L aprotection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté au Burkina Fasopar Marou KABORE Université Thomas Sankara - Master 2 2021 |
Paragraphe 1 : L'inadaptation des textesL'inadaptation s'explique d'une part par les reculs des nouvelles réformes pénales (A) et la faible compréhension des lois (B) d'autre part. A. Les reculs des nouvelles réformes pénalesLes nouvelles réformes pénales ont considérablement impacté sur les droits fondamentaux des personnes privées de liberté au Burkina Faso. D'autres portent soit sur la procédure366(*) soit sur les principes fondamentaux régissant la détention367(*) alors que certains textes ont contribué à la hausse du taux de privation de liberté par l'incrimination de nouveaux faits368(*). La détention ou la réclusion criminelle369(*) ne saurait justifier une atteinte aux droits fondamentaux consacrées par les conventions internationales. En effet, l'article 7 (1) de la Charte A.D.H.P. dispose que « la peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ». Cependant aux termes de certaines dispositions de la loi n°025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal, de nombreux droits fondamentaux sont gravement atteint du fait de l'emprisonnement à vie. Le principe de l'individualité de la peine et le droit à la propriété consacrés par les conventions internationales sont gravement atteint, et la mort civile semble être implicitement consacrée. En effet, l'article 212-5 du code pénal dispose que « le condamné à une peine d'emprisonnement à vie ne peut disposer de ses biens, en tout ou partie, soit par donation entre vifs, soit par testament, ni en recevoir à ce titre, si ce n'est pour cause d'aliments. Tout testament par lui fait antérieurement à sa condamnation contradictoire, devenue définitive, est nul. Les dispositions ci-dessus ne sont pas applicables au condamné par défaut. ». L'alinéa 2 du même article ajoute que « le condamné à une peine d'emprisonnement à vie peut être relevé de tout ou partie des incapacités contenues dans l'alinéa précédent. Il peut lui être accordé l'exercice, dans le lieu d'exécution de la peine, des droits civils ou de quelques-uns de ces droits, dont il a été privé par son état d'interdiction légale. Les actes faits par le condamné dans le lieu d'exécution de la peine ne peuvent engager les biens qu'il possédait au jour de sa condamnation, ou qui lui sont échus à titre gratuit depuis cette époque. ». Ces dispositions constituent des violations aux principes fondamentaux dans la mesure où le condamné à vie ne jouit que de « quelques-uns » seulement des droits civils et politiques et des reculs sans précédent nonobstant les engagements souscrits par le pays en matière de protection des droits des P.P.L. Par ailleurs, la loi n°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant code de procédure pénal a également opéré des refontes qui constituent des reculs important dans la phase d'instruction. Alors que l'article 137 de l'ancien C.P.P. disposait qu'en matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur à un an d'emprisonnement, l'inculpé domicilié [au Burkina Faso] ne peut être détenu plus de cinq jours après sa première comparution devant le juge d'instruction s'il n'a pas été déjà condamné soit pour un crime, soit à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun. L'article 261-80 du nouveau C.P.P. ramène la durée de cette détention provisoire à trois mois ce qui constitue un recul par rapport à l'ancien. Par ailleurs, il convient de noter qu'à travers le nouveau code de procédure pénale, la détention provisoire est susceptible d'atteindre une durée allant jusqu'à trois ans et demi en matière correctionnelle et de quatre ans et demi en matière criminelle aux termes des dispositions de l'article 261-80 à 261-83 du code de procédure pénale si le juge d'instruction estime nécessaire la prolongation. En outre, le juge d'instruction peut, pour les infractions d'actes de terrorisme et de financement du terrorisme, ordonner la prolongation de la détention provisoire pendant toute la durée de l'information et jusqu'à l'audience de jugement. Ainsi, on note une prolongation illimitée de la détention provisoire dans ces circonstances. Cela constitue à la fois une atteinte grave au droit à la dignité et au droit à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable370(*). La loi n°044-2019/AN du 31 juin 2019 portant modification de la loi n°025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal a incriminé de nouveaux faits dont les victimes sont potentiellement les utilisateurs des réseaux sociaux371(*). Ainsi, donc une mauvaise utilisation ou une erreur de manipulation de son téléphone peut faire l'objet d'arrestation372(*). Ainsi, au cours de la même année, une étude de la Direction Générale des Études et des Statistique du MJDHPC a révélé une forte hausse des condamnations sur la base de cette loi comme délits contre la sécurité publique373(*). Ainsi, au cours de la même année, les mis en examen pour acte de terrorisme prennent de plus en plus une place importante dans les établissements pénitentiaires. En effet, 43,9% des mis en examen sont détenus pour acte de terrorisme en 2019 contre 29,3% en 2018 et 10,7% e 2017374(*). Cela s'explique par la pénalisation des nouveaux faits issus de la nouvelle réforme375(*). Par ailleurs, la loi n°026-2018/AN du 1er juin 2018 portant réglementation générale du renseignement au Burkina Faso, consacre une disposition qui heurte violement aux principes fondamentaux de l'interdiction de la torture. En effet, l'article 18 dispose que « sont exemptés de peine, les agents de renseignement qui, dans le cadre de leurs missions, commettent des infractions qui sont absolument nécessaires afin d'assurer l'efficacité de la mission ou de garantir leur propre sécurité ou celle d'autres personnes liées à l'accomplissement de cette mission. ». Pourtant l'expression « infraction absolument nécessaire » ne peut être invoquée pour justifier une atteinte à un droit fondamental. Cette disposition consacre l'impunité et garantie les agents de renseignement pour toutes les infractions qu'ils auront à commettre au cours de leur mission. Or cela constitue une violation de la convention contre la torture376(*) et de la loi nationale contre la torture377(*). * 366 V. Loi n°040-2019 du 29 mai 2019 portant code de procédure pénale. * 367 V. Loi n°025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal. * 368 V. Loi n°044-2019/AN du 21 juin 2019 portant modification de la loi n°025-2018 du 31 mai 2018 portant code pénal. * 369 En matière criminelle, la privation de liberté s'appelle la détention criminelle pour les crimes politiques et réclusion criminelle pour les crimes de droit commun. V. Jean PRADEL, Principes de droit criminel, I-Droit pénal Général, éd. Cujas, 1999, Paris, p.203. * 370 Dans sa jurisprudence relative au droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, la Cour A.D.H.P. a pris en considération la durée de la procédure interne et soumis l'État défendeur à l'obligation d'une diligence raisonnable.V. Cour A.D.H.P., Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso, req. n°013/2011, 21 juin 2013, §152 ; Wilfried OnyangoNganyi et 9 autres c. République-Unie de Tanzaniereq.n° 006/2013, 18 mars 2016, § 155.La Cour a également estimé que la complexité de l'affaire et la situation du requérant doivent être prises en considération pour apprécier si le délai considéré est raisonnable. V. Cour A.D.H.P., Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso, op. cit. § 92 à 97 ; Cour A.D.H.P., Alex Thomas c. Tanzanie, req. n°005/2013, 20 novembre 2015, § 104. * 371 V. art. 312-13 à art. 312-16 de la loi n°044-2019. * 372 V. art. 312-13 de la loi n°044-2019. « Est puni d'une peine d'emprisonnement de un an à cinq ans et d'une amende de un million (1 000 000) de francs CFA à dix millions (10 000 000) de francs CFA, quiconque intentionnellement communique, publie, divulgue ou relaie par le biais d'un moyen de communication quel qu'en soit le support, une fausse information de nature à faire croire qu'une destruction, une dégradation ou une détérioration de biens ou une atteinte aux personnes a été commise ou va être commise. » * 373 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, Tableau de bord statistique 2019 de la Justice, éd. 2020, p.32. * 374 Burkina Faso, M.J.D.H.P.C., Direction générale des études et des statistiques sectorielles, Tableau de bord statistique 2019 de la justice, éd. 2020, p.64. * 375 V. art. 312-16 de la loi n°044-2019/AN qui dispose qu'« Est puni d'une peine d'emprisonnement de un an à cinq ans et d'une amende de un million (1 000 000) de francs CFA à dix millions (10 000 000) de francs CFA, quiconque publie ou relaie sans autorisation, par quelque moyen de communication que ce soit et quel qu'en soit le support, des images ou sons d'une scène d'infraction de nature terroriste. » * 376 v. art. 4 de la convention contre la torture : « tout État partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal (...) et tout État partie rend ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité ». v. aussi v. art.2 al. 2 de la convention contre la torture : « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. » * 377 V. art. 3 de la loi n°022-2014/AN du 27 mai 2014 portant prévention et répression de la torture et des pratiques assimilées. |
|