, c'est-à-dire dans le territoire où un peuple autochtone exerce son autonomie. Il est important, enfin, de mentionner que le Tribunal constitutionnel plurinational, à l'instar de la Cour constitutionnelle équatorienne, est la seule autorité compétente pour dirimer les conflits entre les juridictions.

Une fois dit cela concernant le pluralisme juridique dans les deux pays, il reste évident que sur le plan juridique constitutionnel et même infra-constitutionnel, dans le cas équatorien (nous verrons le cas bolivien dans la sous-section suivante), des normes qui ont reconnu les droits des peuples et nations autochtones et qui obligent l'État lui-même à respecter et valoriser la pluralité juridique ont été produites. Pourtant, elles rencontrent des difficultés pour être concrétisées, puisque le pluralisme juridique fut minimisé durant la période post-constituante ; par le pouvoir législatif en Bolivie et par l'interprétation du juge constitutionnel en Équateur.

B - Un pluralisme juridique minimisé durant la période post-constituante

Il nous incombe maintenant d'analyser les difficultés dans l'implémentation du pluralisme juridique en Bolivie et en Équateur. Dans nos recherches, nous avons constaté que la difficulté de l'implémentation du pluralisme juridique en Bolivie vient particulièrement de la loi n. 073 du 29 décembre 2010, relative à la délimitation juridictionnelle et que le juge constitutionnel essaye d'atténuer les effets de cette loi et également de la mettre d'accord avec l'esprit de la constitution. Pour l'Équateur, nous avons constaté que, au contraire de la Bolivie, ce n'est pas la législation infra-constitutionnelle qui limite le pluralisme juridique, mais l'interprétation du juge constitutionnel. Ainsi, nous allons maintenant devoir passer à analyser la loi n. 073 de 2010 et l'affaire La Cocha II de la Cour constitutionnelle équatorienne.

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La loi de délimitation juridictionnelle (loi 073/2010)

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Comme vu précédemment, le texte constitutionnel bolivien a laissé les détails

sur la compétence matérielle de la juridiction autochtone à la charge d'une loi de délimitation juridictionnelle. Cette loi est la loi 073 du 29 décembre 2010. Elle est la première norme à définir le pluralisme juridique comme la coexistence et l'indépendance des différents systèmes juridiques au sein de l'État plurinational212 et dans son article 3 elle réaffirme qu'il n'y a pas de hiérarchie entre les juridictions ordinaire, autochtone et agroenvironnementale. Cependant, cette loi « a comme objet central de réguler les limites de la juridiction autochtone », de cette façon elle établit les cadres d'application des règles de compétence de la juridiction autochtone et détermine également les mécanismes de coordination et de coopération entre les juridictions reconnues par la constitution.

Il est important de souligner que les limites de la juridiction autochtone

contenues dans cette loi ont comme précédent la méconnaissance des accords formulés par le processus de consultation préalable du projet de loi, puisque le projet voté par les autochtones a été modifié postérieurement par le pouvoir exécutif et par l'Assemblée législative plurinationale. Sur ce fait, il convient de citer le commentaire de Magali Copa Pabón :

À cet égard, lors d'un événement international appelé "IIe Séminaire Post-Constituant" qui s'est tenu du 18 au 21 octobre 2010 dans la ville de La Paz et organisé par la Fundación Tierra, Eddy Burgoa, alors Directeur général du vice-ministère, a souligné qu'ils ont réalisé un processus étendu pour consulter de manière préalable, libre et informée le projet de la loi de délimitation [...], notant à cet égard que les 36 peuples autochtones de Bolivie avaient été visités, mettant en évidence un document d'accord et de consentement qui en a résulté et qui aurait incorporé les propositions des peuples autochtones dans la proposition de loi de délimitation. Nonobstant le texte final de la loi de délimitation juridictionnelle - promulguée le 29 décembre 2010 - qui contient des changements substantiels par rapport au projet consulté, notamment dans le domaine de l'exercice de la compétence de la juridiction autochtone récemment créée, y compris dans le mémoire du séminaire susmentionné (publié des mois après la promulgation de la loi), il a été précisé que plusieurs articles que l'exposant du projet de loi avait cités ont été éliminés du texte envoyé au législatif et d'autres articles qui

212 Bolivie, Article 4, e, de la Loi 073 de 2010, disponible sur http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/bol201851.pdf consulté le 22 aout 2022.

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n'étaient pas présents dans les propositions sur lesquelles les peuples autochtones avaient travaillé jusque-là ont été incorporés.213

Ainsi, nous pouvons constater qu'il y a eu un projet de loi consulté et consenti et que c'est finalement un tout autre projet qui a été promulgué. Ainsi, cette rupture nous permet de comprendre que la loi de délimitation juridictionnelle promulguée n'a pas compté avec la consultation préalable des peuples autochtones (ce qui pourrait relever d'une inconstitutionnalité formelle), d'une part et qu'il faut tenir en compte que les changements faits par l'exécutif et par le législatif ont été dans le sens de restreindre la compétence de la juridiction autochtone dans les huit articles (sur dix-sept) qui y font référence.

Concernant la compétence personnelle, la loi 073/2010 dispose que seuls les membres de la nation ou peuple autochtone seront soumis à la juridiction autochtone, sans parler des types de lien entre la personne et le territoire autochtone que prévoit la constitution, alors que le projet consulté, disposait que la compétence personnelle atteindrait les personnes qui n'appartiennent pas à la nation ou peuple autochtone et dont les actes causent des dommages ou affectent ces peuples ou nations. Concernant la compétence matérielle, la loi 073/2010 dispose dans son article 10.II les matières dans lesquelles la juridiction autochtone n'est pas compétente, en utilisant les nomenclatures qui sont inhérentes à la juridiction ordinaire, comme « droit pénal », « droit agraire » et « droit du travail ». Ainsi, la loi ignore « la nature des sujets propres des dynamiques juridiques des peuples autochtones, qui appliquent d'autres critères pour classer les sujets et les conflits qu'ils résolvent »214. Le projet consulté prévoyait que la juridiction autochtone était compétente pour connaitre et résoudre tous les conflits que les peuples autochtones règlent avec leurs propres normes et procédures. Ainsi, le projet consulté laissait les nations autochtones déterminer leurs compétences matérielles selon leur droit consuétudinaire. Enfin, concernant la compétence territoriale, la loi 073/2010 dispose que l'exercice juridictionnel autochtone sera applicable aux relations et faits qui sont réalisés dans le territoire autochtone ou dont les effets se produisent sur le territoire autochtone, à condition qu'elle cumule les autres compétences prévues par la constitution.

Selon Ramiro Molina Rivero, « lorsque nous analysons l'article qui définit les compétences de la justice autochtone, nous trouvons que la Loi de délimitation

213 PABÓN Magali Copa, Dispositivos de ocultamiento en tiempos de pluralismo jurídico en Bolivia, thèse de doctorat : droits humains (sous la direction de MARTINEZ Alejandro), San Luis Potosi, Université Autonome de San Luis Potosi, 2017, p. 26.

214 Ibid., p. 27.

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juridictionnelle restreint de manière drastique les attributions de la juridiction autochtone »215. Xavier Albo, à son tour, explique que plusieurs autochtones membres de l'Assemblée législative plurinationale ont commenté que, avec cette loi, on réduirait la juridiction autochtone à des « vols de poulets » et autres affaires sans importance216. Selon le juriste le plus critique Leonardo Tamburini, les limitations dans la loi sont encore plus restrictives que celles prospectées dans les années 90 sous le néolibéralisme. Finalement, selon José Luis Exeni, avec cette loi, on court le risque d'établir des mécanismes de distinction entre la justice ordinaire, pleine et de portée nationale, et la justice autochtone, inférieure et résiduelle217.

Cependant, cette loi a été nuancée par la jurisprudence constitutionnelle bolivienne. Cela peut être expliqué par la composition du TCP, qui doit être « plurinationale » et, ainsi, qui oblige l'élection d'au moins deux représentants de la juridiction autochtone parmi les sept juges (ce que nous considérons comme encore peu représentatif). À ce propos, il est important de souligner que les juges du TCP sont élus par la population bolivienne, dans le but de concéder une légitimité au tribunal, organe classiquement contre-majoritaire et élitiste.

Ainsi, la décision constitutionnelle plurinationale 0026 du 4 janvier 2013218, sur le conflit de compétences juridictionnelles entre la justice ordinaire pénale et la justice autochtone, a fondé sa décision au bénéfice de la juridiction autochtone avec les arguments suivants. Dans la décision, le TCP fait référence à l'antériorité de la juridiction autochtone par rapport à la juridiction ordinaire (art. 2 de la CPEB). Ensuite il rappelle que la juridiction autochtone jouit de la même hiérarchie que la juridiction ordinaire, dans une dynamique de coopération et de coordination et non pas de paternalisme (art. 192 de la CPEB). Finalement, le TCP affirme que les articles de la loi de délimitation juridictionnelle doivent être interprétés selon la constitution et les traités de droit international des droits humains (art. 13.IV et 256 de la CPEB). Ainsi, concernant la

215 RIVERO Ramiro Molina, « Los derechos individuales y colectivos en el marco del pluralismo jurídico en Bolivia », in CONDOR Eddie, Los derechos individuales y derechos colectivos en la construcción del pluralismo jurídico en América Latina, La Paz : Konrad Adenauer Stiftung, 2011, p. 60.

216 ALBO Xavier apud PABÓN Magali Copa, op.cit., p. 29.

217 EXENI José Luis apud PABÓN Magali Copa, op.cit., p. 29-30.

218 Bolivie, Tribunal constitutionnel plurinational, 4 janvier 2013, décision constitutionnelle plurinationale 0026/2013.

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compétence personnelle, le TCP évoque l'article 3Ø.I219, l'article 2220 et l'article 191.I de la CPEB pour affirmer que l'interprétation de l'article 9221 de la loi de délimitation juridictionnelle sur la compétence personnelle doit être interprétée dans un sens large et conforme à l'article 191.II.1 de la constitution, d'où nous pouvons extraire que la juridiction autochtone concerne les membres de la nation ou peuple autochtone, qui sont formés par les personnes qui ont un lien particulier les unissant à eux. Dans cette logique, selon la décision, il est possible de juger de personnes que n'appartiennent pas nécessairement à la nation ou peuple autochtone, « mais qui volontairement de manière expresse ou tacite se soumettent à ladite juridiction, par exemple lorsqu'elles décident d'occuper leurs territoires ancestraux »222. Concernant la compétence matérielle, le TCP décide que l'interprétation de la loi de délimitation juridictionnelle doit être effectuée « de telle manière que ce qui est interdit à la juridiction autochtone de connaitre [...] soit le résultat d'une interprétation systématique du texte constitutionnel »223, ainsi l'exclusion d'un sujet de compétence de la juridiction autochtone doit chercher « de manière évidente et claire dans le cas concret à protéger un bien juridique d'une entité nationale ou internationale selon les particularités du cas concret »224.

Ainsi, même si la loi de délimitation constitutionnelle restreint de manière drastique les compétences de la juridiction autochtone et minimise, par conséquent, le pluralisme juridique dans la période post-constituante, le juge constitutionnel essaye de contrebalancer cela par sa jurisprudence en faveur d'une interprétation systématique (méthode herméneutique constitutionnelle prévue dans l'article 6.II de la Loi n. 027 sur le TCP) de la constitution, c'est-à-dire « l'interprétation d'une norme en lien avec l'ensemble des dispositions contenues dans la Constitution »225.

219Bolivie, article 30.I, Constitution politique de l'État : « Est une nation et peuple autochtone originaire paysan toute collectivité humaine qui partage une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, une territorialité et une cosmovision et dont l'existence est antérieure à l'invasion coloniale espagnole ».

220 Bolivie, article 2, Constitution politique de l'État : « Compte tenu de l'existence précoloniale des nations et peuples autochtones originaires paysans et de leur domaine ancestral sur leurs territoires, leur libre détermination est garantie dans le cadre de l'unité de l'État, qui consiste en leur droit à l'autonomie, à l'autogouvernement, à leur culture, à la reconnaissance de leurs institutions et à la consolidation de leurs entités territoriales, conformément à la présente Constitution et à la loi ».

221 Bolivie, article 9 de la Loi 073/2010 : « (Compétence personnelle) Sont soumis à la juridiction autochtone originaire paysanne les membres de la respective nation ou peuple autochtone originaire paysan ».

222 Bolivie, Tribunal constitutionnel plurinational, 4 janvier 2013, décision constitutionnelle plurinationale 0026/2013.

223 Bolivie, Tribunal constitutionnel plurinational, 4 janvier 2013, décision constitutionnelle plurinationale 0026/2013, p. 10

224 Ibid., p. 11.

225 AUDUBERT Victor, p. 420.

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Étude de cas : l'affaire La Cocha II

Contrairement à la Bolivie, la loi infra-constitutionnelle équatorienne est plutôt favorable à la juridiction autochtone. Par exemple, le Code organique de la fonction judiciaire cité plus tôt dispose les principes de la justice interculturelle, qui comprend le principe pro-juridiction autochtone226, qui prévoit la déclinaison de compétence en faveur de la juridiction autochtone lorsqu'existe une demande de l'autorité autochtone en ce sens227 et prévoit également la promotion de la justice interculturelle228. En outre, la loi de garanties juridictionnelles et de contrôle constitutionnel prévoit une action de protection spécifique pour la juridiction autochtone, cette dernière garantit le pluralisme juridique, l'oralité de la procédure, le principe de l'interculturalité, entre autres. Pourtant, il n'en va pas de même pour la jurisprudence constitutionnelle. Ainsi, nous avons décidé de nous servir de la recherche menée par Maldonado Bravo229 sur l'affaire La Cocha II en Équateur pour montrer la réalité de l'implémentation du pluralisme juridique dans le pays.

« Dans la région de la Serre centrale de l'Équateur, à environ 3.400 mètres d'altitude, une communauté autochtone andine, du peuple Panzaleo, appartenant à la nationalité Kichwa, appelée «La Cocha» »230, s'est retrouvée au milieu d'un des conflits de compétence les plus importants entre la justice ordinaire et la justice autochtone en Équateur. Il est important de mentionner brièvement, avant d'expliquer les faits de l'affaire, comment fonctionne la justice dans cette communauté. La justice, qui sert à assurer le sumak kawsay, est guidée par les savoirs transmis par les interrelations communautaires, fondés sur trois principes ancestraux qui peuvent être traduits par interrelationalité, complémentarité et réciprocité. Pour les Quéchuas, la justice autochtone est exercée lors de l'existence d'un « fait, infraction, conflit qui mène la dysharmonie communautaire et altère leur mode de vie. Cet événement est appelé Llaki (disgrâce, tristesse) [...] ». Ainsi, quand un conflit a lieu dans la communauté quéchua,

226 Équateur, art. 344 du Code organique de la fonction judiciaire, disponible sur

https://www.funcionjudicial.gob.ec/www/pdf/normativa/codigo_organico_fj.pdf, consulté le 23 août 2022.

227 Équateur, art. 345 du Code organique de la fonction judiciaire.

228 Équateur, art. 346 du Code organique de la fonction judiciaire.

229 MALDONADO BRAVO Efendy Emiliano, Os (des)caminhos do Constitucionalismo Latino Americano : o caso equatoriano desde a plurinacional idade e a Libertação, thèse de doctorat : droit, État et société (sous la direction d'ALBUQUERQUE Leticia et WOLKMER Antonio Carlos), Florianópolis : Université Fédérale de Santa Catarina, 2019, p. 185-237.

230 Ibid., p. 187.

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ils ne parlent pas d'infraction ou de délit, mais de tristesse. Mais cela ne signifie pas qu'ils sont dénués de procédures juridictionnelles qui permettent de remettre en place l'harmonie de la communauté. Leurs procédures sont divisées en cinq moments : la communication ou dénonciation du fait, l'instruction, le contradictoire, l'accord ou la résolution du conflit et enfin, l'exécution de la décision. Nous tenions à décrire brièvement la justice autochtone quéchua pour insister sur le fait que les peuples autochtones sont capables de gérer leurs conflits de manière organisée, en respectant le droit à un procès équitable et, comme nous verrons ci-dessous, de manière efficace.

En outre, avant d'aborder les faits de l'affaire La Cocha II, jugée en 2010 par la Cour constitutionnelle équatorienne, il convient de commenter brièvement l'affaire La Cocha I, ainsi appelée, car elle est considérée par la doctrine comme un précédent de La Cocha II. Il s'agissait d'une affaire d'homicide commis en 2002 au sein de la communauté, où trois jeunes alcoolisés ont assassiné un ancien et ont été jugés par l'Assemblée communautaire (la justice autochtone). Le procès a duré deux semaines et à la fin, les trois jeunes ont été jugés coupables par l'Assemblée communautaire et ont été condamnés à indemniser financièrement à la veuve de l'ancien, à demander pardon à toute la communauté, à écouter les conseils de l'Assemblée, à recevoir treize coups de fouet, à être purifiés par des orties et des bains d'eau froide et enfin, à s'éloigner de la communauté durant quelques jours231. Le ministère public, titulaire de l'action pour homicide en Équateur, a dénoncé les trois jeunes auprès de la justice ordinaire. Cependant, le juge de première instance a constaté l'impossibilité de juger l'affaire, puisque la justice autochtone l'avait déjà jugée, au nom du principe du non bis in idem. Le ministère public a fait appel de cette décision et a réussi à l'annuler, pourtant, le cas s'est prescrit avant que l'État n'ait analysé le fond de l'affaire. L'affaire La Cocha II232, à son tour, concernait également un cas d'homicide au sein de la communauté de La Cocha, commis en mai 2010, c'est-à-dire après l'adoption de la nouvelle constitution et des instruments internationaux sur les droits des peuples autochtones. Dans cette affaire, cinq jeunes alcoolisés ont tué un autre jeune après une dispute. L'Assemblée communautaire a considéré, d'après les procédures quéchuas habituelles telles que vues précédemment, que les jeunes étaient coupables de l'homicide et elle a utilisé la

231 Cf. ÁVILA SANTAMARÍA Ramiro, El neoconstitucionalismo andino, Quito : UASB, 2016, p. 190.

232 Équateur, Cour constitutionnelle, 30 juillet 2014, décision n. 113-14-SEP-CC, cas n. 0731-10-EP. Disponible sur https://biblioteca.defensoria.gob.ec/bitstream/37000/485/1/sentencia%20lacocha.pdf consulté le 12 juin 2022.

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jurisprudence de 2002 pour les sanctionner. Cependant, cette fois, l'affaire a été largement diffusée dans les médias nationaux comme un cas de barbarie et de sauvagerie. Ainsi, les autorités publiques de la juridiction ordinaire (police et ministère public) ont envahi le territoire autochtone et ont conduit les cinq jeunes en prison, en se justifiant par le discours de la « supériorité de la civilisation occidentale, des droits humains et de leurs institutions »233. En outre, les autorités autochtones ont elles aussi été incarcérées. Deux actions ont été traitées devant la Cour constitutionnelle équatorienne, l'une par rapport à la compétence de la juridiction autochtone pour juger l'homicide, promue par la famille de la victime qui cherchait à faire valoir la décision prise par la juridiction autochtone, l'autre promue par le juge de première instance (consultation constitutionnelle), qui demandait à la Cour constitutionnelle s'il n'y aurait pas l'incidence du non bis in idem dans ce cas et si les autorités autochtones avaient réellement commis le délit de plágio, équivalent à la séquestration en droit français. La décision constitutionnelle a réuni les deux actions et a décidé que l'affaire pour séquestration devrait être classée sans suite et concernant l'affaire sur le conflit de compétences, la cour a décidé de laisser le procès se dérouler devant la juridiction ordinaire, puisque selon elle l'État devrait être le seul à traiter les crimes contre la vie. Le bien-fondé de la décision de la Cour constitutionnelle en ce qui concerne le conflit de compétences démontre bien la méconnaissance du pluralisme juridique. Selon la cour, il n'y aurait pas de violation du principe du non bis in idem, puisque les notions de responsabilité pénale étaient différentes pour les deux juridictions. D'une part, pour la juridiction autochtone, le fondement de la responsabilité aurait lieu depuis une perspective communautaire et collective, « dont l'objectif central serait de retrouver l'harmonie sociale perdue par la violation des normes communautaires »234. D'autre part, pour la juridiction ordinaire, la responsabilité serait individuelle et subjective. Selon Maldonado Bravo, cette décision a violé non seulement le modèle pluraliste, mais aussi les canons du juspositivisme. Elle viole selon lui le pluralisme juridique parce qu'« en vérité, elle finit par ouvrir la voie à la possibilité de donner une certaine «légitimité» à l'imposition de limites aux pratiques de la justice autochtone, renforçant une lecture eurocentrique des droits humains et de l'administration de la justice dans un État plurinational »235. Mais encore, la décision viole selon lui les canons du positivisme juridique puisque la cour a essayé de donner de la légitimité à sa

233 MALDONADO BRAVO Efendy Emiliano, op.cit., p. 203.

234 MALDONADO BRAVO Efendy Emiliano, op.cit., p. 210.

235 Ibid., p. 217.

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décision sur le fondement de la théorie juridique du garantisme qui, selon Maldonado Bravo, a été mal mimétisé, car la théorie du bien juridique n'a pas été utilisée pour limiter le contrôle punitif de l'État, ce qui démontre la difficulté à surmonter la perspective juridique eurocentrique.

Apparemment, la Cour déclare qu'elle reconnait l'importance des pratiques juridiques des communautés autochtones, mais en fait ce qui se passe est l'imposition d'une différenciation hiérarchique qui évoque le modèle étatique comme le seul adéquat pour la résolution des affaires impliquant le bien juridique «vie». Par conséquent, dans son vote, le rapporteur cherche à fonder sa décision sur l'obligation assumée par les États en droit international d'enquêter, de poursuivre et de juger les crimes contre la vie. En théorie, le raisonnement serait correct, mais l'objectif voilé a servi à justifier la limitation de la justice autochtone dans un prétendu conflit entre des droits fondamentaux qui doivent être protégés. Ainsi, on constate un processus de déconstitutionnalisation qui a limité de manière inconstitutionnelle les compétences juridictionnelles de la justice autochtone236.

De cette façon, l'intervention externe de la Cour constitutionnelle a remis en

cause l'existence du pluralisme juridique et a consacré la colonialité du savoir, en considérant que le modèle étatique, avec sa compréhension individualiste et subjective de la vie humaine, était supérieur à la justice autochtone et sa compréhension collective et communautaire de la vie. Tant en Bolivie qu'en Équateur, nous pouvons constater les grandes difficultés d'implémentation d'une des principales avancées du NCL, c'est-à-dire la reconnaissance de la plurinationalité et par conséquent le droit des peuples autochtones d'exercer leur propre droit, selon le principe du pluralisme juridique.

XXX

Dans cette deuxième partie de la recherche, nous avons pu approfondir les connaissances acquises dans la première partie en analysant les dispositifs constitutionnels sur les droits spécifiques aux peuples autochtones. Ainsi, nous avons pu identifier une volonté commune des deux États de promouvoir les droits et la culture des peuples et nations autochtones, à travers la reconnaissance constitutionnelle de droits

236 Ibid., p. 218.

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collectifs spécifiques et également à travers l'incorporation de la vision du monde autochtone dans le nouveau Pacte social. Pourtant, nous avons pu constater que le pluralisme et l'interculturalité promus par un tel État, refondé à partir des revendications autochtones, qui dès lors recherche le « bien vivre » de sa population, rencontrent des difficultés de différents ordres. Les difficultés les plus importantes ont été citées dans cette recherche : celle de l'implémentation de la consultation préalable et celle de l'implémentation du pluralisme juridique. Sans nul doute que la norme constitutionnelle dans les deux États est très poussée par rapport à la reconnaissance des droits des peuples autochtones, cependant les deux États ont encore beaucoup de défis et des difficultés à surmonter pour pouvoir affirmer avec certitude qu'ils sont de véritables États plurinationaux.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams