Les relations franco-syriennes depuis 2000par Line Abd Rabbo Hautes Etudes Internationales et Politiques (HEIP) - Relations Internationales et Politiques 2019 |
Chapitre 1 : Le coaching de ChiracBachar Al Assad effectue une visite officielle à Paris en 2001 où il a été récompensé de la légion d'honneur par Jacques Chirac. Selon la Grande Chancellerie de la légion d'honneur : « La remise de la Légion d'honneur à un chef d'État étranger correspond à un usage diplomatique institué par Napoléon lui-même. Dans ce cas, elle accompagne la politique étrangère de la France et illustre l'existence de relations entre les deux pays ». Bachar Al Assad qui reçoit la légion d'honneur par Jacques Chirac . 6 Rafic Hariri entretenait des bonnes relations avec son voisin Bachar Al Assad, c'est lui qui encourage son ami français Chirac à soutenir ce nouveau président syrien, tout comme il l'avait encouragé pour aller aux obsèques de son père, Hafez Al Assad. Tout commençait bien entre Paris et Damas (1), Chirac participait à l'ouverture et la modernisation de la Syrie à travers une bonne relation diplomatique et des réformes 6 Source : https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2017/10/29/macron-assad-et-lhonneur-de-la-france/ 11 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 (§2-3) qui vont permettre à Bachar Al Assad de bien commencer son voyage en tant que chef d'état avant d'être frappé par tous événements majeurs, l'occupation de l'Irak, l'assassinat de Hariri et le plus grave, l'éclatement de la crise syrienne en 2011. La France soutient la modernisation syrienne La France fut le premier et le seul pays occidental à soutenir le programme réformateur en Syrie. Chirac place la Syrie au coeur de sa politique étrangère au Proche Orient et va créer des liens privilégiés avec le nouveau président syrien, en endossant un rôle de mentor, acceptant par là une demande qui lui avait été faite par Hafez avant de mourir : « Bachar est comme ton fils, tu devras donc le traiter comme tel ». Bachar Al Assad, novice en politique, auprès de sa femme Asma qui dégage un style entièrement occidental et élégant donnaient une image très positive aux occidentaux. Jacques Chirac prend Bachar Al Assad, novice en politique, sous son aile. Le système syrien était sous forte influence baassiste7 avec une administration corrompue et un entourage présidentiel identique à celui du père Al Assad. Chirac estime que Bachar Al Assad aura besoin d'aide pour débloquer et réformer ce système ancien. Le président Chirac ne tarda pas à envoyer des consultants administratifs, des professeurs, des banquiers et bien d'autres cerveaux afin de soutenir les réformes syriennes. Au début de son mandat, plusieurs prisonniers politiques sont libérés, les uniformes militaires dans les écoles sont supprimés, et le ministres de l'éducation devient indépendant dans ses prises de décisions. La liberté d'expression revenait petit à petit dans le pays du Levant, des débats publics sont organisés, et un journal satirique voit le jour : le Canard enchainé oriental est lancé (Al Domari8) par un caricaturiste syrien. Le président assistait souvent aux expositions du célèbre caricaturiste Ali Ferzat et l'invitait parfois à critiquer l'assemblée du peuple. 7 Le parti Baas (ou Baath) syrien date de 1947, c'est une doctrine qui combine le socialisme arabe, la laïcité et le nationalisme panarabe qui s'oppose à l'ingérence étrangère dans les affaires intérieures. 8 Le caricaturiste est forcé à s'exiler en 2003 sous pression des services syriens 12 13 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Le président syrien ne perd pas de temps et fait revenir beaucoup de cadres et de professionnels éduqués en France qui occuperont un poste important dans le pays comme par exemple Nibras el- Fadel, ancien polytechnicien et énarque, qui devient conseiller économique de Bachar al-Assad en 2003, ou encore Amer Moujtahed, cadre francophone et francophile de la compagnie de téléphonie Syriatel, qui devient secrétaire général du gouvernement. Bachar Al Assad avait une volonté forte de réformer son administration, fortement basée sur le modèle baassiste, mais ne voulait pas changer les fondements du régime. Oui pour les réformes, non pour un changement, oui pour la modernisation mais pas pour la démolition du modèle en vigueur dans le pays. Bien qu'il soit enclin à la modernisation et aux réformes, il ne tarda pas à faire face aux obstacles intérieurs et extérieurs qui entravaient ses aspirations. Des réformes dans l'éducation Bachar Al Assad, fasciné par la prestigieuse école française l'ENA, a demandé au président français Chirac de construire une école similaire à Damas. Il voulait construire en Syrie une école pour créer une génération de haut fonctionnaires qui pourront participer aux réformes du pays avec une administration solide. La directrice de l'ENA à Paris, Marie -Françoise Bechtel s'en charge aussitôt de la mission. L'INA 9 ouvres ses portes pour la rentrée universitaire de 2003 avec une cinquantaine d'étudiants suivant une formation très similaire à celle dispensée en France où sont enseignés le droit public, les relations internationales et la finance publique. Ceci n'était encore jamais arrivé au Moyen Orient. Un master « droit des affaires internes et internationales » a été créé grâce à un partenariat entre l'Université Paris II et l'Université de Damas. Ce diplôme a fait l'objet d'un soutien financier du Sénat et du programme européen Tempus. Ce master, ouvert en 2005, accueille chaque années entre 20 et 25 étudiants. Ceux-ci doivent disposer d'une licence de droit et maîtriser la langue française. 9 l'Institut national d'administration, fondée en 2002, est une école à Damas ayant pour mission de former des hauts cadres de la fonction publique syrienne. 14 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Plusieurs autres masters ont été ouverts : « management-sécurité-environnement », « restauration architecturale et urbaine », « informatique », « français langue étrangère », sachant que tous les masters sont issus de partenariats entre des universités syriennes et françaises. Deux écoles françaises sont ouvertes en Syrie dans la fin des années 90, le lycée français d'Alep et le lycée Charles de Gaulle de Damas10, le lycée à Damas est également nommé « L'Ecole française de Damas » et enseigne le programme français de la petite section à la terminale. Ces deux établissements ont permis de conserver la francophonie en Syrie. Les élèves étaient de nationalités différentes, les élèves syriens se mélangeaient aux élèves français, et les francophones pouvaient également prendre des cours d'arabe. Chaque année, le lycée français de Damas organisait un événement pour fêter la francophonie où les élèves faisaient des prestations en français : des sketchs, des chansons, des poèmes, des danses... Le programme enseigné étaient identique à celui enseigné en France, ainsi que le système de notation et le déroulement des examens. Il y'avait, en 2015, environ un millier de français demeurant en Syrie dont la plupart sont binationaux ou mariés avec des personnes de nationalité syrienne. L'établissement à Alep a fermé en 2012 et a été en grande partie détruit à cause de la guerre, l'établissement à Damas a vu la rupture de sa convention avec le ministère de l'éducation en 2011 mais a réussi à persévérer avec l'investissement des parents d'élèves et reste aujourd'hui un lycée « homologué » comme établissement français de l'étranger. Des réformes économiques et financières Toujours à la demande de Bachar Al Assad, la France gère les réformes financières afin de permettre au gouvernement syrien de mieux gérer son budget et ses dépenses publiques. Paris envoie un conseiller en 2003, Bernard Pêcheur qui propose d'unifier le budget de l'Etat en trois budgets différents : un budget pour l'armée et les services de 15 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 renseignements, un budget d'investissements, et un budget de fonctionnement. Le conseiller propose également de créer une direction du Trésor afin de pouvoir piloter la réforme bancaire et ouvrir un département chargé de collecter l'impôt des entreprises publiques. Bachar Al Assad approuve les conseils de Pêcheur et décide de mener le projet afin de rééquilibrer le budget syrien et avancer dans les réformes financières. Après la mise en oeuvre du projet Pêcheur, les résultats sont remarquables et ont permis un début d'assainissement des finances publiques : l'impôt sur les sociétés a été abaissé de 60 à 28% et la collecte des impôts a été centralisée en 2006 et la part des impôts dans les recettes budgétaires bondit de 10% en 2003 à 26% en 201111. Après ce succès, la France n'hésite pas à donner un coup de main dans d'autres grandes réformes telle que la fin de la monopolisation bancaire qui a marqué la modernisation syrienne. Le parti Baas, depuis ses débuts, avait un système bancaire monopolisé par l'Etat avec une organisation vieillissante et archaïque qui remonte aux nationalisations de 1963. Le siège de la Banque centrale syrienne, place des sept-fontaines à Damas, est l'archétype de l'architecture soviétique des années 50, un immeuble grisâtre en béton sinistre et froid12. L'économie syrienne ne disposait donc pas d'un système de financement correct et il fallait moderniser le système monétaire en urgence. Les progrès ont vu le jour avec le coup de pouce de la France qui a permis une ouverture au secteur privé et la mise en place d'une régulation bancaire. Plusieurs experts sont venus du ministère français des Finances et du FMI (Fonds monétaire international) pour dépoussiérer les méthodes archaïques. Selon la conseillère économique et commerciale à Damas, le taux d'investissements augmente et les opérations monétaires et bancaires sont revues à la hausse, et le marché de changes est réorganisé et le marché de crédit, en particulier à la consommation, s'est notablement développé sous l'impulsion des offres commerciales des nouvelles 11 12 Les Chemins de Damas, Christian Chesnot, Georges Malbrunot, p.86 Les Chemins de Damas, Christian Chesnot, Georges Malbrunot, p. 86 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 banques. On a également pu constater un afflux en Syrie de fonds en provenance des États du Golfe. La progression dans la réforme du système bancaire en Syrie rencontre toutefois quelques handicaps tels que : la lenteur des réformes de la banque centrale qui doit notamment mettre en place un marché de la dette, ou encore rémunérer les dépôts, l'absence d'instruments de refinancement, l'importance des transactions en espèces, et l'inexistence de financements en devises étrangères.13 Afin de permettre une modernisation complète, il fallait informatiser le système de gestion des opérations et reconfigurer l'ensemble des circuits financiers, mais « cela signifiait une transparence dans les transactions financières, et cela, le régime syrien n'en voulait pas car ainsi, car on aurait soulevé le couvercle sur les opérations de blanchiment, de corruption et de financement du clan Assad. Donc pas question d'y toucher » annonce avec regret un expert français affecté au siège de la banque. En fin de compte, l'informatisation ne sera jamais mise en oeuvre. Néanmoins, le président syrien Bachar Al Assad, avec un coup de main français, atteint son objectif : briser le monopole de l'Etat sur le système bancaire, réouvrir des établissements privés ainsi qu'une Bourse de valeurs inaugurée le 8 mars 2003. C'est ainsi que les banques voient le jour en 2004. Le clan Assad contrôle les circuits financiers et privés de l'économie syrienne et les hommes d'affaires travaillent à leur service. On assiste alors à une économie directement liée au pouvoir avec des banques affiliés à des membres du clan Assad. Plusieurs entreprises françaises ont investi en Syrie. On peut citer, en particulier, Total, qui exerce sur place des activités d'exploration/production. La compagnie aurait investi plus d'un milliard et demi de dollars depuis son implantation en 1988. Dans le secteur agro-alimentaire, les fromageries Bel produisent sur place des fromages fondus et vise aussi les marchés voisins, en particulier le Liban et la Jordanie. Parmi les autres entreprises françaises présentes sur le marché, on notera le groupe de cigarettes Altadis, Alcatel, ou encore Accor. 13 Site du Sénat : https://www.senat.fr/ga/ga76/ga762.html 16 17 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Cependant, la présence française sur place reste encore insuffisante, les Syriens n'autorisaient pas les établissements étrangers de détenir plus de 49% de leur capital, ceci bloquera par la suite la tentation des banques étrangères à s'implanter sur le marché syrien. Seules les banques, BEMO (Banque européenne du Moyen Orient, dont crédit agricole est actionnaire) et Saudi Fransi ont réussi à s'implanter en Syrie. Bachar Al Assad était et est toujours entouré de corrompus, comme son cousin Rami Makhlouf, il reconnait leurs escroqueries et leur corruption. Le président a toujours été également entouré de baassistes issus de l'ancien régime de Hafez Al Assad, les ambitions du jeune président syrien à l'ouverture du pays restent bloquées dans la corruption et dans l'ombre d'un régime baassiste, archaïque et sévère. Pour réformer correctement, le président syrien avait besoin de cadres expérimentés syriens, or la plupart avaient fui le pays lors du règne de son père. Comment remplacer les anciens cadres issus du régime baassiste s'il n'y a pas des personnes compétentes et modernes pour les remplacer ? Ce qui ennuyait la France, c'était la lenteur des réformes, elles étaient peu ou pas appliquées, Chirac considérait cela comme un mauvais retour d'investissement et un moyen pour le président syrien de renforcer son pouvoir. En effet, on peut avancer sur une autre lecture, celle d'une éventuelle stratégie du président syrien à faire des réformes pour enrichir son clan et renforcer son pouvoir. |
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