Paragraphe II- Une souplesse juridique à double
tranchant
Virally considère que la souplesse juridique dont le CS
fait preuve dans ses résolutions permet une adaptation constante aux
besoins du maintien de la paix et rend compte de la double nature politique et
juridique du CS140. Il n'est, en effet, pas toujours évident
de rattacher juridiquement une opération de maintien de la paix à
l'un ou l'autre des chapitres de la Charte. Une partie de la doctrine emploie
le terme Chapitre VI bis pour décrire ces mesures qui n'appartiennent
pas à un fondement spécifique de la Charte. Ces mesures sont, en
ce sens, prises en fonction des besoins, de manière pragmatique et dans
l'urgence. Le CS ne mentionnant pas systématiquement le fondement
juridique de ses actions afin d'accéder à un éventail plus
large de possibilités, une même opération peut voir se
succéder différents types de mesure dans un temps restreint.
Dans ce sens, Y. Petit identifie trois situations
différentes 141:
- La première est l'utilisation combinée et
simultanée des deux chapitres VI et VII comme au Liberia, en Haïti,
en Angola, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie.
- La deuxième situation se réfère
à l'utilisation des chapitre VI bis et VII en alternance ou de
façon concomitante sous forme de séquence (en Somalie, au Rwanda,
en Haïti ou au Timor-Oriental) avec la force multinationale pouvant
prendre le relais de l'opération de maintien de la paix comme lors de
l'opération « Restore Hope » avec l'Opération des
Nations unies en Somalie (ONUSOM) ou de l'opération « Turquoise
» avec la Mission des Nations unies d'assistance au Rwanda (MINUAR II et
III).
- Enfin, la dernière catégorie dépeint
l'utilisation fusionnée des Chapitres VI bis et VII donnant naissance
à une opération de maintien de la paix (ONUSOM II,
l'Opération des Nations unies pour la restauration de la confiance en
Croatie, ONURC, à la suite du refus de la Croatie de prolonger le mandat
de la Force de protection des Nations unies en ex-Yougoslavie.
Ces classifications ne sont mentionnées nulle part dans
la Charte mais sont dégagées de la pratique du CS. Certes, ainsi
le Conseil dispose d'un arsenal de mesures à prendre et d'un champ de
compétences élargi mais, il agit également sans fondements
juridiques et sans créer de cadre cohérent et récurrent
dans leur utilisation. Cet aspect-là pose d'avantage problèmes.
Étant donné que le CS détient un pouvoir
discrétionnaire de qualification des crises et de choix dans les mesures
à prendre suite à cette qualification,
140 Virally M., L'ONU d'hier à demain, 1961,
Seuil, p. 21
141 Petit Y., Droit international du maintien de la
paix, 2000, LGDJ, p. 56 et 57
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il semble important qu'il s'en tiennent aux dispositions de la
Charte. Sans cela, le pouvoir que détient le CS, un organe politique
plaçant la diplomatie avant la règle de droit, est trop important
pour être entre les mains d'un seul organe. Il semble que le
fonctionnement de l'ONU est bien trop dépendant du CS et de ses membres
permanents disposant d'un pouvoir discrétionnaire pour l'ensemble des
mesures ayant attrait au recours à la force. Il serait alors
préférable qu'un organe juridique et indépendant soit
chargé de la mission de qualification du conflit international ou que ce
dernier détienne un certain pouvoir de contrôle sur les mesures
que prend le CS.
La terminologie du CS dans ses résolutions favorise le
flou et l'incertitude préférant des périphrases aux mots
d'« agression » ou de « recours à la force »
jugés trop lourds de sens et trop rigoureux dans leurs
effets142. Ainsi, comme mentionné dans le premier Chapitre,
l'invasion de l'Irak en 2003 a été qualifiée «
d'illégale » par le secrétaire général des
Nations unies (Kofi Annan)143 au sens de la Charte sans pour autant
que celui-ci ou le CS l'ait qualifié « d'agression ». Les
contours de chacune des situations sont relativement flous et la pratique du
Conseil manque sans doute de cohérence. Toutefois, ce manque de rigueur
juridique dans les résolutions du CS entraîne également une
pratique dangereuse de la part des Etats puisqu'ils se nourrissent du
caractère trop général de la terminologie du Conseil pour
interpréter à leur manière les résolutions. Comme
il le sera expliqué dans la deuxième partie, la plupart des actes
unilatéraux des Etats sont tirés d'interprétation de la
Charte ou surtout des résolutions vagues du CS. Il semble qu'une rigueur
juridique plus marquée avec des champs d'action clairement
définis pour les Etats et pour une mission spécifique diminuerait
les abus d'interprétation des Etats. Bien sûr, il est aussi
possible qu'avec un changement dans les termes employés, les Etats qui
veulent s'adonner à des pratiques unilatérales trouveront tout de
même un moyen tiré d'un autre fondement juridique. Cependant, les
défaillances à la fois de la Charte et du CS semblent renforcer
ces comportements illégaux.
En plus, des faiblesses juridiques de l'ONU, le
déséquilibre fonctionnel et institutionnel de l'Organisation
représente une énième lacune facilitant les comportements
unilatéraux de ses Etats membres (Section 3). En effet,
le droit de veto représente une pratique incapacitant l'ONU et qui doit
être modifiée. Une meilleure représentativité entre
les Etats membres doit ainsi apparaître afin de créer une
réelle Organisation universelle.
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