B- Les critères (de validité) de la
sous-traitance dans le Chapitre VIII
Un critère est ce qui sert de base à un
jugement110. Il peut également être défini comme
ce qui sert à distinguer, dans une chose, le vrai du faux ; c'est la
caractéristique à laquelle on se réfère ou sur
laquelle on se base pour choisir, classer, sélectionner quelque
chose.
106 BOISSON DE CHAZOURNES (Laurence), art. cit., p.
264.
107 RESS (Georg) et BRÖHMER (Jürgen), « Article
53 », dans SIMMA, et al. (dir.), The Charter of the United
Nations : A Commentary, 2e éd., oxford, oxford university Press,
2002, p. 860 (par. 1) ; le terme « informel » est utilisé pour
clarifier qu'il ne s'agit pas ici d'organes établis par les organes
principaux de l'ONU ; voir KELSEN (Hans), The Law of the United Nations. A
Critical Analysis of Its Fundamental Problems, Londres, Stevens, 1964, p.
326, où il observe que « [r]egional organisations may act as organs
of the united nations ».
108 Sur la marge discrétionnaire, voir les observations
de GAJA (Giorgio), « use of Force... », « responsabilité
des Etats et/ou des organisations internationales en cas de violations des
droits de l'homme : la question de l'attribution », dans SFDI, La
soumission des organisations internationales aux normes internationales
relatives aux droits de l'homme, Paris, Pedone, 2009, p. 42.
109 Voir la distinction similaire faite par SICILIANOS
(Linos-Alexandre), « L'autorisation par le Conseil de
sécurité de recourir à la force : une tentative
d'évaluation », RGDIP, tome 106, 2002, p. 19, dans le
cadre de l'évolution de la pratique concernant le Chapitre VII de la
Charte.
110 Dictionnaire Le Robert, op. cit.,p. 100.
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La régionalisation du maintien de la paix et de la
sécurité internationales. Etude appliquée au conflit en
République Centrafricaine
De ce qui précède, deux critères sont
retenus pour la validité de la relation de sous-traitance entre
organismes régionaux et l'ONU : le premier est celui de la
compatibilité aux buts (1), et le second, la
compatibilité aux principes (2) des Nations Unies.
1- Le critère de compatibilité aux buts
des Nations Unies
L'article premier de la Charte établit les buts des NU
qui sont les suivants :
« 1. Maintenir la paix et la sécurité
internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives
efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la
paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix,
et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux
principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le
règlement de différends ou de situations, de caractère
international, susceptibles de mener à une rupture de la paix »
;
« 2. Développer entre les nations des relations
amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité
de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et
prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde
» ;
« 3. Réaliser la coopération
internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre
économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant
et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de
religion » ;
« 4. Etre un centre où s'harmonisent les efforts
des nations vers ces fins communes ».
Il a été suggéré que seuls
seraient éligibles au titre du Chapitre VIII les organisations ayant
compétence dans le domaine du règlement pacifique des
différends relatifs au maintien de la paix et de la
sécurité internationales111. Cette condition, bien que
rigide112, est confirmée par l'attitude de la CIJ dans
l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigéria. En l'espèce, la CIJ a rejeté la
qualification d'organisation régionale pour la Commission du Bassin du
Lac Tchad après avoir constaté que la Commission « n'a
toutefois pas pour fin de régler au niveau régional des affaires
qui touchent au maintien de la paix et de
111 DE WET (Erika), « The relationship between the
security council and regional organizations during Enforcement Action under
chapter VII of the united nations charter », NJIL, vol. 71, 2002,
p. 7.
112 L'intervention de la CEDEAO au Liberia en 1993 est une
illustration de la possibilité pour une organisation régionale
spécialisée en matière économique d'agir dans le
cadre du Chapitre VIII.
Les compétences d'une organisation sont susceptibles
d'évoluer, notamment en s'affirmant dans le domaine de la paix et de la
sécurité.
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La régionalisation du maintien de la paix et de la
sécurité internationales. Etude appliquée au conflit en
République Centrafricaine
la sécurité internationales »
113. Ce critère est accompagné d'un autre qu'il
convient de présenter.
2- Le critère de compatibilité aux
principes des Nations Unies
L'article 2 de la Charte stipule que l'ONU et ses Membres,
dans la poursuite des buts énoncés à l'article 1, doivent
agir conformément aux principes suivants :
« 1. L'Organisation est fondée sur le principe de
l'égalité souveraine de tous ses Membres » ;
« 2. Les Membres de l'Organisation, afin d'assurer
à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur
qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu'ils
ont assumées aux termes de la présente Charte » ;
« 3. Les Membres de l'Organisation règlent leurs
différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle
manière que la paix et la sécurité internationales ainsi
que la justice ne soient pas mises en danger » ;
« 4. Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans
leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à
l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies » ;
« 5. Les Membres de l'Organisation donnent à
celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle
conformément aux dispositions de la présente Charte et
s'abstiennent de prêter assistance à un Etat contre lequel
l'Organisation entreprend une action préventive ou coercitive »
;
« 6. L'Organisation fait en sorte que les Etats qui ne
sont pas Membres des Nations
Unies agissent conformément à ces principes
dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la
sécurité internationales » ;
« 7. Aucune disposition de la présente Charte
n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni
n'oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une
procédure de règlement aux termes de la présente Charte ;
toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des
mesures de coercition prévues au Chapitre VII ».
La lecture des dispositions qui précèdent permet
de comprendre que si la CEEAC et l'UA sont dans cette relation de
sous-traitance avec l'ONU dans la prise en charge du conflit
113 Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), arrêt
sur les exceptions préliminaires du 11 juin 1998, CIJ Recueil
1998, pp. 306-307, par. 67.
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en RCA, c'est par ce que celles-ci partagent les principes et
les buts de l'ONU évoqués ci-haut.
Toutefois, il faut noter que ces critères de
compatibilité aux buts et principes de l'ONU sont appliqués de
manière très flexible, même s'ils paraissent constituer en
dernier ressort et à l'aune de la pratique la condition minimale
à satisfaire114. La résolution 2127 (2013) vient
spécifier les développements qui précèdent.
PARAGRAPHE II : La résolution 2127 (2013) du
Conseil de sécurité, norme spécifique
d'établissement de la sous-traitance ONU-CEEAC/UA dans la gestion du
conflit en RCA La Charte stipule que : « (...). ..., aucune
action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par
des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de
sécurité115. ».
Le mandat donné à la MISCA, pour une
période initiale de douze mois, par la résolution 2127 (2013) du
Conseil de sécurité sur la situation en RCA est de prendre des
mesures appropriées en vue de protéger les populations civiles
(A) et restaurer l'autorité de l'Etat
(B). A- Un mandat de protection des populations
civiles
Au même titre que l'ONU, les organisations
régionales sont des acteurs de protection des populations civiles et des
droits de l'homme dans leur sphère de compétence. Avec l'ensemble
des structures qui composent leur système, elles peuvent être
considérées comme de véritables puissances dans le domaine
humanitaire.
Les dimensions de la protection des civils dans le cadre de la
MISCA sont, d'une part, la fourniture d'aide humanitaire (1),
et d'autre part, la protection contre les atteintes aux droits de l'homme
(2).
1- La fourniture d'aide humanitaire
Dans sa résolution, le Conseil de
sécurité confie à la MISCA des missions humanitaires. Ces
missions sont relatives à l'acheminement de l'aide humanitaire ainsi que
l'assistance sociale aux populations en détresse. Elle porte
essentiellement sur la livraison et l'approvisionnement (eau, nourriture,
équipements sanitaires), la surveillance des mouvements des
réfugiés et la sécurisation des convois de l'aide.
D'ailleurs à propos de l'action humanitaire, le Conseil
de sécurité, dans sa résolution, « exige de
toutes les parties au conflit, en particulier les anciens
éléments de la Séléka,
114 BOISSON DE CHAZOURNES (Laurence), art. cit., p.
249.
115 Cf. article 53 paragraphe 1, deuxième phrase.
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qu'elles ménagent aux organisations humanitaires et
à leur personnel l'accès sans délai, sûr et sans
entrave aux zones où se trouvent les populations dans le besoin, afin
qu'ils puissent leur apporter rapidement l'aide humanitaire nécessaire,
dans le respect des principes directeurs des Nations Unies relatifs à
l'aide humanitaire, dont la neutralité, l'impartialité,
l'humanité et l'indépendance dans la fourniture de l'aide
humanitaire116 ».
C'est dans cette logique que la MISCA escorte de nombreux
convois humanitaires dont certains depuis la frontière
centrafricano-camerounaise vers la capitale Bangui et vers les provinces pour
la distribution, aux populations touchées, des denrées
alimentaires et autres. La fourniture de l'aide humanitaire est suivie de la
protection contre les atteintes aux droits de l'homme.
2- La protection contre les atteintes aux droits de
l'homme
La protection des droits de l'homme est au coeur du
système des NU117. La présence de cette organisation
en RCA est, en partie, liée aux atteintes aux droits de l'homme dont la
protection incombe (également) à la communauté
internationale, au nom de la « responsabilité de protéger
». Il est donc de la responsabilité de la MISCA de protéger
les populations civiles contre les tortures, mais également contre les
violences sexuelles.
En ce qui concerne la protection contre les tortures, une
convention stipule que : « Tout Etat partie prend des mesures
législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces
pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire
sous sa juridiction. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit,
qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre,
d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état
d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la
torture118 ».
Pour assurer la protection des populations contre les
tortures, le Conseil de sécurité autorise la MISCA à
prendre les mesures appropriées, de manière à
répondre mieux aux attentes de celui-ci et aux besoins des
centrafricains.
Et pour ce qui est de la protection contre les violences
sexuelles, la Déclaration universelle des droits de l'homme mentionne
que les droits de l'homme et les libertés fondamentales sont universels
et garantis pour tous. Les OMP, et pas moins la MISCA, devraient donc
évoluer dans le respect des droits de l'homme tout en essayant de faire
avancer ceux-ci à travers la mise en oeuvre de leur mandat. La MISCA est
investie du mandat de
116 Cf. S/RES 2127 (2013), p. 11.
117 PETIT (Yves), Droit International du maintien de la
paix, Paris, LGDJ, 2000, p.51.
118 Article 2 alinéas 1 et 2 de la convention contre la
torture, et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, 10 décembre 1984.
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La régionalisation du maintien de la paix et de la
sécurité internationales. Etude appliquée au conflit en
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protéger les populations contre les violences
sexuelles, davantage les femmes et les enfants car ce sont ceux-ci qui sont les
plus touchés par les groupes armés, et qu'il faut
également restaurer l'autorité de l'Etat.
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