La multiplication de l'usage unilatéral du recours à la force par les membres de l'O.N.Upar Candice Perier Université Toulouse 1 Capitole - Master 2ème Année Droit International et Européen 2020 |
Paragraphe II- L'utilisation abusive du concept d'intervention humanitaireVictime de son succès dans les années 1990, le concept de l'intervention humanitaire va être complètement remis en cause à la suite de conflits en Tchétchénie, Tibet et Birmanie qui ont conduit à des massacres, mais également suite à des usages abusifs dans certaines interventions étatiques comme l'intervention de l'OTAN au Kosovo. Dans le cas kosovar, la référence aux droits de l'Homme a été invoquée de manière répétitive afin de justifier l'intervention militaire de la coalition. Ces derniers considéraient que le silence du CS et les violations répétées aux droits de l'Homme, le recours à la force armée pouvait être envisagé. Cependant, intervenir sans l'aval du CS 205 Paragraphe 5 et 7 du préambule de la Résolution et aussi paragraphe 2 de la résolution S/RES/770 du 13 aout 1992 op.cit. 206 Paragraphe 10 de la Résolution n°794 op.cit 207 Rapport du 24 aout 1992 sur la situation en Somalie S/23829, 13 208 Corten O., Klein P., L'autorisation de recourir à la force a des fins humanitaires : droit d'ingérence ou retour aux sources ?, Bruylant Ed, Université de Bruxelles 1992 61 et donc en dehors du cadre de l'ONU représente une intervention illégale même si elle peut s'avérer légitime aux yeux de certains. C'est cette légitimité qui a été mise sur le devant de la scène par les membres de l'OTAN, la légitimité de l'action selon eux, entraînerait sa légalité. Cependant, la légitimité détient un caractère hautement subjectif comme nous le verrons dans le second chapitre. En cela, justifier une action par la morale et son côté émotionnel ne rend pas cette dernière légale. La légalité d'une action est fondée sur une norme juridique qui exclue tout caractère moral, émotionnel et donc subjectif. Yves Sandoz n'est cependant pas de cet avis et, dans son article, souligne que les parties à un conflit ont des obligations qui, lorsqu'elles échappent à leur assurance, doivent accepter les actions d'assistance internationale à destination des territoires qu'elles contrôlent, y compris leur propre territoire, et ce même par recours à la force. De ce fait, l'action militaire, lorsqu'elle n'a pas été engagée sur une base légale, peut donc être justifiée sur la base de la légitimité morale209. C'est aussi l'avis des Membres de l'OTAN qui ont mené une intervention militaire au Kosovo en vue « d'interrompre les violentes attaques perpétrées par les forces armées et les forces de police spéciales serbes et d'affaiblir leur capacité de prolonger la catastrophe humanitaire »210. Bien que cette intervention soit illégale, elle a souvent été jugée nécessaire et légitime. Le représentant du Royaume-Uni à l'ONU parle d'ailleurs d'une nécessité humanitaire, tout comme l'agent Belge devant la CIJ qui mentionne « une intervention humanitaire armée bien légitime et compatible avec l'Article 2§4»211. C'est dans ce sens que cette intervention humanitaire a ensuite été utilisée pour produire à posteriori une doctrine de l'intervention humanitaire. Cependant, seulement le CS peut autoriser des interventions humanitaires et malgré ces nombreux blocages, la légalité d'une intervention ne peut être approuvée autrement. En cela, l'intervention au Kosovo est illégale. Plus récemment, cette doctrine d'intervention humanitaire a été utilisée afin de légitimer les Etats intervenant en Syrie sans autorisation du recours à la force par le CS. Pourtant, dans une résolution 2042, du 14 avril 2012212, le CS indique de manière expresse qu'il n'autorise pas le recours à la force en Syrie et qu'au contraire, il fallait respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie, même si les droits de l'Homme étaient atteints. En effet, au cours de l'été 2013 le régime de Bachar Al Assad a été suspecté d'avoir utilisé des armes chimiques contre une partie de sa population. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ont alors dit qu'ils procéderaient à des frappes contre le gouvernement syrien, et cela, même en l'absence d'une autorisation du CS. Obama annonçait alors en août 2013 que « des intérêts cruciaux des Etats-Unis sont en jeu, et que les pays qui violent les règles internationales sur les armes chimiques doivent rendre des comptes »213. Il en vient à se demander si les intérêts des Etats-Unis 209 Sandoz Y., Limites et conditions du droit d'intervention humanitaire. Droit d'intervention et droit international dans le domaine humanitaire. Vers une nouvelle conception de la souveraineté internationale. Audition publique de la Commission des Affaires étrangères et de la Sécurité du Parlement européen sur le droit d'intervention humanitaire, Bruxelles, 25 janvier 1994 210 Propos du Secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, juste avant le déclenchement de l'attaque : Communiqué de presse (1999) 040 du 23 mars 1999 et Communiqué de presse (1999) 041 du 24 mars 1999 disponibles sur https://www.nato.int/docu/pr/1999/p99-040f.htm Consulté le 17/06/2020 211 CIJ, Demande d'indication de mesures conservatoires faites par la RFY dans l'affaire sur la Licéité de l'emploi de la force, du 9 mai 1999, CR 99/15 212 Résolution du CS des NU du 14 avril 2012 N°2042 disponible à l'adresse : https://onu.delegfrance.org/14-avril-2012-Conseil-de-securite consulté le 17/06/2020 213 Afp, L. M. A. (2013, 30 août). Syrie : après le refus britannique, Washington n'écarte plus une action unilatérale. Consulté 17 juin 2020, à l'adresse https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/08/29/le- 62 n'étaient pas en jeu dans le conflit, la réaction aurait-elle été si véhémente ? Le 27 septembre 2013, le CS adopte une résolution214 afin de réaffirmer son autorité et de rappeler que seulement lui pouvait prendre des mesures coercitives dans le cadre du Chapitre VII de la Charte. Pourtant, cela n'a pas convaincu les trois Etats puisqu'en raison d'une « cause juste », ils interviennent militairement en Syrie depuis le 22 septembre 2014 et chaque année jusqu'en 2018 sans l'aval du CS215. Ainsi, sous couvert d'intervention humanitaire, les Etats interviennent unilatéralement et illégalement à l'intérieur de territoires souverains et afin de protéger leur propre intérêt. Se demander si les conflits sont légitimes n'est pas vraiment la question car légitime ne veut pas dire légal. Au niveau juridique, toutes les interventions militaires produites sans l'autorisation expresse du CS sont illégales en droit international. Les interventions humanitaires ne peuvent être mentionnées comme telles que lorsque le CS donne son aval en amont de la procédure, autrement, il s'agit d'un usage abusif de ce concept. La notion d'intervention humanitaire semblait néanmoins vouée à l'échec bien avant que son utilisation abusive se propage en raison de son cadre légal trop controversé, flou et sans base ni définitions juridiques comme Christian Nadeau le dénonce216. Le concept de « responsabilité de protéger » a émergé dans les années 2000 en réponse aux nombreuses critiques portant sur l'intervention humanitaire. Pourtant, cette dernière connaît un échec flagrant en raison de son efficacité limitée (Section 3). |
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