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Les droits des peuples autochtones sous le nouveau constitutionnalisme latinoaméricain en Bolivie et en Equateur


par Thayenne Gouvêa de Mendonça
Université Clermont Auvergne - Master 2 Droit Public Approfondi 2022
  

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Section I - La consécration des États plurinationaux

Les États plurinationaux de la Bolivie et de l'Équateur, fondés dans la reconnaissance de la diversité qui émerge des nouvelles constitutions andines, ont eu des processus constituants très différents, même si tous les deux furent une réponse aux revendications des mouvements autochtones organisés, qui sont en faveur d'un pouvoir dans lequel la diversité est respectée, faisant émerger tous les deux un nouveau constitutionnalisme transformateur. En Bolivie, les marches autochtones ont rendu possible l'arrivée au pouvoir d'Evo Morales, président issu de la nation autochtone Aymara, qui a mis en place la promesse de campagne électorale pour la convocation d'une assemblée constituante. Le processus d'édiction de la constitution bolivienne fut complexe et a duré environ 3 ans. En Équateur, les marches contre le néolibéralisme ont rendu possible l'élection de Rafael Correa, un économiste qui ne provenait pas des luttes sociales, mais qui a réussi à rassembler les organisations progressistes avec la promesse de mettre en place une assemblée constituante. La durée de l'édiction de la constitution de l'Équateur fut beaucoup plus courte qu'en Bolivie et l'Assemblée constituante équatorienne n'a pas réussi à exprimer véritablement les revendications autochtones, malgré la consécration de principes et de valeurs de ces communautés.

Ainsi, dans cette section, pour démontrer qu'il existe un développement normatif constitutionnel à deux vitesses dans la région andine, représentée par la Bolivie et l'Équateur, nous allons d'abord analyser les processus constituants des États plurinationaux (A) et ensuite les principes et valeurs qui consacrent une rupture paradigmatique dans les deux pays (B).

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A - Les processus constituants des États plurinationaux

Tant en Bolivie qu'en Équateur, les processus constituants furent le produit des manifestations sociales menées par les peuples autochtones contre les valeurs et conséquences du système néolibéral mis en place dans la région. Le processus qui a mené à la déclaration de l'État plurinational dans les nouveaux textes constitutionnels s'explique par l'articulation des mouvements autochtones avec les secteurs populaires et culmine dans les élections d'Evo Morales en Bolivie et de Rafael Correa en Équateur. Les deux constitutions cherchent à surmonter l'absence du pouvoir constituant autochtone dans la fondation républicaine par la fondation d'un État plurinational. Au-delà de la concordance du peuple dans la convocation d'une Assemblée constituante, faite par le moyen du référendum, ce processus fut marqué par la représentation autochtone. Pourtant, cette représentation ne fut pas menée de la même manière dans les deux pays. Il est important de souligner que la forme du processus constituant d'un pays est aussi importante que la norme produite par ce processus selon les prémisses du droit constitutionnel latinoaméricain. Selon ce dernier, la constitution n'est légitime que quand elle transcrit la volonté du peuple (souveraineté populaire), c'est-à-dire de tous les secteurs de la société, par et pour un dialogue interculturel.

En Bolivie, il y a plus de 36 peuples originaires97 et la participation de ces peuples comme nouveaux acteurs sociaux a forcé le pays à édicter des changements constitutionnels et à promouvoir des réformes dans l'État, fondées dans l'interculturalité pour mener à bien l'intégration sociale. En 2005, la Bolivie a élu son premier président d'origine autochtone, Evo Morales, issu du parti MAS-IPSP (Movimiento al socialismo instrumento político por la soberania), avec le support du Pacte d'unité : un pacte matérialisé par un document signé par les organisations paysannes et autochtones (CSUTCB, CNMCIOB-BS, CSCIB, CIDOB et CONAMAQ), qui constituait un véritable mandat populaire, ce qui a donné au gouvernement une grande légitimité sociale. Morales avait une histoire personnelle et politique liée aux mouvements autochtones qui a aidé à mettre en place le processus d'élaboration d'une nouvelle constitution bolivienne capable de générer une politique de changement et ainsi d'assurer l'autonomie des peuples autochtones. Ce projet politique, traduit par l'Agenda d'octobre, visait d'abord à la

97 LOCATELI Cláudia Cinara et VIDAL Daiane, « Interculturalidade: matriz de fundamentação das constituições do equador e da Bolívia », in WOLKMER Antônio Carlos et CAOVILLA Maria Aparecida, Temas atuais sobre o constitucionalismo latino-americano, São Leopoldo : Karywa, 2015, p. 177-178.

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nationalisation du gaz bolivien et ensuite à la convocation de l'Assemblée constituante, celle-ci finalement constituée par les peuples oubliés de la Bolivie : les peuples originaires ou autochtones. Le 2 juillet 2006, les élections de l'Assemblée constituante bolivienne, qui avait un pouvoir originaire, c'est-à-dire le pouvoir de construire une constitution depuis le zéro, sans aucune limitation par une loi constitutionnelle, ont eu lieu. L'absence de circonscriptions spécifiques, une revendication du mouvement autochtone, a obligé ce dernier à coopérer avec le MAS-IPSP, qui a obtenu 137 des 255 sièges à l'Assemblée et parmi leurs députés constituants il y a eu des représentants des organisations sociales, des intellectuels et des professionnels urbains98. Au cours du processus constituant, la CONAMAQ a formé avec la CIDOB le « bloc autochtone », qui n'était pas souvent d'accord avec les organisations paysannes proches au MAS, comme la CSUTCB. Malgré leurs divergences, en mai 2007, une proposition consensuelle du Pacte d'unité a été présentée. Pourtant, confrontée au risque que les accords politiques excluent les revendications les plus importantes pour le mouvement autochtone, la CIDOB organisa, en juillet 2007, la VIe Marche pour les autonomies autochtones, la terre et le territoire et pour l'État plurinational.

Cet épisode, ainsi que la mobilisation de l'Assemblée du peuple Guarani (APG) pour l'inclusion de leurs propositions sur l'autonomie autochtone, indiquent les limites de l'ouverture du champ politique institutionnel représenté par l'Assemblée constituante. Pour beaucoup, l'espace de la politique continuait d'être les rues et les routes du pays99.

Comme exemple des divergences entre les revendications des peuples autochtones représentés par le Pacte d'unité, nous pouvons citer les implications de l'adoption de la plurinationalité. Cette dernière était conçue par les peuples autochtones comme la reconnaissance des nations précolombiennes pour inclure l'implémentation d'une géographie politique véritablement plurinationale, dotée d'institutions libres, avec un autogouvernement, une libre détermination territoriale, au sein d'une espèce d'autodétermination intra-État, marquée par l'interculturalité. D'autre part, la plurinationalité était vue par l'opposition comme une simple reconnaissance de la diversité culturelle du pays.

98 PANNAIN Rafaela, « A reconfiguração da política boliviana: reconstituição de um ciclo de crises », Lua Nova, São Paulo : n. 105, 2018, p. 300.

99 PANNAIN Rafaela, op.cit., 2018, p. 301.

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De plus, les conflits entre certaines organisations du Pacte d'unité et le MAS durant les travaux de l'Assemblée constituante ont mis en évidence les divisions internes du Pacte. Pourtant, ces organisations dépendaient du MAS et de ses 137 députés pour l'approbation de leurs demandes. De plus, le dialogue avec l'opposition fut difficile et cela rendait presque impossible de soumettre la constitution au référendum. Il fut nécessaire d'organiser une nouvelle marche le 13 octobre 2008, menée par Evo Morales, pour enfin réussir à convoquer le référendum d'approbation de la nouvelle constitution. Après les accords politiques avec le pouvoir constitué (le Congrès national était responsable de la convocation du référendum), qui ont éloigné un peu la volonté originaire du pouvoir constituant de la proposition du texte constitutionnel, la constitution a été approuvée avec 61,43% des suffrages exprimés en 25 janvier 2009. Selon Martínez Dalmau, « il est vrai que cette hétérodoxie constitutionnelle est enfin corrigée avec le référendum constitutionnel qui, finalement, est celui qui a décidé l'entrée en vigueur de la Constitution en obtenant la majorité des suffrages »100.

À son tour, en Équateur, l'ascension de Rafael Correa au pouvoir a suscité de nombreuses attentes parmi les organisations sociales et les mouvements autochtones, car ce dernier a annoncé de nombreuses réformes, notamment l'appel rapide de l'Assemblée constituante qui devait permettre de modifier le rapport de forces au sein du Congrès national équatorien. La réalisation de l'Assemblée constituante généra la mobilisation de divers secteurs et organisations intéressés à participer aux délibérations. La CONAIE, par exemple, présenta une proposition de constitution qui tenait la déclaration d'un État plurinational comme idée centrale et convoqua une marche pour faire pression sur le pouvoir constituant à fin d'inclure ses demandes. Le processus d'élection des membres de l'Assemblée constituante équatorienne a eu lieu en septembre 2007 et il a cherché à garantir la parité de genre, la participation des migrants, et la participation des minorités. Le parti de Rafael Correa (Alianza PAIS) a obtenu 80 des 130 sièges dans l'Assemblée. Il est important de mentionner que durant ce processus il n'y a pas eu une préoccupation directe pour garantir la participation des 14 nationalités autochtones de l'Équateur. Bien qu'il s'agît des élections les plus démocratiques du pays, les autochtones étaient sous-représentés, puisque le président Correa n'a pas accepté la proposition des organisations autochtones qui consistait à mettre en place un système de quota pour eux-mêmes et ainsi

100 MARTÍNEZ DALMAU Rúben, « El proceso contituyente: la activación de la Soberanía », in ERREJÓN Inigo et SERRANO Alfredo (dir.), «Ahora es cuándo,carajo!» del asalto a la transformación del Estado en Bolivia, El viejo topo, 2011, p. 56.

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seulement sept autochtones ont été élus membres de l'Assemblée. Un autre aspect important du processus constituant équatorien fut la suspension des travaux du Congrès national à partir de l'ouverture de l'Assemblée constituante le 30 novembre 2007. Cela fut important parce rendant impossible l'interventionnisme du pouvoir constitué dans le processus de rédaction de la proposition de texte constitutionnel, au contraire du processus constituant bolivien. Selon Alberto Acosta, « le nouveau, le révolutionnaire, ne peut pas être soumis au vieux. La formule fut de laisser les législateurs du vieux congrès suspendus jusqu'à la prononciation du peuple »101. Ainsi, le Congrès a eu ses activités suspendues jusqu'au jour du résultat du référendum. La nécessité de l'approbation du texte constitutionnel par la consultation populaire fut également une innovation dans la région, car elle a démocratisé la décision la plus importante dans la vie politique de la population du pays. De plus, le processus constituant équatorien compta avec une grande participation populaire : divers mécanismes furent créés pour en faciliter l'accès à la population, comme la collecte et la discussion de propositions qui venaient directement des citoyens. Selon Harnecker, l'Assemblée constituante équatorienne reçut « plus de trois mille propositions de tout type et de tous les secteurs »102. Ainsi, « au contraire de ce que la tradition constitutionnaliste hégémonique et l'eurocentriste académique défendent, l'expérience équatorienne démontre la qualité et la capacité créative du pouvoir populaire »103.

Malgré les avancées indéniables de la constitution équatorienne, son processus constituant a été marqué par le conservatisme du gouvernement de Rafael Correa, dont le discours durant l'ouverture des travaux de l'Assemblée constituante insista sur le concept d'État-nation et défendit des idées conservatrices comme l'interdiction de l'avortement, du mariage homosexuel, en citant « le nom de Dieu ». Selon Maldonado, depuis le rejet de la MUPP-NP et de la CONAIE de l'alliance à Rafael Correa pour les élections présidentielles de 2006, il y a eu un rejet de la part de celui-ci des projets qui venaient de ces organisations autochtones. Les positions de Rafael Correa contre la plurinationalité et pour l'interculturalité générèrent des fissures au sein du bloc de son parti, car les constituants liés aux mouvements autochtones n'étaient pas d'accord avec cette dichotomie et avec l'affirmation que la plurinationalité était défendue par des

101 ACOSTA Alberto apud HARNECKER Marta, Ecuador: una nueva izquierda em busca de la vida em plenitud, Espagne : El viejo Topo Ediciones de Intervención Cultural, 2011. p. 24.

102 HARNECKER Marta, op.cit., p. 244-245.

103 MALDONADO Emiliano E., « Reflexões críticas sobre o Processo Constituinte Equatoriano de Montecristi (2007-2008) », Revista brasileira de políticas públicas, vol. 9, n. 2, 2019, p. 137.

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secteurs radicaux séparatistes. Après une série de débats au sein de l'Assemblée constituante, le bloc de l'AP décida de reconnaitre la complémentarité entre l'interculturalité et la plurinationalité et, ainsi, supporter l'inclusion des deux dans l'article premier de la constitution. Pourtant, les revendications contenues dans la proposition présentée par la CONAIE mentionnaient que l'État plurinational ne pouvait pas être prévu seulement dans l'article premier de la constitution équatorienne, car ainsi elle n'aurait pas une incidence directe dans la structure organisationnelle de l'État, spécifiquement dans ce qui concerne les cinq pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire, électoral et transparence et contrôle social) déjà approuvés. La plurinationalité ainsi ne serait pas un axe transversal du texte constitutionnel comme l'interculturalité. Dans la proposition de la CONAIE, la plurinationalité fut mentionnée plus de 100 fois, tandis que dans le texte approuvé, la plurinationalité n'est mentionnée que quatre fois (articles 1er, 6, 257 et 380)104. De plus, une autre question sensible au sein du processus constituant équatorien fut le consentement préalable des peuples autochtones par rapport à l'exploitation des ressources naturelles de leurs territoires. En opposition aux revendications autochtones pour le consentement obligatoire des peuples concernés, la thèse de l'AP de la consultation préalable non contraignante a prévalu. Enfin, une autre question sensible a marqué les différends entre l'AP et la CONAIE, la question de la langue officielle de l'État. La CONAIE défendait l'inclusion du quéchua comme langue officielle de l'État, pourtant cette proposition fut rejetée par le bloc de l'AP. Cependant, un jour avant la clôture des travaux de l'Assemblée constituante, la demande de Pedro de la Cruz de l'inclusion du quéchua comme langue officielle de la relation interculturelle (et non pas la langue officielle de l'État) fut approuvée, ce qui marque tout de même une relation de hiérarchie entre l'espagnol et la langue autochtone.

Ainsi, nous avons pu voir que les processus constituants de l'Équateur et de la Bolivie ne se déroulèrent pas sans difficulté. En effet, ils furent très troublés, principalement par les disputes politiques entre ceux qui étaient pour l'État plurinational et ceux qui étaient pour la conservation maximale du statu quo ante. Malgré les difficultés des processus constituants, les constitutions de ces deux pays ont réussi à consacrer une rupture paradigmatique.

104 Ibid., p. 143.

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B - Les principes, valeurs et règles qui consacrent une rupture paradigmatique

Nous avons vu que les deux constitutions, malgré les difficultés à être approuvées durant le processus constituant, ont reconnu la plurinationalité et l'interculturalité dans leurs corps normatifs et que tant la plurinationalité que l'interculturalité, qui sont deux principes complémentaires, ont l'aptitude de réaliser une rupture paradigmatique. Un paradigme est, selon Kuhn105, l'ensemble des croyances, des principes, des valeurs et des prémisses qui déterminent la vision qu'une communauté scientifique a de la réalité, c'est-à-dire, les types de questions et de problèmes qui deviennent légitimes à étudier. Lorsqu'il y a des changements culturels, scientifiques, économiques, sociaux entre autres, les paradigmes doivent parfois changer de perspective, d'où le terme « rupture paradigmatique ». Cette dernière rompt avec les structures du sens commun de la science et fait que la science contemporaine devient incompatible avec la « vieille » science, sans la possibilité d'une réconciliation. Autrement dit, l'État plurinational et interculturel a rompu avec les paradigmes du constitutionnalisme occidental, ce dernier ne peut plus s'installer au sein d'un État déclaré plurinational, car il est dorénavant incompatible avec lui. Mais comment les nouveaux paradigmes de la plurinationalité et de l'interculturalité furent consacrés par les constitutions de la Bolivie et de l'Équateur ? Autrement dit, comment ces constitutions prévoient-elles les relations interculturelles et par quels termes ont-elles traduit la plurinationalité ? Quelles sont les implications expressément prévues de la reconnaissance de la plurinationalité et de l'interculturalité ?

La constitution de la Bolivie, appelée Constitution politique de l'État (CPE), innove dès son préambule. Ce dernier est rempli de symboles lorsqu'il affirme la rupture avec l'État colonial, républicain et néocolonial du passé bolivien et reconnait la composition plurielle du peuple bolivien. Il rappelle les luttes autochtones contre le colonialisme, la lutte pour l'indépendance, les luttes populaires de libération, les marches autochtones, les guerres de l'eau et les luttes pour la terre et le territoire pour annoncer la construction d'un nouvel État. De plus, selon le préambule de la constitution, ce nouvel État est fondé : sur le respect et l'égalité entre tous ; sur les principes de la souveraineté, dignité, complémentarité, solidarité, harmonie et équité dans la distribution du produit

105 Cf. KUHN Thomas, La structure des révolutions scientifiques, Paris : Flammarion, 1970.

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social, selon l'objectif de bien vivre ; sur le respect de la pluralité économique, sociale, juridique, politique et culturelle de ses habitants ; sur la coexistence collective, avec l'accès à l'eau, au travail, à l'éducation, à la santé et au logement. À son tour, la constitution de l'Équateur, dans son préambule, beaucoup plus court que le préambule de la constitution politique de la Bolivie, reconnait également que l'Équateur est formé de nombreux peuples. Elle ne déclare pas expressément une rupture avec l'État du passé (colonial et néolibéral) comme le fait la constitution bolivienne, mais elle reconnait l'engagement de construire une nouvelle forme de « coexistence citoyenne », fondée sur la diversité et l'harmonie avec la nature, pour atteindre le sumak kawsay (bien vivre), de construire une société fondée sur la dignité des personnes et des collectivités et de construire un pays démocratique. Ainsi, la conscience critique et la volonté refondatrice des mouvements constituants des deux pays se vérifient dans la narrativité des préambules des deux constitutions et cela entraîne des conséquences pour les valeurs et principes constitutionnels fondamentaux. Selon Medici,

Il s'agit d'un récit constituant qui rend compte de ce mouvement déjà expliqué de réajustement entre constitution juridique soulignée106 et constitution originaire à partir des changements dans la constitution réelle que la mobilisation sociale projette. Ses principales composantes sont données par des thèmes de dignité qui ont été présents dans le cadre culturel des mouvements sociaux de l'histoire récente de la Bolivie et de l'Équateur et qui sont les protagonistes du changement de signal politique des gouvernements de ces pays et des processus constituants qui ont généré leurs nouvelles constitutions. Comme composantes fondamentales de ce récit qui confère sens et racines historiques aux textes constitutionnels apparait la volonté de laisser au passé la colonialité du pouvoir, de refonder l'État à partir de la célébration du pluralisme social et de l'interculturalité comme fondements de la justice sociale, comprise comme égalité, mais non comme homogénéité monoculturelle107.

La constitution de Bolivie déclare dans son article premier que le pays est un État unitaire social de droit plurinational communautaire, libre, indépendant,

106 Le terme « constitution juridique soulignée », en espagnol « constitución jurídica destacada » est un concept de constitution qui renvoie à Hermann Heller, qui comprend la constitution comme le résultat de la continuité historique d'un plan normatif qui, de manière systématique, forme une constitution réelle, ce n'est pas un être, mais un devoir être de la société.

107 MEDICI Alejandro, « El nuevo constitucionalismo latinoamericano y el giro decolonial: Bolivia y Ecuador », Revista Derecho y Ciencias Sociales, n. 3, 2010, p. 9.

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démocratique, interculturel, décentralisé et avec des autonomies, qui se fonde dans le pluralisme politique, économique, juridique, culturel et linguistique pour intégrer le pays. Elle reconnait (art. 2 et 30.I) l'existence précoloniale des « nations et peuples autochtones originaires paysans », leurs territoires ancestraux et leur libre détermination au sein l'unité de l'État, ce qui consiste dans leur droit à l'autonomie, à l'autogouvernement, à la culture et à la reconnaissance de leurs institutions. De plus, elle reconnait aux nations autochtones le droit de pratiquer leur religion (art.4) et oblige l'utilisation par l'État de leurs langues, à côté de l'espagnol comme langues officielles de l'État (art. 5). Les valeurs et principes les plus importants sont déclarés dans les articles 7, 8 et 9. L'article 7 prévoit le principe de la souveraineté populaire, exercé directement par le peuple ou de façon déléguée. L'article 8 prévoit les principes éthico-moraux de la société plurielle, écrits en langue aymara108, parmi eux le « vivre bien », mais aussi les valeurs d'unité, d'égalité, d'inclusion, de dignité, de liberté, de solidarité, de réciprocité, de respect, de complémentarité, d'harmonie, de transparence, d'équilibre, d'égalité des chances, d'équité sociale et de genre dans la participation, de bien-être commun, de responsabilité, de justice sociale et de distribution et redistribution des produits et biens sociaux. L'article 9, à son tour, établit comme fins et fonctions de l'État le phénomène de la décolonisation, le développement du dialogue intraculturel et interculturel et le plurilinguisme. La constitution garantit également : les formes communautaires (autochtones) de gouvernement, avec élections des autorités communautaires selon leurs normes et procédures (art. 11 et art. 26, II) ; le respect à la médecine traditionnelle (art. 42) ; la promotion de l'éducation interculturelle bilingue (art. 78) ; les fonctions juridictionnelles autochtones (art. 190-192) ; et la reconnaissance des droits collectifs sur le territoire autochtone originaire paysan (art. 403). Par rapport à la représentation autochtone, la constitution reconnait des circonscriptions territoriales autochtones dans l'Assemblée législative plurinationale, selon le principe de densité populationnelle dans chaque département (art. 146, VII). La constitution prévoit également la participation proportionnelle des nations et peuples autochtones et souligne que la loi déterminera les circonscriptions autochtones spécifiques, où les critères de la densité populationnelle ou de la continuité géographique ne seront pas pris en compte (art. 147).

108 L'article 8 prévoit expressément : « L'État assume et promeut comme principes éthiques-morales de la société plurielle : ama qhilla, ama llulla, ama suwa (ne soyez pas paresseux, ne soyez ni un menteur ni un voleur), suma qamafla (vivre bien), flandereko (vie harmonieuse), teko kavi (bonne vie), ivi maraei (terre sans mal) et qhapaj flan (chemin ou vie noble) ».

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La nouvelle constitution de l'Équateur, comme celle de la Bolivie, déclare l'État équatorien comme étant un État unitaire et plurinational. Ce dernier est qualifié comme un État constitutionnel de droits et de justice, mais également un État social, démocratique, souverain, indépendant, unitaire, interculturel, plurinational, laïque et qui s'organise sous la forme de république, gouverné de manière décentralisée (art. 1) et qui reconnait les nationalités autochtones comme partie de l'État équatorien (art. 56). Le texte constitutionnel rend officielle la langue kichwa et shuar, mais non comme langue officielle de l'État, à l'instar de la Bolivie, mais seulement comme langues officielles de la relation interculturelle. Les autres langues autochtones sont reconnues seulement comme langue d'usage dans les zones habitées par le peuple autochtone concerné. En outre, la constitution : déclare la promotion de l'éducation interculturelle (art. 27-29) et émancipatrice (une éducation participative, diverse et qui stimule le sens critique) ; reconnait les droits collectifs des peuples et nations autochtones, comme le droit à la terre et aux territoires ancestraux, la participation à l'usage, usufruit, gestion et conservation des ressources naturelles de leurs terres et le droit à la consultation préalable, libre et informée, le droit à l'indemnisation des préjudices causés par les projets d'exploitation des ressources naturelles dans leurs terres, le droit à leurs formes d'organisation et de droit consuétudinaire et le droit à l'éducation bilingue (art. 57). Aussi, la constitution reconnait le respect de la justice autochtone selon ses traditions ancestrales, tant que cela ne contredit pas la constitution (art. 60) et garantit également les pratiques de médecines ancestrales. Cependant, comme la Bolivie, l'Équateur laissa à la charge de la loi la procédure de reconnaissance des autonomies territoriales autochtones, ce qui peut limiter les dispositions constitutionnelles sur le pluralisme, puisque la constitution (le pouvoir originaire) n'a pas prévu de limites précises à respecter par le pouvoir constitué à propos de la constitution des autonomies autochtones.

Le texte constitutionnel équatorien, comme le texte constitutionnel bolivien, renforce l'objectif du « bien vivre » (sumak kawsay en Équateur et suma qamaña en Bolivie) tout au long de la constitution.

Avec les autres principes consacrés dans leurs préambules - parmi lesquels nous soulignons ceux de l'interculturalité, du pluralisme social - il forme un éthos qui donne un sens aux objectifs de l'État dans les nouveaux programmes constitutionnels de la Bolivie et de l'Équateur et a, par conséquent, une série des projections dans les textes constitutionnels concernant les formes respectives d'État, les formes de

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gouvernement et les conformations des organes ou des pouvoirs de l'État et des systèmes des droits humains. Il apparait mentionné dans les préambules et tout au long du texte constitutionnel, en particulier dans la Constitution de la République de l'Équateur109.

Pour conclure, nous pouvons dire que les principes, les valeurs et les règles prévus par les textes et mentionnés ci-dessus expriment la rupture de paradigme dans les deux États andins. Nous avons pu constater que les États plurinationaux et interculturels consacrent ainsi l'autonomie autochtone.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld