Les relations franco-syriennes depuis 2000par Line Abd Rabbo Hautes Etudes Internationales et Politiques (HEIP) - Relations Internationales et Politiques 2019 |
Chapitre 2 : La rupture : L'affaire HaririPendant plusieurs années, le gouvernement syrien exerçait un contrôle sur le territoire libanais qui limitait la souveraineté du gouvernement de Beyrouth. Rafic Hariri était un premier ministre libanais qui entretenait une relation amicale très forte avec le président français Jacques Chirac depuis les années 80. Chirac le considérait comme un frère et l'ex-premier ministre libanais racontait à son ami Chirac tout se qui se passait au Moyen Orient. Le sentiment était réciproque, « Chirac, c'est mon meilleur copain », confie le Libanais à l'une de ses collaboratrices peu de temps avant sa mort. Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 « Entre la France et la Syrie, il y a Rafic Hariri qui conseille en permanence Jacques Chirac sur tous les dossiers. »14 Rafic Hariri est assassiné le 14 février 2005 à Beyrouth (2). Cet assassinat va faire basculer les relations franco-syrienne dans une méfiance et un rapprochement franco-américain (1) qui fera peur aux syriens. Le rapprochement franco-américain Avant l'assassinat, la Syrie se retrouvait encerclée de dangers à partir de 2000, la géopolitique régionale devenait alors inquiétante : A l'Est, les Etats Unis étaient rentrés en Afghanistan suite aux événements du 11 septembre avant de se tourner vers l'Irak de Saddam Hussein en 2003. A l'Ouest, la deuxième Intifada éclate et les négociations pour une paix syro-israélienne sont complètement abandonnés. Pour Bachar Al Assad, il était hors de question de laisser place à une extension de l'intervention américaine sur les frontières syriennes. Chirac réussit à convaincre le président syrien pour voter la résolution 1441 qui prévoit des inspections instructives sur des sites irakiens controversés d'armes de destructions massives15. Les américains finissent par intervenir en Irak sans le vote au Conseil de Sécurité de l'ONU et les diplomaties françaises et syriennes coopèrent. Dès lors, le président syrien a fermé la frontière syro-irakienne. Bachar Al Assad coopère, malgré la pression de américains et livre des listes de djihadistes aux services américains et arrêtent des combattants étrangers qui transitent par la Syrie. La Syrie demande aux américains et britanniques de lui fournir des équipements plus performants pour pouvoir mieux contrôler la frontière irakienne, ils ne les obtiennent jamais. Les américains se méfient du gouvernement syrien et semble jouer une partie du poker. 14 Ibid., p. 79 15 Chemins de Damas, Christian CHESNOT, Georges MALBRUNOT, p.100 18 19 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 En pleine crise irakienne, Dominique de Villepin16 livre un discours à l'ONU où il mentionne le retrait des troupes syriennes du Liban, présentes depuis 25 ans sur le territoire libanais à la demande du Liban en 197517. Bachar Al Assad tombe des nues et ne comprend pas la position de la France qui commençait à s'aligner aux Etats Unis. Chirac voulait que « Bachar Al Assad accepte la présence et la montée en puissance des américains au Moyen Orient comme une nouvelle réalité géopolitique et d'agir en conséquence et ne pas rester immobile pour pas s'isoler ». Ces mots ont été prononcés par un diplomate français envoyé par Chirac à Bachar Al Assad en 2003 pour essayer d'avoir des concessions sur le Liban. La réponse d'Assad ne fut pas plus que des reproches vis-à-vis des américains et se méfiait d'un complot franco-américain pour qu'il fasse sortir ses troupes du Liban. Le président syrien refuse d'agir en fonction des occidentaux, et la confiance commence à diminuer entre Chirac et Assad avant de disparaitre complètement. A l'époque, Emile Lahoud était le président libanais, et Hariri, le premier ministre. Les deux ne s'entendaient pas et partageaient de nombreux désaccords. Emile Lahoud était proche de Bachar Al Assad mais son mandat touchait sa fin en 2004. Faut-il renouveler le mandat d'Emile Lahoud quitte à changer la constitution libanaise ? C'est le sujet sensible de l'époque. Bachar Al Assad n'hésite pas à montrer à Chirac qu'il reste maitre du Liban et va réussir à mettre un coup de pression pour changer la constitution libanaise et prolonger le mandat Lahoud. La conjoncture régionale subissait un changement géopolitique avec l'arrivée des américains et leur projet de remodeler le Moyen Orient et la Syrie se sentait encerclée de dangers potentiels. Le choix de Damas était clair, il était inutile de prendre des risques avec un nouveau président libanais dans un paysage incertain et dangereux, et afin d'éviter les mauvaises surprises, le président syrien préférait la prolongation du mandat d'Emile Lahoud qui arrivait à maintenir un équilibre dans un pays divisé entre plusieurs communautés qui se font la guerre en permanence. 16 Ministre des affaires étrangères de la France à l'époque 17 Guerre civile du Liban (1975-1990) qui oppose les palestiniens aux chrétiens. L'ancien président syrien Hafez Al Assad envoie des troupes syriennes à la demande du Liban pour mettre en échec les ambitions progressistes des palestiniens étant donné que le Liban manquait d'armée à l'époque. 20 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 A Paris, Chirac est furieux de ce qu'il considère un « coup de force » sur le Liban et décide de parler avec son partenaire américain George W. Bush qui devait se rendre en France pour fêter le soixantième anniversaire du débarquement en Normandie. Chirac avait prévue de faire voter une résolution à l'ONU (1559) pour retirer les troupes étrangères du Liban avant même le coup de force de Bachar Al Assad18. Chirac gagne la partie puisque les américains, ainsi que les russes, acceptent d'aider les français, et la résolution 1559 des Nations Unies est adoptée par le Conseil de Sécurité le 2 septembre 2004, une défaite et une grande déception pour la Syrie. Rafic Hariri, est assassiné le 14 février 2005, une grande partie de la communauté libanaise pointe du doigt le gouvernement de Damas. Une grande manifestation est organisée à Beyrouth, place des Martyrs pour réclamer la vérité sur l'assassinat et demander le départ des troupes syriennes. Une autre manifestation, plus petite, pro-syrienne était organisée avant celle-ci, le 13 mars. Le Liban se fracture donc en deux camps : les anti-syriens et les pros-syriens. Quelques jours plus tard, la Syrie annonce son retrait du Liban après 25 ans d'occupation. Cet assassinat va entrainer une rupture lourde de conséquences. Un assassinat sophistiqué et des accusations arbitraires Le 14 février 2005, à 12h55, sous le châssis du véhicule Mercedes 4x4 de Rafic Hariri, étaient dissimulés l'équivalent de 300 kg de TNT, un puissant explosif militaire qui explose lors du passage du convoi de l'ancien ministre devant l'Hôtel Saint-Georges sur la corniche de Beyrouth. Une explosion qui a provoqué vingt morts et un cratère de 5 mètres de profondeur et 10 mètres de diamètre. Hariri se déplaçait dans un véhicule muni de radar qui brouillait les mécanismes de mise à feu des explosifs commandés à distance, les assassins devaient posséder du matériel de contre-brouillage très sophistiqué et d'une technologie très moderne. 18 Chirac reconnait dans ses Mémoires ayant travaillé avec Hariri pour rédiger la résolution 1559 des Nations Unies avant que ce texte n'aboutisse en 2004. Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 A l'époque, la Syrie n'avait pas les moyens pour entretenir un tel assassinat avec des moyens militaires. A ce jour, aucune preuve exacte sur le responsable de ce mystérieux kamikaze n'a été relevée. Après la mort de son ami, Jacques Chirac est submergé de tristesse et de colère. Il demande très rapidement l'envoi d'une équipe d'experts en explosifs de la DGSE à Beyrouth. Paris se rapproche de plus ne plus de Washington, les intérêts franco-américains s'accordent sur le Liban et le « Grand Moyen Orient démocratique ». La conviction et l'accusation de Chirac a été faite avant même que l'enquête commence : « La décision a été prise par Assad. Toute autre hypothèse n'a pas de sens »19 confit Chirac au président Bush lorsqu'il le rencontre à Bruxelles le 25 février 2005. A partir de ce moment là, il est hors de question pour Chirac que le crime reste impuni, son objectif dès ce jour-là n'était autre que d'affaiblir la Syrie. Selon des sources diplomatiques citées par le Washington Post, le président syrien avait promis, dans une lettre envoyée dimanche à Washington, Londres et Paris, de poursuivre en justice « sur la base de preuves concrètes » n'importe lequel de ses concitoyens lié au meurtre de l'ex-Premier ministre libanais20. Le ministre de l'information syrien, Mahdi Dakhallah déclare pour une émission sur France 2 : « Ces accusations contre la Syrie c'est comme si on nous accusait d'avoir assassiné John Kennedy, ce sont des accusations qui frisent la bêtise parce que la Syrie n'a jamais recours à ce genre de méthodes. » Damas était affaiblie, surtout après le retrait de ses troupes du pays de Cèdres, la prochaine étape pour Chirac était d'enfoncer le clou et de réclamer au Nations Unies une commission d'enquête internationale. Si les Nations Unies expose publiquement la culpabilité de Bachar al-Assad, cela permettra d'affaiblir davantage sa position et favorisera la chute du régime.
20Libération, Mort de Hariri, Damas sommé de coopérer, Laurent MAURIAC 21 22 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Un juge allemand, Detlev Mehlis, est à la tête de l'enquête, il commence ses investigations à Beyrouth et commet l'erreur d'affirmer qu'il a sollicité l'aide d'Israël dans les investigations, Damas dénonce une politisation de l'enquête. Entre temps, aucune évolution n'est observé à l'Elysée et « la DGSE a rapidement vu qu'aucune preuve ne confondrait les Syriens » confie un des responsables de la DGSE interviewé à Beyrouth par le journaliste Georges Malbrunot. En octobre 2005, le rapport de la commission d'enquête internationale a été remis par le procureur allemand Detlev Mehlis à Kofi Annan, et confirme les intuitions du chef de l'Etat français et porte les accusations contre la Syrie21 malgré des maigres et une scène de crime « saccagée. » 22 On se demande comment ce procureur a bien pu arriver à ses fins. Trois semaines après avoir rendu son rapport à l'ONU, Melhis a insulté et menacé un proconsul syrien logé au Liban et lui dit : « Écoutez, si vous pensez que vous pouvez vous échapper, vous vous trompez, nous allons coincer l'argent de votre famille partout dans le monde, à Dubai notamment. Vous n'aurez plus un sou ! En revanche, si vous coopérez, si vous nous donnez juste un nom... Un nom suffit, celui de quelqu'un qui a été impliqué », mais hélas le proconsul syrien n'avait pas de nom à lui donner... Chapitre 3 : Une rupture partielle des relations franco-syriennes Chirac avait une volonté de faire descendre le régime syrien aux enfers (1), mais une collaboration entre les services de renseignements des deux pays est maintenue (2). Le Liban se retrouve dans une instabilité sans fin accompagnée d'une escalade de violences (3). L'isolement de la Syrie La capacité de nuisance de Chirac était tellement importante qu'il était prêt à tout pour isoler diplomatiquement la Syrie et l'affaiblir jusqu'à ce que le régime tombe. 21 Jacques CHIRAC, op. cit., p. 511
23 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Alain Chouet, directeur général de la sécurité extérieure, désigne cette vengeance par une « dimension affective souvent excessive », et « nous conduit parfois à des positions curieuses, pas toujours bien comprises ni dans notre intérêt. » La mise à l'écart et l'exclusion de la Syrie à cause d'une « politique personnalisée » de Chirac aura des conséquences durables, dont l'impact se mesure jusqu'aujourd'hui. Après 2005, un durcissement est noté de la part de la Syrie, encerclée de dangers, qui veut se montrer protectrice de ses citoyens. L'isolement de la Syrie et son éloignement des français et des américains va également se traduire par un rapprochement syrien encore plus fort de l'Iran pour lui permettre de garder sa place au niveau international auprès de son allié régional puissant après l'affaire Hariri qui a créé un éloignement et une méfiance vis-à-vis des occidentaux. La France va se trouver des nouveaux partenaires stratégiques dans la région dont la Turquie, les pays du Golfe voire même l'Iran, mais elle va néanmoins garder une relation spécifique avec la Syrie basée notamment sur la lutte antiterroriste. La Syrie, un pays incontournable pour les occidentaux A partir de 2003, de nombreux jeunes français passaient par la Syrie pour aller faire le djihad en Iraq contre les troupes américaines, l'aide de la Syrie pour les surveiller et les capturer était essentielle. Un grand nombre de djihadistes sont ensuite envoyés en France pour leur jugement. En 2008, la France de Nicolas Sarkozy intensifie la coopération antiterroriste entre les deux pays. Les services français relayaient à la CIA américaine la bonne foi des services syriens dans la lutte antiterroristes. Certes les relations politiques et diplomatiques étaient terminés entre Paris et Damas, mais les relations économiques et culturelles étaient maintenues, malgré les lobbys antisyriens du Quai d'Orsay, les écoles françaises en Syrie étaient ouvertes, et la société françaises de téléphonie Alcatel a maintenu sa coopération avec le pouvoir syrien. 24 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 En effet, du matériel français, notamment des systèmes d'écoutes est livré par des sociétés privées françaises, le matériel profitera également au Liban et sera utilisé pour d'autres fins. En 2009, le matériel français, chargé à traqué les communications des « ennemis syriens » va permettre le démantèlement d'un énorme réseau d'espions pro-israéliens au Liban23, inutile de préciser que ces livraisons de matériels suscitent un mécontentement chez les autorités israéliennes. La coopération entre les services secrets syriens et français ont toujours bien fonctionné, notamment sur l'axe de la lutte antiterroriste, même après l'assassinat de Rafic Hariri. Un agent de la DCRI témoigne24 : « On continuait de faire de la politique par le biais des services, et pas seulement dans la lutte contre les djihadistes. Les Syriens nous disaient : «Quand vous souhaiterez revenir à la table des discussions, pas de problèmes, nous serons là». » L'aide des services syriens fut précieuse et incontournable pour les français, mais les syriens ne le faisaient pas gratuitement, en échange, ils voulaient la fin de l'isolement politique après l'assassinat de Hariri. Le président Bachar Al Assad, dans un entretien pour un auteur dans le Figaro affirme qu'aucun contact entre les services de renseignement sera repris tant que Paris n'aura pas changé sa politique à l'égard de la Syrie : « Toute sorte de coopération, qu'elle soit sécuritaire, militaire ou même économique, a besoin d'un accord politique. Nous ne pouvons pas avoir une collaboration sécuritaire avec n'importe quel Etat lorsque les intérêts politiques sont en contradiction. » Deux délégations, une de la DGSE et une de la DCRI se dépêchent un mois plus tard à Damas pour essayer d'avoir des concessions auprès de Ali Mamlouk25. Ils étaient dupes de penser qu'ils pouvaient obtenir ce qu'ils voulaient auprès de Mamlouk, les français demandaient une coopération des services secrets syriens concernant les djihadistes et après ils parleront politique. 23 Chemins de Damas, Georges MALBRUNOT, Christian CHESNOT, p.164 24 Chemins de Damas, Georges MALBRUNOT, Christian CHESNOT, p.176 25 Un responsable dans les services syriens, qui figure sur la liste noire des Etats Unis et des Européens 25 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Sauf que cette proposition ne plait pas à Ali Mamlouk, il va donc poser des conditions : « On reprendra contact avec vous sans problèmes, à partir du moment où vous rouvrez l'ambassade et rétablissez les relations diplomatiques avec la Syrie, et il faut également que la France agisse auprès de son partenaire saoudien pour que ce dernier arrête de financer et d'envoyer en Syrie des armes et des djihadistes.» La France ne pouvait pas se plier aux conditions de Mamlouk. En février 2010, à la demande du président syrien, Ali Mamlouk va rencontrer, auprès du vice-ministre des affaires étrangères syrien, Daniel Benjamin, le coordinateur de la lutte antiterroriste américaine. Les américains, toujours déployés en Iraq vont demander à la Syrie de ralentir l'afflux des combattants étrangers qui veulent aller faire le djihad en Iraq pour affronter les troupes américaines. La Syrie accepte la requête américaine et très peu de combattants réussissent à transiter par la Syrie pour arriver en Iraq, le vice-ministre des affaires étrangères syrien va demander une réduction des sanctions américaines sur la Syrie afin que la Syrie ne soit plus sur la liste des pays soutenant le terrorisme. Au cours de l'année 2010, Damas va donc intensifier cette diplomatie « sécuritaire »26 pour essayer de sortir de son isolement. Les contacts vont s'établir également avec la Grande Bretagne sur la lutte antiterroriste. La Syrie connait bien le système terroriste et a eu beaucoup de succès concernant la lutte antiterroriste parce qu'ils connaissent les différentes écoles et les différentes fractions islamistes (wahhabites, salafistes,É), ils peuvent distinguer la tendance religieuse d'un imam qu'avec sa façon d'expliquer l'islam. Ali Mamlouk va convaincre ses homologues britanniques pour leur apprendre à faire ces distinctions de différents courants musulmans et leur expliquer la stratégie de lutte antiterroriste. En échange, les syriens ont demandé à Londres du matériel et des systèmes d'écoute sophistiqués. Paris et Damas ont donc, dans le plus grand secret, pu maintenir une relation de diplomatie «sécuritaire» entre leurs services de renseignements respectifs, avant que la guerre éclate en 2011. 26 Georges MALBRUNOT, Christian CHESNOT, p.185 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Instabilité et violences au Liban Après l'assassinat de Hariri, une inquiétude et une instabilité est observée chez les libanais qui s'en sortent d'autant plus meurtris et divisés. Au Liban, le 12 juillet 2006, un conflit éclate entre les forces israéliennes et le Hezbollah, suite à la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah. Les combats prennent fin aux termes d'un accord négocié avec Israël et le Liban après le vote d'une résolution de l'ONU. En 34 jours, la guerre fait près de 1 400 morts, dont 1 200 côté libanais. On observe un renforcement du Hezbollah et d'autres milices, ce qui va faire plonger Beyrouth dans une vague de violences et d'explosions accompagnée d'une instabilité politique et des divisions encore plus importantes qu'auparavant. Saad Hariri, fils de Rafic Hariri cherche très certainement à venger son père, et Jacques Chirac le reçoit à l'Elysée et s'engage à assurer sa réussite en politique. Le 7 juin 2009, le camp anti-syrien dirigé par Saad Hariri remporte les législatives et le 27 juin il est nommé Premier ministre. Evidemment, la famille Hariri et ses partisans libanais ont accusé auprès de la France, les Etats Unis et la plupart des occidentaux le gouvernement syrien dans l'assassinat de Rafic Hariri. Pourtant, dès le début de son arrivée en fonction, Saad Hariri va se rendre en Syrie pour une visite de deux jours où il va être chaleureusement accueilli à Damas et va serrer la main d'Assad afin de mettre le passé conflictuel derrière eux et discuter des enjeux de la région pour une amélioration des relations entre le Liban et son voisin. 27 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Photo : Le Premier ministre libanais Saad Hariri accueilli par le président syrien Bachar Al-Assad, le 19 décembre 2009, à Damas.27 Cette poignée de main a eu lieu avant même que le Tribunal spécial pour le Liban ne rende le verdict sur l'affaire Hariri. Cette normalisation des relations entre la Syrie et le Liban peuvent s'expliquer en partie par le rapprochement récent entre la Syrie et l'Arabie Saoudite, un allié indéniable de Saad Hariri, qui lui fait partie de la famille royale Saoudienne. Certains estiment que l'Arabie Saoudite aurait choisi de se rapprocher de la Syrie en 2009 pour l'éloigner de l'Iran, d'autres estiment que le nouveau président américain Obama souhaite reprendre le dialogue avec l'axe Syrie-Iran à travers l'Arabie Saoudite. En 2009, Bachar Al Assad et le roi Abdallah se rencontrent plusieurs fois dans le contexte d'une conciliation entre pays arabe et pour proposer des solutions au difficultés observées au Moyen Orient telles que la situation politique au Liban, le dossier nucléaire en Iran voire même le conflit israélo-palestinien. Avec l'arrivée du président américain Obama, du nouveau président Sarkozy en France, ainsi que le rapprochement avec le Liban et l'Arabie Saoudite, la Syrie semble sortir de son isolement, elle accepte le dialogue mais ne change pas sa politique étrangère (soutien aux palestiniens, liens avec l'Iran et le Hezbollah) et se montre comme l'élément stabilisateur de la région. 27 Photo prise du site internet de rfi : http://www.rfi.fr/contenu/20091219-poignee-main-historique-entre-bachar-el-assad-saad-hariri Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Deuxième Partie: Une amitié retrouvée avant un basculement remodelant radicalement la relation franco-syrienne (2008-aujourd'hui) L'arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence française est un tournant majeur dans les relations franco-syriennes qui reprendront de plus belle après l'accord de Doha28 en 2008 avec une succession de rencontres entre les deux présidents. Le 14 juillet, Bachar al-Assad assiste parmi d'autres chefs d'État étrangers au défilé militaire du 14 juillet à Paris, une visite fortement contestée par Laurent Fabius qui estimait que le président Assad n'avait pas sa place au défilé (Chapitre 1). Entre 2008 et 2010, Paris et Damas vivent leur lune de miel, les relations commencent à d'autant plus se stabiliser. Un mouvement nommé le printemps arabe29 frappe le Moyen Orient en 2011, la Syrie en est devenue victime et plonge dans une guerre sanglante qui l'isole à nouveau avec un bilan diplomatique et humanitaire lourd, avec des conséquences internes chaotiques (Chapitre 2). Chapitre 1 : Une tentative de relance des relations franco-syriennes Kushner30 : « Le rôle de la Syrie est primordial dans la région. » Chirac, après son mandat souhaitait que le nouveau président français, Nicolas Sarkozy garde une bonne relation avec Saad Hariri, fils de Rafic Hariri. 28 Cet accord est négocié à la suite des combats qui ont éclaté au Liban entre le 7 et le 14 mai 2008 en raison de la crise politique provoquée par l'absence d'exécutif depuis novembre 2007 et la fin de mandat d'Emile Lahoud. 29 Le terme « printemps arabe » désigne une vague de révoltes dans les pays arabes, ce terme est comparé au « printemps des peuples » de 1848. Ce sont des contestations populaires qui dénoncent la dictature, la corruption et la pauvreté. Le mouvement à commencé en Tunisie en 2010 avec le renversement du président Zein Abdin, le président égyptien fut renversé par la suite, puis le président libyen Khaddhafi fut également renversé et tué. Les révoltes commencent en Syrie en mars 2011. 30 Désigné ministre des affaires étrangères et européennes par Sarkozy de 2007 jusqu'en 2010. 28 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 En effet, Sarkozy et Chirac ont reçu Saad Hariri à l'Elysée et Hariri a déclaré que la discussion avec les présidents français s'était très bien passée. Un premier pas dans les relations franco-syriennes est observé lors de la visite de Sarkozy à Damas en Septembre 2008 (2). Une rencontre s'est effectuée entre le président syrien et français et leurs ministres des affaires étrangères à Istanbul pour débattre sur la question méditerranéenne (l'Iraq et les villes voisines). L'invitation de Bachar al-Assad au 14 juillet marquait également une rupture avec la politique vis-à-vis de Damas mise en place par le précédent occupant de l'Élysée (1). Une relation donnant-donnant Le président syrien Al Assad s'est mis d'accord avec Claude Guéant31 et Jean David Levitte32 à propos des élections libanaises qui devraient selon eux, se dérouler librement selon les choix des citoyens libanais. Le président Sarkozy et le président syrien Bachar Al Assad étaient convaincus qu'avec leur coopération, ils pourraient participer à une union libanaise afin que les libanais puissent élire librement leur président en respectant la constitution libanaise et sans intervention étrangère, par conséquent une relation basée sur la bonne volonté de la Syrie. Le ministre des affaires étrangères de Sarkozy, Bernard Kouchner avait promis de faire une visite à Damas si les élections libanaises se passent comme prévus. Walid Moualem, ministre des affaires étrangères syrien a lui aussi, promis d'ouvrir une ambassade syrienne au Liban après l'élection du président libanais ainsi que l'établissement de frontières (ouvrir une ambassade au Liban sous entend une reconnaissance de la souveraineté libanaise). Il considère que le rôle de la Syrie est très important dans la région et par conséquent très important au Liban. 31 Un haut fonctionnaire français et homme politique, à l'époque ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy. 32 Conseiller diplomatique des deux présidents, Chirac et Sarkozy. 29 30 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 La Syrie choisit de coopérer et ouvre une ambassade libanaise en Syrie et une ambassade syrienne au Liban. Bernard Kouchner promettait une meilleure relation franco-syrienne si et seulement si la Syrie ne met aucun obstacle dans le déroulement des élections libanaises, selon lui, la France a besoin de garantie. Selon des sources diplomatiques européennes, personne n'est dupe, et tout le monde sait que la page du passé n'est qu'à moitié tournée. La politique étrangère de la France vis-à-vis de la Syrie dépendait toujours du Liban, l'enfant gâté de la France. On a vu dans la partie précédente que les services de renseignements français et syriens coopéraient malgré l'isolement dans lequel se trouvait la Syrie. Avec l'arrivée de Sarkozy les relations entre les deux services secrets vont se renforcer faisant place à une relation amicale rompue depuis quatre ans. La lune de miel Bachar Al Assad dans un entretien avec France 3 : « La Syrie est toujours ouverte au dialogue avec la France et une coopération franco-syrienne dans la région serait pertinente car les deux pays partagent les mêmes intérêts que ceux du Moyen Orient, et l'Europe peut jouer un rôle important dans la région à travers la France également. » Il ajoute : « La présidence de Nicolas Sarkozy insiste sur la paix au Proche Orient, et cela permet de relancer les relations franco-syriennes dans une nouvelle ère grâce a une nouvelle politique réaliste et pragmatique française. » Nicolas Sarkozy a aussi déclaré dans un entretien33 au quotidien syrien Al Watan que le chemin menant à la paix au Proche-Orient passait par « la France et la Syrie », lors de sa première visite en tant que chef d'Etat occidental à Damas depuis cinq ans. « La Syrie est un grand pays qui peut apporter une contribution irremplaçable au règlement des problèmes au Proche-Orient. Il est essentiel qu'elle joue un rôle positif dans la région », affirme Sarkozy. 33 Entretien tiré du journal quotidien Al Watan syrien, rédigé par Waddah ABD RABBO, éditeur en chef, publié le 3 juillet 2008 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 « C'est bien dans la voie de la coopération que je vois l'avenir franco-syrien », souligne le président français, qualifiant l'amitié entre les deux pays de « richesse inestimable que nous devons à tout prix préserver. » Les deux dirigeants ont profité de cette nouvelle entente pour évoquer les dossiers chauds de la paix avec Israël et du nucléaire iranien. Les négociations de paix entre la Syrie et Israël étaient cantonnées à des discussions indirectes parrainées par la Turquie, à Ankara. En ce qui concerne la question nucléaire iranienne, une divergence est apparue entre les deux présidents, l'un est hostile à l'arme nucléaire iranienne, et l'autre estime que le Proche Orient devrait être débarrassé de tout arme nucléaire (allusion claire à Israël) et évidemment, le président syrien ne souhaite pas perdre son allié stratégique de la région. Sarkozy s'était rendu pour la première fois en Syrie en 1999 pour y passer une semaine de vacances avec son ex-femme. En 2008, il effectue une visite qualifiée de « politique » à Damas, la première visite d'un président occidental en Syrie depuis 2002. Il a été reçu à l'aéroport par le ministre des affaires étrangères syrien, Walid Moualem qui l'a accompagné au Palais du peuple pour sa rencontre avec le président syrien Bachar Al Assad. Sarkozy était accompagné du chef de la diplomatie française Bernard Kouchner et d'une importante délégation économique. Le lendemain, le président Sarkozy rend visite a la communauté française en Syrie au Lycée Charles de Gaulle de Damas pour son inauguration. Photo : Nicolas Sarkozy à l'Ecole française de Damas, accompagné de sa délégation34. 34Photo prise par Ammar ABD RABBO, photographe franco-syrien. 31 32 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Lors de l'inauguration du lycée français de Damas, Sarkozy ainsi que sa délégation étaient accompagnés du ministre Bernard Kouchner, du ministre de l'éducation syrien Ali Saad, de l'ambassadeur français à Damas Michel Duclos et les membres de l'ambassade française. Le président a fait un tour de l'établissement et des salles de classe où le programme français est suivi à la lettre par des professeurs de qualité. Le président Sarkozy a adressé ses remerciements au gouvernement syrien pour promouvoir la culture francophone en Syrie qui permet de maintenir des relations culturelles entre les deux pays. Il a également ajouté que la France soutient la Syrie au Golan et offrira son soutien également dans les négociations syriennes et israéliennes afin d'obtenir la paix entre les deux pays. La France, la Syrie, la Turquie et le Qatar se réunissent dans le cadre d'un sommet quadripartite regroupant les quatre chefs d'états afin de discuter sur les problèmes de la région et améliorer les relations économiques et politiques entre les quatre pays. Sarkozy était un très cher ami du Qatar, ainsi que Bachar Al Assad, et les relations avec la Turquie étaient à l'époque amicales, tout était en place pour retrouver la paix au Proche Orient. Comment, trois ans plus tard, la Syrie a-t-elle plongé dans la pire crise de son histoire ? Chapitre 2 : Le printemps arabe et la crise syrienne de 2011, un chaos diplomatique. L'année 2011 sera l'année de terreur pour les pays arabes qui traversent une vague de protestations et de révoltes qui fait tomber les gouvernements autoritaires en place (1). Plusieurs régimes sont tombés dans le nord de l'Afrique (Egypte, Tunisie, Libye) mais après huit ans de guerre acharnée, le régime syrien est toujours en place. La guerre en Syrie a été en grande partie orchestrée par une ingérence étrangère (2-3), mais le régime en place avait des problèmes internes non-négligeables. La Syrie connait aujourd'hui un isolement diplomatique sans précédent avec une crise interne qui plonge le pays dans une crise économique, sociale, politique qui semble impossible à résoudre (4). 33 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Le début de la fin Entre décembre et janvier 2011, Mohammed Bouazizi, un jeune vendeur tunisien, proteste contre la saisie de sa marchandise par la police à Side Bouzid en Tunisie. Cet événement créer une vague de contestations qui se propage jusqu'à gagner Tunis. Le président, Zein ElAbidin Ben Ali, au pouvoir depuis 1987 s'enfuit et se réfugie en Arabie Saoudite. Un gouvernement provisoire est mis en place en mars 2011 avec des nouveaux ministres. La Tunisie est le seul pays arabe qui a parvenu à établir une transition démocratique. Les tunisiens élisent au suffrage universel, en décembre 2014, leur président Beji Caïd Essessbi, mort le 25 juillet dernier. Durant cette même période, en janvier 2011, plusieurs manifestations se sont enchaînées en Egypte, la première s'est tenu au Caire à Place de Tahrir pour réclamer la chute du régime égyptien de Hosni Moubarak, en pouvoir depuis 1981. Le président égyptien quitte le pouvoir un mois plus tard, en février 2011 et le pouvoir est transféré à l'armée. C'est le plus grand mouvement populaire que l'Egypte ait jamais connu. L'Egypte connait entre 2011 et 2014 une parenthèse démocratique qui va très vite s'essouffler lors de l'arrivée au pouvoir du président égyptien actuel Al-Sissi qui va mener une répression sanglante contre les frères musulmans et les islamistes du pays. L'Egypte a connu beaucoup d'attentats djihadistes et reste aujourd'hui un pays instable. En février 2011, les manifestations se multiplient en Libye réclamant le départ du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969. La police libyenne mènent des répressions et en conséquence l'ONU impose son embargo sur la Libye et en particulier sur le clan Kadhafi et une résolution onusienne va autoriser le recours à la force en mars 2011 pour la protection civile avec des frappes aériennes contre les forces du gouvernement libyen. La coalition internationale intervient militairement, les Etats Unis, le Royaume Uni ainsi que la France vont bombarder l'armée de Kadhafi. Ces pays vont s'allier avec des rebelles qui vont infiltrer et contrôler petit à petit plusieurs zones jusqu'à arriver à Tripoli et encercler la résidence du président Kadhafi, Tripoli est prise en août 2011. En octobre 2011, Kadhafi est capturé et tué près de sa ville natale Syrte. 34 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 En Syrie, tout a commencé dans la ville au sud de la Syrie, Daraa. Un chef dans les services de renseignements, Atef Najib est accusé d'avoir kidnappé des enfants et leur avoir arraché les ongles. Une manifestation de 50 à 75 personnes s'est organisée dans la ville réclamant la démission du chef Najib. Tous les vendredis après midi, une manifestation est organisée, les tensions entre la police et les manifestants se multipliaient, et les deux camps se lançaient des pierres et des pneus brûlés, les manifestations étaient maladroitement et sévèrement réprimées, la violence augmentait au fur et à mesure des semaines. Certains manifestants se sont armés, et de là, les révoltes ont pris une tournure sanguinaire. Les appels à la révolte se faisaient depuis la mosquée et les révoltes se sont multipliés dans les villes pour faire chuter le régime de Bachar Al Assad. À qui profite de cette guerre ? Il serait pertinent de rappeler que les frères musulmans35 ont été durement réprimés par Hafez Al Assad lors de leur coup d'Etat en 1980. Les frères musulmans cherchaient sans doute la vengeance auprès d'un régime qu'il leur est hostile. Le régime syrien « baassiste » ainsi que l'irakien étaient fortement basés sur le modèle soviétique, le modèle ennemi des Etats Unis. « A l'issue de la première guerre d'Irak, Paul Wolfowitz, l'un des grands prédicateurs de l'idéologie hégémoniste américaine [É] confie au général Wesley Clark, ex commandant en chef de l'OTAN : «Il nous reste cinq à dix ans pour nettoyer ces vieux régimes parrainés par les Soviétiques avant que la nouvelle hyper-puissance nous défie»36. » L'histoire de gazoducs et de pipeline n'est pas en elle-même l'origine et l'élément déclencheur de la guerre en Syrie, elle ne reflète qu'un détail, les enjeux de la guerre sont des enjeux d'abord syriens puis le fruit d'une ingérence étrangère. Pour l'expliquer brièvement, en 2009, le Qatar propose un pipeline de gaz naturel qui passerait par la Syrie et la Turquie pour arriver en Europe. 35 Les frères musulmans, en arabe al-Ikhwân al-Muslimûn, possède une idéologie islamique stricte basés sur la société des frères musulmans fondé en 1928 en Egypte, elle lutte contre l'emprise occidentale, elle est considérée comme une organisation terroriste. 36Michel RAIMBEAU, Les Guerres de Syrie, p.45 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 La Syrie refuse se projet et lance un projet en collaboration avec l'Iraq et l'Iran pour faire profiter du gaz aux pays de l'Est et refuse l'accès au Qatar et à l'Arabie Saoudite. Bien entendu, le pays qui a accès aux gazoducs touche une somme importante de richesse. Les pays qui ont été touchés par le « printemps arabe » ont tous un terreau commun, ils sont propices aux contestations avec la corruption, l'autoritarisme, la répression, un déficit de libertés pour le peuple, voire la pauvreté ou les inégalités. Les monarchies pétrolières sont-ils des pays démocratiques ? Pourquoi sont-ils épargnés de ces mouvements révolutionnaires ? Ne sont-ils pas propices à la contestation ? En fin de compte, ce sont les pays à forte identité nationale et moderniste qui sont visés : L'Egypte, la Syrie, la Tunisie et la Libye. Ce printemps arabe a-t-il été une stratégie américaine pour le projet du Grand Moyen Orient ? Les Etats Unis avaient-ils pour but d'affaiblir les pays arabes aux alentours d'Israël pour les rendre incapables d'affronter l'Etat hébreu ou avaient-ils pour but de sauver les peuples arabes des dictateurs pour les aider à se démocratiser ? Ce sont deux façons de voir les choses... Essayons de se rappeler des pays qui ont été victimes d'ingérence étrangère (surtout américaine) l'Iraq, la Libye, l'Afghanistan, le conflit israélo-palestinien... Les peuples ont-ils été sauvés par les américains ? Soyons réalistes, ces guerres n'ont fait que propager davantage le chaos dans la région. Pour revenir sur la Syrie, il s'avère que dans la Ghoutta de Damas37 étaient cachés des tunnels souterrains, tellement grands qu'on peut deviner qu'ils ont pas été construits en quelques jours. Ces tunnels servaient aux rebelles révolutionnaires pour des passages clandestins, pour cacher des véhicules, des armes. Par ailleurs, il faudrait clarifier et définir le mot « rebelles » souvent utilisé dans les médias. Ce n'est pas un mot facile à définir, les rebelles pour les médias occidentaux sont considérés comme des manifestants modérés, en réalité ce sont des personnes, parfois syriennes mais pour la majorité de nationalités étrangères qui auront infiltré la Syrie, sûrement à travers ses frontières pour semer la révolte et renverser le régime 37 Un oasis avec des grands champs qui entoure la capitale 35 36 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 autoritaire syrien. Ces rebelles sont soutenus par les occidentaux et les monarchies pétrolières, ce point sera éclairci tout à l'heure. Une ingérence avouée ? Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères de l'ancien président français Mitterand, témoigne en 201038 : « C'est très simple, je me trouvais à Londres pour des affaires et les interlocuteurs avec lesquels j'avais affaires étaient Anglais [..]. Ils m'ont révélé tout de go, sans précautions, qu'il se préparait une action en Syrie, à partir de l'Angleterre, avec des Syriens, des gens du Proche Orient, ils ne m'ont pas dit lesquels [...] ; cela avait pour but de renverser le régime ; une fois pour toute il y'aurait la révolution, elle serait violente et s'en prendrait au gouvernement de Bachar Al Assad, et elle se déclenchera dans les mois prochains. [...] Les Anglais travaillent pour les Américains depuis longtemps. D'autres éléments se sont agrégés, notamment les pays arabes [...] Ils avaient tout organisé, y compris le remplacement du président syrien [...] » En octobre 2017, le Cheikh Hamad Ben Jassem Al Thani (HBJ), ancien premier ministre et ministre des affaires étrangères du Qatar se livre dans un entretien avec une télévision d'Etat39. Selon HBJ, la Syrie était une proie des pays du golfe, un plan qatari a été élaboré en coordination avec la Turquie et les Etats Unis pour intervenir en Syrie. HBJ affirme que ces pays ont soutenu les groupes armés (Al Nosra par exemple). Il dit : « L'Arabie Saoudite et le Qatar s'occupaient de l'armement, de l'entrainement et du financement, Tout était distribué en passant par la Turquie et par les forces du CIA américaine. Lorsque Al Nosra est apparue sur la liste des organisations terroristes le soutien s'est arrêté. » 38Les Guerres de Syrie, Michel RAIMBAUD, p.51 39 Entretien disponible sur Youtube en arabe sous-titré anglais : https://www.youtube.com/watch? v=o9KASEc-RqM 37 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Finalement, les puissances étrangères auraient-elles diabolisé le régime syrien pour faire accepter la nécessité de la guerre aux opinions publiques comme pour la guerre d'Iraq en 2003 ? Le président Bachar Al-Assad et son régime autoritaire est-il réellement la cause du déclenchement de la guerre ? Ou est-il celui qui aurait empêché l'expansion des organisations terroristes dans la région ? Il serait intéressant d'envisager une étude qui porte sur l'instrumentalisation de la guerre, l'ingérence étrangère et la désinformation des médias occidentaux. Le livre Guerre en Syrie de François Belliot40 dénonce le mensonge organisé des médias et des politiques français. Un chaos interne Dès le début des mouvements en Syrie, les syriens se retrouvent divisés entre les pro-Assad et les opposants au régime syrien. Dans un pays composé de mosaïques de religions qui cohabitent, des divisions religieuses et une differenciation entre sunnite et chiite, chrétien et musulman commencent. A petite échelle, les familles se divisent, les amitiés se rompent, et les mentalités changent pour le pire. Une inflation de 1000% frappe la pays avec des prix multipliés par dix, et des salaires gelés. La pauvreté et le chômage de masse augmentent de façon considérable. Les futurs cadres, médecins, ingénieurs quittent le pays pour trouver un avenir sûr ailleurs, les investisseurs fuient et les entreprises ferment. La corruption continue, et les injustices se creusent. Les riches se sont enrichis et les pauvres se sont appauvris, à quelques exceptions des personnes qui se sont enrichis avec la guerre. Toutes les transactions se font en espèces, les distributeurs ne fonctionnent pas depuis le début de la guerre. Le chaos économique est tellement grave qu'il prendrait des années à se résorber. 40 Homme de lettres, auteur de nombreux articles et études sur le terrorisme fabriqué et les manipulations médiatiques. Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Diplomatiquement, la Syrie est isolée, plusieurs ambassades occidentales ont fermées, mais le soutien des russes et du Hezbollah vont sauver le régime syrien qui réussira à rester en place et récupérer 90% de son territoire des différentes factions terroristes. Chapitre 3 : Un changement radical de la politique étrangère française à l'égard de la Syrie Nous savons qu'entre 2008 et 2010, Paris et Damas vivaient leur lune de miel sous la présidence de Nicolas Sarkozy, tout bascule en 2011 lorsque la Syrie sombre dans son pire cauchemar. François Hollande va renforcer la politique d'opposition au régime de Sarkozy (1) et va participer aux cycles négociations qui échouent les uns après les autres. Durant ce drame syrien, la France va devoir faire face à d'autres problèmes internes qui vont toucher plusieurs pays européens (2). Quelle est la situation actuelle des relations franco-syriennes ? Cette rupture est-elle définitive ? (3) Le dossier syrien au Quai d'Orsay Lorsque les Etats Unis, l'Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar (meilleur ami de Sarkozy) s'alignent contre le régime de Bachar Al Assad, logiquement la France n'allait pas s'allier avec le régime syrien (allié de l'Iran, du Hezbollah et de la Russie). Le Quai d'Orsay estime que le régime syrien était en train de « s'écrouler comme un château de cartes et sa chute est pour très bientôt41. » En 2012, François Hollande succède à Sarkozy, et Laurent Fabius succède à Alain Juppé, ancien ministre des affaires étrangères. Malgré ce changement, la politique étrangère française à l'égard de la Syrie reste identique. 41 Chemins de Damas, Georges MALBRUNOT, Christian CHESNOT, p.310 38 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 Laurent Fabius est animé d'une haine sans limite envers Bachar Al Assad, selon lui, il « ne mériterait pas d'être sur cette terre42. » Désormais, l'objectif au Quai d'Orsay est de trouver une solution politique pour une Syrie sans Bachar Al Assad. La France de Hollande va faire de l'Arabie Saoudite, son partenaire au Moyen Orient dans une lettre qu'il envoie au Roi Abdallah qui confirme leur relation bilatérale. L'Arabie Saoudite, le pays avec le moins de droits de femmes, où on décapite au sabre les condamnés à mort en public, ce n'est pas important pour la France qui s'en accommode facilement. Pendant l'été 2012, Nicolas Sarkozy va s'exprimer publiquement : « En Libye, j'ai pris mes responsabilités et j'ai agi. François Hollande, lui, se dérobe et n'a pas le courage de faire ce que j'ai accompli dans la crise libyenne43. » Face à cette agression, François Hollande va pas se laisser faire et un règlement de compte commence entre la gauche et la droite, et face aux paroles de Sarkozy, Hollande va d'autant plus renforcer son soutien à l'opposition syrienne. Une importante aide financière et médicale de la part de la France est livrée à différents conseils révolutionnaires, un équivalent de 1,5 millions d'euros. La France refusait de négocier avec le régime syrien, aucune communication était possible entre les services de renseignements et la France était donc contrainte de négocier avec les adversaires du régime pour des informations. Deux ans après le début du drame syrien, Al Assad est toujours en place, la France remet les pieds sous la table des négociations. Plusieurs négociations sont organisés (en Tunisie, à Genève, à Astana) mais un accord semble impossible à atteindre, les partis campent sur leurs positions. La France va continuer de se démener en dénonçant le régime, en se heurtant au vétos russes aux Nations Unies, et les Etats Unis vont petit à petit se détacher du conflit. Malheureusement, la France va se heurter à plusieurs obstacles, le terrorisme combattu en Syrie par l'armée syrienne va frapper la France, et l'immigration en masse des syriens va faire l'objet de problèmes et de débats en Europe. 42 Chemins de Damas, Georges MALBRUNOT, Christian CHESNOT, p.322 43 Chemin de Damas, Georges MALBRUNOT, Christian CHESNOT, p.328 39 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 La crise des réfugiés syriens et son impact sur l'Europe « La Syrie est la crise humanitaire et de réfugiés la plus importante de notre temps. Elle reste la cause de souffrances pour des millions de personnes et devrait provoquer un élan de soutien à travers le monde entier44. » La convention de Genève de 1951 définit le réfugié étant : « toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Près de un million de syriens ont pris la courte route pour aller se réfugier au Liban ou en Turquie, certains ont réussi à avoir une vie aisée, et d'autres vivent dans des camps de réfugiés dans des conditions épouvantables. Envers les syriens, les libanais oscillent entre méfiance, exploitation, indifférence et cohabitation. Des milliers de syriens ont perdu la vie en mer en essayant d'arriver en Union Européenne, et l'Europe connait une forte crise migratoire en 2015 avec des réfugiés venant des pays frappés par le terrorisme et la guerre tel que la Syrie (carte en annexe 2). L'Europe a dû mettre en oeuvre des mesures de protection et de contrôle des frontières afin de contenir les flux de migrants. La grande majorité des migrants prenaient la route de la Méditerranée orientale, c'est à dire traverser la mer de la Turquie pour arriver en Grèce. Les pays européens ne parviennent pas à se mettre d'accord sur l'attitude à adopter et sur la répartition des migrants dans les pays membres, certains pays sont hostiles aux flux migratoires, d'autres sont favorables à un système de quotas. Des accords ont été établis entre l'Europe et la Turquie afin d'empêcher certains migrants d'arriver sur le continent européen. La Grèce et l'Italie, du fait de leur position géographique ont dû gérer énormément de demandes d'asile. L'Allemagne reste le premier pays d'accueil des réfugiés en Europe, il accorde l'asile à 445 000 réfugiés en 2016. 44 UNHCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés. 40 41 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 En France, l'opinion publique est en faveur de l'accueil des migrants, François Hollande avait indiqué qu'il était prêt à accueillir en 2015, 24 000 réfugiés sur deux ans. La photo de l'enfant syrien mort sur une plage en Turquie va entrainer des manifestations dans plusieurs villes françaises pour soutenir l'accueil des migrants en France. Seul le front national français, présidé par Marine LePen, est particulièrement sensible à l'accueil des migrants fuyant les guerres. La crise migratoire va susciter des débats en Europe, notamment sur la sécurité en Europe, la présence de l'Islam sur un continent chrétien, une méfiance envers les syriens et d'autres nationalités va se former après les attentats terroristes en France. La situation actuelle des relations franco-syriennes L'idée de faire chuter le régime syrien semble devenir lointaine pour le gouvernement français. Le régime syrien a récupéré la majorité de son territoire des mains des terroristes avec une aide extérieure considérable venant de la Russie, du Hezbollah, et une aide financière importante de l'Iran, le grand chiite qui avait peur qu'un régime sunnite se mette en place pour s'allier à l'Arabie Saoudite. Le régime syrien et son allié russe sont devenus les experts en terme de lutte anti-terroriste. Dans la région syro-irakienne, la menace terroriste reste préoccupante, et le terrorisme représente également un danger pour la France. Comme nous l'avons vu dans la première partie, Nicolas Sarkozy bénéficiait d'une coopération dite sécuritaire avec les syriens en 2007, un interlocuteur important dans la région pour lutter contre le terrorisme. Une relation franco-syrienne pourrait renaitre sur la base de cette même coopération. Avec l'arrivée de Macron à la présidence française, celui-ci semble remettre l'ordre des priorités en désignant le terrorisme islamique comme premier ennemi de la France, et Bachar Al Assad l'ennemi de son peuple, l'objectif de le renverser ou le remplacer n'est plus d'actualité, et les dialogues sont encore figés car le cycle des négociations dans le cadre onusien reste au point mort. 42 Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019 |
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