CHAPITRE II : UNE INSUFFISANCE PATENTE DU CADRE
La protection de l'environnement marin et côtier est
traitée de façon inégale dans les législations des
pays de la sous-région du Golfe de Guinée. ceux-ci ne lui
prêtent pas une attention égale sur le plan juridique. Les droits
nationaux de quelques pays offrent un arsenal juridique assez fourni en la
matière, alors que ceux de beaucoup d`autres Etats restent assez
sommaires sur la question.
On aurait pu espérer trouver dans les conventions de
caractère universel ainsi que les instruments juridiques
régionaux précédemment examinés des ressources
juridiques suffisantes pour combler ces lacunes ou ces inconsistances. Force
est de constater que la plupart des Etats concernés ne prennent pas
toujours les mesures d'application des conventions internationales auxquelles
ils sont parties140.
En quoi consisteront donc les insuffisances de la protection
juridique du littoral ivoirien ? En fait il s'agira pour nous dans cette partie
de notre analyse, de faire un examen, sans forcémentprétendre
à l'exhaustivité, des causes et des raisons de tout ce qui
relativise la protection juridique de notre littoral.
Nous ferons le constat des faiblesses ou insuffisances du
cadre juridique qui se retrouvent surtout au niveau de la pratique interne,
c'est-à-dire qu'il y a un problème d'application et d'utilisation
des instruments à dispositions qu'ils soient internationaux ou
nationaux. Ou encore de simples redistributions de compétences comme
nous le verrons par la suite semblent être quelques unes des raisons de
cette effectivité relative.
Il nous a semblé important d'aborder la question sous
l'angle tel que l'on l'a pris dans la Première Partie de notre travail
à savoir les plans juridique, institutionnel et financier.
Ainsi examinerons-nous les insuffisances de la
législation (SECTION I) ainsi que les faiblesses des acteurs
institutionnels et financiers (SECTION II) pour ne citer que ceux-là
principalement.
SECTION I : LES INSUFFISANCES DE LA LEGISLATION
Ne serait-ce pas cet arsenal juridique international mal
intégré qui atténuent l'efficacité de la protection
du littoral ivoirien ? Les manques ou les lacunes juridiques, parfois
juridictionnelles font de la protection du littoral une protection souvent
inappropriée ou encore insuffisante.
La première remarque qui peut être exposée
est que la législation en question n'est pas celle qui découle
des traités et conventions internationales et régionales mais
plutôt celle interne. Ce qui en fait une protection juridique dont le
contenu peut sembler quelque peu vidé et qui induit comme corollaire une
gestion intégrée inachevée.
Ainsi, l'insuffisante intégration des normes
internationales (Paragraphe I) et les carences législatives
etrèglementaires (Paragraphe II) que cela induit sont à la base
du retard qu`accuse ce pays dans la protection de l`environnement marin et
côtier.
48
140 ZOGNOU(Théophile), op.cit., P.180
49
PARAGRAPHE I : UNE INSUFFISANTE INTEGRATION DES NORMES
INTERNATIONALES DE PROTECTION DES ZONES COTIERES141
L`insuffisante intégration des textes internationaux en
droit interne suppose que l'Etat n'a pas intégralement respecté
l'obligation relative à l'introduction des engagements pris sur le plan
international dans son ordre juridique interne (A). Dans notre cadre
d'étude, il s'agit d'une insuffisante introduction dans notre droit
national des mesures juridiques mises en place par les textes internationaux,
ce qui n'est pas sans conséquences sur les efforts fournis par l'Etat de
Côte d'Ivoire dans la protection du littoral. Cette insuffisante
intégration se manifeste visiblement en droit pétrolier ivoirien
(B).
A- L'OBLIGATION D'INTEGRATION DES NORMES
INTERNATIONALES
L'obligation faite à la Côte d'Ivoire
d'intégrer ou d'introduire dans son ordre juridique interne les
traités internationaux est une règle fondamentale établie
par le droit international. Cela implique une mise en place nationale de
mécanismes visant non seulement à ratifier les traités et
les conventions auxquels elle est Partie contractante, mais aussi à les
rendre effectivement applicables.
1- La règle posée par le droit
international
L'application d`un traité dépend avant tout de
sa ratification, sa transposition et l`efficacité du contrôle
juridictionnel mis en place. Traditionnellement, le terme «
application » est la notion consacrée en droit pour
désigner l'opération consistant à donner effet à un
traité, à une disposition de celui-ci, à une
décision142. Ce terme a été
entériné par la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités qui dispose que « tout traité en vigueur lie les
parties et doit être exécuté par elles de bonne foi
». Il s'agit d'un principe fondamental du droit des traités
qui a été énoncé, celui de «
pactasuntservanda»143 .
L'exécution de bonne foi et le respect de cette
règle sont intimement liés pour constituer deux aspects
complémentaires d`un seul principe, celui de l`exécution des
traités. Ce principe d'exécution de bonne foi des obligations
conventionnelles impose l'introduction dans l'ordre juridique interne des
traités, qui établissent des droits et des obligations pour tous.
Cette introduction permet aux normes conventionnelles de s'imposer
effectivement comme n`importe quelle autre norme du droit interne,
vis-à-vis non seulement de toutes les autorités étatiques,
gouvernementales, administratives, à tous les échelons possibles,
mais aussi des particuliers. C`est une étape qui se révèle
très importante puisqu'elle constitue le point de départ de la
future mise en oeuvre des normes internationales dans l'ordre juridique
interne.
Au niveau régional, Même si on admet, par exemple
que la Convention d'Abidjan a prévu des dispositions en ce sens, elle
est cependant restée très évasive sur l'obligation pour
les Etats Parties de prendre des mesures visant à introduire dans leurs
législations respectives les normes établies dans le cadre
régional.
141 Cf. ASSEMBONI (Alida Nabobuè), op.cit., p194 - 208 et
ZOGNOU (Théophile), op.cit. p180 - 190
142 Dictionnaire de la terminologie du droit international,
Paris, Sirey, 1960, p. 47.
143 Article 26 section 1 : respect des traités du chapitre
III : respect, application et interprétation des traités de la
convention
50
Elle s'est en effet simplement contentée de
développer les modalités de signature, de ratification,
d'acceptation, d'approbation et d'adhésion à la Convention et aux
Protocoles ainsi que celles de leur entrée en vigueur à
l`égard des Etats144. On constate ici une trop grande
liberté d`action laissée aux Etats désireux
d`adhérer ou non au système juridique d`Abidjan. Une telle
situation qui apparaît comme un laisser-aller occasionné par ce
système juridique n'est pas sans effet sur les modalités
d'application des textes.
On estime certes qu'il existe un côté applicatif
et un autre interprétatif dans la pratique des Etats Parties
contractantes à un traité145.
Si la Côte d'Ivoire a bien voulu poser des règles
de droit international, elle doit prendre des mesures nécessaires pour
que les dispositions internationales puissent produire des effets sur le plan
interne. La manière dont l'Etat intègre ou applique le texte
conventionnel est essentiel car elle permet de déceler la portée
des droits et obligations véhiculés par celui-ci, ainsi que son
intention. L'interprétation du texte se révèle très
importante puisqu`elle s'apparente souvent à la mise en application.
En effet, en droit des traités, l'exécution
d'une obligation internationale constitue de la part de l`Etat
l'interprétation de la volonté qui réside derrière
la règle dont elle est issue146.
L'obligation faite aux Etats Parties d'exécuter un
traité de bonne foi, est en effet parfois difficile à cerner
surtout lorsque les normes conventionnelles sont ambiguës.
Les Parties contractantes peuvent, par des rédactions
appropriées, réduire la portée de leurs engagements, soit
qu'elles énoncent leurs obligations en termes suffisamment flous pour
pouvoir jouer de cette ambiguïté au mieux de leurs
intérêts, soit qu'elles se réservent la possibilité
de se délier de leurs engagements dans certaines circonstances.
En effet, les Etats peuvent très aisément jouer
sur la distinction entre les obligations posées par le texte
conventionnel, à savoir les obligations de résultat et les
obligations de comportement147.
Les traités peuvent annoncer en des termes très
vagues les résultats à atteindre, ou à l`inverse, fixer
avec beaucoup de précision le comportement que doivent suivre les
Parties. En outre, notamment en matière de protection de
l'environnement, certaines dispositions peuvent avoir un caractère
évolutif et progressivement imposer aux Parties une adaptation de leur
comportement dans la mise en oeuvre du traité148.
L'interprétation des dispositions de la Convention
d'Abidjan ainsi que de ses protocoles pourrait aboutir à l'affirmation
selon laquelle ils imposent des obligations de comportements aux Parties
contractantes. Ils n'apportent cependant pas de précision sur
l'obligation faite aux Parties contractantes d'intégrer leurs
dispositions sur le plan interne, encore moins sur les effets produits en droit
par le non-respect de ladite obligation. Cette obligation imposée
à tout Etat lié sur le plan international à un
traité, comporte à son égard un certain nombre
d'implications dont l'importance mérite également d'être
relevée.
144 Les articles 26 à 29 de la Convention d'Abidjan.
145 DISTEFANO (G.), « La pratique subséquente des
Etats Parties à un traité », AFDI 1994, p.43.Cité par
ZOGNOU (Théophile),op.cit.,
146 Ibid., p.44. Cela fait dire à l'auteur de cette
affirmation qu'il n'existe en réalité qu'une différence de
degrésentre la pratiqueapplicative d'un traité par les Etats
Parties et la pratique subséquente comportantl'interprétation du
traité.
147 Les obligations de résultat sont plus
contraignantes dans la mesure où les Parties contractantes doivent
atteindre un objectif préalablement fixé. Les obligations de
comportement sont moins rigoureuses car elles imposent seulement aux parties
d`adopter certaines attitudes.
148Cf. Arrêt de la CIJ, 25 septembre 1997,
Affaire du Projet GABCIKOVO-NAGYMAROS (Hongrie/Slovaquie), Recueil 1997, p.
7.
51
2- Les implications diverses de l'obligation
d'intégration du droit international
L'obligation relative à l'introduction des normes
juridiques internationales dans l`ordre juridique interne implique pour les
Etats Parties à une convention internationale, la mise en place sur le
plan interne de mesures concernant leur application. Cette démarche en
Côte d'Ivoire se révèle, en définitive, encore
médiocre pour ce qui est du littoral. En effet, non seulement elle n`a
pas ratifié certaines conventions, mais en plus, la mise en oeuvre
nationale de celles ratifiées n`est pas satisfaisante.
De manière générale, l'introduction des
textes juridiques internationaux dans l`ordre juridique interne obéit
à une procédure spécifique. D'après le
système traditionnel généralement adopté par les
Etats, l'introduction d`une norme juridique internationale, ou de
manière globale, l'introduction d'un traité dans l'ordre interne
est subordonnée à l'accomplissement par l'autorité
étatique d'un acte juridique spécial. La forme et la nature
juridique de cet acte varient suivant les systèmes nationaux. En
règle générale deux thèses sont en présence.
La première estime qu'il faut une réception spéciale du
traité dans l'ordre juridique interne avant qu'il reçoive valeur
de droit positif ; la seconde considère que la simple formalité
de ratification suivie de publication dans le journal officiel devrait en
principe suffir149.
En Côte d`Ivoire mais aussi en Guinée et au Togo,
la loi fondamentale disposent que « les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés, ont dès
leur publication, une autorité supérieure à celle des
lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l'autre partie150 ».
Dans tous les cas, en vertu de ces dispositions, la Côte
d'ivoire comme tous les autres de la sous-région entendent bien
évidemment se conformer à la réglementation internationale
en vigueur. Il est aussi important de relever que ces pays ont pour le moins
respecté cette procédure d`introduction des traités
internationaux en droit interne. Telle est le cas du Togo qui a
procédé de la manière suivante : la Convention d`Abidjan a
été ratifiée par la loi n°8317 du 20 juin 1983. Les
instruments de ratification ont été postérieurement
déposés au secrétariat de la convention le 16 novembre
1983. Le texte est entré en vigueur dans ce pays le 6 août 1984 et
il a été publié par décret n°84-9 du 2 janvier
1984. Quant au premier Protocole signé le 23 mars 1981, il a
été ratifié par la loi n°83-16 du 20 juin 1983 et
publié par décret n°84-8 du 2 janvier 1984151.
Pour la quasi-totalité des pays de l'Afrique de
l'Ouest, le traité est introduit dans l`ordre interne par la seule
publication. Or, pour être véritablement applicable, un
traité doit contenir des dispositions suffisamment précises et
pouvoir s'inscrire dans des structures dites d'accueil, qui soient juridiques,
financières d'ordre interne
La Côte d'ivoire, Partie à la Convention et aux
Protocoles d'Abidjan se doit de prendre les mesures nécessaires, rendant
effectives sur le plan national, les normes établies par les textes
régionaux. Pourtant cela est bien loin d'être le cas.
149Cf. DAILLIER (Patrick) et PELLET (Alain), Droit
international public, 8ème édition, Paris, LGDJ, 2009, pp. 43-
48
150 Article 87 de la Constitution ivoirienne du 1er
Août 2000 ; 79 de la Constitution guinéenne et 140 de la
Constitution togolaise.
151 JORT (Journal Officiel de la République du Togo) du
16 février 1984, pp. 111-117 ; V. également Recueil des
principaux textes relatifs à la protection de l'environnement au Togo,
mis à jour par la Direction de la Protection et du Contrôle de
l'exploitation de la Flore (D.P .C.E.F), 1993, p. 159.
52
En effet l'absence de précision dont souffrent les
textes d'Abidjan, notamment en ce qui concerne l'obligation de prendre les
mesures d'introduction des dispositions internationales, n`est pas sans
conséquences pour l'Etat. Cette obligation, bien que relativement suivie
par ces Etats, l'a été de manière très
insuffisante. La principale conséquence qui en a découlé
est que leurs textes nationaux sont affectés par les lacunes d`Abidjan,
conséquence qui se manifeste par une carence en matière
législative et réglementaire. Nous le verrons en droit
pétrolier ivoirien.
B- LA MANIFESTATION DE CETTE INSUFFISANTE INTEGRATION EN
DROIT PETROLIER IVOIRIEN152
Conformément à sa signification, la gestion
durable des ressources pétrolières de la Côte d'Ivoire
suppose de la part des autorités compétentes qu'elles veillent
à ce que les ressources pétrolières ou, à
défaut, les revenus pétroliers profitent également aux
générations à venir d'ivoiriens. Elle suppose
également que l'extraction des gisements n'altère pas
considérablement la configuration de l'écosystème marin
ambiant.
Cependant, le Code pétrolier du 29 août 1996 et
son décret d'application du 19 septembre 1996 n'intègrent pas les
deux pans du concept de gestion durable, moyen efficace de la protection du
littoral. En d'autres termes, de la conciliation du développement et de
la protection d'une part, de la solidarité intertemporelle d'autre part,
seul le premier volet est clairement pris en compte par la législation
pétrolière. Le second, en revanche, semble omis.
La législation pétrolière recèle
en son sein des dispositions qui attestent de la volonté du
législateur de gérer durablement les ressources
pétrolières offshore de la République de
Côte d'Ivoire. Cependant, la gestion durable, au vu des textes, n'a pas
totalement été menée à son terme. Cette affirmation
est loin d'être excessive si l'on s'en tient à la
définition du principe de développement durable telle qu'elle
ressort de la Déclaration de Rio du 13 juin 1992. Ce principe, au regard
de la Déclaration de Rio de 1992 revêt un contenu global tandis
que le droit pétrolier donne à ce principe un contenu partiel.
1- Le contenu global du principe du développement
durable en droit international de l'environnement
Le principe du développement durable recouvre un
diptyque qui est d'une part, la conciliation des exigences du
développement durable avec celles de l'environnement et d'autre part, la
conciliation des intérêts des générations actuelles
avec celles des générations futures, encore appelée
solidarité intergénérationnelle.
a- La conciliation du développement avec
l'environnement
Le couple développement/environnement n'est pas apparu
ex nihilo dans la Déclaration de Rio de 1992. En
réalité, la conciliation du développement et de
l'environnement a été esquissée dans la Déclaration
de Stockholm de 1972 avant d'être confirmée dans la
Déclaration de Rio de 1992.
152 Réflexion de TIEBLEY (Yves Didier), op.cit. , p223
53
En effet, à la Conférence des nations unies sur
l'environnement153, une déclaration a été
adoptée. Elle comporte 26 principes parmi lesquels les principes 4, 8,
10, 13 et 14 se distinguent par la conciliation qu'elles opèrent entre
développement économique et protection de l'environnement. Cette
conciliation devrait être perceptible dans divers domaines de
l'activité économique154.
La conciliation développement économique -
protection de l'environnement avec prééminence du premier peut
paraître surprenant au regard des pressions énormes
exercées sur la biosphère par les activités
économiques. Cela peut même être interprété
comme un recul si l'on considère la croisade
écologique155menée par un groupe de pays
industrialisés, notamment la Suède, qui initia le 3
décembre 1968, à l'Assemblée Générale des
Nations Unies (A.G.N.U), une résolution réclamant la convocation
d'une conférence mondiale sur l'environnement humain qui se tiendrait
à Stockholm en 1972156.
Cependant, la prééminence du
développement économique ne devrait pas surprendre. Elle marque
la prise en compte des réticences des pays en voie de
développement qui, rappelons-le, constituaient la majorité des
États participants à la Conférence de Stockholm. Les
objections formulées par les États en développement
reposent sur trois idées : le sous-développement constitue la
première et la pire des pollutions ; l'environnement est un «
luxe des pays riches » et ceux-ci qui ont fondé leur
développement sur l'emploi de techniques polluantes ne peuvent imposer
au monde en développement le recours à des techniques «
propres » dont le coût risque considérablement
d'entraver le processus de développement ; d'autant plus que les pays
industrialisés demeurent, et de beaucoup, les gros pollueurs de la
planète157.
Le Professeur KAMTO rapporte la méfiance voire
l'hostilité manifestée par les pays africains à la veille
et pendant la Conférence de Stockholm. Il cite d'ailleurs un
délégué africain qui affirma : « Notre pollution,
c'est la misère » et un autre qui n'hésita pas à
déclarer : « Let me die polluted »158.
La conciliation du développement économique avec
la protection de l'environnement a ensuite, été confirmée
dans la Déclaration de Rio de 1992. La Conférence des Nations
Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), réunie
à Rio de Janeiro du 3 au 14 juin 1992159, se présente
comme la continuité de celle de Stockholm de 1972.
153Qui s'est tenue du 5 au 16 juin 1972 à
Stockholm (au Danemark) a été la première enceinte
d'envergure universelle au sein de laquelle 113 États participants ainsi
que de nombreuses ONG ont réfléchi sur les incidences
néfastes du développement
sur l'environnement naturel et humain.
154Il s'agit notamment de la planification
économique (Principes 4 et 14), de l'amélioration de la
qualité de la vie (Principe 3), de la stabilité des prix et de la
rémunération adéquate pour les produits de base et les
matières premières (Principe 10) et de la gestion rationnelle des
ressources naturelles (Principe 13). Le paragraphe 6 du préambule de la
Déclaration de Stockholm rappelle d'ailleurs de manière opportune
: « Nous sommes à un moment de l'histoire où nous devons
orienter nos actions dans le monde entier en songeant davantage à leurs
répercussions sur l'environnement ». Cette volonté de
protéger l'environnement revêt des modalités diverses.
Celle-ci peut consister notamment en l'obligation faite
à l'homme de sauvegarder et de gérer avec sagesse « le
patrimoine constitué par la faune et la flore sauvages et leur habitat
» (Principe 4). Dans les pays en développement, le Principe 10
fait de la stabilité des prix et la rémunération
adéquate des produits de base et des matières premières,
deux conditions « essentielles » à la gestion
équilibrée de l'environnement. Il ajoute d'ailleurs : «
les facteurs économiques devant être retenus au même titre
que les processus écologiques ».
156 Il s'agit de la Résolution 2398 (XXIII)
157 Cf. DAILLIER (Patrick) et PELLET (Alain), Droit international
public, 8ème édition, Paris, LGDJ, 2009, pp.1235-1236.
158 KAMTO (Maurice), Droit de l'environnement en Afrique, Vanves,
Ed. AUPELF/UREF, 1996, pp.32-33.
159 Le paragraphe 3 de la Déclaration de Rio sur
l'environnement et le développement proclame cette continuité
lorsqu'il proclame : « Réaffirmant la Déclaration de la
Conférence des Nations Unies sur l'environnement adoptée à
Stockholm le 16 juin 1972, et cherchant à assurer le prolongement ...
».
54
Selon une partie de la doctrine, cette situation aboutirait
inéluctablement à la « subordination » de la
protection de l'environnement au développement économique et
notamment à la loi du marché en conférant à la
croissance économique et à l'ensemble du système
économique libéral « une nouvelle
légitimité écologique »160.
b- La solidarité intertemporelle
Le concept de solidarité
intergénérationnelle est le second volet du diptyque
développement durable. Elle traduit l'idée selon laquelle
l'exploitation des ressources naturelles à quelque fin que ce soit ne
saurait se faire uniquement dans l'intérêt des
générations actuelles des habitants de ce monde. Les
générations actuelles sont tenues de léguer aux
générations à venir un patrimoine de ressources
égal ou supérieur à celui qui leur est échu.
La solidarité intergénérationnelle est un
concept, à l'origine, présent dans le régime international
des espaces qui a été repris par les Déclarations de
Stockholm et de Rio.
En effet, l'expression « espaces »
désigne dans la présente étude, l'étendue,
parfois illimitée, qui échappe partiellement ou
entièrement à la souveraineté des États. De
manière concrète, les espaces soumis à un régime
international sont la mer, les canaux et les fleuves internationaux, l'air et
l'espace extra-atmosphérique161. Le régime
international de la mer (particulièrement de la Zone internationale des
fonds marins ou la «Zone») et de l'espace
extraatmosphérique retiendront notre attention.
La «Zone» tout comme l'espace
extra-atmosphérique ont été érigés par le
droit international en patrimoine commun de l'Humanité (PCH). La CMB
définit la Zone comme « les fonds marins et leur sous-sol
au-delà des limites de la juridiction nationale » (article
1er).
La Zone désigne donc le lit et le sous-sol des fonds
marins de la haute mer. Le terme « ressources » recouvre
« toutes les ressources minérales solides, liquides ou gazeuses
in situ qui, dans la Zone, se trouvent sur les fonds marins ou dans leur
sous-sol, y compris les nodules polymétalliques » (article 133
§ a).
L'espace extra-atmosphérique et les corps
célestes qui s'y trouvent ont été érigés
en
PCH par l'article 1 § 1er du traité sur l'espace
du 27 janvier 1967. Selon l'article 1 § 1er précité,
« l'exploration et l'utilisation de l'espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et
Le contenu de certains principes traduit clairement cette
continuité. Les principes 4 et 25 s'inscrivent dans cette mouvance. La
particularité de ces deux Principes tient à la conciliation
qu'ils opèrent entre le développement économique et la
protection de l'environnement. Le Principe 4 énonce : « Pour
parvenir à un développement durable, la protection de
l'environnement doit faire partie intégrante du processus de
développement et ne peut être considérée
isolément ».
Contrairement à la Déclaration de Stockholm, la
Déclaration de Rio ne subordonne pas formellement la protection de
l'environnement à la réalisation du développement
économique et social. Cependant, l'analyse du Principe 4 laisse
apparaître la primauté du développement sur la protection
de l'environnement. En effet, selon ce principe, « la protection de
l'environnement doit faire partie intégrante du processus de
développement ... ». En d'autres termes, la protection de
l'environnement est incluse dans le développement.
160 Cf. PALLEMAERTS (Marc), « La Conférence de Rio
: grandeur ou décadence du droit international de l'environnement
», BDI, 1995, n°1, p.183. Ce point de vue est partagé par le
professeur GUTWIRTH qui écrit : « Le processus de globalisation,
(...) et l'émergence d'une «société
postindustrielle» ouvrent peu de nouvelles perspectives. Ces
évolutions renforcent les processus du capitalisme, comme la
privatisation, (...) et la concurrence. Face à ces forces, le paradigme
dudéveloppement durable avec ses attentes écologiques,
socioéconomiques, démocratiques et culturelles ne
représente qu'un piètre parti ». Il ajoute : « Dans la
pondération des intérêts entre la «protection de
l'environnement» et « développement économique»,
le principe du développement durable risque de donner la priorité
à la croissance économique . . . Le développement durable
pourrait n'être autre chose qu'une mise en scène de «la
rencontre du pot de fer et pot de terre» ».
Cf. GUTWIRTH (Serge), « Trente ans de théorie du
droit de l'environnement : concepts et opinions », article publié
dans la revue Environnement et Société, n°26, Normes et
Environnement, 2001, pp.5-17.
161 Le régime international de chacun des espaces
sus-énumérés a été étudié de
manière détaillée par les professeurs Patrick DAILLIER et
Alain PELLET. Cf. DAILLIER (Patrick) et PELLET (Alain), Droit international
public, 8ème édition, Paris, LGDJ, 2009, pp.1087-1216.
55
les autres corps célestes, doivent se faire pour le
bien et dans l'intérêt de tous les pays, quel que soit le stade de
leur développement économique ou scientifique ; elles
sont l'apanage de l'humanité toute entière
».
L'Accord du 18 décembre 1979 régissant les
activités des États sur la Lune et les autres corps
célestes, en son article 4 § 1er, fait de l'exploration et de
l'utilisation de la Lune l'apanage de toute l'humanité. L'article 11
§ 1er de la Convention ci-dessus érige la Lune et ses ressources en
PCH. L'analyse des dispositions ci-dessus consacrées au PCH fait
ressortir deux volets qui sont la solidarité interspatiale162
d'une part et la solidarité intertemporelle de l'autre.
Cette dernière est expressément affirmée
par l'article 4 § 1er de l'Accord du 18 décembre 1979
régissant les activités de l'État sur la lune et les
autres corps célestes. Selon cette disposition, « il est
dûment tenu compte des intérêts de la
génération actuelle et des générations futures ...
».
La solidarité intergénérationnelle, quant
à elle, est implicitement affirmée en matière
d'exploitation de la Zone et de ses ressources. En effet, l'Humanité ne
se limite pas au présent mais se projette sur l'avenir en englobant les
générations futures. Les générations actuelles sont
tenues de transmettre intact le Patrimoine commun aux générations
futures, héritières légitimes, en tant que faisant partie
intégrante de l'Humanité163.
La solidarité intergénérationnelle
constitue, au vu de ce qui précède, un des deux volets du concept
de PCH. Elle est également incluse dans le principe du
développement durable qui, lui-même, est repris dans les
Déclarations de Stockholm (1972) et de Rio de Janeiro (1992).
En effet, la solidarité
intergénérationnelle se retrouve dans divers passages des
Déclarations de Stockholm et de Rio. D'abord, dans la Déclaration
de Stockholm, le concept de solidarité
intergénérationnelle apparaît implicitement ou
explicitement aussi bien dans le préambule que dans le dispositif du
texte.
Le préambule de la Déclaration de Stockholm, en
son § 6, énonce : « En approfondissant nos connaissances
et en agissant plus sagement, nous pouvons assurer, à
nous-mêmes et à notre postérité, des
conditions de vie meilleures dans un environnement mieux adapté aux
besoins et aux aspirations de l'humanité ». Un peu plus loin,
le même paragraphe, ajoute :
« Défendre et améliorer l'environnement
pour les générations présentes et à venir
est devenu pour l'humanité un objectif primordial ...
».
Aussi, le principe 5 par exemple, procède à un
couplage du principe de gestion rationnelle avec les concepts de la
solidarité interspatiale et de solidarité intertemporelle. En
effet, le principe 5 prévoit que « les ressources non
renouvelables du globe doivent être exploitées de telle
façon qu'elles ne risquent pas de
s'épuiser164et que les avantages retirés de
leur utilisation soient partagés par toute
l'humanité165».
162 La solidarité interspatiale transparaît de
l'article 140 de la CMB. Selon cette disposition, la Zone et ses ressources
doivent être exploitées dans l'intérêt de tous les
peuples indépendamment de leur niveau de développement et de leur
situation géographique par rapport à la mer. La solidarité
interspatiale se perçoit également à l'article 1
alinéa 1er du traité sur l'espace du 27 janvier 1967 qui
prévoit que l'exploration et l'utilisation de l'espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, doivent se faire pour le bien et dans l'intérêt
de tous les pays quel que soit le stade de leur développement
économique ou scientifique. L'article 4 alinéa 1er de l'Accord du
18 décembre 1979 régissant les activités des États
sur la lune et les autres corps reprend presque textuellement l'exigence
contenue dans l'article 1 alinéa 1er précitélorsqu'il
dispose que l'exploration et l'utilisation de la Lune . . . se font pour le
bien et dans l'intérêt de tous les pays, quel que soit leur
degré de développement économique ou scientifique.
163 DÉGNI-SÉGUI (René), « Les
nouveaux concepts du droit de la mer et leurs implications », Annales de
l'Université d'Abidjan, tome VIII, 1988, p.124.
164 Principe de la gestion rationnelle.
165 Solidarité interspatiale et solidarité
intertemporelle.
56
La Déclaration de Rio, elle aussi, proclame la
volonté des participants à la Conférence de Rio de
promouvoir la solidarité intergénérationnelle. Il est vrai
que la Déclaration de Rio est moins prolixe à ce sujet que celle
de Stockholm, il n'empêche que le Principe 3 énonce que «
le droit au développement doit être réalisé de
façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au
développement et à l'environnement des
générations présentes et futures ».
Au regard de ce qui précède, il devient
évident que les deux déclarations précitées
traitant du développement durable lui attribue un contenu global, un
contenu qui englobe le diptyque environnement/développement d'une part
et la solidarité intergénérationnelle de l'autre. Il n'en
est pas ainsi en Côte d'Ivoire où la législation
pétrolière privilégie visiblement un volet du concept de
gestion durable au détriment de l'autre. Il en résulte un contenu
partiel qu'il convient d'analyser.
2- Le contenu partiel du concept de gestion durable en
droit pétrolier ivoirien
La législation pétrolière ivoirienne
comporte des dispositions qui opèrent la conciliation des
activités de reconnaissance, de recherche et d'exploitation
pétrolière offshoreavec la protection du milieu marin
environnant. Visiblement, cette législation pétrolière
prend en compte les préoccupations environnementales. En revanche, elle
est muette sur la question relative à la gestion des gisements
d'hydrocarbures au profit des générations futures d'ivoiriens. Il
est possible d'affirmer, à ce sujet, qu'il y a une omission du concept
de solidarité intergénérationnelle.
a- La prise en compte des préoccupations
environnementales
Cette prise en compte se traduit par le recours à
certains principes du droit de l'environnement parmi lesquels le principe
pollueur-payeur et le principe de prévention se démarquent
nettement.
D'abord en ce qui concerne Le recours au principe
pollueur-payeur, le Code de l'environnement en son article 35.5 donne au
principe pollueur-payeur le contenu suivant : « Toute personne
physique ou morale dont les agissements et/ou les activités causent ou
sont susceptibles de causer des dommages à l'environnement est soumise
à une taxe et/ou à une redevance. Elle assume, en outre, toutes
les mesures de remise en état ».
À la lueur de la définition du principe
pollueur-payeur, on peut affirmer que le législateur ivoirien entend lui
conférer deux fonctions : une fonction redistributive et une fonction
curative166.
166Le principe pollueur-payeur assume quatre
fonctions : une fonction d'intégration économique
(lerecours au principe pollueur-payeur en vue de prohiber les aides
d'État tendant à financer les investissementsanti-pollution) ;
une fonction redistributive(la rétrocession aux
pouvoirs publics d'une partie desbénéfices que les pollueurs
tirent de leurs activités) ; une fonction curative
(réparation intégrale des dommagessubis par les victimes
au moyen de la responsabilité civile) ; une fonction
préventive (l'adoption denormes anti-pollution et surtout des
redevances . . . devrait « inciter le pollueur à prendre
lui-même aumoindre coût les mesures nécessaires pour
réduire la pollution dont il est l'auteur »). Cf. SADELEER (Nicolas
de), Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de
précaution : essai sur la genèse et la portée juridique de
quelques principes juridiques du droit de l'environnement,
Bruxelles,Bruylant/AUF, 1999, 437 p ; pp.65-70
57
La fonction redistributive découle de
l'assujettissement du pollueur au paiement d'une taxe et/ou d'une redevance. La
fonction curative, quant à elle, est contenue dans la remise en
état des lieux pollués ou endommagés167.
Le Code pétrolier ivoirien, pour sa part,
privilégie l'approche dualiste de la fonction curative assignée
au principe pollueur-payeur. L'article 64 § 2 du Code pétrolier
dispose :
« Le titulaire d'un contrat pétrolier est tenu
de réparer tous dommages(...), que ces dommages soient de son fait ou de
celui de ses sous-traitants ... ».
Il est donc clair que le législateur ivoirien a eu recours
au principe pollueur-payeur.
Quant à l'approche dualiste de la fonction curative qui
lui est assignée, elle transparaît de l'article 64 § 2 in
fine qui dispose : « A défaut de
réparation, l'indemnité doit
correspondre à la valeur du dommage causé ».
De quelle réparation s'agit-il en la matière ?
D'une réparation matérielle ? Ou d'une réparation
pécuniaire ? En d'autres termes, d'une réparation au sens propre
? Ou d'une réparation au sens figuré ? D'une remise en
l'état ? Ou de l'octroi de dommages-intérêts aux victimes
?
L'emploi des termes « réparation »
d'une part et « indemnité » d'autre part, nous
conduit à penser que le législateur a entendu conférer au
premier terme le sens de remise en l'état. Ce n'est qu'à
défaut de la remise en l'état (réparation stricto
sensu) que le pollueur se verra contraint de verser des
dommages-intérêts aux victimes. Celles-ci sont de natures
diverses.
Il peut s'agir de l'État ivoirien, des
collectivités publiques infra-étatiques et des personnes morales
ou physiques de droit privé. Cette acception large du mot «
victimes » découle du fait que la loi elle-même ne
procède à aucune distinction en la matière ; et il ne nous
appartient pas de distinguer là où la loi ne distingue pas.
Il est vrai que l'article 64 tel que rédigé ne
saurait être appliqué dans le seul cadre du contentieux de
l'environnement. Il peut aussi servir dans le cas classique du contentieux
civil168.
Quoi qu'il en soit, la disposition sus-étudiée
traduit la prise en compte du principe pollueur-payeur par le Code
pétrolier. La préoccupation environnementale se manifeste
également par le recours au principe de prévention.
Quant à la manifestation du principe de
prévention, elle se perçoit à travers : l'exigence d'une
étude d'impact environnemental (EIE)169 ; l'exigence d'un
plan d'abandon des gisements lors de la cessation de l'exploitation de ceux-ci
(article 34 § 2 et 37 du Code pétrolier)170 ;
167 Il importe à ce niveau de faire la remarque
suivante : la fonction curative, contrairement au point de vuedu professeur De
SADELEER, ne saurait se limiter à la responsabilité civile du
pollueur. Il est vrai que cemécanisme juridictionnel permet aux victimes
d'obtenir la condamnation du pollueur à des dommages
intérêtsvoire la cessation de l'activité
génératrice de pollution, mais il est limité au regard de
son approcheanthropocentrique. En d'autres termes, si le pollueur n'endommage
pas un bien, il lui sera loisible de continuerà exercer son
activité pourtant dommageable pour le milieu naturel, rescommunis.
Dès lors, la remiseen l'état, décidée par voie
administrative ou par voie juridictionnelle, constitue indéniablement le
moyenapproprié par lequel les pouvoirs publics obtiendront plus ou moins
le rétablissement du statu quo ante.
168À titre de comparaison, le contentieux civil
nigérian nous fournit des illustrations survenues lors
desopérations sismiques préalables à l'exploitation
pétrolière on shore : Seismographic Service Ltd v. Onokpasa;
Seismographic Service v. Akporuovo ; Seismographic Service v. Ogbeni. Dans ces
différentes affaires,les victimes ont demandé réparation
pour les opérations de prospection sismique (lors des activités
dereconnaissance) qui ont provoqué respectivement les
dégradations subies par les bâtiments des riverains duchamp
pétrolier, les dégradations des biens ménagers, les
préjudices corporels subis par les riverains du faitdu bruit excessif et
des vibrations intenses consécutives à ces opérations. Cf.
EBEKU (S.A. Kaniye), «Judicial Attitudes to Redress for Oil-related
Environmental Damage in Nigeria », RECIEL, Vol.12, Issue 2,Oxford,
Blackwell Publishing, 2003, p.203.cité par TIEBLEY (Yves
Didier),op.cit.,p230.
169Article 34 § 2 du Code pétrolier et
article 24 alinéa 3 du décret d'application du 19 septembre
1996
170 L'extraction du pétrole nécessite le
creusement de puits qui permettront d'accéder au gisement situé
dansle sous-sol du plateau continental Il peut arriver que pétrole
s'échappe de manière incontrôlée et abondantedes
roches sédimentaires qui l'emprisonnent et pollue le milieu marin
environnant. Cette éruption incontrôléeest appelée
blow-out. Pour éviter que les têtes de puits sous-marins ne
constituent des points d'éruption,il importe de les combler après
la cessation de l'exploitation de
58
Il n'empêche que la mise en oeuvre de ces
différentes exigences légales vise à prévenir aussi
bien les marées noires provoquées par les éruptions
incontrôlées d'hydrocarbures que la destruction de
l'écosystème à l'entour consécutive à
l'utilisation des techniques industrielles nuisibles à la protection de
l'environnement.
La législation pétrolière ivoirienne
intègre indéniablement des préoccupations
environnementales traduisant par cet état de chose sa vocation à
réaliser le principe du développement durable. En revanche, cette
législation se caractérise par une absence ou, au mieux, par une
allusion sommaire aux intérêts des générations
futures d'ivoiriens. On note par ce fait une omission du concept de
solidarité intergénérationnelle en droit pétrolier
ivoirien.
b- L'omission du concept de solidarité
intergénérationnelle
Cette omission est décelable à travers la
vocation actuelle de la législation pétrolière. En
d'autres termes, la législation pétrolière ne
prévoit pas de sanctuariser une portion du plateau continental au profit
des générations à venir d'ivoiriens. Au contraire,
l'analyse de la législation pétrolière -
particulièrement le titre VII du Code pétrolier - laisse
apparaître des préoccupations essentiellement
pécuniaires.
D'abord, en ce qui concerne la non sanctuarisation d'une
portion du plateau continental ivoirien, Rationetemporis, le législateur
ivoirien a opté pour une exploitation des gisements pétroliers au
bénéfice quasi-exclusif des générations actuelles
d'ivoiriens. En effet, le Code pétrolier ivoirien ne comporte aucune
disposition qui prévoie expressément l'obligation pour les
autorités compétentes de réserver certains champs
pétrolifères au profit des générations à
venir d'ivoiriens. Il est vrai que le régime juridique du plateau
continental ivoirien, dépendance du domaine public
étatique171, le met à l'abri de toute appropriation
par une tierce personne. Mais les principes de l'inaliénabilité
et de l'imprescriptibilité, à eux seuls, ne sauraient suffire
à assurer la conservation des gisements pétroliers au profit des
générations futures d'ivoiriens. En effet, ces principes ne
limitent pas le droit de contracter des autorités compétentes
ivoiriennes.
Tout au plus, permettent-ils de préserver
l'intégrité du plateau continental contre tout empiètement
ou tout démembrement préjudiciable à l'État de
Côte d'Ivoire. Par contre, les hydrocarbures contenus dans le sous-sol du
plateau continental ne jouissent pas du régime juridique protecteur du
domaine public étatique. Aussi, les autorités compétentes
peuvent-elles conclure autant de contrats pétroliers qu'elles estiment
nécessaires aux fins de l'exploitation des gisements offshore
d'hydrocarbures. Le risque inhérent à cette grande
liberté d'action est l'exploitation intensive et simultanée de
tous les blocs pétrolifères du plateau continental ivoirien pour
le profit immédiat et exclusif des générations
actuelles.
Visiblement, les préoccupations essentiellement
pécuniaires ont prévalu sur toute autre considération.
Quant à la prépondérance des
considérations financières, l'absence de garde-fous juridiques
contre les risques d'exploitation incontrôlée des gisements
pétroliers offshore se perçoit à
la plate-forme pétrolière. Cette mesure
estrendue d'autant plus nécessaire que les dommages causés par
les éruptions de pétrole peuvent être
extrêmementgraves et multiformes : dommages à l'environnement
marin ; dommages subis par l'État de contrôlede l'installation
offshore (dépenses de lutte contre la pollution, frais d'information
nationale et internationale,. . . ) ; dommages causés à d'autres
États riverains ; dommages touchant des tiers vivant de la mer
:pêcheurs, ostréiculteurs, hôteliers, collectivités
locales gérant des stations balnéaires (pertes de taxes
perçuessur les touristes).Cf. BOLLECKER-STERN (Brigitte), «
À propos de l'accident d'Ekofisk : problèmes posés par la
pollutionprovoquée par les installations de production
pétrolière offshore », AFDI, 1978, p.776.
171 En vertu de l'article 37 du Code de l'environnement.
59
travers l'analyse du Code pétrolier ivoirien et de son
décret d'application du 19 septembre 1996.
D'une part, les dispositions relatives à la
reconnaissance, la recherche et l'exploitation des hydrocarbures s'inscrivent
plutôt dans une perspective d'exploitation maximale des ressources
pétrolières. En effet, l'article 39 du décret
d'application du Code pétrolier685 manifeste cette volonté
étatique à travers l'octroi par le Gouvernement d'un
crédit d'investissement en zone marine profonde686 en vue d'encourager
les opérations pétrolières dans cette partie de la mer
placée sous souveraineté nationale. De même, l'État
de Côte d'Ivoire peut décider, dans le contrat de concession, de
consentir des exemptions totales ou partielles de la redevance à la
production ... en vue de promouvoir les opérations
pétrolières en République de Côte d'Ivoire,
notamment dans les zones marines profondes (article
69 alinéa 3).
D'autre part, certaines dispositions du Code pétrolier
visent à accroître les revenus tirés des activités
pétrolières. À ce sujet, le contenu du chapitre premier du
titre VII du Code pétrolier est fort éloquent. En effet,
l'article 66 du Code pétrolier assujettit les titulaires de contrats
pétroliers au « paiement des impôts, taxes et redevances
... tels qu'ils sont déterminés dans le Code
général des Impôts ... ». Les articles suivants
du titre chapitre premier du titre VII, intitulé « des
dispositions fiscales », s'inscrivent toujours dans la perspective de
percevoir des recettes fiscales en vue de renflouer les caisses de
l'État. Ainsi, les demandes d'attribution, de renouvellement, de
cession, de transmission ou de renonciation de contrats pétroliers et
des autorisations en dérivant sont soumises au paiement de droits fixes
dont les montants et modalités de règlement sont
déterminés dans le cadre de la loi de finances (article 67). En
outre, les titulaires de titres pétroliers sont soumis au paiement de
droits d'enregistrement (article 76.2), d'une redevance superficiaire (article
68), d'une redevance mensuelle proportionnelle à la production (article
69) sans omettre leur assujettissement à l'impôt direct sur les
bénéfices industriels et commerciaux à raison des
bénéfices nets qu'ils retirent de l'ensemble de leurs
activités de recherche et d'exploitation d'hydrocarbures (article
70).
Il importe ici de lever toute équivoque. La
volonté de l'État ivoirien de percevoir des revenus à
raison des opérations pétrolières menées sur son
plateau continental n'est pas condamnable en soi. Au contraire.
Cependant, cette volonté éclipse toute autre
considération, notamment celle de préserver les droits des
générations à venir d'ivoiriens. Cette rupture
d'égalité est déplorable.
La réalisation du principe de développement
durable, du moins de gestion durable, en droit ivoirien nécessite qu'on
recherche des solutions qui permettent de remédier aux insuffisances de
la législation pétrolière.
Cela ne pourra se faire que lorsqu'on aura montré les
carences législatives et règlementaires qui existent en
matière d'environnement marin et côtier.
PARAGRAPHE II :DES CARENCES LEGISLATIVES ET
REGLEMENTAIRES EN MATIERE D'ENVIRONNEMENT MARIN ET COTIER
L`insuffisance des lois en matière de protection des
espaces marin et côtier en Côte d'Ivoire comme dans la plupart des
pays de la sous-région du Golfe de Guinée est due d`une part
à l`entrée assez tardive dans le vocabulaire et dans les moeurs
du mot environnement.
En outre cette carence découle aussi du non-respect de
l`obligation d`intégration des normes juridiques internationales en
droit interne comme nous l'avons vu plus haut.
60
Parfois, l`insuffisante internalisation des obligations
auxquelles l'Etat ivoirien est lié sur le plan international crée
en terme législatif et réglementaire un vide juridique. Parfois
aussi, ce sont les lacunes dont souffrent certains textes juridiques
internationaux qui affectent le cadre juridique interne lorsque l'Etat les
intègre dans sa législation. Non seulement les obligations faites
aux Etats ne sont pas respectées sur le plan interne, notamment du fait
que la procédure légale de traduction des normes juridiques
internationales en droit interne est relativement suivie, mais aussi, parce que
le système juridique des Parties contractantes souffre de graves lacunes
en ce qui concerne la mise en place de la législation et de la
réglementation en matière d`environnement marin et
côtier172.
Aussi est-il important de préciser que nous axerons
notre analyse sur les mécanismes de lutte contre les pollutions
pélagiques et d'aménagement côtier. Ainsi les insuffisances
du mécanisme de lutte contre les pollutions pélagiques
résultent entre autre de l'inadaptation des règles de
réparation civile contre les pollutions pélagiques avec un
caractère peu dissuasif des règles classiques de la
responsabilité civile à l' égard des pollueurs. Par
ailleurs, nous exposerons les carences des instruments juridiques en
matière d'aménagement côtier.
A- LE CARACTERE PEU DISSUASIF DES REGLES CLASSIQUES DE
LA RESPONSABILITE CIVILE A L'EGARD DES POLLUEURS
La réparation civile des dommages causés par les
pollutions pélagiques comporte deux grandes catégories de
règles juridiques : d'une part, les règles de
responsabilité civile relevant du droit interne des États, et
d'autre part les règles de responsabilité prévues par les
conventions internationales pertinentes173.
En retenant la première cause suscitée comme
objet de notre réflexion, il serait bon de remarquer que l'inadaptation
des règles de réparation civile est perceptible à travers
le caractère peu dissuasif des règles classiques de la
responsabilité civile à l'égard des pollueurs.
Ainsi le droit commun de la responsabilité civile tel
qu'il se présente, ne permet pas d'inciter efficacement les pollueurs
à s'abstenir d'effectuer les rejets d'hydrocarbures ou d'autres
substances polluantes dans le milieu marin. En effet, l'analyse des
règles de réparation civile permet de relever d'une part, des
entraves à l'indemnisation satisfaisante des victimes de marées
noires et d'autre part, l'institution involontaire d'un droit de polluer.
1- Les entraves à l'indemnisation satisfaisante
des victimes de pollution marine
Ces entraves sont de deux ordres : les unes ont trait, d'une
part, aux difficultés énormes liées à
l'établissement de la preuve et d'autre part, à l'obstacle
né des caractères du dommage indemnisable.
172ZOGNOU (Théophile), op.cit., p187
173 Au niveau des normes internationales, notre attention se
portera sur la convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 portant sur la
responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par
les hydrocarbures telle que modifiée par le Protocole du 27 novembre
1992 ; sur la convention de Bruxelles du 18 décembre 1971 portant
création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus
à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) telle que modifiée
par le Protocole du 27 novembre 1992. Notre analyse portera également
sur la Convention internationale du 3 mai 1996 sur la responsabilité et
l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer des
substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD).
61
D'abord, en ce qui concerne les difficultés
énormes liées à l'établissement de la preuve, elles
consistent pour les victimes à prouver, d'une part, la faute du pollueur
et, d'autre part, le lien de causalité entre la faute et le
préjudice subi. Ces deux éléments à prouver (en sus
de celui tenant aux caractères du dommage indemnisable qui sera
traité plus bas) constituent les conditions (cumulatives) de mise en
oeuvre de la responsabilité civile délictuelle. Cependant, la
réunion de ces trois conditions n'est pas du tout facile.
En effet, pour la preuve de la faute du pollueur, elle
commande que la victime établisse dans le chef du pollueur qu'il a eu
l'« attitude d'une personne qui par négligence, imprudence ou
malveillance ne respecte pas...son devoir de ne causer aucun dommage à
autrui »174. Or il est évident que le plus souvent,
les victimes de marées noires ou autres pollutions marines ne se
trouvaient pas à bord des navires ou des plates-formes
pétrolières ayant effectué les rejets d'hydrocarbures.
Dans de telles conditions, comment peuvent-elles, sans difficultés
énormes, arriver à établir que le pollueur, quel qu'il
soit, a soit violé le standard du bonus pater familias soit
qu'il a intentionnellement choisi de procéder à des rejets
d'hydrocarbures dans le milieu marin ?
L'affaire de l'Amoco-Cadiz est fort instructive sur
les difficultés que pourraient rencontrer les victimes à ce
sujet. En effet, l'État français, une des parties demanderesses
au procès intenté devant les tribunaux américains dans
l'affaire précitée, n'est parvenu à retenir la
responsabilité de la société Standard Oil que par le
recours à la procédure du
discoveryayant court en droit
américain175. A en croire un auteur, « la
procédure du discoveryaméricaine s'est
révélée d'une redoutable efficacité. Elle a permis,
chose impensable devant une juridiction française, de
révéler l'existence d'un document interne(...). La
révélation de ce comportement a été le tournant du
procès »176.
Il est évident que les victimes de marées noires
ne pourront pas toujours accéder à des informations capitales
internes à l'entreprise gérante ou propriétaire du navire
ou de l'installation offshore qui a causé la pollution. A moins
que cette entreprise n'accepte, d'elle-même, de fournir aux victimes les
documents administratifs, techniques ainsi que toutes autres informations qui
établissent sa négligence ou sa malveillance177.
En somme, il s'agira d'attendre que le pollueur fournisse
à ses victimes les informations qu'elles n'auraient pu se procurer par
elles-mêmes. Bien entendu, ces informations capitales permettront aux
victimes d'obtenir du juge la condamnation du pollueur à leur verser
des
174 GUILLIEN (Raymond) et VINCENT (Jean) (dir.), Lexique des
termes juridiques, 12e édition, Dalloz, 1999, pp.244-245.
175 La procédure du discoveryest une
procédure d'investigation avant tout examen de l'instance au fond, qui a
pour objet de soumettre chaque partie à l'obligation rigoureuse de
révéler ses sources d'information, de documentation et de
témoignage . . . qui ont un rapport avec le litige. Cette
procédure se déroule sous le contrôle du juge. Chaque
élément probatoire du dossier est examiné de
manière contradictoire de même qu'il est fait obligation aux
témoins et experts de subir une sorte de contre-interrogatoire
systématique (ou «cross-examination») . . . Cette
procédure expose tout plaideur qui refuse de communiquer ou de
témoigner, à des sanctions sévères pouvant
entraîner le rejet de sa demande ou l'approbation pure et simple de la
demande émanant de l'adversaire. Cf. NDENDÉ (Martin), «
L'affaire de l'Amoco Cadiz . . . Quatorze ans de bataille juridique »,
Collection Espaces et Ressources Maritimes, n°6, Editions PEDONE, janvier
1992, pp.11-12.
176 FONTAINE (Emmanuel), Les sinistres de l'Amoco-Cadiz et du
Tanio : comparaison de deux expériences, Communication au colloque du
CMI à Gênes (21 - 25 septembre 1992).
177 L'inexistence de la procédure du Discovery en droit
français aurait dû, selon le Dr. TIEBLEY que nous partageons
d'ailleurs, déterminer le juge à ne pas exiger de la commune de
Mesquer qu'elle rapporte la preuve de la faute des sociétés
TOTAL, propriétaire de la cargaison ayant pollué les côtes
de ladite commune. Surtout, lorsqu'on tient compte du fait que celle-ci n'a
nullement contribué à la survenue du naufrage de l'Erika. La Cour
d'appel de Rennes, dans son arrêt du 13 février 2002, estime :
« Considérant qu'il n'est pas établi que les
sociétés Total, intimées, ont commis . . . des fautes
à l'origine directe de la pollution subie par la commune de Mesquer . .
. ». Cf. Cour d'appel de Rennes, 13 février 2002, Commune de
Mesquer c/ SA Total Raffinage Distribution, Société Total
International Ltd, RJE, n°1, 2003, p.59.
62
dommages-intérêts. Avouons qu'un tel
scénario est très improbable, pour ne pas dire impossible.
Les aléas ci-dessus traduisent en filigrane les
difficultés inhérentes à l'institution de la
responsabilité pour faute. Ce type de responsabilité civile ne
permet pas d'indemniser de manière automatique et satisfaisante les
victimes de pollution marine. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le
professeur André TUNC a suggéré la suppression de la
responsabilité civile basée sur la faute, en tout cas pour les
accidents de la circulation178. Nous sommes tout comme le Dr.
TIEBLEY179 d'avis qu'il serait avantageux de lui substituer la
responsabilité objective du pollueur surtout dans le cas d'un «
accident unilatéral », un accident dû à la seule
négligence du pollueur.
En sus des difficultés relevées ci-dessus, il
convient de mentionner celle qui découle du lien de causalité
à établir entre la faute et le préjudice subi par la
victime. Nous remarquerons à ce propos que s'il est aisément
possible d'identifier l'auteur d'une pollution pélagique accidentel et
massive, il demeure, en revanche, difficile de déterminer les auteurs de
rejets opérationnels180.
La question est de savoir combien de ces dégazages ou
rejets opérationnels ont donné lieu à des actions en
réparation ? Et même en cas d'action en responsabilité, les
victimes sont-elles assurées d'obtenir gain de cause ?
La difficulté que nous voulons faire ressortir à
travers cette seconde interrogation est celle qui tient à la
quasi-impossibilité matérielle pour les victimes d'établir
le lien de causalité entre les rejets opérationnels
effectués en mer et les dégâts causés à la
conchyliculture, aux activités économiques effectuées au
bord des mers, aux aires protégées ...
En outre, il peut s'écouler un long laps de temps avant
que le préjudice n'apparaisse, temps pendant lequel la majeure partie
des preuves s'estompera. De lors, la victime ne pourra pas établir que,
par exemple, la maladie qui le ronge provient de la consommation de poissons
contaminés par le déversement d'hydrocarbures dans le milieu
marin.
En Afrique, singulièrement au Nigeria, certaines
affaires judiciaires ont mis en évidence l'obstacle que constitue pour
les victimes l'établissement du lien de causalité avant toute
indemnisation des préjudices survenus à celles-ci. Ces affaires
ne concernent pas à proprement parler la pollution marine par les
hydrocarbures ou les activités pétrolières
offshore.
Elles portent plutôt sur l'exploration
pétrolière on shore. Néanmoins, la teneur des
décisions rendues par la Cour Suprême du Nigeria nous situe sur
les difficultés énormes rencontrées par les victimes dans
l'établissement du lien de causalité (`causal
connection') entre les préjudices subis par elles et les
activités incriminées. Dans les affaires Seismographic
Service Ltd v. Onokpasa, Seismographic Service Ltd v. Akporuovo,
Seismographic Service Ltd v. Ogbeni181, les victimes
ont, dans chaque cas, intenté une action en réparation contre le
Seismographic Service Ltd en vue d'être
dédommagées pour les dégradations subies par leurs
178TUNC (André), La sécurité
routière. Esquisse d'une loi sur les accidents de la circulation, Paris,
Dalloz,1966 ; et TUNC (André), « Les problèmes contemporains
de la responsabilité civile délictuelle »,
RevueInternationale de Droit Comparé, 1967, p.757. Cité par FAURE
(Michael), L'analyse économique du droitde l'environnement, Bruxelles,
Bruylant, 2007, p.87. 179TIEBLEY (Yves Didier), op.cit. , p263
180 À ce sujet, un rapport préparé par le
US Academy of Sciences en 1990 pour l'Organisation maritime
internationale (OMI) établissait que 568.800 tonnes d'hydrocarbures
s'étaient répandues en mer durant l'année 1989. De cette
quantité déversée, seules 114.000 étaient le
résultat de déversement accidentel. En d'autres termes, la plus
grande partie des rejets d'hydrocarbures (soit 80% du total des rejets) a
été volontairement effectuée.Cf. KRISTAKIS
(Théodore), « L'exemple du contrôle exercé par l'OMI
dans le domaine de la pollutionmarine », in IMPERIALI (Claude) (dir.),
L'effectivité du droit international de l'environnement :
contrôlede la mise en oeuvre des conventions internationales, Paris,
Economica, 1998, p.157.
181EBEKU (S.A Kaniye), « Judicial Attitudes to
Redress for Oil-related Environmental Damage in Nigeria», RECIEL, Vol.
12,
Issue 2, Oxford, Blackwell Publishing, 2003, p.203.Cité
par TIEBLEY (Yves Didier), Ibidem.
63
bâtiments, leurs biens ménagers, ou pour les
préjudices corporels subis par elles-mêmes du fait du bruit
excessif et des vibrations intenses provoquées par les opérations
de prospection sismique.
Ensuite, la seconde difficulté à laquelle sont
confrontées les victimes de marées noires est celle du
préjudice indemnisable. En effet, le préjudice pour être
indemnisable doit présenter les caractères suivants : il doit
être direct, certain et actuel.
De ces trois caractères permettant d'identifier le
préjudice indemnisable, le caractère direct est celui qui est
source de difficulté majeure pour les victimes. En effet, un
préjudice est considéré comme direct lorsqu'il provient de
la faute commise par l'auteur de l'acte dommageable. En faisant une application
littérale de ce critère, il apparaît que le
préjudice subi par ricochet ne serait pas indemnisable. Cette situation
appelle de notre part une remarque.
En effet, il est difficilement compréhensible que la
victime par ricochet d'une pollution pélagique ne puisse obtenir
réparation pour le préjudice subi nonobstant le fait qu'elle
n'ait pas contribué à la survenance de celui-ci. En nous
référant au principe fondamental selon lequel « celui
qui cause un dommage à autrui doit le réparer », nous
avons la conviction que l'obligation de réparation mise à la
charge de l'auteur d'un acte dommageable ne saurait être circonscrite au
préjudice direct.
Dès lors, le caractère indirect du
préjudice subi ne devrait pas constituer, à notre avis, un
obstacle dirimant à la réparation civile de celui-ci. Notre point
de vue est d'ailleurs conforté par le FIPOL dans l'affaire
Braer182. En effet, à la suite de l'échouage
du pétrolier libérien Braerau large des îles
Shetlands en janvier 1993, le Comité exécutif du FIPOL a
accepté d'indemniser une large panoplie de victimes
indirectes183.
''184.
Selon le Comitéexécutif, «the loss
allegedly suffered by the [abovementioned] claimants should be considered as
damage caused by contamination, since these activities were an integral part of
the fishing activities in the affected area
En substance, le Comité exécutif du FIPOL convient
que les pertes alléguées par les plaignants devraient être
considérées comme ayant été causées par la
pollution dès lors que leurs activités étaient une part
intégrante des activités de pêche menées dans
l'espace affectée (par cette pollution).
Comme on peut le constater, les conditions de mise en oeuvre
de la responsabilité classique du pollueur ne sont pas favorables aux
victimes de pollution pélagiques. Pis, les règles de la
responsabilité civile classique instituent involontairement un droit de
polluer au profit des transporteurs maritimes de substances polluantes et des
opérateurs pétroliers offshore.
2- L'institution involontaire d'un droit de
polluer
182Le Braer était un
pétrolier libérien avec une cargaison d'environ 84.700 tonnes de
pétrole brut. Ce navirea connu une panne de machine au sud des
îles Shetlands en janvier 1993. A cause de cette panne et desmauvaises
conditions météorologiques, le navire s'échoua et perdit
presque toute sa cargaison.
183Au titre des victimes
indirectes, furent indemnisées : une unité de réparation
d'équipements de pêche à lasuite de la baisse de son
chiffre d'affaires due à la mesure d'interdiction de la pêche
prise par le gouvernementbritannique ; un plongeur qui ne pouvait pas continuer
de mener ses activités de maintenance des filetsde pêche et des
cages de saumon ; un fabricant de glace dont le volume des ventes avait
baissé à la suite dela destruction des stocks de saumon vivant
dans la zone contaminée et la suspension des activités de
pêchedans la zone d'interdiction de pêche ; un fabricant de coffres
servant au transport de saumon ; une personnephysique dont l'activité de
subsistance consiste en la collecte des abats de saumon dans la
zoned'interdiction de pêche. Cf. BRANS (H.P. Edward), « The Braer
and the Admissibility of Claims for PollutionDamage under the 1992 Protocols to
the Civil Liability Convention and The Fund Convention », Env.Liability,
1995, p.65.
184 ibidem.
64
Cette aberration découle d'une part, du but
assigné au droit de la responsabilité civile et d'autre part, de
la nature du dommage indemnisable.
D'abord, pour l'aberration découlant du but
assigné au droit de la responsabilité civile, disons que la
reconnaissance involontaire d'un droit de polluer au profit des auteurs de
pollutions pélagiques découle de la nature même du droit
civil. En effet, ce droit ne permet pas d'obtenir une indemnisation
intégrale de la victime. Une indemnisation intégrale signifierait
que la situation de la victime serait la même avant et après
l'accident, une fois les dommages-intérêts octroyés
à celle-ci185.
Or il est bien établi que le droit de la
responsabilité civile (tel qu'il se présente en France et,
corrélativement, en République de Côte d'Ivoire) a un but
« correctif ». En d'autres termes, les
dommages-intérêts versés par l'auteur d'une pollution ne
sauraient excéder le préjudice causé. Cette situation
découle du fait que les juristes accordent plus d'importance au
rôle compensatoire de la responsabilité civile186.
Il est vrai que certains juristes n'écartent pas le
rôle dissuasif de la responsabilité civile760187. Il
n'empêche que les normes régissant l'indemnisation des victimes
d'un dommage mettent l'accent sur le désintéressement des
personnes ayant subi un préjudice imputable à une tierce
personne. Cette conception de la responsabilité civile diffère de
celle des économistes qui ont tendance à privilégier son
rôle dissuasif188.
Le but « correctif » assigné
à la responsabilité civile, à notre avis, ne contribue pas
à « assagir » les pollueurs éventuels. Par
exemple, un transporteur maritime de substances polluantes peut procéder
à une analyse coûts-bénéfices de la pollution qu'il
projette189.
Il en résulte qu'il est très avantageux pour lui
de polluer. A titre d'exemple, un exploitant d'une plate-forme
pétrolière pourrait choisir délibérément de
ne pas prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir les
déversements en mer de quantités incontrôlées
d'hydrocarbures (pollution accidentelle ou blow-out).
Dans ce cas de figure, le pollueur ne table plus sur une
quelconque faiblesse de la probabilité de découverte ;
l'installation pétrolière offshore ayant la
particularité d'être fixe. Il tablerait plutôt sur le peu
d'engouement des victimes éventuelles pour les longues et
coûteuses actions en justice surtout lorsque les inconvénients et
les incertitudes d'une action en justice excèdent les indemnités
que les victimes percevront190. Et dans l'hypothèse où
une telle action serait
185 OGUS (Anthony) et FAURE (Michael), Économie du droit :
le cas français, Paris, Éditions PanthéonAssas, 2002,
p.124.
186 FAURE (Michael), L'analyse économique du droit de
l'environnement, Bruxelles, Bruylant, 2007, p.89.Paradoxalement, le juriste (!)
Guido CALABRESI de l'École de Droit de l'Université de Yale aux
États-Unis fut, bien avant les économistes, le premier auteur
à étudier la fonction dissuasive de la
responsabilitécivile. Cf. CALABRESI (Guido), The Costs of Accidents. A
Legal and Economics Analysis, New Haven,Yale University Press, 1970.
Cité par FAURE (Michael), L'analyse économique du droit
del'environnement, op.cit, p.90.
187 Le professeur André TUNC écrit à ce
sujet: « L'indemnisation de la victime est, elle aussi, une
fonctionfondamentale de la responsabilité: on ne peut en douter. La
responsabilité doit à la fois décourager lescomportements
antisociaux et assurer l'indemnisation de ceux qui seraient victimes d'un tel
comportement».Cf. TUNC (André), La sécurité
routière. Esquisse d'une loi sur les accidents de la circulation, Paris,
Dalloz,1966, n°170. Cité par le Professeur Michael FAURE dans son
livre intitulé L'analyse économique du droitde l'environnement,
op.cit, p.88.
188 Une différence importante entre l'approche
juridique et l'approche économique de la responsabilitécivile est
que les économistes considèrent l'approche juridique comme une
approche ex post. Cela signifie que le juriste s'intéresse uniquement
à la responsabilité civile après que l'accident est
intervenu . . . Dans l'analyse économique de la responsabilité
civile, les règles de droit ont une fonction importante ex ante pour la
réduction des dommages. Cette approche ex ante signifie que les
règles de la responsabilité civile ont pour objectif d'inciter
les parties (l'auteur du dommage et la victime !) à prendre des mesures
de précautions pour prévenir les accidents. Cf. FAURE (Michael),
L'analyse économique du droit de l'environnement,op.cit, p.89.
189 Pour de plus amples informations sur
l'analyse coûts-bénéfices opérée par le
délinquant, consulterl'ouvrage des professeurs OGUS (Anthony) et FAURE
(Michael), Économie du droit : le cas français,op.cit,
pp.125-132.
190 Parfois un auteur d'accident peut échapper à
une action indemnitaire parce que le préjudice, quoiqu'important, est
réparti de manière éparse parmi les victimes. Par
conséquent, le préjudice subi par chaquevictime est si infime
qu'elles n'ont pas intérêt à un procès. Cf. FAURE
(Michaël), L'analyse économiquedu droit de l'environnement, op.cit,
p.220.
65
entreprise et sa responsabilité civile engagée,
le pollueur dispose des ressources financières nécessaires pour
désintéresser la partie adverse. Les paradoxes découlant
du droit de la responsabilité civile sont également dus à
la nature du dommage indemnisable.
Quant à l'aberration liée à la nature du
dommage indemnisable, le préjudice indemnisable est celui qui
revêt une nature économique, c'est-à-dire qui est
évaluable en termes monétaires. Par contre, les aspects touchant
aux échanges biologiques entre les différents
éléments altérés de la nature ne sont pas pris en
compte dans la fixation du montant des dommages-intérêts. Dans
l'affaire des Boues Rouges, des pêcheurs de Bastia, en France,
ont intenté une action en responsabilité contre la
société Montedisonpour les produits toxiques
déversés dans le milieu marin. Cet acte de pollution a
entraîné une « perte incontestable de la biomasse
»191.
Dans sa décision, le tribunal de grande instance (TGI)
de Bastia a accédé à la demande des pêcheurs de la
prud'homie de Bastia en leur octroyant des dommages-intérêts
calculés sur la base des prises de poissons qu'ils auraient pu effectuer
n'eût été la survenance de la pollution.
Par contre, les dégâts d'ordre écologique
n'ont pu être chiffrés afin de les internaliser dans le coût
de la pollution192. Il s'ensuit que les
dommages-intérêts mis à la charge de la
société Montedisonont été
inévitablement inférieurs à leur montant réel.
L'analyse ci-dessus nous conduit à dire que les
règles de la responsabilité civile sont peu protectrices du
milieu marin et des victimes humaines contre les actes de pollution marines
pélagiques. Dans le pire des cas, elles instituent une permission de
polluer dès lors que le pollueur est financièrement capable de
dédommager les victimes de pollution.
Les conventions internationales relatives à la
réparation des dommages résultant de pollutions pélagiques
ne sont pas exemptes de toute critique. Elles présentent aussi des
faiblesses qu'il importerait d'analyser. Mais qui serait volontairement
écarté pour un souci de méthodologie.
B- LES CARENCES DES INSTRUMENTS JURIDIQUES EN MATIERE
D'AMENAGEMENT COTIER ET DE PROTECTION DU LITTORAL
La Côte d'ivoire semble partager les mêmes
problèmes avec la plupart des autres pays africains à l'instar du
Cameroun dont les carences des instruments juridiques en matière
d'aménagement côtier découle d'un dispositif juridique
fragmentaire qu'on aurait pu croire révolu avec la loi-cadre de 1996.
Mais visiblement les réalités sont les mêmes confirmant
ainsi ce que pensait le Pr. KAMTO lorsqu'il déclarait que « ce
qu'il convient d'appeler le droit camerounais de l'environnement se
caractérise en effet par un éparpillement normatif tenant non
seulement à sa fragmentation sectorielle, mais aussi, sur un plan
général, au pluralisme du système juridique camerounais
»193. Aussi, les carences découlent de la non
spécification des textes en matière de protection du Littoral et
la vétusté de certains instruments.
191 LITTMANN (Marie-José) et LAMBRECHTS (Claude),
« La spécificité du dommage écologique »,
inSFDE, Le dommage écologique en droit interne, communautaire et
comparé, Actes du colloque organisé les21 et 22 mars 1991
à la faculté de droit, d'économie et de gestion de Nice
Sophia-Antipolis, Paris, Économica,1992, p.51.
192 A ce sujet, un des considérants du jugement rendu
par le TGI de Bastia le 4 juillet 1985 se présentecomme suit : «
que les experts ont précisé qu'il s'agit là d'un des
problèmes les plus complexes del'écotoxicologie marine . . . que
l'extrême diversité des organismes marins n'a pas permis aux
experts dedire ce qui était tolérable de ce qui ne l'était
pas en fonction de chacun d'eux . . . ». Cité par LITTMANN(M.J) et
LAMBRECHTS (C.), in « La spécificité du dommage
écologique . . . », op.cit, p.51.
193Pr. KAMTO, Op.cit., Avril 1992
66
1- Des dispositions juridiques fragmentaires
Comme nous l'avons évoqué un peu plus haut,
à l'instar des autres pays, le littoral ivoirien ne souffre pas de vide
juridique, il n'est pas dépourvu de réglementation. Le droit du
littoral ivoirien est constitué d'un ensemble de dispositions
fragmentaires en dehors de la loi-cadre de 96, qui sont à rechercher
dans des textes spécifiques qui touchent au domaine public maritime, aux
aménagement et planification territoriale, à l'urbanisme, aux
mines et énergies, à la réglementation de certaines
activités, à la lutte contre certains types de pollution et
à la protection de l'environnement en général, etc.
Ainsi par exemple, nous pouvons remarquer que les textes sur
l'urbanisme et la construction n'assurent qu'une protection limitée du
littoral. En effet, ces outils peuvent être utilisés comme des
instruments pour limiter ou même empêcher l'urbanisation des
certaines zones côtières. Néanmoins dans la pratique, les
documents d'urbanisme se préoccupent très peu, ou pas du tout, de
la protection du littoral194.
En outre, les textes sur la domanialité publique
n'assurent qu'une protection très limitée. Prenons en exemple les
critères restrictifs de délimitation du domaine public maritime
sur lesquels il se fonde, sont largement dépassés. Ou encore les
principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité sur
lesquels s'appuie la domanialité, sont souvent mis en échec par
les autorisations temporaires d'occupation systématiquement
renouvelées et qui se transforment en occupation de fait du littoral.
De même la législation sur les lotissements peut
être en principe, utilisée comme moyen pour protéger les
zones sensibles. Ainsi, on pourrait subordonner l'octroi des autorisations de
lotir et de construire à l'obligation de respect de l'environnement, du
moins textuellement. Toutefois, le problème de l'environnement est
rarement évoqué puisque ces autorisations sont souvent
délivrées sur la base de critères purement urbanistiques
(conformité ou non avec les documents d'urbanisme).
On peut également invoquer les textes
réglementaires sur les établissements dangereux, incommodes et
insalubres qui soumettent ce type d'activité à un régime
d'autorisation préalable et autorise l'administration à suspendre
l'établissement s'il a des effets dangereux sur la santé
publique. Ces textes ne visent pas directement à protéger
l'environnement et le milieu physique mais plutôt la santé des
populations. Pour assurer la protection des zones côtières la
loi-cadre de 96 ne prévoit aucun mécanisme immédiatement
opérationnel et se contente de renvoyer à d'autres dispositions
législatives et réglementaires. C'est malheureusement le propre
des lois-cadres.
Il faut tout de même dire que cette fragmentation en soi
n'est pas qu'uniquement négative puisqu'elle traduit aussi non seulement
l'implication de nombres d'administration mais plus encore le souci d'une
protection large du littoral ivoirien, globale, d'ensemble marquant ainsi la
transversalité qui doit être de mise pour une approche
intégrée de la protection du littoral. Les véritables
problèmes se trouvant être ceux du trop-plein de dispositions
concernant le littoral mais qui n'ont pas de réels applicabilité
pour moultes raisons.
194Au Cameroun par exemple, le SDAU, juin 1986, du
littoral nord et Sud Ouest ne font mention nulle part des préoccupations
environnementales des zones concernées, on n'y fait qu'une description
physique ; et leurs recommandations n'abordent quasiment pas le volet
environnemental.
67
Il s'agira ici pour nous de remettre en cause la substance des
textes législatifs et réglementaires concernant la protection du
littoral ivoirien et de leurs instruments. Ce sera un examen des textes que
nous aborderons de manière différente et où nous
présenterons les lacunes quant à la protection dans leurs
économies au travers du caractère global non spécifique
des textes et de la vétusté des instruments.
2- La non spécification des textes en
matière de protection du littoral et la caducité de certaines
politiques
A l'exception des textes internationaux et régionaux,
aucun texte législatif ou réglementaire du droit interne ivoirien
n'a spécifiquement tenu compte de la protection du littoral. Tous les
textes y relatifs sont des textes à la compétence globale
c'est-à-dire qui régissent la protection de l'environnement dans
son ensemble et non de façon particulière ou spécifique le
littoral.
La loi-cadre de 1996 déjà ne définit
nulle part dans son texte ce qu'elle entend par littoral lorsqu'on
perçoit les appréhensions qui peuvent naître quant à
sa définition (géographique / physique ou environnementale ?) ;
elle en aborde la mesure mais se contente plus de disposer dans un sens large,
la protection du littoral puisqu'elle penche plus pour l'environnement marin et
spécifiquement s'intéresse plus au problème des
pollutions, des mesures à prendre. On peut tirer une triple
leçon, malgré la pertinence et le caractère
révolutionnaire de ce texte à savoir que: la loi-cadre
visiblement ne se penche que sur les problèmes de pollution, de
domanialité et de responsabilité semblant ainsi occulter les
autres problèmes tout autant importants dont a à faire face le
littoral comme ceux de l'érosion côtière195 ou
encore de la destruction et disparition des mangroves, des
phénomènes de retraits de côte, de la surexploitation des
ressources côtières, les ravages du tourisme196, la
pression urbaine et démographique...
En outre, elle semble les avoir laissés aux
administrations dites concernées d'en trouver solution, mais
malheureusement nous ne percevons pas la pertinence ni des textes et ni de
leurs applications vu que nombres de difficultés censés
être tranchées ou résorbées par celles-ci se posent
toujours avec acuité comme celui de la pression urbaine et
démographique et d'autres encore.
Enfin, la gestion intégrée qui se voudrait
être si l'on la résume de manière simpliste une gestion
sectorielle dans une gestion globale avec une double approche consultative et
participative, a encore du chemin avant de voir sa totale effectivité
dans le cadre du littoral puisque celui-ci dans les textes ivoiriens n'est
principalement encore conçu que comme milieu annexe du milieu marin, ce
qui est là l'occasion pour en ajuster l'importance par un changement
conceptuel, politique et de gestion.
La deuxième analyse ou remarque qu'il conviendrait de
faire, après la question de la non spécification, c'est celle de
la caducitéde certaines politiques et instruments.
195« Nous avons ainsi pu établir que, ce
littoral...subit des changements indéniables...ceci à cause des
phénomènes d'engraissement et d'amaigrissement de la plage... Il
y a donc... rétrécissement des aires de plaisance des
touristes... la vitesse d'érosion à ces endroits est
estimée à 13,9 cm par an ...La moyenne de déplacement de
la ligne du rivage sur l'ensemble des zones se situant autour de 17 cm par an
au rivage de Kribi».,Tonye, Fangue, Akono, Ozer, « Estimation de la
vitesse de recul de la ligne du rivage par télédétection
sur le rivage kribien, Cameroun », p. 35. Cité par NGOYOK,
op.cit.
196« Beaucoup de pays ont payé 1 lourd tribut
lorsqu'il se sont rendus compte du grand déséquilibre entre les
capacités réelles des sites et l'afflux des arrivants.»
déclarait le Pr. Paul Tchawa en août 2004,Cité par NGOYOK,
op.cit.
68
En effet, cette vétusté peut être
abordée sous un double angle, celui de l'obsolescence des instruments
techniques de la protection du littoral et des politiques nationales.
D'abord, en ce qui concerne les instruments techniques, le
constat malheureusement est fait et claire : la volonté des
autorités compétentes est mise à mal puisqu'il n y a pas
de traduction au niveau des actes ; bon nombre d'instruments techniques qui
sont constitués pour la plupart par les documents techniques de la
planification urbaine et de l'aménagement du territoire ne sont plus
d'actualités, ils ne sont plus de toute jeunesse et souffrent d'un
manque d'actualisation. Quelques cas devraient nous en donner la
compréhension : sinon comment expliqué que le territoire en
général n'a pas eu de plan d'aménagement
réactualisé ?
Aussi, Aucun plan d'aménagement du littoral n'a jamais
été mis au point du moins réaliser. L'absence d'un
schéma directeur d'aménagement du littoral, l'inexistence d'un
programme intégré de gestion des zones côtières sont
les signes d'une carence notoire de la législation.
Quant à la caducité des politiques, quelques
fois, elle est en phase avec celle des instruments puisque les textes qui les
mettent sur pied ne sont pas eux-mêmes d'une certaine jeunesse; il
s'agirait juste de dire ici que certains des instruments ne sont pas
d'actualités ce qui en obère la praticité et la
réalité et qui en conséquence rend la protection du
littoral inopérante.
Nous citerons le cas du PNAE non révisé. En
fait, ce plan a été conçu pour la période 19962010.
Le PNDS n'est pas en reste puise qu'elle devrait couvrir la période
1996-2005. Pareil pour la DSRP proposé en 2002 qui n'a même pas
été adopté. Enfin, il serait légitime de tenir
rigueur aux initiateurs du livre blanc du littoral de la Côte d'Ivoire
(gestion intégré de l'espace littoral) produit en
2004197.Ce dernier reste un outil essentiel pour la protection du
littoral.
Au nombre des limites de la protection du littoral ivoirien,
en plus des problèmes juridiques, il y a aussi des faiblesses
institutionnelles et financières.
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