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La multiplication de l'usage unilatéral du recours à  la force par les membres de l'O.N.U


par Candice Perier
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2ème Année Droit International et Européen 2020
  

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PARTIE I

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La détérioration du système instauré par la Charte des Nations unies

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Dans le système mis en place par les Nations unies, une certaine cohérence régit le recours à la force. Le principe d'interdiction du recours à la force revêt un caractère fondamental néanmoins ponctué par des exceptions, des dérogations à la règle générale. En effet, l'article 2§4 de la Charte interdit le recours à la force contre « l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Ainsi, il est sous-entendu que dans certaines circonstances, la Charte admet que le recours à la force puisse être licite. Ces exceptions sont néanmoins strictement définies. Le cadre législatif entourant le recours à la force apparaît cependant comme remis en cause par l'unilatéralisme récurrent. Une partie de la doctrine considère ainsi que la pratique contraire efface ou tout du moins, rend obsolète la Charte. Par conséquent, force est de constater que la réglementation de l'usage de la force par la Charte des Nations Unies est remise en cause par une pratique contraire (CHAPITRE I). Cette remise en cause conduit à s'interroger sur la nature des défaillances de l'ONU. Le système de sécurité collective ne revêt plus uniquement un caractère conjoncturel mais également structurel. De la même façon qu'est contesté le monde multilatéral de règlement des différends, l'ONU en tant qu'institution présente des failles certaines. Ces faiblesses s'allient avec une mutation du concept de menace contre la paix telle qu'il est défini par la Charte. Ainsi, il est indubitable que les atteintes au principe de l'interdiction du recours à la force sont facilitées par les défaillances du système onusien (CHAPITRE II).

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CHAPITRE I

La réglementation de l'usage de la force par la Charte des Nations
Unies remise en cause par une pratique contraire

La notion de sécurité collective a été empruntée par la Charte au Pacte de la Société des nations en corrigeant néanmoins ses défaillances et imperfections. L'organe principal de l'ONU, le Conseil de sécurité a été investi du rôle de gardien de cette sécurité. L'interdiction du recours à la force en droit international représente la clé de voûte du système onusien. La doctrine, les autres organes onusiens et les Etats membres de l'ONU affirment et réaffirment continuellement ce principe. Pourtant, la doctrine est divisée en ce qui concerne la valeur de l'interdiction et de l'article 2§4 en droit international. Il est néanmoins indéniable qu'il s'agit d'un principe fondamental (Section 1). La règle générale étant définie, il est également important de rappeler les exceptions à la règle. En effet, l'usage de la force est autorisé seulement dans les cas expressément prévus par la Charte comme exceptions à l'article 2§4. Ainsi, en son article 51, la Charte conçoit le cas de légitime défense individuelle ou collective et au sein de son Chapitre VII elle encadre l'action coercitive du CS en cas de menace ou de rupture de la paix. Par ce dernier biais, le CS détient de nombreux pouvoirs discrétionnaires notamment pour ce qui est de la qualification d'un conflit et également pour décider des mesures de sanction à l'encontre d'un Etat ayant agi dans l'illégalité de la Charte. Ainsi le principe défini à l'article 2§4 est tempéré par deux exceptions strictement encadrées (Section 2). Néanmoins, la pratique contraire au principe questionne une partie de la doctrine sur la caducité de la Charte face à ses nombreuses transgressions. Le modèle unilatéral semble ainsi se développer dans les années 1990, à l'instar des Etats-Unis avec l'élection de Bill Clinton en 1993, au sein même de l'institution multilatéral par excellence (Section 3).

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Section 1 : Le principe fondamental de l'interdiction du recours à la force dans la
Charte des Nations Unies

Le recours à la force n'a pas été défini par la Charte des Nations Unies malgré son interdiction au sein de l'article 2§4. Il ne s'agit toutefois pas d'une interdiction totale au vu des deux exceptions présentes dans la Charte. Monsieur Alassani, dans sa thèse, décrit une « plutôt une réduction du droit pour les Etats de recourir à la force»32, une réglementation. Ce principe bénéficie d'une constante réaffirmation tant par les institutions internationales que par les Etats (Paragraphe I). Cependant, il est difficile d'affirmer qu'il représente une norme impérative du droit international tant les transgressions au principe sont courantes et les justifications invoquées nombreuses (Paragraphe II).

Paragraphe I- La réaffirmation constante du principe de l'interdiction du recours à la force

Le principe de l'interdiction du recours à la force est la pièce maîtresse de toute la structure de sécurité collective de la Charte dans la mesure où tout le système est construit autour de cette interdiction. En ce sens, Christian Tomuschat considère que «without any exaggeration, it may be stated that non-use of force is the most important cornerstone of the present-day edifice of international law33». Le caractère impératif du principe est confirmé par des dispositions conventionnelles, des traités multilatéraux et par l'acte constitutif de la plupart des organisations régionales. À titre d'exemple, il est possible de citer l'article 4 (f) de l'Acte constitutif de l'Union africaine qui rappelle « l'interdiction de recourir à la force ou de menacer de recourir à l'usage de la force entre les Etats membres de l'Union africaine »34. Il en est également ainsi pour l'article 1er du Traité de l'Atlantique du Nord35. Le principe de l'interdiction du recours à la force est ainsi bien ancré dans la pratique conventionnelle.

Au sein même des Nations Unies, le principe du non recours à la force a été maintes fois réaffirmé notamment par l'Assemblée Générale de l'ONU. L'AG détient des compétences en matière de sécurité internationale au titre des articles 12 et 14 de la Charte36 que l'on pourrait qualifier de subsidiaire. En effet, l'article 12 prévoit que «

32 Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. op.cit p.67.

33 Tomuschat C., Cours général de droit international public., Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, vol.281, 1999, p.206.

34 Acte constitutif de l'Union Africaine, 9 juillet 2002. Disponible à l'adresse :
https://au.int/sites/default/files/pages/34873-file-constitutive_act_french-1.pdf consulté le 08/06/2020

35 Article 1er du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) (4 avril 1949) : « Les parties s'engagent, ainsi qu'il est stipulé dans la Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger, et à s'abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l'emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » Disponible à l'adresse : https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/stock_publications/20120822_nato_treaty_fr_light_20 09.pdf Consulté le 08/06/2020.

36 L'article 14 de la CNU dispose que: « Sous réserve des dispositions de l'Article 12, l'Assemblée générale peut recommander les mesures propres à assurer l'ajustement pacifique de toute situation,

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Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande37». Les actes pris par l'AG dans ce domaine ne sont que des recommandations cependant, ses résolutions peuvent aider dans l'interprétation et la clarification des portées de la Charte. Ainsi, dans la Déclaration relative à la décolonisation de 196038, l'AG prohibe le recours à la force contre les peuples dépendant ou encore dans la Déclaration sur les relations amicales de 197039 qui énonce l'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force. La Cour internationale de justice rappelle également dans beaucoup de ses arrêts l'importance du principe notamment dans la célèbre affaire Nicaragua v. Etats-Unis de 1986. La Cour juge dans le paragraphe 189 que « le principe de non-emploi de la force peut être considéré comme un principe de droit international coutumier, non conditionné par les dispositions relatives à la sécurité collective »40. Il est également possible de citer l'arrêt Detroit de Corfou de 194941, l'avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires42 ou encore l'affaire des Plate formes pétrolières de 200343.

Ainsi, il ne fait aucun doute que la plupart des normes conventionnelles rejettent le recours à la force au profit de la souveraineté du territoire, de l'indépendance des Etats membres ainsi que des recours pacifiques. Cependant, au regard des nombreuses transgressions à ce principe cette étude prend position et considère que le non-recours à la force n'est pas considéré comme une norme impérative du droit international malgré l'avis principalement opposé de la doctrine (Paragraphe II).

Paragraphe II- La valeur juridique du principe de l'interdiction du recours à la force

Le principe de non-recours à la force est de manière indubitable une norme fondamentale du droit international comme le premier paragraphe le prouve de par ses confirmations récurrentes au sein des normes conventionnelles internationales. Cependant, il est difficile de le considérer comme un principe de jus cogens44, un

quelle qu'en soit l'origine, qui lui semble de nature à nuire au bien général ou à compromettre les relations amicales entre nations, y compris les situations résultant d'une infraction aux dispositions de la présente Charte où sont énoncés les buts et les principes des Nations Unies ».

37 Article 12 de la CNU disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-iv/index.html consulté le 08/06/2020

38 8A1RES/l514 (XV), 14 décembre 1960, adoptée par 89 voix et 9 abstentions

39 AlRES/2625 (XXV), 24 octobre 1970

40 Eisemann P-M., L'arrêt de la CIJ dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis) fond arrêt du 27 juin 1986. In: Annuaire français de droit international, volume 32, 1986. pp. 153-191. Dans le cas d'espèce, la CIJ a considéré que les Etats-Unis ont agi en violation des obligations que leur impose le droit international coutumier de ne pas recourir à la force contre un autre Etat.

41 Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c. Albanie) Arrêt du 9 avril 1949, disponible à l'adresse: https://www.icj-cij.org/files/case-related/1/1646.pdf

42 Perrin de Brichambaut M., Les avis consultatifs rendus par la CIJ le 8 juillet 1996 sur la licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé (O.M.S.) et sur la licéité de la menace et de l'emploi d'armes nucléaires (A.G.N.U.). In: Annuaire français de droit international, volume 42, 1996. pp. 315-336.

43 Jos E. L'arrêt de la C.I.J. du 12 décembre 1996 (exception préliminaire) dans l'affaire des plate-formes pétrolières (Rép. islamique d'Iran c. Etats-Unis d'Amérique). In: Annuaire français de droit international, volume 42, 1996. pp. 387-408.

44 Le concept de Jus cogens renvoi à la Convention de Vienne (23 mai 1969) sur le droit des traités ou il

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principe intransgressible, malgré les avis opposés de nombreuses institutions à l'instar de la Commission du droit international (CDI). L'organe de codification de droit international des Nations Unies, considère en effet que « le droit de la Charte concernant l'interdiction du recours à la force constitue en soi un exemple frappant d'une règle de droit international qui relève du jus cogens »45. De plus, une grande partie de la doctrine considère également que le principe du non-recours à la force représente une norme impérative du droit international. Pierre-Marie Dupuy par exemple, appréhende les principes du jus cogens comme « dans le prolongement historique, logique et idéologique de la Charte des Nations Unies»46.

Néanmoins, il ne suffit pas de déclarer la Charte des Nations Unies comme étant au « même niveau » que le jus cogens puisque ce dernier renvoi à « une norme impérative » précise et définie. Par conséquent, il ne semble pas légitime de considérer tous les principes de la Charte comme une norme impérative sans les étudier un par un. Ainsi, en observant le principe de l'interdiction du recours à la force consacré à l'article 2§4, il ne semble pas que ce dernier puisse être considéré comme une norme impérative.

En effet, le premier critère du jus cogens est d'être une norme largement reconnue et acceptée dans le droit international en général et, comme le prouve le paragraphe précédent, cette condition est bien remplie. Le second critère correspond à l'acceptation et la reconnaissance du principe par la communauté internationale dans son ensemble. En cela, il semble que la très grande majorité des Etats acceptent et reconnaissent le statut de norme impérative de l'interdiction générale du recours à la force. En effet, afin de prouver l'ampleur de cette reconnaissance par la communauté internationale, Olivier Corten a relevé lors de la résolution 42/22 de l'AG en 198747, qu'aucun Etat (62) n'a manifesté de contestation, ni n'a fourni d'autres détails à ce sujet48. Le 3ème critère en revanche, et d'un point de vue subjectif, n'est pas rempli car il correspond au caractère non-dérogatoire d'une telle norme. Ainsi, ce n'est pas à cause des dérogations prévues dans la Charte que ce critère n'est pas accepté, mais plutôt en raison de la multiplication des nouvelles justifications aux transgressions du principe. En effet, pour n'en citer que quelques-uns, la légitime défense préventive, le recours à la force unilatéral pour lutter contre le terrorisme ou intervenir dans un but humanitaire sans l'aval du CS n'est pas considéré aujourd'hui comme relevant du droit positif. Ainsi, et pour cette raison, l'interdiction du recours à la force n'est pas considérée comme relevant du jus cogens.

Toutefois, quelle que soit la valeur de ce principe dans le droit international, il

est défini dans l'article 53 comme « une norme impérative de droit international général acceptée et reconnue par la communauté internationale dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise ».

45 Annuaire CDI, 1966-II, p. 270. Dans son arrêt de l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la CIJ a cité in extenso ce passage en rajoutant que les représentants des Etats mentionnent

ce principe comme étant un principe fondamental ou essentiel du droit international: Rec. CIJ, p. 100101, § 190. La CIJ s'est cependant abstenue de prendre partie sur la question : ibid. La doctrine, dans sa grande majorité, admet que le principe de l'interdiction du recours à la force relève du jus cogens. Verhoeven J., Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, 856 p., p. 671 ; Daillier P., Pellet A., Droit international public, Paris, LGDJ, 7e éd., 2002, 1510 p., p. 967

46 Dupuy P-M., « L'unité de l'ordre juridique international », Académie de droit international, Recueil des cours, vol. 297, 2002, à la page 192.

47 Comité spécial pour le renforcement de l'efficacité du principe de non-recours à la force dans les relations internationales, AG, 42ème sess, Suppl. N°41 (A/42/41), 20 mai 1987, p.22, par 56.

48 Corten O., Le droit contre la guerre, Paris, Pedone, 2014, 2ème édition, p.345.

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est indéniable qu'il s'agit d'une norme fondamentale afin de garantir la paix et la sécurité internationale. Par ailleurs, Joe Verhoeven dans son manuel soutient que l'interdiction « revêt un caractère d'ordre public, ce qui entache de nullité toute convention qui la méconnaîtrait (...) et sa violation est constitutive d'un crime international»49. Toutefois, bien que l'interdiction du recours à la force soit fondamentale, la Charte y admet toutefois deux exceptions strictement encadrées (Section 2).

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus