La multiplication de l'usage unilatéral du recours à la force par les membres de l'O.N.Upar Candice Perier Université Toulouse 1 Capitole - Master 2ème Année Droit International et Européen 2020 |
PARTIE IIDes justifications étatiques contraires à l'esprit et la lettre de la Charte des Nations Unies 50 Les conflits de ce XXIe siècle, notamment les guerres d'Afghanistan et d'Irak, et celle de la fin du XXe siècle au Kosovo ont soulevé des questions quant à leur légalité en vertu des dispositions de la Charte des Nations unies et du recours à la force. Les justifications données par les Etats afin de légitimer leurs actions ne s'inscrivent pas selon la légalité de la Charte et du droit international. Nombreux sont les Etats membres de l'ONU qui ont tiré parti d'interprétations facilitées par les incertitudes de la Charte et ont recherché des accommodements avec la légalité ou tout du moins ont essayé d'atténuer la portée de leurs actions. Ainsi, l'une des exceptions au principe d'interdiction du recours à la force, la légitime défense, a été interprétée extensivement et illicitement par les Etats souverains. Ces derniers ont également invoqué les notions d'intervention humanitaire et de responsabilité de protéger afin de justifier leurs interventions coercitives. Ces justifications étatiques dénaturent ainsi les principes fondamentaux portés par le système de sécurité collective de l'ONU (CHAPITRE I). Les Etats transgressant le principe de l'interdiction du recours à la force ont fondé des techniques juridiques qui visent soit à étendre soit à créer des modalités exceptionnelles du recours à la force. Ainsi, l'argument des interventions illégales mais légitime a été soumis devant la communauté internationale lors de l'intervention au Kosovo ou en Irak. Ce genre de registre fragilise et dilue le droit dans une sorte de justification à dominante émotionnelle en vue de créer ou de consolider une adhésion à une intervention illégale. Il en est de même pour la théorie de l'autorisation implicite ou celle de la légalisation à postériori. Ainsi, les Etats interprètent les règles de la Charte à leur manière avec des argumentations bancales et créent de nouvelles pratiques quasi -normatives dans le but de dissimuler leurs interventions unilatérales et illégales. Dans ce contexte, il est important de prouver que ces pratiques et justifications ne s'insèrent pas dans le cadre de la Charte, de son esprit et dans le Droit international (CHAPITRE II). 51 CHAPITRE ILa dénaturation par les Etats souverains des
principes du système de Les conflits armés sont omniprésents dans l'actualité, pour autant, tout recours à la force n'implique pas forcément une violation de l'article 2§4 de la Charte des Nations unies. Le principe de légitime défense est une exception acceptée en droit international et dans la Charte comme décrit en son article 51. Cependant, depuis notamment les attentats du 11 septembre 2001, certains Etats se prévalent de leur droit de légitime défense afin d'engager des actions armées contre un autre Etat. Il s'agit ainsi d'un élargissement illicite de la notion de légitime défense tel que défini dans la Charte (Section 1). Le terme illicite est employé car la notion de légitime défense a été dénaturée par les Etats afin de justifier leur transgression du recours à la force et de les faire rentrer dans un cadre légal légitime. Depuis le début des années 1990, la doctrine de l'intervention humanitaire s'est érigée en principe fondamental et les actions au nom de ce principe se sont également multipliés. À titre d'exemple, les frappes aériennes menées par l'OTAN en 1999 afin de répondre à la catastrophe humanitaire au Kosovo représentent une intervention de type humanitaire. La légalité de ces interventions repose sur leur légitimité ce qui peut paraître dangereux d'un point de vue du droit puisque la légitimité est subjective et donc ce qui est légitime pour un Etat peut apparaître comme une agression pour un autre. En cela, certains Etats se sont engouffrés dans cette zone grise afin de justifier des interventions dans leur propre intérêt mais au nom du droit d'intervention humanitaire. Il s'agit dans ces cas d'une utilisation abusive du concept d'intervention humanitaire (Section 2). Enfin, un concept de substitution est donc apparu à la suite de l'intervention humanitaire devenue trop controversée à la suite de graves déconvenues sur le terrain. Cette nouvelle approche devait permettre « d'établir un équilibre entre la souveraineté de l'Etat et la protection des droits de l'Homme qui, depuis la fin des années 1990, fait figure de référence pour l'action collective en cas de menaces massives contre les populations civiles »164. Cependant, le nouveau principe de la responsabilité de protéger, apparaît comme étant un échec flagrant en pratique (Section 3). 164 Kherad R., La souveraineté de l'Etat et l'émergence d'une conception globale de la sécurité, SFDI, dans l'Etat dans la mondialisation, Paris, Pedone, 2013, p.223 52 Section 1: L'élargissement illicite de la notion de légitime défenseAu lendemain des attaques du 11 septembre 2001, le CS adopte deux résolutions déterminantes pour la suite des évènements. Ces deux résolutions associent le droit inhérent de légitime défense aux attaques terroristes commis par Al-Qaïda et qualifie ces actes de menace à la paix et à la sécurité internationale. En partant de ces résolutions et du principe de légitime défense de la Charte des Nations unies, les Etats-Unis, à la suite des attentats, vont adopter une interprétation extensive de ce droit (Paragraphe I) en attaquant l'Afghanistan. Juridiquement, le postulat de cette recherche place l'intervention militaire en Afghanistan comme des représailles armées et non un exercice de légitime défense. Dans le sillage de la lutte contre le terrorisme, de nombreux Etats vont s'appuyer sur l'après 11 septembre pour justifier leur recours unilatéral à la force. Certains iront même jusqu'à argumenter le droit à une légitime défense préventive ou préemptive afin de justifier de la force armée contre un autre Etat (Paragraphe II). Paragraphe I- L'interprétation extensive du droit de légitime défense à la suite des attentats du 11 septembre 2001 En raison de leur ampleur, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New York et le pentagone de Philadelphie ont posé avec acuité les questions de la définition et de la prise en compte du terrorisme par la communauté internationale. S'il n'existe pas de définition unanimement acceptée, selon G. Guillaume165, trois éléments la caractérisent : un élément matériel consistant en des actes de violence de nature à provoquer la mort ou à causer des dommages corporels importants, un élément intentionnel qui consiste à créer la terreur dans le public et un élément méthodologique puisque les actes terroristes nécessitent une entreprise individuelle ou collective pour la perpétration de ces actes. Au lendemain des actes terroristes commis par Al-Qaida, une entité non-étatique, le CS adopte une résolution 1368 qui assimile « tout acte de terrorisme international » à « une menace à la paix et à la sécurité internationales », tout en reconnaissant « le droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective conformément à la Charte »166 . Ces termes sont encore une fois trop généraux et imprécis, puisque invoquer le droit à la légitime défense implique que les Etats-Unis ont été victimes d'une agression armée (condition sine qua non de ce droit167). Toutefois, le CS choisit la qualification « menace contre la paix » et non « agression armée » puisque dans le cadre onusien, l'agression s'applique seulement à l'action menée par un Etat contre un autre Etat168. Ainsi, cette qualification juridique des faits soulève des interrogations puisque le CS semble avoir effectué une application hybride du Chapitre VII. Le débat ne se porte pas ici sur le caractère de l'agression armée en tant que telle puisqu'une attaque d'une telle ampleur sur le sol 165 Guillaume G., Terrorisme et droit international, RCADI, t.215 (1989-III) p.299 166 Résolution 1368 du CS des NU du 12 septembre 2001, séance n°4370, S/RES/1368 (2001) Disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-2001 Consulté le 15/06/2020 167 Cf Article 51 de la Charte des Nations unies op.cit. 168 Pour qu'il y ait agression, plusieurs conditions doivent être remplies, notamment celles dictées par la résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 (op.cit) à savoir l'emploi de la force armée par un Etat agissant le premier contre un autre Etat. 53 américain constitue sans le douter un acte d'agression, comme le décrivent Eisemann169 ou Dupuy170. Seulement, le droit international oblige l'imputation d'une agression armée à une autorité étatique uniquement. En cela, si le CS considère dans sa résolution que la légitime défense peut être utilisée par les Etats-Unis et donc qu'une agression armée a bien eu lieu, cela dégage deux hypothèses : - La première est qu'Al-Qaida est un Etat car seulement un Etat peut agresser un autre Etat dans le droit international. - La seconde est que cet acte terroriste a été orchestré par l'Afghanistan (autorité étatique) qui contrôle les Taliban ou se fait contrôler par les Taliban (Etat défaillant). Il est intéressant d'analyser cette résolution car il s'agit de savoir si les Etats-Unis étaient dans leur droit de répliquer et d'effectuer une intervention armée en Afghanistan (opération « liberté immuable » 6 octobre 2001) ou s'il s'agit d'une transgression du principe d'interdiction du recours à la force et d'une sur-interprétation de cette notion de légitime défense. Ainsi, il convient d'analyser la première hypothèse en accord avec les règles de droit international. Même s'il n'existe aucune définition conventionnelle et universellement acceptée de l'Etat en droit international, la doctrine de manière quasi-unanime considère que l'Etat est une personne morale et dispose d'une population permanente, d'un territoire défini et d'une autorité politique ayant la capacité d'entrer en relation avec d'autres Etats171. Pour répondre à la qualité d'Etat, l'entité doit également bénéficier de la souveraineté. Ainsi, sans pousser l'analyse plus loin, il est évident qu'Al-Qaida est uniquement une organisation avec des groupuscules présents dans différents Etats du monde (Afghanistan, Irak, Etats du Maghreb, Yémen, Somalie, Inde et Arabie Saoudite...) et non uniquement sur un territoire donné. De plus, Al-Qaida ne dispose d'aucune population permanente puisqu'en 2001 leur nombre d'adeptes était estimé en 500 et 1000. Enfin, aucun autre Etat du monde ne reconnaît Al-Qaida comme une entité étatique ce qui conclut et réfute la première hypothèse énoncée. La seconde hypothèse n'est pas non plus juridiquement recevable en raison du manque de preuves d'un lien de rattachement entre Al-Qaida et le régime des Taliban. Or, selon la Commission du droit international, l'imputabilité de l'action d'une personne ou d'un groupe de personnes à un fait de l'Etat ne peut être admise que « si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet Etat »172. De ce fait, le soutien apporté par le régime des Taliban au réseau Al-Qaida ne peut pas avoir le caractère d'une agression, confirmant la jurisprudence de la CIJ dans Nicaragua c/ Etats-Unis173. Il 169 Eisemann considère dans son article qu'il « serait oiseux de contester qu'un aéronef aux réservoirs remplis de kérosènes utilisé pour provoquer le maximum de destruction n'ait pas été une arme par destination ». Dans : Eisemann P-M., Attaques du 11 septembre et exercice d'un droit naturel de légitime défense, dans Le droit international face au terrorisme, Paris, Pedone, Cahiers Internationaux, 2002, p.242 170 Dupuy est du même avis que Eisemann puisqu'il écrit « la violence destructrice des attaques terroristes du 11 septembre peut (...) à priori faire penser que les Etats-Unis se sont trouvés, et pour la première fois de leur histoire sur leur propre sol, victimes d'une véritable agression ». Dans Dupuy PM., Droit International Public, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2004, p.617 171 Ailincai M., Cours de Master 1 de Droit international public, Faculté de Droit de Grenoble-Alpes, 2018-2019 172 Daudet Y., La Commission du Droit international des Nations Unies. In: Annuaire français de droit international, volume 21, 1975. pp. 598-615. 173 La CIJ ne pense pas « que la notion d'agression armée puisse recouvrir (...) une assistance à des 54 n'est pas non plus admissible de considérer que cette action armée soit justifier par le financement du terrorisme par l'Afghanistan et les autres Etats de la région, en raison du manque de preuves d'une telle opération financière. Par conséquent, et en application du droit existant au moment des faits, on peut déduire que les attentats du 11 septembre ne peuvent être considérés comme une agression étatique174. Quelle que soit l'hypothèse invoquée, la possibilité pour les Etats-Unis de se prévaloir de la légitime défense ne peut se faire que par une interprétation extensive des différents critères conditionnant cet exercice175. Pour résumer, le juge Gilbert Guillaume, ancien président de la CIJ déclare : « Après les événements du 11 septembre 2001, de nouvelles théories se sont développées pour démontrer que ces événements marquaient une agression armée contre les Etats-Unis justifiant l'exercice du droit de légitime défense. Que ces événements aient eu la dimension d'une agression armée, j'en conviens volontiers, mais il n'a jamais été établi qu'ils trouvaient leur source dans l'action d'un Etat ; ils trouvaient leur origine dans l'action d'Al-Qaida qui bénéficiait d'un certain soutien, d'une certaine complicité du côté de l'Afghanistan et du régime des Talibans, mais il n'a jamais été prétendu que c'étaient les Talibans qui avaient envoyé les avions dans les tours de New York. Peut-on considérer dans ces conditions qu'on se trouvait en face d'un cas d'application de l'article 51 ? Ce serait, me semble t-il, extrêmement dangereux parce que si l'on considère qu'un événement de ce genre, c'est-à-dire une agression armée par une organisation non gouvernementale - après tout, Al-Qaida est une ONG d'un type particulier - peut justifier l'exercice du droit de légitime défense, cela veut dire que l'Etat qui s'estime agressé a le droit d'intervenir par la force armée sur le territoire d'un autre Etat, ou se trouve éventuellement cette ONG. Ce serait donc justifier l'action unilatérale des Etats par le recours à la force à l'étranger même en l'absence d'agression par un autre Etat dès lors que leur sécurité a été menacée par des organisations de type Al-Qaida. Les dangers d'une telle théorie sont considérables »176. Ainsi, l'action unilatérale des Etats-Unis en Afghanistan se traduirait plus comme des représailles armées, bannies du champ d'application de l'Article 2§4 de la Charte des Nations unies. En 1980, Roberto Ago distinguait les représailles armées de la légitime défense en expliquant que les représailles armées ont pour but de réprimer et d'obtenir une exécution forcée alors que la légitime défense empêche seulement un acte rebelles prenant la forme de fourniture d'armements ou d'assistance logistique ou autre. On peut voir dans une telle assistance une menace ou en emploi de la force, ou l'équivalent d'une intervention dans les affaires intérieures et extérieures d'autres Etats ». Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, CIJ, 1986 op.cit 174 V. en ce sens : B. Stern, « Rapport introductif. Le contexte juridique de l'après 11 septembre 2001 », in K. Bannelier, Th. Christakis, O. Corten, B. Delcourt (dir.), Le droit international face au terrorisme, Paris, Pedone, 2002, 356 p., p. 3-32, p. 20 ; Th. Garcia, « Recours à la force et droit international », Perspectives internationales et européennes, n° 1, juillet 2005, 14 p., p. 9. [ http://revel.unice.fr/revues/pdf?r2rrep=pie&r2rid=46&r2rname=addslashes 175 Le Floch, G. (2009, 1 juin). Le principe de l'interdiction du recours à la force a-t-il encore v... Consulté 16 juin 2020, à l'adresse https://journals.openedition.org/droitcultures/1218?lang=en#ftn34 176 Guillaume G., L'ONU en 2005, Association Pour la Fondation ResPublica, Colloque du 6 Juin 2005, p.37-38. 55 d'agression177. La CIJ178 et la CDI179 bannissent également tout acte de représailles armées. Il apparaît clairement que l'action armée entreprise par les Etats-Unis contre l'Afghanistan à la suite des attentats du 11 septembre se présente sous la forme de représailles armées et non d'une légitime défense. L'intervention en Afghanistan est donc illégale en droit international car contraire à la Charte des Nations unies. En pratique cependant, l'intervention des Etats-Unis n'a guère été contestée, d'autant plus que la résolution du CS du 12 septembre 2001 apparaît comme confuse et trop générale. Aussi, afin de justifier l'opération « liberté immuable », les Etats-Unis et leurs alliés se sont appuyés sur les termes de la résolution « droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective » en interprétant cette résolution comme une extension du concept de légitime défense face à des entités non-étatiques. Cette interprétation est illégale au regard de la lettre de la Charte et du principe de la légitime défense énoncée en son article 51. Toutefois, si la résolution 1368 du CS entraîne un débat sur l'interprétation de ses termes, la théorie de la légitime défense préventive ou préemptive argumentée en 2003 est elle, complètement illégale (Paragraphe II). |
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