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Les droits des peuples autochtones sous le nouveau constitutionnalisme latinoaméricain en Bolivie et en Equateur


par Thayenne Gouvêa de Mendonça
Université Clermont Auvergne - Master 2 Droit Public Approfondi 2022
  

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Section II - La consécration de l'autonomie autochtone

L'autonomie est nécessaire pour atteindre les objectifs de l'État plurinational revendiqué par les peuples autochtones de la Bolivie et de l'Équateur. Pour pouvoir avoir une participation significative des peuples autochtones dans l'adoption de décisions de l'État tout en conservant leur culture, leur droit et leur mode de vie, l'autonomie, toujours liée à l'interculturalité, se montre essentielle. L'autonomie autochtone fait donc allusion à une forme de décentralisation, avec territoire, autogouvernement, respect des systèmes sociaux et culturels propres et avec la participation aux sujets nationaux qui affectent les groupes ethniques. Il y a plusieurs types d'autonomie, avec tous ou seulement quelques éléments de l'autonomie (l'autogouvernement, la juridiction territoriale, les compétences et la participation dans les instances de décision nationale). Toutefois, il n'existe pas d'autonomie autochtone sans autogouvernement, même si elle ne se réduit pas à cela. L'autogouvernement concerne la capacité politique du peuple autochtone non seulement dans les sujets de la vie collective de ces peuples respectifs, mais aussi dans les sujets et décisions de l'État, et ainsi, il est intimement lié au terme « autonomie ». En Bolivie, la constitution déclare dans son article 2 l'autonomie comme un droit originaire des peuples autochtones, ce qui montre une autonomie plus poussée dans le pays (A). La constitution équatorienne, en effet, ne reconnait pas clairement, comme celle de la Bolivie, le droit à l'autonomie des peuples autochtones (B), ni ne prévoit d'entités territoriales autonomes pour les nationalités autochtones et régule très peu la structure de l'État pour qu'il corresponde avec la plurinationalité et l'interculturalité.

109 MEDICI Alejandro, op.cit., p. 10.

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A - Une autonomie poussée en Bolivie

La mise en forme de l'État plurinational, selon la constitution politique de l'État bolivien (CPEB) est faite à travers deux mécanismes : celui qui garantit la participation pleine des peuples et nations autochtones dans la structure de l'État central, au travers de leurs représentants dans les pouvoirs législatif et judiciaire et également au travers de leur participation au sein du pouvoir exécutif ; et celui qui garantit que les nations et peuples autochtones puissent exercer leur droit à la libre détermination dans l'unité de l'État bolivien. Le droit à la libre détermination des nations et peuples autochtones est garanti par l'article 2 de la CPEB, fondé sur la reconnaissance de leur existence précoloniale, qui consolide leurs territoires, leur mode de gouvernement, leur système juridique, leurs institutions, autorités, etc. Ce droit de libre détermination s'exerce à travers l'autonomie autochtone (art. 2, CPEB).

L'autonomie est la qualité du gouvernement qui est assigné à certaines collectivités territoriales, c'est-à-dire à une subdivision de moindre couverture territoriale que l'ensemble de l'État. Le processus qui amène à construire le nouveau système d'administration de l'État est donc la décentralisation politique et administrative. La constitution appelle « autonomie » quand elle transfère plus de pouvoir aux collectivités territoriales (exécutif, législatif et judiciaire) et « décentralisation » quand elle transfère moins de pouvoir (l'État maintient leur subordination à lui-même). Il faut souligner, cependant, que cela ne peut jamais affecter l'unité de l'État bolivien et comme l'État bolivien est un État plurinational, la nouvelle organisation politique de l'État doit correspondre à la diversité des nations qui y habitent, en garantissant que les peuples autochtones puissent exercer leur autogouvernement et leur libre détermination.

L'autonomie politique autochtone est prévue par la constitution de 2009 dans l'article 11, qui dispose que la démocratie s'exerce aussi par la démocratie communautaire, avec l'élection, désignation ou nomination d'autorités et représentants autochtones par leurs propres normes et procédures. L'élément clé pour avoir la qualité de gouvernement est donc la capacité de légiférer de ces collectivités territoriales, autrement dit d'avoir la capacité de définir leurs propres lois sur les sujets qui les concernent, selon la constitution et les lois organiques, qui ont une couverture ou un niveau plus large dans l'État, comme la Loi des autonomies en Bolivie. L'autonomie se réfère donc à la décentralisation politique : cette dernière implique dans l'élection de ses

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propres autorités, l'administration de ses ressources économiques et l'exercice des facultés législative, réglementaire, fiscale et exécutive, par ses propres organes de gouvernement autonome, dans le domaine de sa juridiction, de ses compétences et de ses attributions (art. 272, CPEB). La constitution bolivienne de 2009 prévoit ce pouvoir autonome législatif à trois collectivités : les départements, les municipalités et les « territoires autochtones originaires paysans ». Les trois sont indépendants entre eux et ont la même hiérarchie constitutionnelle, autrement dit, tout ce que l'organe législatif d'une collectivité territoriale décide dans les limites de sa compétence, ne pourra pas être contesté par le législatif national, le seul contrôle étant le contrôle de constitutionnalité devant le TCP. Pourtant, l'autonomie autochtone n'est pas comme les autres autonomies, elle a une portée plus grande et distincte, parce qu'elle consiste dans l'autogouvernement comme exercice du droit à la libre détermination (ou autodétermination) des peuples, à la différence des autres autonomies, classées simplement comme « décentralisation politique ».

La constitution établit un ensemble de principes et de dispositions qui consacrent aux peuples et nations autochtones paysannes originaires un régime d'autonomie différent des autres collectivités territoriales autonomes du pays, du fait qu'elles répondent à des justifications d'un ordre différent. Selon l'article 270 de la constitution bolivienne, les principes qui régissent les autonomies sont l'unité, la volonté, la solidarité, l'équité, le bien commun, l'autogouvernement, l'égalité, la complémentarité, la réciprocité, la parité de genre, la subsidiarité, la gradualité, la coordination et la loyauté institutionnelle, la transparence, la participation et le contrôle social, la provision de ressources économiques et la préexistence des nations et peuples autochtones originaires paysans.

Selon l'article 289 de la constitution de 2009, l'autonomie autochtone consiste dans l'autogouvernement comme exercice de la libre détermination des nations et des peuples autochtones, dont la population partage le territoire, la culture, l'histoire, les langues, l'organisation ou les institutions juridiques, politiques, sociales et économiques propres. Autrement dit, l'autogouvernement est la capacité d'un peuple à s'autogouverner sans l'intervention d'autres pouvoirs externes ; le peuple qui s'autogouverne possède une complète souveraineté sur les sujets internes qui le concernent. La libre détermination, à son tour, est le droit de tous les peuples de définir librement leur condition politique et leur développement économique, social et culturel.

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L'autogouvernement des autonomies autochtones est exercé en accord avec leurs normes, institutions, autorités et procédures, selon leurs attributions et compétences, en harmonie avec la constitution et la loi (art. 290, II, CPEB). Chaque autonomie autochtone élabore son statut selon ses propres règles et procédures, sans jamais contrarier la constitution ou la loi. Ainsi, l'autonomie autochtone est composée de facultés législatives, réglementaires, fiscales, exécutive et judiciaire, transférées par l'État et toutes ces facultés découlent du droit à la libre détermination, reconnue non seulement par la constitution bolivienne, mais aussi par le droit international, qui est le paramètre d'interprétation des droits prévus par la constitution (art. 13, IV, CPEB). De plus, l'autonomie autochtone se fonde sur les territoires ancestraux habités par eux et sur la volonté de sa population, exprimée dans la consultation (art. 290, I, de la CPEB), qui constitue le seul requis exigible pour la constitution d'une autonomie autochtone (art. 293, I, CPEB). Autrement dit, l'autonomie s'exerce dans les territoires ancestraux habités actuellement par la nation autochtone et, selon la déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones, cette autonomie s'exerce également dans les territoires que les peuples autochtones ont traditionnellement occupés, mais qui ont été aliénés sans leur consentement.

Sur les compétences accordées par la constitution aux autonomies autochtones, il faut souligner qu'elles ne sont pas toutes exclusives, elles peuvent être également des compétences concurrentes ou des compétences partagées. Ces dernières sont partagées entre l'autonomie autochtone et l'État central : participer aux échanges internationaux dans le cadre de la politique extérieure de l'État ; participer et contrôler l'utilisation des granulats (fragment de roche) ; protéger les droits intellectuels collectifs concernant les ressources génétiques, la médecine traditionnelle, etc. ; et contrôler et réguler les institutions et organisations externes. Dans le cadre des compétences partagées, l'Assemblée législative plurinationale édicte une loi générale et l'autonomie autochtone édicte la loi de développement et exerce les fonctions réglementaire et exécutive. Les compétences concurrentes sont celles dont la législation correspond au niveau central de l'État et l'autonomie autochtone exerce les facultés réglementaire et exécutive. Les compétences concurrentes sont : organiser, planifier et exécuter les politiques de santé, d'éducation, de conservation de l'environnement ; administrer les systèmes d'irrigation, de ressources hydriques et de sources d'eau et d'énergie ; promouvoir la construction de l'infrastructure productive, de l'agriculture et de l'élevage de bétail ; faire le contrôle socio-environnemental et d'activités d'hydrocarbures et de

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mines ; et contrôler la fiscalité et l'administration des biens et de services. Enfin, les compétences exclusives des autonomies autochtones sont : l'élaboration de leurs statuts ; la définition et la gestion de leur propre développement économique, politique, organisationnel, culturel et de leurs ressources naturelles renouvelables ; le développement et l'exercice de leurs propres institutions ; le développement de leur propre vocation productive ; l'exercice de la juridiction autochtone ; la protection et promotion de leur patrimoine culturel ; la planification et la gestion de l'occupation territoriale ; l'exécution de mécanismes de consultation préalable, libre et éclairée sur toute mesure qui les affecte ; la préservation de leur habitat ; la gestion des impôts dans leur juridiction, entre autres.

Ainsi, nous pouvons constater que les autonomies autochtones veillent constitutionnellement à l'exercice de l'autodétermination et à la volonté d'autogouvernement des nations et des peuples autochtones de Bolivie. Dans ce contexte, il est important de souligner que bien que la constitution politique de la Bolivie soit tenue comme la norme fondamentale qui régit l'ensemble du territoire de l'État plurinational, les statuts des autonomies autochtones sont la norme institutionnelle fondamentale qui régit l'ensemble du territoire de la collectivité territoriale autonome. Cette distinction faite, il est évident que, compte tenu de leur nature et de leur portée, les statuts des autonomies autochtones peuvent être définis comme une sorte de "mini-constitutions", puisqu'ils établissent tous les principes et normes qui, outre la constitution et le bloc de constitutionnalité110, organisent l'autogouvernement. Pourtant, la loi de juillet 2010 sur les autonomies et la décentralisation a établi d'autres prérequis comme le « certificat d'ancestralité » et la « viabilité gouvernementale » et également une procédure qui doit être suivie, ainsi que les contenus minimaux et les contenus potestatifs des statuts. « Ces contenus ont servi de «carcan», dans certains cas, et comme cadre référentiel, dans d'autres, lors de l'élaboration des statuts des AIOC [autonomies autochtones] »111. Ainsi, dans la pratique, « les études de cas montrent que, par volonté de s'attacher à la norme et surtout "d'éviter d'éventuels constats d'inconstitutionnalité", les statuts des autonomies autochtones se sont autolimités »112. En outre, la présence des avocats et des techniques

110 L'article 410, II de la CPEB prévoit que le bloc de constitutionnalité est formé par les traités internationaux de droits humains et les normes de droit communautaire ratifiés par le pays.

111 EXENI José Luis, « Bolivia: las autonomías indígenas frente al estado plurinacional », in Grupo Permanente de Trabajo sobre Alternativas al Desarrollo (dir), Cómo transformar? Instituciones y cambio social en América Latina y Europa, Fundación Rosa Luxemburg/Abya-Yala, Quito : 2015, p. 158.

112 Ibid., p. 158.

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du ministère des autonomies et des organisations non gouvernementales dans le processus d'élaboration des statuts, comme « gardiens » de la constitution et de la loi, a contribué à cette autolimitation. Ainsi, malgré la libre détermination prévue dans la constitution, qui donne une liberté presque totale aux collectivités de s'autodéterminer et de fonder leurs autonomies, la pratique montre que les autonomies autochtones ne furent pas toujours développées selon les aspirations des nations autochtones113.

B - Une autonomie peu développée en Équateur

À la différence de ce qui s'est passé en Bolivie avec les autonomies autochtones, en Équateur nous ne vérifions pas un processus de construction de l'autogouvernement conduit par l'État et cela fait que les expériences en Équateur ne suivent pas des paramètres uniformes et sont, ainsi, très diversifiées. La question du développement de la libre détermination des peuples autochtones en Équateur est plus délicate qu'en Bolivie puisque même si l'Équateur est dans le cadre d'un État plurinational, la constitution équatorienne ne mentionne pas le droit à la libre détermination ou à l'autodétermination des nations et peuples autochtones. Néanmoins, l'article 57 de la constitution mentionne le terme « autodétermination » lorsqu'elle prévoit la protection des peuples autochtones isolés, c'est-à-dire, les peuples sans aucun contact avec les non-autochtones, par volonté propre. En effet, la plurinationalité en Équateur n'a pas la même portée constitutionnelle que la plurinationalité en Bolivie. La constitution équatorienne institue, dans le cadre d'un État unitaire, les « circonscriptions territoriales autochtones » et dispose que ces dernières sont régies par les principes d'interculturalité et de plurinationalité. Ces circonscriptions territoriales constituent un régime d'administration spécial, où les peuples autochtones peuvent exercer un ensemble de droits collectifs. Cependant, ce système ne favorise pas la création de collectivités politiques autonomes comme celles prévues par la constitution bolivienne. La différence essentielle entre les collectivités administratives (Équateur) et les collectivités autonomes (Bolivie) est le pouvoir politique. L'autonomie implique fondamentalement une décentralisation politique pour que les peuples puissent développer leur capacité politique et d'autogouvernement, non seulement dans leurs territoires, sur les sujets de la vie

113 Cf. EXENI José Luis, op.cit., 2015, p. 145-190.

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collective du propre peuple, mais aussi dans l'État, sur les sujets et décisions politiques centrales.

En effet, l'autonomie est implicitement comprise dans le concept de plurinationalité, ainsi une fois reconnue celle-ci, l'autonomie est également reconnue. L'autonomie peut être interprétée de deux manières : comme une permission plus ou moins large pour que les groupes ethniques s'occupent de leurs propres affaires ou pour qu'ils maintiennent leurs usages et coutumes ; ou comme un régime politique/juridique accordé à ces groupes, ce qui implique la création d'une véritable collectivité politique au sein de la société nationale114. La demande autochtone en Équateur et en Bolivie était en faveur de l'autonomie politique et culturelle et non simplement une autonomie territoriale.

La constitution de l'Équateur, dans son article 257, mentionne que dans le cadre de l'organisation politico-administrative, des circonscriptions territoriales autochtones pourront être formées, exerçant les pouvoirs du gouvernement territorial autonome correspondant et régies par les principes d'interculturalité, de plurinationalité et conformément aux droits collectifs. De plus, le même article dans son deuxième paragraphe dispose que les « parroquias », les cantons ou les provinces formés majoritairement par des peuples autochtones pourront adopter le régime d'administration spécial, après une consultation approuvée par au moins 2/3 des voix exprimées. Enfin, les circonscriptions seront régies par les normes de création, de fonctionnement et de compétences prévues dans la loi. Ainsi, l'article 257 de la constitution n'établit pas avec précision la portée de la norme. Bien que l'article concède des compétences au gouvernement territorial autonome correspondant, il établit qu'il faut une loi pour définir sa création et son fonctionnement, cette loi étant le Code organique d'organisation territoriale, d'autonomie et de décentralisation. Ce code organique établit que les circonscriptions territoriales autochtones sont des régimes spéciaux de gouvernement autonome décentralisé établis par la libre détermination des peuples, nationalités et communautés autochtones, dans le cadre de leurs territoires ancestraux, tout en respectant la division politico-administrative de l'État.

Les circonscriptions territoriales autochtones assument donc les capacités normatives qui correspondent au niveau de gouvernement dans lequel elles sont encadrées. Les fonctions générales sont la législation, la normativité et la fiscalisation,

114 ALMEIDA Ileana, RODAS Nidia et SEGOVIA Lautaro, Autonomía indígena frente al Estado nación et la globalización neoliberal, Abya Yala, Quito : 2005, p. 220.

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l'exécution et l'administration et, enfin, la participation citoyenne et le contrôle social (le peuple exerce son contrôle sur le pouvoir constitué). Ainsi, nous pouvons affirmer que les circonscriptions territoriales sont effectivement des collectivités territoriales, fruit d'un processus d'aménagement de l'État unitaire qui consiste à transférer des compétences administratives et politiques de l'État central vers ces entités, distinctes de lui. Les circonscriptions territoriales autochtones font partie d'un régime spécial de circonscription territoriale, puisqu'elles sont régies par les principes de plurinationalité et d'interculturalité. Cependant, elles doivent toujours respecter la loi d'organisation territoriale, à l'instar des autres collectivités territoriales qui ne sont pas constituées d'un groupe ethnique, ce qui peut limiter l'autonomie et la libre détermination des nations autochtones.

Une telle superposition de jure, de facto, ignore les limites ancestrales et permet également à la population métisse - souvent inconsciente et éloignée de la réalité et des revendications politico-territoriales des peuples autochtones - de décider, lors d'un éventuel référendum d'approbation, du destin des territoires et des peuples qui leur sont étrangers et inconnus115.

La reconnaissance de l'État plurinational est venue d'un projet de décentralisation « depuis le haut » fondé sur un système de « Gouvernements Autonomes Décentralisés avec un modèle de gestion uniforme et progressif »116. Le Code organique d'organisation territoriale, d'autonomie et de décentralisation envisage pour la première fois les procédures de formation des régimes spéciaux et établit que ceux-ci « seront formés à partir de la division politico-administrative de la parroquia, de la municipalité ou de la province, mettant des limites à la revendication originelle d'autodétermination de la CONAIE »117 qui revendiquait la reconstitution territoriale. Dans cette logique de distribution du pouvoir, il reste très peu d'espace pour les autonomies autochtones, qui demandent de larges marges d'expérimentation pour se développer. Les peuples autochtones ont non seulement rencontré des obstacles pour se conformer aux exigences nécessaires pour se constituer comme des circonscriptions territoriales autochtones à partir de la coïncidence avec une parroquia, un canton ou une province, mais aussi des

115 ORTIZ-T. Pablo, El Laberinto de la Autonomía Indígena en el Ecuador, Latin American and Caribbean Ethnic Studies, vol. 10, n. 1, 2015, p. 75.

116 CORDERO PONCE Sofia, Estado plurinacional y autodeterminación indígena: democracia plural e identidad en Ecuador y Bolivia, Revista de ciencias sociales, n. 41, 2018, p. 85.

117 Ibid., p. 85

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obstacles pour canaliser leurs demandes à travers les réseaux informels générés entre les communautés et les instances distinctes de gouvernements locaux118. « L'ingérence du parti au pouvoir dans les conseils des parroquias, les municipalités et les préfectures a mis en danger les formes d'autonomie qui fonctionnaient «de facto» jusqu'alors »119.

Dans le territoire de l'Amazonie équatorienne, où sont plus de 66% des peuples autochtones, une loi organique a été adoptée en 2018, car il fait partie d'une circonscription territoriale spéciale, puisque, selon l'article 250 de la constitution, l'Amazonie fait partie d'un écosystème important et nécessaire pour l'équilibre environnemental de la planète. Ainsi, il y a une planification intégrale prévue dans la loi qui inclut les aspects sociaux, économiques, environnementaux et culturels du territoire, avec un ordonnancement territorial qui garantit la conservation et la protection de ses écosystèmes et du principe du sumak kawsay (bien vivre). Cette loi rappelle les principes de l'unité, de l'égalité, du respect des droits de la nature, de la spécialité, du développement soutenable ou durable, de la coordination et coresponsabilité, de la responsabilité intégrale, de l'interculturalité et de la plurinationalité, de l'autonomie, entre autres. Cette loi ne concerne pas la création d'une circonscription territoriale autochtone, mais elle dispose les règles de développement de ces circonscriptions et de toutes les autres qui se trouvent dans le territoire amazonien.

Nous voyons donc qu'il existe beaucoup de limites imposées par le pouvoir constitué, c'est-à-dire par le pouvoir « depuis le haut », pour la constitution des autonomies autochtones en Équateur. Les autochtones ont rencontré leur premier obstacle dans la première frontière à être franchie au sein d'un État plurinational : l'autonomie. Jusqu'aujourd'hui, aucune circonscription territoriale autochtone n'a été approuvée.

XXX

En conclusion, dans la première partie de cette recherche, nous avons pu voir le processus de reconnaissance constitutionnelle des droits des peuples autochtones comme produit des revendications sociales des autochtones eux-mêmes, associés à d'autres secteurs de la société comme les travailleurs syndiqués, les paysans et les afrodescendants, qui, finalement, ont inauguré un nouveau type de constitutionnalisme. Par l'étude de ce nouveau constitutionnalisme latinoaméricain, nous avons démontré que

118 Ibid., p. 85.

119 Ibid., p. 85.

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ce processus fait partie d'une émancipation sociale, pour que le peuple prenne effectivement part au pouvoir politique réservé auparavant aux élites descendantes des colons européens. Ce processus d'émancipation sociale au travers du constitutionnalisme est d'abord passé par la reconnaissance d'une identité autochtone par les groupes autochtones eux-mêmes, après des siècles d'assimilation et d'intégration forcés, pour ensuite s'organiser en groupes de pression qui deviennent, au fil des années, de véritables groupes politiques. En Bolivie, les groupes associés, dirigés par les organisations autochtones, ont réussi à élire un président d'origine Aymara, la plus expressive nation autochtone de la Bolivie, et lui, à son tour, a réussi à mettre en place une convocation pour une assemblée constituante. Cette dernière n'a pas compté avec des sièges réservés aux différents peuples autochtones, mais leurs droits ont été exprimés dans la rédaction du nouveau texte constitutionnel, malgré les disputes avec le Congrès national qui ont causé la longue attente du référendum d'approbation du texte et, de plus, quelques concessions du côté autochtone. Le processus constituant équatorien, à son tour, malgré la suspension des travaux du Congrès national, ne fut pas sans disputes entre les groupes politiques. Les revendications autochtones de l'Équateur, ces derniers étant représentés surtout par la CONAIE, ont perdu leur force durant ce processus, pourtant, l'État plurinational et interculturel fut consacré, de même qu'en Bolivie. La plurinationalité sous-entend l'autonomie autochtone, pour que les cultures juridiques, politiques, économiques et sociales puissent, au-delà d'être respectées par l'État, prendre leur place dans l'État central et ainsi participer à son avenir à travers l'interculturalité. Finalement, avec la déclaration d'un État pluriculturel et interculturel en Équateur et en Bolivie, les peuples autochtones ont pu voir leur droit à la libre détermination respecté, même si la constitution de l'autonomie autochtone n'est pas toujours simple et facile à concrétiser.

Ainsi, pour donner suite à l'étude de la consécration des droits constitutionnels des peuples autochtones sous le troisième cycle du NCL, représenté par l'Équateur et la Bolivie, nous allons analyser les droits expressément reconnus par ces deux textes constitutionnels, leurs points en commun et leurs différences et, enfin, nous analyserons les problèmes liés à leur concrétisation.

DEUXIÈME PARTIE

Les droits des peuples autochtones dans les nouvelles
constitutions andines

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Dans cette deuxième partie de la recherche, nous allons nous consacrer à l'étude plus approfondie des textes constitutionnels du dernier cycle du nouveau constitutionnalisme latinoaméricain, c'est-à-dire les textes constitutionnels de la Bolivie et de l'Équateur. La consécration constitutionnelle des droits des peuples et nations originaires dans les deux pays est le produit de leurs luttes sociales et de leur organisation politique afin de décoloniser leurs États. Mais, au-delà de la consécration constitutionnelle de la plurinationalité, de l'interculturalité et de la conséquente autonomie autochtone, quels sont les droits des peuples et nations originaires dans ces pays, qui forment ensemble un nouveau type de savoir, autrement dit, un nouveau type de constitutionnalisme ? Les deux textes constitutionnels représentent un même courant de pensée, mais les droits prévus par eux sont-ils les mêmes ? En outre, par rapport à leur concrétisation, si ce nouveau constitutionnalisme a été fait « depuis le bas », les élites qui font toujours partie du pouvoir se sont-elles conformées aux nouvelles règles ? Ou, au contraire, la concrétisation de la plurinationalité fait-elle face à des défis ?

Pour répondre correctement à ces questions, nous allons d'abord démontrer la volonté commune de promotion des droits fondamentaux des nations et peuples autochtones (Chapitre I), revendiqués durant les marches autochtones dans les deux pays, à travers la constitutionnalisation de leurs droits, en analysant les droits expressément prévus par les textes constitutionnels, à partir de la méthode comparative du droit. Ensuite, nous allons analyser quels sont les défis de la concrétisation de la plurinationalité dans les deux pays (Chapitre II).

Chapitre I - Une volonté commune de promotion des droits fondamentaux des peuples autochtones

La prise en compte de dispositions, par les constitutions de l'Équateur et de la Bolivie, concernant les droits individuels et collectifs spécifiques aux peuples et nations autochtones, ainsi que sur l'objectif du « vivre bien » de toutes les personnes qui composent les sociétés bolivienne et équatorienne, dénote une volonté commune entre les

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deux États de promouvoir les droits fondamentaux des peuples originaires d'Abya Yala. La reconnaissance des conséquences néfastes de la colonisation faite par les États les conduit, premièrement, à accorder des droits spécifiques aux peuples autochtones, qu'ils soient individuels ou collectifs. Quant aux droits individuels spécifiques, il ne s'agit pas vraiment d'une disposition de droits spécifiquement prévus pour la personne autochtone, mais de différentes formes de promotion des droits individuels universels, qui tiennent compte de la colonialité moderne. Les droits collectifs, à leur tour, sont des droits qui doivent être exercés par les peuples autochtones en tant que groupe, c'est-à-dire en tant que sujets collectifs de droit, par exemple le droit au territoire. Il n'y a pas de dichotomie entre les droits individuels et les droits collectifs et les peuples autochtones doivent être considérés à la fois en tant qu'individus et en tant que collectivité. Deuxièmement, la reconnaissance de la colonialité a poussé les États à adopter la cosmovision autochtone dans leurs constitutions et à définir comme finalité le « buen vivir/vivir bien », ce qui, en somme, adopte une vision écocentrique du monde, où prédomine l'harmonie entre l'homme et la nature et non la domination de la nature par l'homme. Cette vision autochtone du monde, lorsqu'elle est promue par la loi fondamentale des États, se traduit par la valorisation de la culture autochtone. En outre, à partir de la prise en compte du « vivre bien », issue de l'interculturalité, non seulement les droits collectifs autochtones sont protégés, comme le droit au territoire et à la participation, mais aussi les droits collectifs de toute la société et même des générations futures à l'environnement sain et équilibré.

Compte tenu de ce qui précède, il convient d'approfondir la démonstration de la volonté commune de ces États de protéger et de valoriser la culture autochtone (Sect. I) et les différents moyens prévus par les constitutions pour atteindre l'objectif du « vivre bien » (Sect. 2).

Section I - La volonté commune de protection et de valorisation de la culture autochtone

Dans cette section, nous démontrerons que les constitutions de la Bolivie et de l'Équateur ont été rédigées, avant tout, pour inclure la vision autochtone du droit, de la justice, de la nature, de l'économie, de l'éducation, etc. dans la formation de l'État. Grâce à l'octroi de droits spécifiques aux peuples et nations autochtones, il existe une volonté ou un animus commun de protection, de valorisation et d'intégration (dans

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l'interculturalité) de la culture autochtone. Les peuples et les nations autochtones, pour se développer par l'autodétermination, ont besoin que l'État leur accorde des droits spécifiques. Ces droits sont appelés droits collectifs parce qu'ils sont exercés par les peuples autochtones en tant que peuples, c'est-à-dire en tant que groupe, et non individuellement. Ainsi, il nous reste à analyser quels sont les droits collectifs spécifiques des peuples autochtones reconnus par les nouvelles constitutions et quelle est la raison de la reconnaissance de ces droits collectifs, c'est-à-dire leur cause et leur objectif. Certains disent que les droits collectifs prévus sont incompatibles avec les droits individuels universels, cependant, nous démontrerons dans cette section que les deux sont parfaitement compatibles et peuvent être exercés par les peuples autochtones à la fois en tant que groupe et en tant qu'individus, malgré les revendications pour leur reconnaissance en tant que sujet collectif de droit, et qu'il incombe aux États de promouvoir ces droits. Dans cette veine, nous analyserons également les différences entre les constitutions de la Bolivie et de l'Équateur quant aux dispositions sur les de droits des peuples et nations autochtones. Comme nous l'avons vu précédemment, la constitution bolivienne assure une plus grande autonomie aux peuples autochtones, ce qui en soi démontre une meilleure protection et valorisation des peuples autochtones par ce pays. Cependant, en ce qui concerne les autres droits prévus dans les constitutions, nous avons constaté que les deux pays sont également progressistes en la matière. Ainsi, il nous incombe d'analyser les similitudes et les différences, dans le cadre d'une étude comparative, entre les droits humains collectifs spécifiques des peuples autochtones (A) et leur compatibilité avec les droits individuels universels prévus dans ces constitutions (B).

A - Les peuples autochtones jouissent de droits humains collectifs spécifiques

Les droits collectifs sont des droits humains spécifiques à certains groupes humains qui en sont titulaires. Les droits collectifs font partie des droits de troisième génération dont la reconnaissance internationale fut historiquement postérieure à celle des droits civils et politiques (droits de première génération) et à celle des droits économiques, sociaux et culturels (droits de deuxième génération). Le droit au développement, à la paix,

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au patrimoine artistique et culturel, à un environnement sain et équilibré et les droits des peuples autochtones en sont des exemples120. Les droits collectifs sont différents des autres droits de troisième génération parce qu'il est possible de déterminer qui peut concrètement les réclamer ou qui est affecté par leur violation. Par exemple, d'une part nous ne pouvons pas déterminer spécifiquement qui a ce droit, car il affecte toute la société, d'autre part, les droits collectifs affectent une partie de la société, autrement dit, un groupe spécifique. Donc, les droits collectifs des peuples autochtones sont propres à ceux qui les intègrent. Les droits collectifs furent et sont toujours un instrument de légitimation d'une croissante quantité de revendications des groupes minoritaires dans les sociétés multiculturelles qui remettent en cause le système démocratique et l'efficacité des droits individuels pour protéger les intérêts de groupes121. Ainsi, les droits collectifs sont un élément normatif qui sert à garantir le développement de l'identité et des institutions culturelles particulières des peuples autochtones (et d'autres minorités ethniques comme les afrodescendants).

La reconnaissance juridique de l'entité collective trouve ses racines dans la situation de diversité culturelle prédominante en l'Amérique Latine. La reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle implique la reconnaissance d'un nouveau type de sujet de droit, les peuples autochtones, qui ont désormais la possibilité de s'autodéfinir comme des nationalités. Les constitutions de la Bolivie et de l'Équateur consacrent le droit à la diversité culturelle lorsqu'elles déclarent l'État comme un État plurinational et interculturel (articles premiers des deux constitutions). Les autres droits collectifs des peuples autochtones vont donc découler du droit à la diversité culturelle. Dans la constitution équatorienne de 2008, ces droits sont prévus dans l'article 57 et dans la constitution bolivienne de 2009, ces droits sont prévus dans l'article 30. En somme, la constitution équatorienne prévoit le droit à l'identité culturelle, aux terres et territoires ancestraux, à la participation dans l'usufruit, l'administration et la conservation des ressources naturelles renouvelables de leurs terres, à la consultation préalable, libre et informée, à la conservation et à la promotion des leurs pratiques de gestion de la biodiversité, à la propriété intellectuelle, à leurs propres formes d'organisation sociale et de génération et d'exercice de l'autorité dans leurs territoires, à leur droit consuétudinaire,

120 GRIJALVA Angustín, Qué son los Derechos Colectivos?, 2009, disponible sur http://dis.um.es/~lopezquesada/documentos/IES_1415/LMSGI/curso/xhtml/html3/doc/derechoscolectivos .pdf consulté le 30 juillet 2022.

121 GAMBOA BALBÍN César Leonidas, « Aproximación teórica a los derechos colectivos de los pueblos indígenas », Derecho y sociedad, 2003, n. 21, p. 62.

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au développement de leurs propres sciences et savoirs ancestraux, à la protection de leurs lieux sacrés, à la protection de l'écosystème de leurs territoires, à la protection de leur patrimoine culturel et historique, à l'éducation interculturelle bilingue, à la participation dans la définition des politiques publiques qui les concernent et finalement à la promotion de leur diversité culturelle, de leurs traditions et de leur histoire. La constitution bolivienne, à son tour, prévoit les droits collectifs suivants : le droit à l'existence ; à l'identité culturelle ; à la libre détermination et à la territorialité ; à ce que leurs institutions fassent partie de la structure générale de l'État ; aux terres et territoires ; à la protection de leurs lieux sacrés ; à avoir leurs propres systèmes et réseaux de communication ; à vivre dans un environnement sain, avec une gestion adéquate des écosystèmes ; à la propriété intellectuelle, ainsi qu'à la promotion de leurs savoirs traditionnels ; à l'éducation intraculturelle, interculturelle et plurilingue ; au respect de leur cosmovision et pratiques traditionnelles dans le système de santé universel et gratuit ; à l'exercice de leurs systèmes politiques, juridiques et économiques accordés à leur cosmovision ; à la consultation préalable lors de l'adoption des lois et politiques publiques qui les concernent ; à la consultation préalable obligatoire, de bonne foi et concertée par rapport à l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables dans leurs territoires ; à la participation aux bénéfices de l'exploitation des ressources naturelles ; à l'usage exclusif des ressources renouvelables qui existent dans leurs territoires, sans préjudice des droits légitimement acquis par des tiers ; et à la participation dans les organes et institutions de l'État.

Par ces deux listes de droits collectifs prévus par chaque constitution, nous pouvons constater la similitude des dispositions constitutionnelles des deux États. Les deux constitutions renforcent l'identité autochtone dans leurs dispositions citées ci-dessus, puisqu'elles protègent et garantissent la promotion de leurs cultures, leurs langues, leurs savoirs, leurs traditions, etc. Néanmoins, les droits les plus importants reconnus par les constitutions sont le droit à la participation politique des peuples et nations autochtones, le droit aux terres, territoires et ressources naturelles et à leur droit consuétudinaire.

Le droit à la participation politique

Le droit à la participation politique des peuples et nations autochtones est un droit spécifique qui découle de leur droit à l'autodétermination et qui est reconnu non seulement dans les constitutions, mais aussi dans plusieurs instruments de droit

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international comme le Pacte international de droits civils et politiques, la convention 169 de l'OIT et la Déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones, tous ratifiés par la Bolivie et par l'Équateur. « Sa nature juridique est différente de celle du droit de vote et de participation aux élections périodiques que tous les individus ont. Dans ce sens, il ne suffit pas de reconnaitre un droit de consultation »122, mais un véritable et réel droit de participation, qui doit réunir trois caractéristiques fondamentales : la participation doit être libre, préalable et informée. La demande de participation politique des peuples autochtones « se traduit également par le droit d'être élu et d'apparaitre en tant qu'acteur politique, ce qui nécessite la pleine reconnaissance dans le système juridique de leur personnalité juridique »123. Le texte constitutionnel bolivien reconnait expressément le droit à la participation dans son article 30, II, n. 15 à 18, lorsqu'il dispose que les peuples ont le droit à « être consultés selon les procédures appropriées, et en particulier à travers leurs institutions, à chaque fois que sont prévues des mesures législatives ou administratives susceptibles de les affecter » et à « participer au sein des organes de l'État ». « En outre, la Constitution bolivienne indique expressément que les élections directes des représentants des nations et peuples autochtones originaires paysans doivent se dérouler conformément à leurs propres normes et procédures (art. 26.I.4) »124. De la même façon, la constitution équatorienne, dans son article 57, n. 16, dispose que les peuples autochtones ont le droit à participer, à travers leurs représentants, au sein des organismes officiels qui déterminent la loi, à la définition des politiques publiques qui les concernent, ainsi qu'aux choix et décisions de leurs priorités, autrement dit, de leurs intérêts, au sein des plans et projets de l'État.

Le droit à la terre, au territoire et aux ressources naturelles

Les droits sur les terres, territoires et ressources naturelles, tant les ressources renouvelables que les non renouvelables qui sont dans les sols sont au centre des revendications des peuples autochtones en raison de leur relation spéciale avec les espaces qu'ils ont traditionnellement occupés, possédés ou utilisés125.

Pourquoi les droits relatifs à la terre, aux territoires et aux ressources naturelles sont-ils au coeur de la revendication des peuples autochtones

122 AGUILAR Gonzalo et al., Análisis comparado del reconocimiento constitucional de los pueblos indígenas en américa latina, Conflict prevention and peace forum, disponible sur https://nanopdf.com/download/analisis-comparado-del-reconocimiento_pdf consulté le 30 juillet 2022, p. 5.

123 Ibid., p. 5.

124 Ibid., p. 6.

125 AGUILAR Gonzalo et al., op.cit., p. 6.

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dans toutes les régions du monde ? La raison fondamentale réside dans les relations particulières que les peuples autochtones entretiennent avec les espaces qu'ils ont traditionnellement possédés, occupés ou utilisés. Ils se considèrent comme historiquement et spirituellement unis à la terre et ils envisagent une vision holistique de la vie, de la terre et de l'environnement. Posséder, conserver et administrer des terres, des territoires et des ressources ancestraux est vital pour l'intégrité et la survie physique et culturelle des peuples autochtones. Plus encore, ces revendications sont une réponse au pillage historique de leurs terres et territoires ainsi qu'à la destruction et à l'appropriation des ressources naturelles qui existent dans ces lieux126.

Les terres, territoires et ressources naturelles ne peuvent pas être dissociés. En effet, « considérés comme des droits collectifs, ces droits tentent de réglementer diverses situations juridiques, à savoir la propriété, la possession, l'occupation, le contrôle, l'administration, la conservation, le développement, l'utilisation et l'accès aux terres, territoires et ressources naturelles ». Le bloc « terres, territoires et ressources naturelles » rassemble, dans une approche destinée à engager la reconnaissance de droits aux peuples et nations autochtones, une idéologie « de la terre comme matrice, une vision du territoire comme fondement de l'exercice des droits sociaux, économiques, politiques, culturels, et une conception des moyens de construire l'autonomie, à travers un contrôle sur les ressources nécessaires à la reproduction de sociétés distinctes »127. Les deux constitutions prévoient le droit à la possession des terres et territoires (art. 30, II, 6, CPEB et art. 57, 5, CRE), mais elles font une distinction entre les ressources naturelles renouvelables et les ressources naturelles non renouvelables. Les constitutions établissent des droits différenciés selon le type de ressource naturelle. Selon l'article 30, II, 17, de la constitution bolivienne, les peuples autochtones ont le droit exclusif aux ressources naturelles renouvelables dans leurs territoires (en respectant le droit acquis des tiers). De plus, la constitution prévoit la consultation préalable obligatoire des peuples autochtones pour l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables de leurs terres et prévoit également leur participation aux bénéfices (art. 30, II, 15, CPEB). À son tour, l'article 57, 6, de la constitution équatorienne, dispose que les peuples autochtones ont le droit de

126 AGUILAR Gonzalo et al., « South/North Exchange of 2009- The Constitutional Recognition of Indigenous Peoples in Latin America », Pace International Law Revue Online Companion, vol. 2, n. 2, 2010, p.69.

127 BELLIER Irène, Terres, territoires, ressources : les relations entre politique, économie, culture et droits des peuples autochtones, Paris : L'Harmattan, 2014, p. 16.

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participer à l'usage des ressources renouvelables. En outre, l'article premier de la constitution dispose que les ressources naturelles non renouvelables de l'Équateur appartiennent à l'État et l'article 57, 7, dispose le droit à la consultation préalable, libre et informée lors de l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables de leurs terres, accompagné du droit à la participation aux bénéfices du projet. Ainsi, malgré leur similitude dans la prévision des droits fonciers, nous pouvons noter une différence importante entre les deux constitutions : les peuples et nations autochtones de la Bolivie ont le droit exclusif à l'usage des ressources naturelles renouvelables de leurs territoires tandis que ce n'est pas le cas en Équateur, où les peuples autochtones partagent ce droit avec l'État. En outre, il y a une différence importante entre les deux textes normatifs lors de la prévision de la consultation préalable : le texte bolivien utilise le terme « obligatoire » et le texte équatorien non. Cependant, l'usage du terme « obligatoire » dans la constitution bolivienne sert seulement à renforcer l'idée principale menée par les deux constitutions : la consultation préalable des peuples autochtones pour pouvoir exploiter les ressources qui se trouvent dans leurs territoires.

Le droit consuétudinaire autochtone

Le droit consuétudinaire autochtone concerne l'ensemble d'usages, pratiques, coutumes, croyances et principes qui réglementent la coexistence interne et qui ont été transmis principalement de manière orale, appliqués de manière générale, obligatoire et uniforme dans le temps par le peuple autochtone et qui sont susceptibles de contrôle social de la part de ses membres, autorités et organisations. Ainsi, le droit consuétudinaire autochtone constitue des « normes de vie et des organisations qui sont fixées par les peuples autochtones à travers leurs coutumes, y compris les formes internes de gouvernance et/ou les mécanismes pour résoudre leurs controverses par le biais d'institutions et de procédures qu'ils définissent »128. Le droit consuétudinaire autochtone, ainsi, se fonde dans le droit de libre détermination et il est intimement lié à l'identité culturelle des peuples autochtones. En effet,

La Constitution de la Bolivie est devenue la charte fondamentale qui accorde la plus grande importance au droit autochtone, y compris au-dessus des standards internationaux, reconnaissant le droit des peuples

128 AGUILAR Gonzalo et al., « South/North Exchange of 2009- The Constitutional Recognition of Indigenous Peoples in Latin America », Pace International Law Revue Online Companion, vol. 2, n. 2, 2010, p.87.

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autochtones "d'exercer leurs systèmes politique, juridique et économique conformément à leur cosmovision", dans un cadre de pluralisme juridique et d'interculturalité et en accordant une hiérarchie égale aux deux juridictions ordinaire et autochtone (cf. art. 30.II.14, 179, 180.II et 191-193). Un deuxième pays qui, ces derniers temps, a également avancé vers une plus grande reconnaissance des droits des autochtones est l'Équateur, qui dans l'article 57 n. 9 et 10 de sa constitution établit le droit des peuples autochtones à "préserver et développer leurs propres formes de coexistence et d'organisation sociale, ainsi que la génération et l'exercice de l'autorité, dans leurs territoires légalement reconnus et dans leurs terres communautaires de possession ancestrale", et de "créer, développer, appliquer et pratiquer leur droit propre ou consuétudinaire"129 ».

Cependant, la reconnaissance constitutionnelle du droit consuétudinaire

autochtone compte avec quelques limitations dans les deux pays. D'abord, le respect à la constitution, c'est-à-dire, la norme étatique. Ensuite, le respect des droits humains et des droits fondamentaux. En outre, la constitution équatorienne dans l'article 171 dispose que la fonction juridictionnelle exercée par les peuples autochtones doit garantir la participation et la décision des femmes. Quant à la constitution bolivienne, elle limite dans son article 191.II, 2, la compétence matérielle de la juridiction autochtone à ce qui est disposé dans une loi de délimitation juridictionnelle (promulguée le 29 décembre 2010, presque 2 ans après la promulgation de la constitution). Cela pour rendre compatible le droit consuétudinaire autochtone au droit étatique, dans le dialogue interculturel.

XXX

Malgré l'importance considérable des droits collectifs pour l'étude de la reconnaissance constitutionnelle des droits des peuples autochtones dans les constitutions bolivienne et équatorienne, il est indispensable de soulever les enjeux de cette reconnaissance par rapport aux droits individuels, autrement dit, il est indispensable d'analyser la compatibilité entre droit collectif et droit individuel, puisque les autochtones

129 AGUILAR Gonzalo et al., Análisis comparado del reconocimiento constitucional de los pueblos indígenas en américa latina, Conflict prevention and peace forum, disponible sur https://nanopdf.com/download/analisis-comparado-del-reconocimiento_pdf consulté le 30 juillet 2022, p. 10-11.

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jouissent également de tous les droits individuels universels prévus dans les constitutions et traités internationaux.

B - Les droits collectifs des peuples autochtones sont complémentaires aux droits individuels universels

Dans la démocratie libérale, l'égalité et la liberté individuelle des citoyens sont l'engagement fondamental. Donc, les droits civils et politiques essentiels sont garantis à chaque individu de l'État, c'est-à-dire à tout citoyen, peu importe son appartenance de groupe. En effet, la démocratie libérale fut une réaction en Europe contre l'Ancien Régime et sa manière de définir les droits politiques et les opportunités économiques des individus selon le groupe auquel ils appartiennent130. De cette façon nous pouvons nous demander comment les libéraux peuvent accepter les revendications de droits différenciés selon l'appartenance de groupe des minorités ethniques. À première vue, l'idée d'avoir des droits différenciés peut sembler contraire au libéralisme, qui défend que les individus aient une personnalité autonome, capable de définir leurs propres identités et objectifs de vie. Il est naturel de supposer que les droits collectifs sont opposés aux droits exercés par des individus et que les premiers sont en conflit avec les seconds. Pourtant, nous pensons que cette perception est fausse. En effet, les « différentes formes de citoyenneté différenciée selon le groupe ethnique »131 sont tout à fait compatibles avec les droits individuels universels. Il faut souligner que la terminologie « formes de citoyenneté différenciée » est utilisée par l'auteur Will Kymlicka à la place de « droits collectifs » parce qu'il juge que cette dernière terminologie est trop large et qu'elle n'englobe pas les droits individuels exercés de manière différenciée par les personnes qui appartiennent à un groupe minoritaire, ce qui peut amener à une fausse conclusion d'opposition entre ces droits différenciés et les droits individuels universels. La plupart des droits collectifs n'ont pas de rapport avec la primauté des communautés sur les individus, mais reposent plutôt sur l'idée que la justice entre les groupes exige que des droits différenciés soient accordés aux membres de groupes différents.

130 KYMLICKA Will, « Derechos individuales y derechos colectivos », in ORDONEZ María Paz et LEDESMA María Belén (dir.), Los derechos colectivos: hacia su efectiva comprensión y protección, Quito : Ministro de Justicia y Derechos Humanos del Ecuador, 1ère ed., 2009, p. 3.

131 Ibid., p. 4.

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Les revendications d'un groupe ethnique, selon Kymlicka, peuvent être de

deux types : le premier implique la revendication d'un groupe contre ses propres membres et le deuxième implique la revendication d'un groupe contre la société dans laquelle il s'insère. Ces deux types de revendications sont appelées « droits collectifs », mais les enjeux de chacun sont très différents. L'auteur appelle les premières « restrictions internes », puisqu'elles ont l'objectif de protéger le groupe de l'impact négatif d'instabilité du dissensus interne, et les deuxièmes « protections externes », car elles ont l'objectif de protéger le groupe de l'impact des décisions externes, c'est-à-dire de l'État central.

Les restrictions internes impliquent des relations intra-groupes : le groupe ethnique ou national peut chercher à utiliser le pouvoir de l'État pour restreindre la liberté de ses propres membres au nom de la solidarité de groupe. Cela pose le danger de l'oppression individuelle. Les critiques des "droits collectifs" dans ce sens invoquent souvent l'image des cultures théocratiques et patriarcales, où les femmes sont opprimées, et l'orthodoxie religieuse imposée par la loi comme exemples de ce qui peut arriver lorsque les droits présumés du collectif priment sur les droits des individus. [...] Les protections externes impliquent des relations intergroupes ; c'est-à-dire que le groupe ethnique ou national peut essayer de protéger son existence et son identité spécifique en limitant l'impact des décisions de la société dans laquelle il est inclus. Cela pose aussi certains problèmes, non d'oppression individuelle au sein d'un groupe, mais d'injustice entre groupes. Un groupe peut être marginalisé ou séparé afin de préserver la spécificité d'un autre groupe. Les critiques des "droits collectifs" dans ce sens se réfèrent souvent au système d'apartheid en Afrique du Sud comme un exemple de ce qui peut arriver lorsqu'un groupe minoritaire réclame une protection spéciale de la société dans son ensemble132.

Cependant, la concession de protections externes et ainsi de droits spéciaux

ne crée pas nécessairement une telle injustice. Cela parce que ces protections externes n'impliquent pas une position de domination sur les autres groupes, au contraire, de tels droits offrent une position d'égalité entre les divers groupes, étant donné la vulnérabilité d'un petit groupe face à un grand. Les droits différenciés ou droits collectifs, donc, aident à réduire la vulnérabilité des groupes minoritaires face aux pressions économiques et aux

132 Ibid., p. 8.

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décisions politiques de la masse de la société. Dans cette perspective externe, les groupes prétendent s'assurer que l'ensemble de la société ne les privera pas des conditions nécessaires pour leur survie, et non pas contrôler si leurs propres membres adhèrent ou non à des pratiques peu traditionnelles, il n'y a pas de conflit entre les protections externes et les droits individuels des membres du groupe. Toutefois, les groupes sont aussi intéressés à contrôler le dissensus interne et revendiquent des droits différenciés selon le groupe pour imposer des restrictions internes à leurs membres. Cette possibilité a été évoquée à plusieurs reprises dans le contexte des revendications d'autonomie des peuples autochtones. Par exemple, dans les nouvelles constitutions de l'Équateur et de la Bolivie, comme vu auparavant, il y a des restrictions aux autonomies autochtones en ce qui concerne le respect aux droits individuels disposés dans les constitutions et dans les traités internationaux. Ainsi, si un membre considère que son droit individuel a été violé, il peut faire un recours devant la justice autochtone.

Bien que les droits collectifs prévalent inévitablement sur certains droits individuels, comme le droit collectif à la terre qui restreint la possibilité de la vendre par les membres du groupe, cela ne constitue pas un prétexte pour supprimer une liberté individuelle fondamentale. Il n'y a pas de raisons qui amènent à soutenir que les droits collectifs excluent ou sont au-dessus des droits individuels. Au contraire, il est plausible de soutenir que les deux sont complémentaires et que les personnes qui font partie d'un peuple autochtone jouissent tant des droits individuels en tant que citoyens d'un État, que de droits collectifs en tant que membres d'un peuple ou nation autochtone.

Les personnes autochtones, selon les deux constitutions (art. 13 de la CPEB et art. de la CRE), jouissent de tous les droits individuels universels. En ce sens, la théorie libérale (celle contre les droits collectifs) défend l'applicabilité de tous les droits humains à tous les individus, universellement et également, et donc également aux personnes autochtones et pour elle cela est suffisant. Cependant, cela n'est pas toujours le cas dans la vie réelle, selon les divers rapports internationaux133 sur les conditions des peuples autochtones dans le monde. Malgré le fait que les peuples autochtones ont tous les droits humains individuels universels, ils n'en profitent pas de la même façon que les autres individus, en raison de leur appartenance de groupe, c'est-à-dire en raison des inégalités

133 C.f. Les publication du State of the world's indigenous peoples (SOWIP) - United Nations Permanent Forum on Indigenous Issues (UNPFII) disponibles sur https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/publications/state-of-the-worlds-indigenous-peoples.html (consulté le 30 juillet 2022).

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qui découlent de cette appartenance, car les peuples autochtones sont victimes du racisme et également d'une discrimination culturelle. Résoudre la question des détails pratiques est lié aux structures institutionnelles, aux systèmes juridiques et aux relations de pouvoir existants, « qui à leur tour sont liés à un système social plus complexe dans lequel les peuples autochtones sont, pour commencer, les victimes historiques des violations des droits humains »134. Le manque d'un accès équitable aux droits humains universels en raison de leur appartenance de groupe est une des raisons pour laquelle ces droits se montrent peu satisfaisants pour les peuples autochtones. Ainsi, pour que le principe d'égalité acquière un sens pour les peuples autochtones, il faut admettre une catégorie de droits qui guide la hiérarchie de valeurs et de droits, qui respecte leur vision du monde (cosmovision) et le système de croyances autochtones et, en même temps, qui ne viole pas le système des droits de l'homme conçu au niveau international. Cette catégorie est appelée de « droits émancipateurs » par Silvina Ramírez, puisque « c'est un outil généré pour que les peuples autochtones puissent lutter pour leurs droits et ainsi parvenir à une véritable égalité »135.

C'est pourquoi les caractéristiques qui définissent un droit comme émancipateur peuvent être attribuées, selon le sujet sur lequel il est prêché, le contexte et le moment où se développent les relations ou les situations sociales, à différents types de droits qui acquerront cette qualité en raison des exigences et des besoins des peuples autochtones. Pour bien préciser l'idée, le caractère émancipateur d'un droit est un instrument conceptuel créé pour remplir une fonction précise : celle de résoudre les conflits entre droits. Ils qualifient un ensemble de droits qui à une place et à un moment déterminés doivent avoir la primauté sur les autres, pour parvenir à une situation qui permette à certains sujets leur jouissance effective136.

Ainsi, lorsqu'il y a un conflit entre un droit collectif et un droit individuel, une possible sortie par le haut serait le principe « pro-émancipation », qui ferait une hiérarchie de valeurs sans prétention d'universalité, mais dans le dialogue interculturel, en évaluant chaque situation dans son contexte et en pointant des critères objectifs fondés

134 STAVENHAGEN Rodolfo, « Los derechos de los pueblos indígenas: desafíos y problemas », Revista IIDH, vol. 48, 2008, p. 260

135 RAMIREZ Silvina, « Igualdad como Emancipación: Los Derechos Fundamentales de los Pueblos Indígenas », Anuario de Derechos Humanos, n. 3, 2007, p. 44.

136 Ibid. p. 45.

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dans l'analyse des conditions historiques qui se présentent137 et non le critère classique « pro-persona », qui ne laisse aucun espace aux droits collectifs lorsqu'il exclut de sa portée les conditions nécessaires pour que certains groupes humains acquièrent la possibilité d'avoir une vie digne.

En somme, selon les constitutions bolivienne et équatorienne, le droit autochtone doit respecter les droits individuels universels prévus dans les constitutions et les traités internationaux, ces droits étant prévus en même temps que les droits collectifs, exercés par un groupe ethnique et non pas par un individu, pour engendrer une compatibilité entre les deux et ne pas laisser les membres de ces groupes en dehors du système de protection des droits humains individuels. Malgré leur compatibilité, ces droits peuvent entrer en conflit dans le cas concret et la solution serait alors l'utilisation du principe « pro-émancipation » formulé par Ramirez, principe qui répond aux exigences de l'interculturalité.

Enfin, la volonté de valorisation de la culture autochtone va au-delà des droits collectifs octroyés aux peuples autochtones, elle peut être vue aussi dans la nouvelle finalité de l'État telle que décrite par les constitutions de la Bolivie et de l'Équateur. Ces deux constitutions ont consacré la finalité du « vivre bien » comme la finalité ultime de l'État, qui est devenu un État d'émancipation sociale et non plus de régulation sociale. Autrement dit, l'État ne sert plus à réguler la société, mais à la développer ou à l'émanciper, toujours en garantissant l'harmonie entre les divers groupes qui la compose et également entre la société et la nature.

Section II - Le Buen Vivir/Vivir Bien : une tentative commune de refondation ontologique du droit

Le « buen vivir » ou « vivir bien » est un nouveau concept formulé par les penseurs autochtones à partir de leur confrontation au système capitaliste et au modèle néolibéral, et également à partir de la récupération des éléments culturels de l'occident qui sont resignifiés selon les nécessités des peuples autochtones. La finalité est de faire des propositions pour résoudre la « crise de la culture occidentale », marquée principalement par l'urgence climatique. Ce concept est prévu par les nouvelles

137 Ibid., p. 45.

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constitutions de l'Équateur et de la Bolivie de manières différentes, mais avec un même objectif derrière : une tentative de refondation ontologique du droit. Autrement dit, la raison d'être du droit est, à partir de ces constitutions, le « bien vivre » de la société dans sa diversité et le « bien vivre » de la société avec la nature. Ainsi, il convient d'abord d'analyser le contenu de ce concept, sa genèse et sa notion (A), pour ensuite expliquer comment le concept a été définit par chaque constitution, leurs différences, leurs similitudes et également les contradictions dans les textes constitutionnels eux-mêmes qui rendent difficile la concrétisation du « vivre bien » et qui le réduit à une sorte d'utopie (B).

A - La notion de « vivre bien » depuis le monde andin

Le concept de « vivre bien » est le fruit d'un débat qui a surgi dans les années 90 avec les mouvements autochtones en Bolivie comme réaction au gouvernement en place qui adoptait des lois et des politiques publiques sous le slogan « para vivir mejor » (pour vivre mieux). Ce dernier représentait, pour les autochtones, le mode de vie occidental : le progrès illimité, la consommation inconsciente, l'incitation à l'accumulation matérielle, l'individualisme, la dénaturation de l'être humain, la monétisation de la vie, et l'usage de la nature comme une ressource qui peut être exploitée, comme un objet sans vie pouvant être utilisé sans limites138. Donc, pour le développement du concept de « vivre bien », les penseurs autochtones sont partis de l'idée que l'occident promeut la logique du privilège, du mérite et non pas de la nécessité communautaire et cette promotion qui suppose le progrès illimité amène les individus à être dans une constante compétition pour créer des conditions pour vivre mieux. Ainsi, selon eux, la vision moderne du « vivre mieux » a généré « une société inégale, déséquilibrée, prédatrice, consumériste, individualiste, insensible, anthropocentrique et antinature »139. Pour lutter contre ces idées, les mouvements autochtones bolivien et équatorien ont commencé à théoriser ensemble un concept, qui plus tard fut formalisé respectivement par les constitutions de 2009 et 2008. « Le concept vient de derrière, du passé, de la longue mémoire autochtone qui a été occultée et niée pour se situer dans le

138 HUANACUNI MAMANI Fernando, Buen Vivir/Vivir Bien: Filosofía, políticas, estrategias y experiencias regionales andinas, Lima, Perú, Coordinadora Andina de Organizaciones Indígenas, 2010, p. 32-33.

139 Ibid., p. 33.

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présent et proposer un avenir meilleur pour tous »140, il est donc « instrumentalisé comme un véhicule de libération et de décolonisation »141.

Le Buen Vivir/Vivir Bien : une construction collective

La notion de « vivre bien » est tirée des expériences ou systèmes de vie des peuples autochtones et fondée sur leur relation avec la nature (la « Terre-Mère » ou Pachamama). Le « vivre bien » est lié à la spiritualité profonde que les peuples autochtones maintiennent avec la nature, à leur identité et à leur organisation sociale. « Vivre bien » signifie vivre en harmonie et en équilibre.

Selon la cosmovision autochtone, toute forme d'existence est égale l'une de l'autre, nous sommes tous dans une relation complémentaire, tout vit et tout est important. Cependant, la base fondamentale de la continuité du buen vivir est le respect de la Mère Nature, l'accès à la terre et au territoire, dans le cadre du droit à l'autodétermination des

peuples [...]142.

Selon Fernando Huanacuni Mamani, vivre bien c'est vivre en communauté, en fraternité et surtout en complémentarité, « c'est une vie communautaire, harmonieuse et autosuffisante. Vivre bien signifie se compléter les uns et les autres et partager sans compétition, vivre en harmonie avec les personnes et avec la nature. C'est la base pour la défense de la nature, de la vie même et de toute l'humanité »143. Cette définition conjugue les pensées autochtones des deux pays, Bolivie et Équateur. En Bolivie, le « vivre bien » est un principe éthico-moral qui s'inscrit dans la culture aymara sous le nom de suma qamaña. Suma « renvoie à la plénitude, l'excellence, le magnifique, le beau, le sublime »144 et qamaña « fait référence à la vie, à l'existence »145. De cette manière, le suma qamaña « pourrait se traduire par «vivre en plénitude», «vivre bien», «savoir vivre» ou encore «vivre en harmonie» »146. En Équateur, le concept de « vivre bien » s'inscrit dans la culture quéchua sous le nom sumak kawsay et il prend une forme davantage liée

140 CAUDILLO-FELIX Gloria Alicia, « El buen vivir: un diálogo intercultural », Ra-Ximhai, vol. 8, n. 2, 2012, p. 347.

141 Ibid. p. 347.

142 CUNNINGHAM Mirna, « Acerca de la visión del «buen vivir» de los pueblos indígenas en Latinoamérica », Asuntos Indígenas, IWGIA, Copenhague : 2010, p. 53.

143 HUANACUNI MAMANI Fernando, op. cit., p. 21-22.

144 AUDUBERT Victor, « La notion de Vivir Bien en Bolivie et en Équateur, réelle alternative au paradigme de la modernité ? », Cahiers des Amériques Latines, Université Paris 3, Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine, 2017, p. 93.

145 Ibid., p. 93.

146 Ibid., p. 93.

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au présent, « c'est le «processus de la vie pleine», de la «vie en équilibre matériel et spirituel» ». On retrouve également le concept dans d'autres cultures autochtones présentes sur le territoire andin, comme dans la culture guarani sous le nom de yaiko kavi. Ainsi, tous les peuples autochtones partagent des aspects du « vivre bien », qui peut être mieux résumé avec les mots de Huanacuni : « vivre bien est la vie en plénitude. Savoir vivre en harmonie et en équilibre ; en harmonie avec les cycles de la Terre Mère, du cosmos, de la vie et de l'histoire, et en équilibre avec toutes les formes d'existence dans un respect permanent »147.

Cependant, en même temps que les autochtones systématisent le concept de vivre bien depuis leurs expériences, ils reprennent la pensée occidentale pour construire leurs réflexions inscrites dans les États plurinationaux équatorien et bolivien. Cela fait partie du dialogue interculturel qu'ils proposent. Par exemple, le « vivre bien » dialogue avec les propositions européennes pour sortir du système de consommation et de développement comme le mouvement appelé « décroissance ». Le « vivre bien », donc, ne fait pas partie d'une proposition romantique qui consisterait à revenir à la vie sauvage. Selon Caudillo-Felix148, il s'inscrit dans le débat actuel de la crise du système capitaliste et de la détérioration de l'environnement. Ainsi, les autochtones dialoguent dans ce contexte à partir de leurs valeurs culturelles, en offrant ce qu'ils considèrent pouvoir aider l'humanité entière et non seulement les peuples autochtones, et également à partir de la nécessité d'exercer librement leur autodétermination pour que le « bien vivre » soit une réalité et non pas seulement une théorie149. Selon Blanca Chancoso, dirigeante quéchua, le sumak kawsay est un concept qui pourrait être considéré comme une utopie, parce qu'il propose une lutte constante pour l'égalité.

La proposition du Sumak Kawsay est inclusive, elle prend en compte les femmes, les enfants, les personnes âgées, les indiens, les afrodescendants, les métis, elle s'adresse à toute la société. Ils pourraient la traduire à partir de leur langue et de leur culture. En effet, ce mot n'est pas seulement pour les autochtones, car il est dans notre langue, regardons plutôt l'interprétation que chacun peut en donner dans le cadre du changement pour arriver au buen vivir150.

147 HUANACUNI MAMANI Fernando, op. cit., p. 32.

148 CAUDILLO-FELIX Gloria Alicia, op.cit., p. 350.

149 Ibid., p. 350.

150 CHANCOSO Blanca apud CAUDILLO-FELIX Gloria Alicia, op. cit., p. 352.

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De cette façon, l'interculturalité devient un principe clé du « vivre bien ». Selon Chuji151, au travers de l'interculturalité, il est possible de conserver le meilleur du système en place, pour aller par la suite vers un nouveau système qui surmonte de manière définitive la modernité. Le « vivre bien » serait alors une construction collective des peuples pour remplacer le système capitaliste global. Selon Mario Palacios152, la construction collective serait une confrontation envers la vision individualiste et souvent élitiste de l'intellectuel occidental.

Le « vivre bien » dans la pensée critique

Le « vivre bien » est ainsi devenu un concept autonome, détaché des notions spirituelles autochtones, avec « une dimension réactive, en s'opposant aux notions de modernité et de développement, mais aussi proactive, en proposant une refondation ontologique du droit et de la politique »153. Il s'oppose à l'idée « d'un bien-être futur qui passerait nécessairement par le progrès technique et économique. L'universalisme est perçu comme une homogénéité culturelle qui serait impossible à mettre en place dans un monde diversifié et pluriel »154. Ainsi, « plutôt que d'homogénéiser le monde, il s'agirait d'apprendre à vivre en complémentarité avec les autres, d'où la notion centrale d'interculturalité dans le Vivir Bien »155. L'anthropocentrisme est remplacé par l'écocentrisme, où l'homme ne serait plus la mesure de toutes les choses et n'aurait plus une place privilégiée dans l'univers.

Ainsi, la notion de « vivre bien » est plurielle et diverse et les auteurs qui l'étudient sont issus de différents horizons philosophiques et politiques156. Dans ce contexte, nous pouvons nous intéresser « à la typologie que dresse Matthieu Le Quang [2017] des différentes interprétations liées au Vivir Bien. L'auteur met en avant trois courants principaux structurant la pensée du Vivir Bien »157 : celui du groupe modernité/colonialité (le courant culturaliste et indigéniste), qui compte avec Boaventura de Sousa Santos, Catherine Walsh, Aníbal Quijano ou encore Fernando Huanacuni Mamani ; le courant « écologiste et post-développementaliste », qui compte avec des universitaires venus de l'écologie politique et critiques de la notion de développement,

151 CHUJI Mónica apud CAUDILLO-FELIX Gloria Alicia, op. cit., p. 350.

152 PALACIOS Mario apud CAUDILLO-FELIX Gloria Alicia, op. cit., p. 353.

153 AUDUBERT Victor, op. cit., p. 94.

154 Ibid., p. 94.

155 Ibid., p. 94.

156 Ibid., p. 94.

157 Ibid., p. 95.

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comme Alberto Costa et Eduardo Gudynas ; et le courant « éco-marxiste et étatiste », « où se regroupent les intellectuels venus du socialisme et qui ont pour beaucoup déjà occupé des fonctions publiques, comme René Ramirez ou Álvaro García Linera »158.

Pour le premier groupe, selon la sociologue Catherine Walsh159, le « vivre bien » est un système de vie ancestral, fondé sur la relationnalité qui part du principe que tout dans le monde est interconnecté, que rien n'existe isolé, mais coexiste avec son complément. Les valeurs et pratiques des peuples autochtones sont tenues comme une sortie de la modernité, de la colonialité et du capitalisme, ce dernier étant fondé dans le contrôle de la nature par l'homme et dans l'individualisme. Boaventura de Sousa Santos160, à son tour, défend que le sumak kawsay, ou les droits de la Pachamama, ne sont pas seulement prévus pour les autochtones, car ce sont des concepts qui furent incorporés par les constitutions de l'Équateur et de la Bolivie, qui mélangent le savoir ancestral et le savoir moderne, européen et eurocentré, ce que l'auteur appelle « écologie des savoirs ». Il souligne que dans la cosmovision autochtone il n'y a pas le concept moderne de droit et que le droit de la Pachamama, autrement dit les droits de la nature, est un mélange parfait entre la pensée eurocentrée et la pensée ancestrale. Ainsi, Santos conçoit le « vivre bien » à partir d'un dialogue interculturel qu'il appelle « écologie des savoirs », dans lequel on cherche à associer le meilleur du savoir ancestral et du savoir moderne, à partir de l'écoute des propositions des mouvements sociaux latinoaméricains.

Les auteurs du deuxième groupe, le courant « écologiste et post-développementaliste », s'appuient sur le « vivre bien » pour surmonter le paradigme du développement. « Tout en s'inspirant de textes plus radicaux, ils insistent sur l'aspect évolutif du Vivir Bien et sur le caractère transcendantal qu'est l'interculturalité »161. Ainsi, la discussion sur le « vivre bien » ne saurait se limiter à la région andine ou latino-américaine, mais devrait se constituer en une option possible pour l'ensemble de la planète. Ce courant s'inscrit donc davantage dans un cadre post-moderne et sert ici de nouvelle utopie pour l'émancipation de la société, au sein d'un environnement réconcilié.

Enfin, pour le troisième groupe, celui du courant « éco-marxiste et étatiste », le « vivre bien » doit réactualiser l'utopie socialiste en y intégrant la problématique de la

158 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 95.

159 WALSH Catherine, Interculturalidad, Estado, Sociedad. Luchas (de)coloniales de nuestra época, Universidad Andina Simón Bolívar, Quito, Editoral Abya Yala, 2009, p. 231.

160 Cf. SANTOS Boaventura de Sousa, Refundación del Estado en América latina: perspectivas desde una epistemología del Sur, Quito, Abya Yala, 2010.

161 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 95.

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protection de la nature et de la reconnaissance des droits des peuples autochtones. Cependant, selon Victor Audubert, nous resterons ici dans un « paradigme relativement anthropocentrique, où le Vivir Vien est le canal par lequel passent la satisfaction des besoins matériels de la population et l'émancipation de l'individu dans une perspective marxiste »162.

Enfin, la pluralité de définitions du « bien vivre » a donné lieu à des ontologies différentes lors des processus constituants bolivien et équatorien. Cette tentative de refondation ontologique du droit dans les deux pays est traduite dans les nouvelles constitutions, qui, à leur tour, ont disposé le concept chacune à sa façon.

B - La disposition différenciée du concept par chaque constitution

Le « vivre bien » a finalement trouvé son acmé juridique dans les constitutions de l'Équateur (2008) et de la Bolivie (2009), qui, dans une tentative de refondation de l'État, ont procédé à l'inclusion des valeurs, des cultures, des organisations et de la vision du monde des peuples et nations autochtones. Dans le texte constitutionnel bolivien, les références au « vivre bien » apparaissent dans la section sur les principes, les valeurs et les finalités de l'État. Dans cette section, le texte dispose que « l'État assume et promeut comme des principes éthico-moraux de la société plurielle »163 le suma qamaña entre autres principes autochtones déjà vus dans la première partie de cette recherche. Ces principes autochtones disposent de la même hiérarchie constitutionnelle que d'autres principes plus classiques comme l'égalité, la liberté, la dignité et la solidarité. Le « vivre bien » est également lié à l'organisation économique de l'État, dont la constitution dispose que le « modèle économique bolivien est plural et est orienté à rendre la qualité de vie meilleure et le vivre bien »164.

Un système économique pluriel lié à des principes tels que la solidarité et la réciprocité est postulé, où l'État s'engage à redistribuer équitablement les excédents vers des politiques sociales de diverses natures. De plus, on insiste sur le fait que pour parvenir à "vivre bien dans ses multiples dimensions", l'organisation économique doit viser des objectifs tels que la génération de produit social, la redistribution

162 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 96.

163 Art. 8 de la CPEB de 2009.

164 Art. 306 de la CPEB de 2009.

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équitable des richesses, l'industrialisation des ressources naturelles, etc. (article 313)165.

Selon Audubert, le « vivre bien » pourrait « être considéré comme une métavaleur constitutionnelle qui représente à la fois la cause, la conséquence et même le moyen de toutes les dispositions contenues dans la Constitution bolivienne »166, puisque les autres valeurs présentes dans la constitution semblent subordonnées au « vivre bien », étant donné que toutes tendent à la réalisation de cette métavaleur. Le tribunal constitutionnel plurinational de la Bolivie définit la notion de « vivre bien » de manière plurielle : à la fois comme un principe juridique, comme une valeur éthique et comme une finalité de l'État.

Le suma qamaña peut être appréhendé sous une triple dimension : comme un principe, une valeur et une fin, une construction qui se déduit de l'art. 8.I de la Loi fondamentale. Dans sa dimension de principe, il doit être compris comme la base, le fondement de l'ordre juridique, des actes publics et privés, communautaires et individuels ; dans sa dimension de valeur, en tant qu'orientation, en tant qu'objectif à atteindre dans la réalisation desdites activités, et en tant que finalité, il doit être compris comme le but ultime projeté par l'État pour la bonne coexistence de l'ensemble de la population.167

Cette notion de « vivre bien » donnée par le Tribunal constitutionnel plurinational (TCP) se retrouve dans plusieurs décisions entre 2012 et 2014, moment où elle a connu son acmé juridique, dont elle constitue souvent le seul fondement juridique. Dès lors le « vivre bien » devient un synonyme de justice, d'égalité et d'intérêt général168.

Le texte constitutionnel équatorien, à son tour, prévoit le « bien vivre »169 de manière différente. Il le présente comme les « droits du bien vivre », « qui est compris ici comme une notion réceptacle d'où peut être extrait un ensemble de droits subjectifs individuels »170. Ainsi, dans cette acception plus générique, le texte constitutionnel prévoit, dans son deuxième chapitre, plusieurs droits : le droit à l'eau, à l'alimentation, à l'environnement sain, à la communication et à l'information, à la culture, à la science, à

165 GUDYNAS Eduardo, « Tensiones, contradicciones y oportunidades », in FARAH Ivonne et VASAPOLLO Luciano (dir.), Vivir bien: Paradigma no capitalista?, Plural editores, 2011, p. 234.

166 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 96.

167 Bolivie, Tribunal constitutionnel plurinational, 12 février 2014, Décision constitutionnelle plurinationale 0260/2014.

168 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 97.

169 Le texte constitutionnel bolivien utilise l'écriture « vivre bien » (vivir bien) et le texte constitutionnel équatorien utilise l'écriture « bien vivre » (buen vivir).

170 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 99.

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l'éducation, au logement, à la santé, au travail et à la sécurité sociale. Par exemple, dans l'article 14 du même chapitre, le texte constitutionnel « reconnait le droit de la population à vivre dans un environnement sain et écologiquement équilibré, qui garantit la soutenabilité et le bien vivre, sumak kawsay ». Les droits du bien vivre occupent le même rang constitutionnel que d'autres ensembles de droits, comme les droits de participation, les droits de liberté ou encore les droits de la nature. Ensuite, dans son article 275, la constitution équatorienne identifie les principaux champs d'action du buen vivir ou sumak kawsay : le régime du développement et le régime du « bien vivre ». Le régime du développement est défini comme « l'ensemble organisé, soutenable et dynamique des systèmes économiques, politiques, socioculturels et environnementaux qui garantissent la réalisation du bien vivre, du sumak kawsay »171. Parallèlement, le régime du « bien vivre » nécessite la jouissance effective des droits par les « personnes, communautés, peuples et nationalités »172 et également l'exercice de leurs responsabilités « dans le cadre de l'interculturalité, du respect des diversités et de la coexistence harmonique avec la nature »173. De cette façon, à l'instar du texte bolivien, dans le texte équatorien, le « vivre bien » semble être un principe qui transcende toute l'action de l'État.

Cette brève analyse du « vivre bien » dans les deux constitutions nous permet ainsi de souligner à la fois des similitudes et des différences. Dans les deux cas, l'idée du « vivre bien » est directement liée aux savoirs et aux traditions des peuples autochtones. Autrement dit, dans les deux cas, il y a un effort délibéré de rendre visibles les conceptions autochtones, qui ont été durant longtemps mises à l'écart. Cependant, il y a quelques différences importantes entre les deux lois fondamentales. Dans le cas bolivien, le suma qamaña et les autres principes autochtones prévus dans l'article 8.I sont utilisés pour renforcer l'idée d'une société plurinationale, puisqu'ils servent de fondement éthique à la plurinationalité que défend la Bolivie. Dans le cas équatorien, toutefois, le sumak kawsay est présenté sur deux niveaux : d'abord comme le cadre d'un ensemble de droits, mais aussi comme l'expression d'une grande partie de l'organisation et de l'exécution de ces droits. Le « bien vivre » en Équateur a une plus grande portée qu'en Bolivie, car le sumak kawsay est apparu dans l'ensemble des droits alors qu'en Bolivie ce lien entre le « vivre bien » et les droits n'est pas explicite. En Bolivie, le suma qamaña apparait comme une fin de l'État et en Équateur le sumak kawsay apparait dans un haut niveau de la hiérarchie

171 Art. 275 de la Constitution de la République de l'Équateur de 2008.

172 Ibid.

173 Ibid.

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des droits, car d'autres droits en découlent. « C'est-à-dire qu'il est simultanément lié à d'autres conceptions du droit »174.

Pourtant, malgré la prévision constitutionnelle du « vivre bien » autochtone dans les deux constitutions et leur volonté de procéder à une refondation ontologique du droit, le « vivre bien » semble « rester confiné dans le cadre de la modernité occidentale »175. Les deux constitutions présentent des tensions et des contradictions qui rendent difficile la concrétisation du « vivre bien », spécifiquement dans sa dimension environnementale. Comme déjà vu antérieurement, le « vivre bien » se présente comme une alternative au développement qui fait de la nature un ensemble de ressources que rendent possible les avancées économiques, c'est-à-dire le développement conventionnel. Selon Gudynas176, le territoire est toujours imaginé comme regorgeant de ressources naturelles, de grandes richesses minérales et d'hydrocarbures attendant d'être exploités. La constitution bolivienne de 2009, dans son article 355, dispose que l'industrialisation et la commercialisation des ressources naturelles seront la priorité de l'État. En outre, l'article 9 prévoit la promotion de l'exploitation et de l'industrialisation des ressources naturelles comme une fin de l'État, de la même manière que la conservation de l'environnement. Ainsi, l'État bolivien, « loin de se contenter de protéger les ressources et de déléguer leur usage aux seules communautés »177 autochtones, a l'obligation d'exploiter les ressources naturelles du territoire. Cette obligation est en contradiction avec d'autres normes constitutionnelles comme le droit de vivre dans un environnement sain et équilibré. En même temps que l'État doit s'assurer de la conservation de l'environnement, sous le principe du suma qamaña, il doit exploiter et industrialiser les ressources naturelles. De cette façon, « à moins de penser que l'exploitation des ressources naturelles puisse se faire sans aucun dommage à la nature, cette contradiction tue dans l'oeuf le projet même d'une « société du Vivir Bien »178. Il en va de même en Équateur. Malgré la prévision du sumak kawsay, qui transcende toute l'action de l'État, la constitution mélange les notions de « bien vivre » et de développement économique dans son titre VI.

À ce sujet, Pierre Avril [1997], reprenant l'expression de Carl Schmitt, parle d'un « compromis dilatoire », c'est-à-dire un compromis qui ne

174 GUDYNAS Eduardo, op.cit., p. 235.

175 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 100.

176 GUDYNAS Eduardo, op.cit., p. 237.

177 AUDUBERT Victor, , op.cit., p. 98.

178 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 99.

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convient à aucune des parties et dont les contradictions internes ne peuvent se résoudre que par la pratique ; pratique qui en Équateur et en Bolivie a largement tranché en faveur du projet développementaliste et néo-extractiviste179.

Le justificatif le plus commun dans les deux pays réside dans la nécessité de promouvoir ces projets néo-extractivistes pour accumuler des fonds qui seraient utilisés dans les programmes d'assistance sociale. C'est-à-dire qu'une relation de causalité et de dépendance entre extractivisme et mesures d'assistance sociale est établie, cette dernière étant présentée comme une partie du « vivre bien ». Nous pensons, au contraire, que le risque dans les deux pays est de vider le contenu du « vivre bien » et de l'assujettir aux impératifs qu'impose le développement. Selon Gudynas180, on serait devant un « vivre bien » recadré qui tolèrerait des impacts environnementaux et sociaux localisés pour réaliser des améliorations sociales généralisées. Ce recadrement, selon le même auteur, viole divers préceptes fondamentaux du « vivre bien », comme l'aspiration à un autre type de développement ou encore le principe selon lequel le bien-être de quelques-uns ne peut pas être atteint au détriment du bien-être des autres. Enfin, l'auteur argumente que défendre ce type de « vivre bien » serait défendre un capitalisme bénévole, « où on maintient des éléments centraux des processus productifs avec une présence étatique plus grande et un réseau de mécanismes de compensation sociale focalisés »181 ; et ce capitalisme bénévole n'est pas compatible avec le « vivre bien », car l'extractivisme génère des impacts sociaux et environnementaux d'une très grande ampleur qui baisse la qualité de vie des personnes et la qualité environnementale. Ainsi, le fait que les notions de « vivre bien » et de développement « apparaissent plusieurs fois dans les constitutions »182 de la Bolivie et de l'Équateur « démontre la tension à l'oeuvre, entre d'un côté la dépendance de ces économies aux marchés internationaux, et de l'autre la volonté de transformer en profondeur ces sociétés »183. Pour conclure, les dispositions des deux constitutions ne permettent pas de penser le « vivre bien » comme une option pour sortir du modèle de développement conventionnel, mais plutôt comme l'intégration de quelques éléments des cultures autochtones dans ce même modèle, en maintenant, ainsi, la vieille ontologie du droit, celle de la modernité.

179 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 99.

180 GUDYNAS Eduardo, op.cit., p. 238.

181 Ibid., p. 239.

182 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 103.

183 AUDUBERT Victor, op.cit., p. 103.

104

Chapitre II - Les défis de la concrétisation de la plurinationalité

Nous avons vu dans le chapitre précédent que la réalisation du « bien vivre » est menacée par les contradictions présentes dans la constitution elle-même, qui donnent lieu à des politiques extractivistes. Sans nul doute, la réalisation du « bien vivre » est un défi tant pour l'État que pour les peuples autochtones, qui voient leurs droits et leur vision du monde bafoués par le premier, et ce même après leur constitutionnalisation. Il convient maintenant d'approfondir l'étude sur les principaux défis qu'entraîne la mise en place de l'État plurinational. Ainsi, nous avons séparé pour l'analyse le défi de la mise en oeuvre du droit à la consultation préalable des peuples autochtones et le défi de la mise en oeuvre du pluralisme juridique. Le premier concerne le processus de consultation, par l'État, des

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peuples autochtones qui seront directement concernés par une loi, une mesure administrative ou un projet d'exploitation des ressources naturelles. Le second concerne le droit et la justice autochtones qui, à partir de la déclaration de l'État plurinational, doivent être considérés comme officiels et élevés au même niveau hiérarchique que le droit et la justice étatiques. C'est du moins ce que cela devrait être dans la théorie lancée par les nouvelles constitutions de l'Équateur et de la Bolivie. Cependant, ce n'est pas ainsi que cela fonctionne dans la pratique. De cette façon, nous analyserons d'abord ce que disposent les normes et la jurisprudence constitutionnelles sur le droit à la consultation préalable, ainsi que les facteurs qui empêchent que ce droit soit pleinement exercé par les peuples autochtones (Sect. I) et dans un second temps, nous analyserons les normes constitutionnelles relatives au pluralisme juridique et les défis de sa mise en oeuvre dans les deux pays (Sect. II).

Section I - Les défis liés à la concrétisation du droit à la consultation préalable

Le droit à la consultation est un droit collectif fondamental des peuples autochtones, reconnu non seulement par les constitutions de l'Équateur et de la Bolivie, mais aussi par la convention 169 de l'OIT, la Déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones et également la jurisprudence de la Cour Interaméricaine des droits de l'homme (Cour IDH), qui ont toutes été ratifiées par les deux États. Le droit international gagne ici une importance fondamentale pour la théorisation du droit à la consultation des peuples autochtones, c'est lui qui est la source première de ce droit. Autrement dit, c'est dans le droit international que nous trouvons les fondements et les caractéristiques du droit à la consultation utilisés par le droit interne de la Bolivie et de l'Équateur. Les constitutions des deux États ont essayé de transposer le droit rencontré dans les instruments et jurisprudences internationaux, mais la concrétisation de la consultation des peuples autochtones rencontre toujours des difficultés. Ainsi, dans un premier moment nous analyserons le contenu du droit à la consultation des peuples autochtones, cette dernière devant être préalable, libre et informée dans les deux pays, malgré quelques différences substantielles (A) et dans un deuxième moment nous analyserons les défis de la concrétisation de ce droit, spécifiquement en ce qui concerne les menaces menées par les États eux-mêmes (B).

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A - Les peuples autochtones ont le droit à la consultation préalable, libre et informée

Le fondement juridique du droit à la consultation préalable se trouve dans trois instruments dans les deux États : la convention 169 de l'OIT, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et dans les constitutions des États. En effet, ce droit ne se trouve pas exclusivement dans les constitutions de l'État en Bolivie et en Équateur, cette thématique n'étant pas si récente que les constitutions actuelles, elle remonte aux années 90, précisément au moment de la ratification de la Convention 169 de l'OIT. L'État bolivien a ratifié la convention 169 de l'OIT sur les peuples autochtones et tribaux le 11 septembre 1991 au travers de la loi 1257. De plus, le pays a adopté la loi 3760 le 17 novembre 2007 pour élever au rang de Loi de la République les 46 articles de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. À son tour, l'Équateur a ratifié ladite convention le 15 mai 1998, mais, contrairement à la Bolivie, en Équateur, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue une norme internationale de soft law, ce qui ne l'empêche pas de constituer une source du droit à la consultation préalable dans le pays. En Bolivie, l'article 410.II de la constitution de 2009 dispose que les traités et conventions internationaux en matière de droits humains ratifiés par le pays constituent le bloc de constitutionnalité, norme qui élève la convention 169 de l'OIT au rang constitutionnel. En Équateur, l'article 417 de la constitution de 2008 dispose que dans le cas des traités et autres instruments internationaux de droits humains « les principes pro être humain, de non-restriction de droits, d'applicabilité directe et de clause ouverte établies dans la constitution seront appliqués »184. En outre, l'article 11, n. 5, de la constitution dispose qu'en matière de droits humains et de garanties constitutionnelles, la norme qui favorise le plus l'effectivité de tels droits et garanties sera applicable et, enfin, l'article 426 dispose l'application directe et immédiate des dispositions constitutionnelles et internationales sur les droits humains. De cette façon, en Équateur, ainsi qu'en Bolivie, la convention 169 de l'OIT fait partie du bloc de constitutionnalité185, pouvant donc être une norme de référence pour la réalisation du contrôle de constitutionnalité des lois, car elle constitue matériellement

184 Art. 417, de la Constitution de la République de l'Équateur.

185 Équateur, Cour Constitutionnelle, 18 mars 2010, décision n. 001-10-SIN-CC, cas n. 0008-09-IN Y 0011-09-IN cumulés, p. 25.

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la constitution. La convention 169 de l'OIT de son côté prévoit la consultation préalable, libre, informée et de bonne foi dans ses articles 6, 15, 17, 22, 27 et 28 et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones la prévoit dans ses articles 15, 17, 30, 32, 36 et 38.

Au-delà des instruments internationaux, les deux constitutions disposent sur le droit des peuples et nations autochtones à la consultation préalable. En Bolivie, la CPEB reconnait expressément ce droit dans son article 30.II, n. 15, in verbis :

Dans le cadre de l'unité étatique en accord avec la présente Constitution,

les nations et peuples autochtones originaires paysans jouissent des

droits suivants : [...] 15. D'être consultés par des procédures

appropriées, et en particulier par l'intermédiaire de leurs institutions,

chaque fois que des mesures législatives ou administratives envisagées

sont susceptibles de les affecter. Dans ce cadre, le droit à la

Consultation préalable obligatoire, menée par l'État, de bonne foi et de

concertation, concernant l'exploitation des ressources naturelles non

renouvelables dans le territoire qu'ils habitent, sera respecté et garanti.

La constitution bolivienne ordonne également la réalisation de la consultation de la population affectée par l'exploitation des ressources naturelles dans son article 352.I, ce droit étant général, il s'applique à toute population affectée par les mesures d'exploitation et non seulement les peuples autochtones. Le même article prévoit, cependant, que lorsque la consultation concerne les peuples autochtones, elle devra respecter leurs normes et procédures propres. En outre, le texte constitutionnel bolivien reconnait dans son article 403.I le principe de l'intégrité de la territorialité autochtone, y compris l'utilisation exclusive des ressources naturelles renouvelables, le droit à la consultation préalable et informée ainsi que la participation dans les bénéfices générés par l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables de leurs territoires.

En Équateur, le droit à la consultation préalable, libre et informée est garanti par l'article 57, n.7, de la constitution de 2008, in verbis :

Aux communes, communautés, peuples et nationalités autochtones sont reconnus et garantis, conformément à la Constitution et aux pactes, conventions, déclarations et autres instruments internationaux des droits humains, les droits collectifs suivants : [...] 7. Consultation préalable, libre et informée, dans un délai raisonnable, des plans et programmes de prospection, d'exploitation et de commercialisation des ressources non renouvelables se trouvant sur leurs terres et qui peuvent

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les affecter sur le plan environnemental ou culturel ; participer aux bénéfices que ces projets rapportent et recevoir des indemnisations pour les dommages sociaux, culturels et environnementaux qui leur sont causés. La consultation que les autorités compétentes doivent mener sera obligatoire et opportune. Si le consentement de la communauté consultée n'est pas obtenu, il procédera conformément à la Constitution et à la loi.

L'article 57, n. 17, garantit également le droit à consultation lorsqu'il dispose qu'avant l'adoption d'une mesure législative susceptible d'affecter les droits collectifs des peuples autochtones, la consultation doit avoir lieu. En outre, l'article 398 de la constitution équatorienne dispose que toute décision ou autorisation de l'État qui peut affecter l'environnement devra être consultée auprès de la communauté, selon les règles disposées dans une loi. De cette façon, à l'instar de la Bolivie, l'Équateur étend le droit à la consultation préalable à tous les citoyens dans les cas de l'exploitation de la nature, mais ce droit continue à constituer un droit collectif spécifique des peuples autochtones, qui découle de leur autodétermination, autonomie et identité culturelle.

Malgré l'incorporation du droit à la consultation des peuples autochtones faite par les deux constitutions, elles ne coïncident pas totalement avec la convention 169 de l'OIT et la Déclaration de l'ONU par rapport aux caractéristiques de la consultation. Selon ces instruments internationaux, l'État est obligé de consulter les peuples autochtones dans trois situations : 1) lorsque des mesures législatives ou administratives sont susceptibles de les affecter directement186; 2) dans la formulation, application et évaluation des plans, programmes et projets de développement national et régional susceptibles de les affecter directement187 ; et 3) lorsque l'État envisage d'entreprendre ou d'autoriser un programme de prospection ou d'exploitation des ressources naturelles qui existent dans les territoires autochtones188. Ainsi, le texte constitutionnel bolivien ne mentionne que deux des trois situations, il ne prévoit pas la prospection des ressources naturelles et la formulation, application et évaluation des plans, programmes et projets de développement. À son tour, l'Équateur ne prévoit pas la consultation avant toute mesure administrative susceptible d'affecter un peuple autochtone et, de plus, le texte

186 art. 6, n.1, a de la Convention 169 de l'OIT et art. 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

187 art. 7, n.1, de la Convention 169 de l'OIT et art. 32, n.2, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

188 art. 15 de la Convention 169 de l'OIT et art. 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

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constitutionnel ne rend pas le consentement du peuple obligatoire, laissant à une loi le pouvoir de disposer les implications d'un non-consentement. Pourtant, comme nous avons dit précédemment, la convention 169 de l'OIT fait partie du bloc de constitutionnalité des deux pays et les caractéristiques de la consultation disposées dans cet instrument international sont obligatoires.

Les caractéristiques de la consultation

Mais quelles doivent être, selon les normes internationales, les caractéristiques de la consultation des peuples autochtones ? Selon la convention 169 de l'OIT et la DNUDPA, il y a huit attributs des processus de consultation : 1) le processus doit être préalable à l'adoption de mesures législatives ou administratives, à la formulation et à l'approbation du plan, programme ou projet de développement et à l'entreprise ou à l'autorisation des projets d'exploitation de ressources naturelles ; 2) le processus doit être libre, sans interférence ou pression de toute nature ; 3) le processus doit être informé, c'est-à-dire que l'État doit fournir opportunément aux peuples autochtones toute information à propos de la mesure, plan, programme ou projet ; 4) le processus doit être culturellement adéquat et accessible, au travers des institutions représentatives des peuples autochtones ; 5) le processus doit être mené de bonne foi et dans le but d'obtenir le consentement des communautés autochtones, 6) le processus doit compter avec un cadre normatif adéquat ; 7) le processus doit se soumettre au devoir d'adaptation aux circonstances et 8) l'État doit adopter des décisions objectives et proportionnées, en coopérant avec les sujets collectifs de la consultation189.

Nous avons déjà vu ci-dessus ce que disent les constitutions de la Bolivie et de l'Équateur sur le sujet ainsi que ce qu'elles couvrent et ce qu'elles ne couvrent pas à propos de ces caractéristiques, et nous allons maintenant vérifier ce que dit la jurisprudence constitutionnelle sur le sujet. En Bolivie, le Tribunal constitutionnel de transition a rendu, le 25 octobre 2010, l'arrêt 2003/2010-R qui affirme :

III. 5. [...] Cette consultation doit être effectuée de bonne foi et d'une manière appropriée aux circonstances dans les cas suivants : a. Avant d'adopter ou d'appliquer des lois ou des mesures qui peuvent affecter directement les peuples autochtones (art. 6.1. de la Convention 169, 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples

189 BÖHRT IRAHOLA Carlos, « El derecho a la consulta de los pueblos indígenas, el Tribunal Constitucional y el TIPNIS », Revista jurídica derecho, vol. 2, n. 3, 2015, p. 62.

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autochtones, 30.15 CPE) ; b. Avant d'approuver tout projet qui affecte leurs terres ou territoires et autres ressources (art. 32.2. de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones); c. Avant d'autoriser ou d'entreprendre tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources naturelles se trouvant sur les terres où vivent les peuples autochtones (art. 15.2 de la Convention 169, 32.2. de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 30.15 et 403 du CPE) ; et, d. Avant d'utiliser les terres ou territoires autochtones pour des activités militaires (art. 30 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones).190

En outre, l'arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel plurinational le 19 juin 2012, sur le cas du TIPNIS, évoque la consultation de la manière suivante :

III. 4. [...] La consultation est prévue à l'art. 30.II.15 du CPE, reconnaissant une série de droits en faveur des nations et peuples autochtones originaires paysans, se référant spécifiquement à la consultation préalable, établit qu'ils doivent «être consultés par des procédures appropriées et particulièrement à travers leurs institutions, à chaque fois que des mesures législatives ou administratives susceptibles de les affecter sont envisagées. Dans ce cadre, le droit à la consultation préalable obligatoire, menée par l'État, de bonne foi et concertée, concernant l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables sur le territoire qu'ils habitent, sera respecté et garanti». D'une première lecture du texte cité, cela donnerait l'impression que la consultation préalable obligatoire ne correspondrait que lorsqu'elle se réfère à l'exploitation de ressources naturelles non renouvelables, de sorte que toute autre procédure de consultation qui n'obéirait pas à cette hypothèse serait inconstitutionnelle ; cependant, la norme précédemment citée contient deux parties : la première soutient que les peuples autochtones jouissent d'un droit à la consultation à chaque fois que des mesures législatives ou administratives qui pourraient les affecter sont envisagées, sans préciser à quel type de mesures elle se rapporte ; dans la deuxième partie, il est établi que la consultation préalable est respectée et garantie par l'État en ce qui concerne l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables, mais sans utiliser un terme qui affirme que ce n'est que dans ces cas qu'une

190 Bolivie, Tribunal constitutionnel, 25 octobre 2010, arrêt n. 2003/2010-R.

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consultation préalable, libre et informée est appropriée, ainsi ladite norme ne s'enferme pas dans cette seule possibilité [...].191

En Équateur, à son tour, l'arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle le 18 mars 2010 évoque les paramètres spécifiques développés par l'OIT qui devront être pris en compte par l'État :

a. Le caractère souple de la procédure de consultation conformément au droit interne de chaque État et aux traditions, us et coutumes des peuples consultés. b. Le caractère préalable de la Consultation [...].

c. Le caractère public et informé de la consultation, c'est-à-dire que les [...] participants doivent avoir accès en temps opportun et de façon complète aux informations nécessaires pour comprendre les effets de l'activité minière sur leurs territoires. d. La reconnaissance que la consultation ne s'arrête pas à la simple information ou diffusion publique de la mesure, conformément aux recommandations de l'OIT, la consultation devrait être un processus de négociation systématique qui implique un véritable dialogue avec les représentants légitimes des parties. e. L'obligation d'agir de BONNE FOI [...]. f. L'obligation de diffusion publique du processus et l'utilisation d'un délai raisonnable pour chacune des phases du processus, condition qui favorise la transparence et la génération de confiance entre les parties. g. La définition préalable et concertée de la procédure [...]. h. La définition préalable et concertée des sujets de la consultation [...].

i. Le respect de la structure sociale et des systèmes d'autorité et représentation des peuples consultés.192

Ainsi, nous pouvons affirmer que le juge constitutionnel des deux pays prend

en compte les traités internationaux puisqu'ils font partie du bloc de constitutionnalité des deux États et qu'ils servent effectivement de norme de référence pour le contrôle de constitutionnalité des lois. Ainsi, les deux pays offrent le même traitement au droit à la consultation préalable, malgré les différences des dispositions internes sur le thème. Il est important de souligner, toutefois, que la Bolivie compte avec un système de protection plus large que l'Équateur puisque la DNUDPA fut incorporée au droit interne par une loi tandis qu'il n'en va pas de même en Équateur, où la déclaration reste une norme de soft law (droit souple).

191 Bolivie, Tribunal constitutionnel plurinational, 18 juin 2012, décision constitutionnelle plurinationale 0300/2012.

192 Équateur, Cour constitutionnelle, 18 mars 2010, décision n. 001-10-SIN-CC, p. 53-54.

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B - Un droit fondamental menacé par l'État lui-même

Malgré le large cadre normatif, le droit collectif à la consultation préalable, libre et informée rencontre plusieurs difficultés pour sa mise en oeuvre, notamment le fait qu'il est souvent menacé par les États eux-mêmes. La consultation est fréquemment menée sans respecter les paramètres établis par les instruments internationaux, puisqu'il n'y a pas de loi spécifique qui régule le processus de consultation préalable des peuples autochtones, dans aucun des deux pays. De plus, la consultation est souvent réduite à une simple procédure formelle pour que l'État puisse poursuivre sa politique, sans réellement procéder au dialogue interculturel que requiert la consultation. Par exemple, en Équateur le droit à la consultation préalable, libre et informée fut réduit à un référendum dans le cas Rio Blanco193 et en Bolivie la construction de l'autoroute qui lierait les départements de Beni et de Cochabamba commença sans la consultation des peuples du Territoire autochtone et parc national Isiboro-Sécure (TIPNIS). Dans nos recherches au sein de la thématique du droit à la consultation préalable, nous avons pu énumérer quatre défis pour la concrétisation de ce droit au sein de chaque État. Ces défis forment une sorte de barrière au droit à la consultation et se trouvent, avec quelques petites divergences, dans les deux pays. Comme les sujets de la consultation sont d'une part l'État et de l'autre les peuples autochtones affectés, il est logique que ces barrières viennent des États eux-mêmes, qui gardent toujours les vestiges de la colonialité, étant donné que l'État plurinational (et par conséquent l'émancipation des peuples) est toujours en construction.

Les difficultés en Équateur

Le premier défi identifié en Équateur pour la mise en oeuvre du droit à la consultation préalable est l'absence d'une loi organique qui régule le processus de consultation. Selon la constitution équatorienne de 2008, l'exercice des droits constitutionnels sera développé par les lois organiques194. En effet, le droit à la consultation est un droit humain prévu dans la constitution et dans les instruments internationaux et de cette façon il ne dépend pas d'une loi pour son application et son exigibilité, cependant le droit à la consultation est un processus et certains effets

193 Cf. Équateur, Cour constitutionnelle, Action extraordinaire de protection constitutionnelle n. 2546-18-EP.

194 Article 132, n. 1 et article 133, n. 2 de la Constitution de la République de l'Équateur.

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juridiques sont réservés à une loi par la norme constitutionnelle elle-même. Ainsi, le droit à la consultation préalable des peuples et nations autochtones doit être régulé et garanti par une loi organique et malgré le commandement constitutionnel, jusqu'à ce jour il n'y a aucune loi organique dans l'ordonnancement juridique équatorien qui régule le processus de la consultation préalable. Il faut souligner que cette dernière doit être régulée au travers d'une loi organique en conformité avec le principe de la réserve de loi et non pas au travers d'une législation secondaire. Le principe de la réserve de loi comporte une garantie essentielle de l'État de droit, sa finalité est d'assurer que certaines décisions, celles qui sont jugées les plus pertinentes pour la communauté, soient adoptées par des organes directement représentatifs. De cette façon, cette loi doit prévoir les aspects relatifs à la procédure, au déroulement de la participation, aux délais, aux réparations et aux effets juridiques en cas d'omission ou transgression de ce droit et également les sanctions de violation du droit à la consultation préalable.

Pourtant en 2012, après la décision constitutionnelle de 18 mars 2010 qui a déclaré l'inconstitutionnalité de la Loi 45 de 2009 sur l'exploitation minière (Ley de mineria), promulguée sans la consultation préalable des peuples autochtones, le Conseil de l'administration législative (CAL) a édité une instruction pour l'application de la consultation pré-législative pour les droits des communes, communautés, peuples et nationalités autochtones. Dans ce document, il fut établi que la finalité de la consultation pré-législative est de réaliser un processus de participation citoyenne qui permette aux titulaires des droits collectifs d'être consultés afin qu'ils puissent se prononcer sur des questions spécifiques qui peuvent les affecter directement et qui sont incluses dans les projets de loi au sein de l'Assemblée nationale. L'instruction édictée contient les prérequis minimums, toutefois elle n'est pas conforme aux normes de droit international, ni à ce qui est établi en matière constitutionnelle sur le principe de réserve de loi pour le droit à la consultation préalable. Il faut souligner, d'ailleurs, que cette instruction ne fut pas objet d'une consultation préalable. Aujourd'hui, il, y a plusieurs projets de loi « arrêtés » dans l'Assemblée nationale. L'édiction d'une loi qui compte avec la participation effective des peuples autochtones éviterait ainsi les détournements de finalité du droit à la consultation préalable.

Le deuxième défi rencontré pour la concrétisation du droit à la consultation préalable dans le pays est justement le manque de volonté politique pour le faire. Par exemple, même si les instruments internationaux disposent clairement que les sujets de la consultation préalable sont l'État et les peuples autochtones affectés, l'État équatorien

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délègue souvent ce devoir aux personnes privées qui réaliseront l'exploitation des ressources naturelles195. Au-delà du manque de volonté politique de respecter les droits des peuples autochtones, le non-respect du droit à la consultation préalable a lieu parce que le texte constitutionnel ne dispose pas clairement que le sujet actif de la consultation des peuples autochtones est l'État. En outre, en 2018, même après la condamnation de l'Équateur par la Cour IDH en 2012 pour la violation du droit à la consultation préalable du peuple Kichwa de Sarayaku, l'État a réduit le droit à la consultation à un référendum dans le cas Rio Blanco mentionné ci-dessus.

Le troisième défi consiste dans la base économique extractiviste du pays. L'économie fondée sur l'extraction des ressources naturelles entre en conflit avec les intérêts des peuples autochtones, comme évoqué dans la section consacrée à l'étude du « vivre bien ».

Le quatrième défi identifié en Équateur est lié au consentement des peuples autochtones. En effet, le but de la consultation préalable est d'arriver à un accord entre l'État et les peuples autochtones et ainsi obtenir leur consentement concernant les mesures qui les affectent directement. Ni la constitution ni les traités internationaux ne disposent que le consentement des peuples autochtones soit obligatoire pour l'approbation de la mesure. Selon les normes et jurisprudences internationales196, le consentement des peuples autochtones est obligatoire dans quatre situations : 1) lorsque le projet implique un déplacement forcé, la relocalisation des peuples autochtones ou le transfert des terres qu'ils occupent ; 2) lorsque le dépôt, le stockage ou l'élimination de matières dangereuses sur les terres ou territoires autochtones sont prévus ; 3) lorsqu'il s'agit de l'exécution de plans de développement ou d'investissement à grande échelle qui génèrent un grand impact sur le territoire d'un peuple autochtone ; et 4) dans le cas de projets, en particulier d'extraction de ressources naturelles sur les terres des peuples autochtones, qui pourraient avoir un impact social ou culturel important sur la vie des peuples respectifs197. Ainsi, dans ces quatre situations, les peuples et nations autochtones ont un pouvoir de veto. Si la mesure ne porte pas une atteinte grave aux peuples autochtones et qu'elle n'est classée dans aucune de ces quatre situations, alors le consentement n'est pas obligatoire. La finalité de la consultation ne serait ainsi pas une finalité de résultat, mais de moyen, ce

195 Cf. Cour IDH, Peuple autochtone Kichwa de Sarayaku c. Équateur, 27 juin 2012.

196 Cf. GALVIS PATIÑO María Clara et RAMÍREZ RINCÓN Angela Maria, Digesto de jurisprudencia latinoamericana sobre los derechos de los pueblos indígenas a la participación, la consulta previa y la propiedad comunitaria, Washington, Due Process of Law Foundation, 2013, p. 208.

197 Ibid., p. 208.

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qui bénéficierait à l'État. En Équateur, si le consentement ou l'accord n'est pas obtenu, l'État doit suivre les mesures disposées dans la constitution (et dans la loi qui n'existe pas encore). La constitution, à son tour, « envisage le concept de «priorité nationale» pour subordonner toute raison sociale, politique ou juridique contraire à celle du gouvernement ou de l'autorité de l'État »198. C'est-à-dire « qu'avec un simple acte administratif de qualification d'un projet comme priorité nationale, toute raison perd de sa valeur, donc, il n'y a pas de consultation préalable qui vaille »199. Ainsi, nous pouvons conclure que le consentement non obligatoire vide le contenu du droit à la consultation préalable.

Les difficultés en Bolivie

Le premier défi identifié en Bolivie pour la mise en oeuvre du droit à la consultation préalable coïncide avec celle de l'Équateur : l'absence d'une loi qui prévoit les aspects relatifs à la procédure, la manière de participation, les délais, les réparations, les effets juridiques en cas d'omission ou transgression de ce droit, etc. En réalité, la reconnaissance du droit à la consultation préalable en Bolivie a un « large et désordonné espace normatif ». Ce droit est reconnu dans la loi n. 3058 du 17 mai 2005 sur les hydrocarbures et dans la loi n. 535 du 28 mai 2014 sur l'exploitation minière et la métallurgie, qui sont des lois spécifiques pour l'exploitation de ressources naturelles et non pas sur le droit à la consultation préalable. Cependant, à l'instar de la constitution équatorienne, le texte constitutionnel bolivien dispose dans son article 109 que les droits reconnus par la constitution, dont le droit à la consultation préalable, sont d'application directe et immédiate et de cette façon ils ne nécessitent pas d'une loi pour leur exigibilité. Mais de même qu'en Équateur, l'édiction d'une loi qui compte avec la participation effective des peuples autochtones éviterait des détournements de finalité du droit à la consultation préalable.

Le deuxième défi pour la concrétisation du droit à la consultation préalable en Bolivie est celui du manque de volonté politique, comme en Équateur, même si ce pays compte avec beaucoup plus d'autochtones sur son territoire et avec un gouvernement dirigé, entre 2005 et 2019, par un président d'origine aymara. Par exemple, le cas du TPNIS nous montre qu'il a fallu la pression sociale (fruit de la VIIIe Marche autochtone)

198 SIMBAÑA Floresmilo, Consulta previa y democracia em el Ecuador, Chasqui Revista latinoamericama de comunicación, n. 120, 2012, p. 7.

199 Ibid., p. 7.

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pour que les lois200 de protection de ce territoire et de consultation du peuple qu'y réside soient promulguées.

Quelque 800 autochtones ont quitté Trinidad pour la ville de La Paz, où se trouve le pouvoir exécutif, dans ce qu'on a appelé la "VIIIe Marche autochtone pour la défense du TIPNIS, pour la vie, la dignité et les droits des peuples autochtones", dans le seul but de rejeter le projet du gouvernement de construire une route à travers le parc national, ils ont exigé le respect de leurs droits originels reconnus par l'actuelle Constitution politique de l'État. La marche a été en proie à une série de revers, ce sont des autochtones des basses terres et monter sur les hautes terres leur a coûté cher, le climat étant antagoniste à ce à quoi ils sont habitués, et tous ces efforts ont sensibilisé la population bolivienne qui a réalisé l'injustice dont ils étaient victimes. Soixante et onze jours plus tard, le président Evo Morales a été contraint, sous la pression, de promulguer une loi de protection du TIPNIS, comme stratégie de résolution des conflits, il a dû déterminer les instruments législatifs suivants : Loi courte 182 de 24 d'octobre 2011, Intangibilité du TIPNIS ; la Consultation préalable, libre et informée des Peuples Moxeño-Trinitario, Yuracaré et Chimán du TIPNIS [...]201.

Le troisième défi est lié à l'économie de base extractiviste. À l'instar de l'Équateur, l'économie bolivienne dépend des ressources naturelles sur son territoire et le défi consiste à concilier l'économie extractiviste et les intérêts des peuples autochtones.

Le quatrième défi identifié en Bolivie est exactement le même défi mentionné

ci-dessus pour l'Équateur : le consentement des peuples autochtones n'est pas obligatoire. Dans le même arrêt qui a intégré la convention 169 de l'OIT au bloc de constitutionnalité, le Tribunal constitutionnel bolivien202 a déclaré l'inconstitutionnalité de l'article 115 de la loi sur les hydrocarbures203 qui disposait le consentement des peuples autochtones, en affirmant que les hydrocarbures sont la propriété de l'État et qu'aucune consultation ne pourrait empêcher leur exploitation. Le tribunal réaffirme cette compréhension dans la décision constitutionnelle 0300/2012 (affaire TIPNIS) : le consentement est la finalité et

200 Loi n. 189 de protection du Territoire autochtone et parc national Isiboro Sécure - TIPNIS et Loi n. 222 sur la consultation préalable au TIPNIS.

201 PACO ANCALLE Rudy Ariel, La consulta previa a los pueblos indígenas como mecanismo a su libre determinación en el nuevo texto constitucional boliviano aplicado en el conflicto del Territorio Indígena del Parque Nacional Isiboro Sécure-TIPNIS, Universitat Rovira i Virgili, Tarragona, 2015, p. 66.

202 Bolivie, Tribunal constitutionnel, 18 janvier 2006, décision constitutionnelle n. 0045-2006-R.

203 Bolivie, Loi n. 3058 du 17 mai 2005.

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non pas « un droit en soi »204, sauf dans les quatre exceptions mentionnées ci-dessus qui s'appliquent à tous les signataires de la convention 169 de l'OIT.

Ainsi, nous constatons que les difficultés de mise en oeuvre du droit à la consultation préalable sont pratiquement les mêmes pour les deux États. Cela se produit principalement en raison de la tension entre les droits liés au territoire et à l'autonomie autochtone et le développement économique de l'État, qui repose sur l'exploitation des ressources naturelles, étant donné que les deux États partagent le même contexte économique.

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