La multiplication de l'usage unilatéral du recours à la force par les membres de l'O.N.Upar Candice Perier Université Toulouse 1 Capitole - Master 2ème Année Droit International et Européen 2020 |
Section 2 : L'utilisation abusive du concept d'intervention humanitaireL'idée d'une intervention humanitaire est un vieux principe qui a été remis sur le devant de la scène avec l'intervention militaire de l'OTAN au Kosovo en 1999. Il renvoie au concept de « guerre juste »196 décrit en introduction et au caractère légitime d'une intervention. La question était ainsi de connaître de la légalité d'une action armée sur un Etat tiers pour but humanitaire face à l'inaction du CS. Le débat a particulièrement subsisté en raison de l'absence de fondement juridique explicite de l'intervention humanitaire dans la Charte (Paragraphe I). Ce principe a néanmoins connu de nombreux abus par des Etats se targuant d'agir pour des raisons humanitaires alors qu'ils agissaient en réalité pour leur intérêt propre (Paragraphe II). Paragraphe I- L'absence de cadre légal explicite dans la Charte des Nations uniesSans s'opposer à l'existence d'un droit d'intervention humanitaire, la Charte n'y fait cependant aucune référence explicite. En cela, les défenseurs de la thèse d'une intervention humanitaire légale dans la Charte considèrent que si elle ne le rejette pas 195 Maligorne, C. (2015, 27 septembre). Frappes en Syrie : comment la stratégie de la France a évolué ; Consulté 16 juin 2020, à l'adresse https://www.lefigaro.fr/international/2015/09/15/01003-20150915ARTFIG00403-frappes-contre-daech-en-syrie-comment-la-strategie-de-la-france-a-evolue.php 196 Cette théorie a été développée depuis l'Antiquité à la Renaissance par de nombreux auteurs, théologiens, juristes et philosophes comme Grotius (Du droit de la nature et des gens, VIII, C. V ), pour lui, un droit d'intervention unilatérale existe lorsqu'un gouvernement viole sur son territoire les droits de l'humanité par des excès de cruauté et d'injustice envers sa propre population. Cité par Rougier A., La théorie de l'intervention d'humanité, dans Revue générale de droit international public, t. XVII (1910) p.468 59 expressément, implicitement elle reconnaît donc l'existence d'un tel droit. En l'occurrence, l'article 2§4 de la Charte consacrant le principe d'interdiction du recours à la force indique que « les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »197. Ainsi, les partisans de la thèse de l'intervention humanitaire considèrent que cette dernière ne viole ni l'intégrité territoriale, ni l'indépendance politique d'un Etat ou encore aucun des objectifs qui sous-tendent l'ONU. De plus, pour des auteurs comme Reisman et McDougal198 la Charte reconnaît comme valeur fondamentale le respect effectif des droits de l'Homme de par ses articles 1199, 55 200et 56201. Ainsi, le droit d'intervention humanitaire serait légalisé par la Charte des Nations unies en ce qu'il servirait à l'un des buts centraux de l'ONU à savoir faire respecter les droits de l'Homme. De plus, ne pas intervenir ne serait-il pas aller à l'encontre de la Charte et ne pas protéger les populations civiles ? Un autre argument avancé par les auteurs favorables à cette théorie est de dire qu'en mettant fin à des violations massives des droits de l'Homme avec une intervention armée, cela éviterait à un conflit de se transformer en menace contre la paix et la sécurité internationales. Ainsi, il serait inexact de dire que l'intervention humanitaire est prohibée par la Charte mais il n'apparaît pas non plus qu'elle y soit légalisée puisqu'aucune provision ne l'admet explicitement. Il s'agit donc d'un entre-deux juridique, une zone grise de la Charte qu'il convient au CS d'interpréter. Deux résolutions dans les années 1990 vont autoriser le recours à la force armée afin d'acheminer une aide humanitaire nécessaire à des populations en détresse. Il s'agit des résolutions 770 de 1992202 et 794203 de la même année respectivement pour les conflits en ex-Yougoslavie et en Somalie. En 1991, la résolution 688204 pose les prémisses de cette possibilité en insistant pour que l'Iraq permette un accès immédiat 197 Article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations unies disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/#:~:text=Article%202,souveraine%20de%20tous %20ses%20Membres. Consulté le 16/06/2020 198 Reisman Michael W., et McDougal M., Lillich R., Humanitarian Intervention and the United Nations, Charlottesville, University Press of Virginia, 1973 p.177 199 Article 1er de la CNU paragraphe 3 : « Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion » Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/#:~:text=Article%202,souveraine%20de%20tous %20ses%20Membres. Consulté le 16/06/2020 200 Article 55 c. CNU : «En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion» Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-ix/index.html Consulté le 16/06/2020 201 Article 56 CNU : « Les Membres s'engagent, en vue d'atteindre les buts énoncés à l'Article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l'Organisation ». Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-ix/index.html Consulté le 16/06/2020 202 Résolution du CS des NU du 13 aout 1992 n°770 concernant la situation en Bosnie-Herzégovine Disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/770(1992) consulté le 16/06/2020 203 Résolution du CS des NU du 3 décembre 1992 n°794 concernant la situation en Somalie Disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/794(1992) Consulté le 16/06/2020 204 Voir plus d'informations à l'adresse : http://pellet.actu.com/wp-content/uploads/2016/01/PELLET-2012-Grandes_r%C3%A9solutions_CSNU_Res._688.pdf Résolution du CS des NU n°688 concernant la situation en Iraq 60 des organisations humanitaires à tous ceux qui ont besoin d'assistance. Lors de la résolution concernant la Bosnie-Herzégovine, le CS a considéré que la situation constituait une menace pour la paix et que l'aide humanitaire représente un élément important pour le rétablissement de cette paix et de la sécurité internationale dans la région. Concerné par cet acheminement de l'aide humanitaire, il enjoint les Etats à prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter la fourniture de l'assistance humanitaire à Sarajevo205. S'agissant de la situation en Somalie, le CS se déclare profondément alarmé par la situation ainsi que les obstacles opposés à l'acheminement de vivres et d'articles médicaux indispensables à la survie de la population civile. Il exige ainsi que toutes les parties prennent toutes les mesures nécessaires pour faciliter les efforts que déploie l'ONU. Ainsi, le CS décide en vertu du Chapitre VII de la Charte, d'autoriser les Etats membres à « employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible les conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaires en Somalie »206. Le CS considère donc que l'emploi de la force est légal pour les interventions humanitaires qu'il autorise expressément. Comme l'a souligné le SG dans son rapport de 1992 : « Il existe un lien dynamique entre le rétablissement de la paix et l'assistance humanitaire »207. Les résolutions 770 et 794 ont été novatrices puisqu'elles ont autorisé un recours à la force afin d'acheminer des aides humanitaires aux populations civiles. Le CS prend soin de mentionner le Chapitre VII de la Charte dans chacune d'entre elles, ce qui démontre un souci de rendre les recours à la force légaux comme l'analyse Oliver Corten et Pierre Klein208. Cependant, autoriser le recours à la force afin d'acheminer des aides humanitaires est différent que d'autoriser une intervention coercitive humanitaire par les membres de l'ONU au nom du droit d'intervention humanitaire. Cette intervention peut elle présenter un caractère légal sans l'autorisation expresse du CS ? Au cours des années 1990, une nouvelle génération d'intervention militaire à but humanitaire est apparue avec les conflits au Kurdistan, en Iraq, en Somalie, en Haïti, en Bosnie-Herzégovine et au Timor-Oriental. Ces interventions apparaissent ainsi comme légales puisque le CS avait donné son accord. En revanche, plusieurs utilisations abusives de cette nouvelle pratique furent dénotées notamment avec l'intervention de l'OTAN au Kosovo ou encore lors de la crise syrienne en 2012 (Paragraphe II). |
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