Introduction
« L'humanité devra mettre un terme à la
guerre, ou la guerre mettra un terme à l'humanité » -
John Fitzgerald Kennedy (1919-1963)
« Le régime frappe à nouveau sur la ville
d'Alep et fait une centaine de morts et plusieurs blessés,
l'armée syrienne libre affronte l'armée du dictateur [...]
»
Combien de fois avons-nous entendu ces phrases à la radio
au réveil ?
La guerre frappe la porte syrienne en 2011, suite aux
événements du printemps arabe qu'ont fait tombé les
régimes d'Afrique du Nord (Egypte, Libye, Tunisie). La situation
humanitaire s'avère catastrophique, faisant de la Syrie le pays le plus
dangereux au monde.
Ce sujet me tient particulièrement à coeur car
j'ai moi même, fuit la guerre en 2012 afin de m'installer en France.
C'est un sujet que j'avais envie d'aborder depuis un moment, la France et la
Syrie sont les deux pays où je me sent chez moi. En parallèle de
mon stage dans le consulat syrien à Paris, le fait d'étudier dans
cette profondeur la relation entre ces deux pays m'aura
énormément enrichie. Néanmoins, j'ai rencontré
beaucoup de difficultés au cours de mes recherches, notamment sur la
question de la crise syrienne qui reste un sujet sensible qui peut etre
abordé et interprété de plusieurs manières
différentes. Les articles se contredisaient souvent mettant en avant des
positions et des avis complètement opposés. Par
conséquence, une recherche très longue a été mise
en oeuvre tout en prenant en compte la complexité du sujet qui à
mes yeux, peut être approfondi davantage.
La Syrie a une histoire unique dans sa région, c'est un
territoire de transition au carrefour de plusieurs mondes : la
Mésopotamie, la Méditerranée, l'Inde, l'Egypte, l'Asie
mineure... Damas fait partie des plus anciennes capitales du monde constituant
une mosaïque de religions et de croyances qui cohabitent depuis des
siècles.
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Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019
La Syrie, en arabe Suriya, est situé sur la
côte orientale de la mer Méditerranée, avec des
frontières terrestres qui donnent sur Israël, la Jordanie, le
Liban, la Turquie et l'Iraq (Carte en annexe).
Elle a été sous tutelle de l'Empire Ottoman puis
sous mandat français donné par la Société des
Nations après la Première guerre mondiale en 1918.
La Syrie obtient son indépendance en avril 1947, et
enchaîne les dictatures militaires instables. Hafez Al Assad, ministre de
la défense à l'époque prend le pouvoir avec un coup d'Etat
en 1970 en évinçant le général Salah Jdid et
structure son pays en se basant sur un seul parti politique, le parti
Baas.
H.Kissinger sur Hafez Al Assad : « Aussi prudent que
passionné, aussi réaliste qu'imbu d'idéologie
».
Hafez Al Assad a réussi à faire de la Syrie une
puissance régionale incontournable sur le principe de primauté
absolue de l'Etat. Son culte de personnalité est omniprésent :
sur les billets, sur les murs des villes, dans la presse, dans les
bureaux...
Hafez Al Assad va consacrer une grosse partie du budget de
l'Etat au renforcement de l'armée (40%). La famille Assad devient un
réseau et une base stable dans le pouvoir, ce qui explique la succession
dynastique.
La maladie touche Hafez Al Assad vers la fin des années
90, et la question de la succession émerge d'une façon brutale.
Il va associer son fils ainé Bassel aux affaires de l'Etat. Bassel prend
en 1991 le commandement de la Garde présidentielle et se construit une
excellente réputation. Ses portraits étaient déjà
sur les murs des villes, le peuple syrien connaissait déjà son
prochain président.
Le 21 Janvier 1994, Bassel Al Assad meurt dans un accident de
la route et la question de succession est à nouveau ouverte. Parmi ses
frères et soeurs, Bachar Al Assad était l'enfant timide,
réservé, qui a choisi de faire des études d'ophtalmologie
à Londres.
Son père lui annonce qu'il lui succédera le 2
mars, il va donc l'entrainer et le préparer à prendre le pouvoir.
Hafez Al Assad meurt le 10 juin 2000 après trente ans au pouvoir.
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Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019
La France et la Syrie ont de nombreux désaccords depuis
longtemps, principalement sur le conflit israëlo-palestinien. La Syrie
s'inscrit dans « le front du refus » 1 , c'est à dire qu'elle
refuse de normaliser ses relations avec Israël et soutien la
résistance palestinienne en finançant les groupes radicaux tel
que le Hezbollah et le Hamas.
Une partie du territoire syrien a été pris par
Israël, le Golan syrien fait encore aujourd'hui, l'objet d'une rancoeur
profonde envers l'Etat hébreu.
Néanmoins, on trouvait une forme de respect entre le
président français Jacques Chirac et Hafez Al Assad.
Chirac reconnaît que : « Pour insaisissable
qu'il fût, et à bien des égard durs et implacables, j'ai
toujours eu le sentiment de voir en Hafez Al Assad un homme de parole et un
interlocuteur sincère dans son désir de dialogue avec la
France2. »
Dès l'arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad, la
France a misé sur sa capacité de leadership et l'avait
encouragé pour sa modernité et son ouverture d'esprit.
Il ne faut pas l'oublier, c'est la France qui a
fabriqué la Syrie moderne sous son mandat après la
Première Guerre mondiale, elle devrait donc avoir toutes les cartes en
mains pour comprendre le terrain syrien.
Le couple franco-syrien a connu une relation tumultueuse, avec
beaucoup de hauts et de bas, des rapprochements, des tensions, des
réconciliations, de l'hostilité, de la haine, mais surtout une
relation avec une curieuse continuité. Un « mouvement
sinusoïdal entre des phases positives et négatives »
semble être « la seule constante des relations
franco-syriennes » 3 .
La France et la Syrie ont toujours eu besoin l'un de l'autre,
la France constituait pour la Syrie une alternative à la domination
américaine, et la France ne peut pas mener une politique au Proche
Orient sans Damas.
1
2
Zakaria TAHA. Syrie. De Boeck, 2013, p. 66-68
Chemins de Damas, Georges MALBRUNOT, Christian CHESNOT, p. 17
3 Manon-Nour TANNOUS. Un bilatéralisme de levier : les
relations franco-syriennes sous les deux mandats de Jacques Chirac
(1995-2007)
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Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019
Dans sa thèse, Manon-Nour Tannous, a
élaboré la notion de « bilatéralisme de levier
» pour décrire la relation franco-syrienne, entièrement
dépendante d'autres paramètres régionaux et
internationaux.
La tutelle que possède la Syrie au Liban lui est
chère, elle a toujours voulu garder un contrôle sur le territoire
libanais depuis la guerre du Liban dès années 70. Pour la France,
la souveraineté du Liban était cruciale.
Dès son arrivée à la présidence
française, Jacques Chirac compte nouer une relation avec la Syrie qu'il
sait incontournable. Bachar Al Assad, novice en politique avec une image de
réformateur arrive au pouvoir, et Rafic Hariri, le meilleur ami de
Chirac, devient chef du gouvernement au Liban en même temps. Une
opportunité en or s'ouvre à Chirac pour essayer d'aider le Liban,
sous tutelle syrienne, à obtenir sa souveraineté.
Ainsi, on se demandera : Comment la relation
franco-syrienne, avec toutes ses ruptures et continuités, a-t-elle
évoluée sous les mandats des différents présidents
français ? La diplomatie française a-t-elle bien
géré le dossier de la crise syrienne ?
Au cours de années 2000, une relation saine entre Assad
et Chirac s'établit (Première partie, Chapitre 1) avant de
laisser place à des événements majeurs qui viendront
changer la donne dans la région (Première partie, Chapitre 2). A
partir de là, la relation franco-syrienne dépendra
entièrement des réactions des deux présidents face
à ces événements. On observera une volonté
française d'isoler et d'affaiblir la Syrie après la complication
des événements au Liban en 2005 (Première partie, Chapitre
3).
Les relations ne reprennent qu'avec l'arrivée de
Nicolas Sarkozy qui sortira la Syrie de son isolement (Deuxième partie,
Chapitre 1) avant qu'elle ne sombre dans une guerre qui durera presque une
décennie où la relation entre Paris et Damas semble très
loin de se remettre sur ses pieds (Deuxième partie, Chapitre 2).
On essayera d'apporter une explication à cette relation
mouvementée qui finalement est le fruit des changements de politique
étrangère des différents présidents
français. On essayera par la suite de positionner la France dans la
crise syrienne afin de comprendre non seulement le déclenchement du
drame syrien, mais également la gestion du dossier syrien par la
diplomatie française (Deuxième partie, Chapitre 3).
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Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019
Première Partie: La relation Chirac -
Assad
La relation entre le président français Jacques
Chirac et le président syrien Hafez Al Assad était pas plus
qu'une relation de respect. Après la mort du raïs syrien, Hafez Al
Assad, en 2000, on se demandait à l'Elysée si le président
français de l'époque, Jacques Chirac devait se présenter
aux obsèques. Beaucoup étaient réticents à
l'idée de la présence d'un président français aux
obsèques d'un dictateur au Proche Orient. Malgré cette
réticence4, Chirac s'envole pour Damas, étant le seul
président occidental aux obsèques, aux cotés du Hezbollah,
de Yasser Arafat5, et d'autres leaders arabes. Jacques Chirac et
Bachar Al Assad se rencontrent pour la première fois en 1999, à
l'Elysée, le jeune syrien n'avait aucun pouvoir dans le gouvernement
syrien et Chirac lui avait réservé un accueil digne d'un
véritable chef d'état. Son image à l'Occident était
une image d'un chef d'état jeune et moderne prêt à s'ouvrir
aux occidentaux.
Bachar Al Assad, contrairement à son père,
voulait se rapprocher de son peuple et suscite un espoir chez les syriens en
leur promettant des réformes politiques et économiques.
Face à cette ouverture d'esprit, Chirac estime que le
président syrien, encore novice en politique aura besoin d'aide pour
l'ouverture de son pays au monde entier (Chapitre 1). Le Liban était
sous tutelle syrienne depuis 1989, et Chirac voyait l'arrivée de Bachar
Al Assad comme une opportunité pour son ami Rafic Hariri, Premier
ministre libanais, vivant sous cette tutelle. Les relations entre Jacques
Chirac et Bachar Al Assad étaient sur une bonne voie et la Syrie
commençait à se moderniser et s'ouvrir au monde. Un
événement majeur en 2005 va interrompre les relations
franco-syriennes, voire les rompre, en partie. L'assassinat de Rafic Hariri va
entraîner chez Chirac une colère sans nom et les syriens seront
pointés du doigt les premiers. Chirac ne comptait pas laisser passer
l'assassinat de son ami Hariri comme si de rien n'était, il va tout
faire pour isoler diplomatiquement la Syrie, coupable aux yeux des
français (Chapitre 2).
4 «Polémique sur le déplacement de Jacques
Chirac à Damas», Les Echos, 24 juin 2000.
5 Connu sous «Abou Ammar», était un activiste et
homme d'Etat palestinien qui a lutté pour la cause de libération
palestinienne.
Abd Rabbo - Line - Syrie - 2019
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