Annexe 8 - Chiffres de l'APFA (2013)
Classe et
équivalent français
|
Nb élèves :
français 1ère
LE
|
Zones rurales
|
Nb d'élèves :
français 2ème
LE
|
Zones rurales
|
III / CE2
|
4143
|
1962
|
|
|
IV / CM1
|
4380
|
2096
|
|
|
V / CM2
|
4308
|
2010
|
|
|
VI / 6ème
|
5471
|
3512
|
7943
|
432
|
VII / 5ème
|
5160
|
3444
|
7620
|
1609
|
VIII / 4ème
|
5246
|
3374
|
7306
|
1469
|
IX / 3ème
|
6136
|
3894
|
6635
|
1453
|
Situation du français dans l'enseignement
primaire en Albanie
Classe et
équivalent français
|
Nb élèves :
français 1ère LE
|
Zones rurales
|
Nb d'élèves :
français 2ème LE
|
Zones rurales
|
X / 2nde
|
4620
|
1910
|
3844
|
991
|
XI / 1ère
|
4695
|
2104
|
4020
|
835
|
XII / Tle
|
4723
|
2253
|
2854
|
665
|
Situation du français dans l'enseignement
secondaire général en Albanie
Classe et
équivalent français
|
Nb élèves :
français 1ère LE
|
Zones rurales
|
Nb d'élèves :
français 2ème LE
|
Zones rurales
|
X / 2nde
|
5093
|
0
|
1255
|
0
|
XI / 1ère
|
439
|
0
|
879
|
70
|
XII / Tle
|
426
|
0
|
686
|
0
|
XIII (dernière classe à la fin de l'année
scolaire 2012-3)
|
390
|
0
|
412
|
0
|
Situation du français dans l'enseignement
secondaire professionnel en Albanie
XIV
Annexe 9- Interview informateur 01-H
Note de lecture : 1 personne interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses formulées par l'informateur en caractères
standards.
Profil de l'informateur :
Profession : enseignant masculin
Lieu d'activité : enseignement public universitaire et
réseau associatif
Expérience à l'étranger : en France, M1 DFLE
avec bourse
Formation initiale : sous le communisme
Contexte d'entretien : j'étais initialement
partie de l'hypothèse qu'il y avait une baisse d'intérêt
pour les langues étrangères avant de déporter mon
attention sur ce qui est fait des langues étrangères et la
conséquence de la vision projetée sur les langues
étrangères par les institutions albanaises et la
conséquence de ces représentations sur celles des locuteurs.
Cet entretien a été retenu parce qu'il est le
plus représentatif vis-à-vis de la place des langues
étrangères sous le communisme.
Interviewer : Amélie Gicquel
Prise de notes avant enregistrement :
1. « A l'époque, la seule école des langues
étrangères était à Tirana. »
2. « Seuls les enfants des familles aisées
avaient accès à cette école, cela signifie que leurs
parents devaient occuper des postes importants ».
3. « Les langues étrangères ne sont plus
vues comme un ornement ».
4. « Il faut voir les disciplines universitaires selon
le travail qu'elles offrent ensuite. Et l'anglais domine parce que c'est une
langue qui est largement demandée par les entreprises albanaises
».
5. « Après la chute du communisme, les profs
étaient très mal payés. Pour subvenir aux besoins de leur
famille, les hommes changeaient de travail. Ca a provoqué une
dévalorisation de la profession d'enseignant, il n'y avait plus aucun
intérêt à devenir prof ».
6. « Connaître une langue n'est pas une profession
».
7. « On trouve dans les lycées
généraux des élèves qui sont meilleurs qu'au
lycée des langues ».
8. « Maintenant, on peut trouver des jeunes qui parlent
très bien français ».
9. « En tant que profs, on attend des jeunes qui sont
motivés, mais ils ne sont pas bêtes ! Ils savent que leurs
connaissances linguistiques et langagières, bonnes ou mauvaises, ne leur
donneront aucun avenir, alors pourquoi se fatiguer ? »
10. « Va dans une école et demande à un
prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et
de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la
politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur
enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous
répondre médecine ! »
11. « S'il y avait plus de postes d'enseignants, il y
aura un plus grand intérêt ».
12.
XV
« Objectivement, on apprend le français pour avoir
un travail, lequel ? Ca peut être prof, interprète, dans une
association, dans une entreprise. Mais il y a très peu de travail dans
ces domaines là avec la langue française. »
13. « Les étudiants étudient le
français pour avoir un diplôme, c'est tout ».
14. « Il y a peu de demandes pour le français
pour des raisons économiques ».
15. « L'Italie, c'est différent, parce que c'est
comme un second pays, surtout pour des raisons d'émigration.
Après, le nombre de demandes d'études pour l'Italie a
certainement dégringolé depuis la libre circulation. Avant, on
demandait à aller étudier en Italie pour émigrer, et on
allait en cours que les deux premiers jours. Maintenant, on peut
légalement rester 3 mois en Italie sans papier particulier. »
16. « Quelle différence entre l'Italie et la
France, il y a plus de familles en Italie. Pour quelles raisons les
étudiants choisissent telle ou telle université ? Raisons
économiques et proximité familiale, que ça soit en Albanie
ou à l'étranger ».
17. « L'Albanie, c'est un petit pays. C'est
l'économie du marché qui dicte le choix de ses études
supérieures maintenant ».
Entretien enregistré :
18. Et où est-ce que tu pouvais apprendre le
français tout seul à l'époque ?
19. Je ne sais pas. Ils lisaient des livres en cachette. De
toute façon, ce n'était pas la langue parlée qu'on
apprenait. C'était la langue des livres...
20. Oui j'ai entendu une interview d'Edi Rama sur
France Inter et il parle très bien français ! Très bon
francophone.
21. Ah oui oui, il parle très bien italien, anglais,
français. Comme personne, il est super.
22. Comme linguiste ?
23. Non non, mais même comme artiste, c'est la personne
qui parle le mieux.
24. Le meilleur orateur ?
25. Le meilleur orateur. Donc c'est vraiment quelqu'un.
Après, au niveau... En tant que Premier Ministre, moi je ne sais pas.
26. C'est une autre question.
27. On va voir.
28. Mais justement, dans cette interview
où Edi Rama passe sur France Inter, il disait qu'il avait appris le
français en lisant.
29. Tout le monde faisait ça. A l'école aussi !
Qu'est-ce qu'on faisait ? On lisait un texte, on apprenait les mots nouveaux.
Voilà, on expliquait les mots. Voilà, mais après, on ne
pouvait pas construire une phrase exacte ! A propos du texte, tu pouvais
répondre très bien. A propos des personnages...
« Qu'est-ce que Monsieur Dupont fait ? » «
Monsieur Dupont monte dans sa voiture. »
« Est-ce qu'il a des enfants ? » « Oui, il a deux
enfants »
« Comment il s'appelle ? » « Il s'appelle...
»
XVI
Mais après, au moment où on se mettait en face
d'un Français, c'était autre chose. On ne pouvait pas !
C'était interdit. Ne pas parler à un étranger.
30. Ouais, j'ai lu un livre là dessus. Des
Français qui vivaient en Albanie en 1976 et qui étaient
constamment suivis par la police secrète, pas du tout
discrète.
31. En plus, c'est une période, vraiment, de
transition. On ne peut pas vraiment créer d'idée...
32. Oui, c'est ce que je pense aussi, ce qui me
provoque certaines difficultés.
33. On peut faire des hypothèses, mais on ne peut
pas... Je pense que c'est instable.
34. Après, j'avais aussi une
hypothèse, c'était qu'avant, on apprenait une langue
étrangère... après la chute du communisme, je veux dire.
On apprenait une langue étrangère pour se donner la chance
d'aller à l'étranger, ou de se permettre de rêver qu'on
irait à l'étranger. Alors que maintenant, est-ce qu'on n'en est
pas à un moment donné où les Albanais se disent «
Développons un peu l'Albanie ». « Permettons à nos
enfants d'étudier des sciences comme l'économie, comme la
médecine, comme le droit. Laissons les développer notre pays
plutôt de laisser fuir nos jeunes. »
35. Non, je ne pense pas. Nos jeunes n'étudient pas
l'économie pour changer l'économie, mais parce que c'est ce
qu'ils veulent faire. Tu vois, tu as mon exemple. Mon fils pouvait très
bien venir faire des études de français à Elbasan.
Pourquoi il n'est pas venu ? Là, il avait toutes les facilités !
J'étais là, je pouvais l'aider, je pouvais lui faire ses devoirs,
ses essais. Lui mettre des 10 partout. Pourquoi il fait ça ? Il est
à Tirana et il fait de l'économie parce que je pense qu'il a de
l'avenir et lui, il pense que c'est la profession qu'il veut faire.
36. Ouais, mais prof, tu ne serais pas un cas
particulier ? Tu as eu la chance de faire des hautes études, tu es quand
même intéressé par un certain niveau intellectuel, je veux
dire. La classe à laquelle tu appartiens est finalement assez
réduite en Albanie, non ?
37. Même les plus...
38. Les plus modestes ?
39. Les meilleurs étudiants ne viennent pas des
familles aisées.
40. Non, c'est vrai, mais je ne pensais pas
à l'argent, je pensais plutôt au niveau
intellectuel.
41. Etre intellectuel, c'est un peu par hasard. Tout
commence... Parce que moi, je suis intellectuel de l'époque d'Enver
Hoxha. Il fallait être brave à l'âge de 14 - 18 ans. C'est
là. Si tu ne travailles pas à cet âge-là, tu ne
pouvais pas devenir intellectuel, parce qu'à partir de la moyenne, on
choisissait d'abord si on voulait faire des études supérieures ou
pas.
42. Des études à
l'université, je comprends bien ?
43. Oui.
44. Mais alors juste une question, un
détail... L'école était obligatoire jusqu'à la fin
du lycée ?
45. Non, c'est l'école de huit ans qui était
obligatoire. Et la plupart des gens allaient au lycée. Pour pouvoir
aller à l'université, il fallait avoir une bonne moyenne.
XVII
Mais c'était à l'âge de l'adolescence. Pas
tout le monde, pour des raisons de famille, des raisons psychologiques,
voilà... Mais si tu ne pouvais pas faire des études
supérieures, tu allais travailler dans une fabrique, dans une usine, ou
ailleurs. Un hasard. Parce que par hasard, moi j'étais appliqué,
psychologiquement, j'étais capable de faire des études et
d'apprendre bien. Dans une famille, s'il y avait plusieurs enfants qui avaient
fait des études supérieures... donc si mon frère avait
fait ingénieur, moi, je n'avais pas le droit de faire des études,
d'avoir une bourse d'études.
46. C'est le gouvernement qui décidait de
ça ?
47. Oui oui ! Enfin, ce n'était pas une loi
écrite comme ça, mais si pour devenir médecin, à
l'Université de Tirana, il y avait 5 places, admettons. Il y avait 10
demandes, alors, si moi j'avais un frère qui avait fait des
études, moi j'aurais été le premier exclu. Parce que les
autres n'avaient pas cette situation. Il y avait ceux qui n'avaient pas une
bonne biographie. Mon frère, ou mon père avait fait 5 ans de
prison, alors moi, j'aurais été exclu. Donc, la différence
que j'ai avec un autre...
48. / L'interviewé répond au
téléphone/
49. ...Donc voilà. Le désir, la capacité
de transmettre aux enfants la volonté d'aller à l'école
est la même. Si j'envoie mon fils à Tirana, il fera la même
chose avec ses enfants. Donc, il ne faut pas être intellectuel pour
comprendre que c'est mieux de devenir ingénieur...
50. Non, c'est sûr ! Certes
!
51. C'est mieux que de devenir prof de français dans
un village. Mais je dis prof de français, mais prof d'autre chose...
52. Ou prof de quoique ce soit... Moi je ne
décroche pas, quand même... Je garde toutefois l'idée qu'il
y a un désintérêt grandissant pour les langues
étrangères.
53. Non. Tu me dis les langues étrangères...
?
54. C'est ce que tu disais avant, un «
ornement ». Celui qui allait à l'Université des
Facultés Etrangères, c'était un ornement.
55. Il y a 20 ans, celui qui est allé à
l'étranger, c'était un extraterrestre. Même s'il y allait
deux jours. Les chauffeurs des camions, parce qu'il faisait l'import / export
des produits albanais, ils avaient plus de prestige que les professeurs, parce
qu'il allait à l'étranger ! Le fait d'aller à
l'étranger, c'était quelque chose, donc c'était pareil
pour les langues étrangères. Ca n'existe plus. Quelquefois,
ça prend des connotations négatives. « Lui, il est
allé en Grèce... » La Grèce, tout le monde va en
Grèce. Donc personne ne peut se vanter, même si tu es avec des
villageois... « Bah, je suis allé à Paris pendant trois
mois... » Aujourd'hui, passer un séjour à l'étranger,
ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel. Maintenant, parler une langue
étrangère, c'est quelque chose de très normal. Est-ce que
tu sais combien de centres de langues il y a à Elbasan ?
56. Non, mais je me suis posé la question
!
57. On ne peut pas les compter. Enormément. Tout le
monde prend des cours privés. Qu'est-ce que ça montre ? Qu'il y a
une baisse d'intérêt pour les langues étrangères ?
Non. Tout le monde apprend les langues étrangères dans des
cours
XVIII
privés, pas à l'école ! A partir de la
quatrième classe, à partir de 10 ans. Moi, mes enfants, ils ont
fait 5 ans d'anglais, 3 ans de français. Mais tout le monde fait
ça, pas que moi ! Parce que les gens savent aujourd'hui qu'une langue
étrangère est indispensable. Je ne dis pas que le français
est indispensable... une langue étrangère ! Parce que pour
travailler, il faut une langue étrangère, les annonces qui
proposent du français disent qu'il faut telle ou telle langue.
L'ordinateur, tel programme va être en langue étrangère.
58. Donc, moi, je suis contre. J'entends des choses parfois,
je ne peux pas parler, mais souvent, je suis contre tout le monde, mais je ne
dis rien. J'entends que les jeunes d'aujourd'hui, ils n'apprennent pas.
59. C'est ce que j'entends !
60. Pour moi, c'est le contraire.
61. Ils apprennent
différemment...
62. Le meilleur à mon époque, il est moins bon
que le meilleur d'aujourd'hui. ***
63. Oui, c'est ce que tu me disais tout à
l'heure. A l'époque, les élèves étaient
limités à des livres, à des textes, alors qu'aujourd'hui,
ils ont la liberté de se renseigner par eux-mêmes. Il n'y avait
pas de possibilité d'accès à des supports qui auraient
permis aux élèves de l'époque d'en apprendre
plus.
64. Non. A l'époque, on travaillait avec Mauger, qui
était déjà désuet. Maintenant, on trouve des livres
albanais, où les gens ne s'appellent pas Pierre et Paul, mais Sokol,
Arben, etc. Donc, une langue française pour les Albanais. Donc
voilà, je ne sais pas... Moi, je ne comprends pas. Personne n'apprend
les langues étrangères à l'école, en Albanie. Et
ça, je ne comprends pas, vraiment. Donc c'est, c'est nul.
65. Est-ce que ce n'est pas parce qu'aujourd'hui,
on sait tous, plus ou moins, que les profs de langues étrangères
dans les écoles sont mauvais ?
66. Bah c'est pour beaucoup de raisons, pas uniquement... A
cause du nombre d'élèves dans les classes, les méthodes
qui ne sont pas appropriées...
67. Oui, non, c'est sûr qu'on ne peut pas
rejeter toute la faute sur les enseignants !
68. S'il y a un peuple qui veut s'ouvrir sur
l'étranger, c'est le peuple albanais ! C'est normal, le peuple le plus
isolé a le plus grand désir de s'ouvrir ! Et alors ? Pour aller
vers l'étranger, il faut une langue étrangère. Et les
langues étrangères pour les Albanais le français,
l'anglais, l'italien... Le grec, bon, pas besoin de l'apprendre parce qu'on va
travailler, on ne va pas faire des études, déjà, il y a
une communauté albanaise en Grèce qui est importante.
69. / L'interviewé répond au
téléphone/
70. ... Donc voilà, c'est facile, mais c'est difficile
en même temps ! Et puis si tu vas imposer le français dans une
école où les gens ne sont pas du tout intéressés,
ça ne sert à rien, donc on fait le français dans cette
école-là. C'est ça la politique, on fait le
français, mais ils n'ont pas réfléchi à quoi
ça sert le français. Par contre, si on associe deux langues,
qu'à côté de l'anglais, on fait du français,
ça, c'est de la politique, tu vois ? Parce que, qu'est-ce qu'ils vont
faire ? Tu sais ce que les gens ont fait ? Je te montre aussi une chose,
ça peut être intéressant. Ils changent d'école parce
qu'il n'y a pas l'anglais. Voilà, mécontents de ce seul fait, ils
vont dans une autre école. La
XIX
politique doit aider, doit suivre l'intérêt des
gens, un peu. Mais pas imposer, parce que ça va entraîner de la
résistance. On se disputait, moitié anglais, moitié
français. Mais c'était fou, ce n'était pas juste, parce
que tout le monde voulait apprendre l'anglais. Quand je dis moitié,
moitié, c'est que sur 6 classes en première, par exemple, il y
avait 3 qui faisaient le français et 3 qui faisaient l'anglais, pour
garder un équilibre entre les langues et ce n'est pas juste. Ceux qui
faisaient anglais étaient contents et ceux qui faisaient
français, ils étaient mécontents.
71. C'était complètement
arbitraire.
72. Arbitraire, parce que ça allait contre le
désir. Alors une bonne politique, c'est quoi, c'est faire 3 heures
anglais et 2 heures en français. Ceux qui étaient en
première année, peut-être, ils savaient qu'ils allaient
faire un peu plus dans les autres années. On peut résoudre la
politique, les institutions peuvent résoudre le problème. Mais
pour ça, il faut connaître la réalité !
73. Et tu penses qu'ils ne connaissent pas la
réalité, en fait ?
74. Ils ne sont pas sincères. Nous avons toujours eu
des gouvernements et des politiques qui ne sont pas sincères. Tu sais la
dernière, donc la phrase qu'on répète souvent ? « On
a de très bonnes lois qu'on ne respecte pas ».
75. C'est quelque chose que tu entends
?
76. Tout le temps ! C'est un leitmotiv. Pourquoi ? Parce
qu'au moment où ils ont fait la loi, ils n'étaient pas
sincères. Ils ont fait une loi qu'on ne pouvait pas appliquer. Tu sais ?
Ils ont dit pour avoir un Master, il faut avoir le B2. Tous les
étudiants, pour avoir le Master, il faut qu'il ait un niveau...
même pour avoir accès à un Master, il faut le niveau B2 en
anglais.
77. N'importe quel Master ?
78. N'importe quel Master. Obligatoire. Pour avoir un
doctorat, il faut avoir . Qu'est-ce que ça veut dire ? Qui est celui qui
a dit ça ? Est-ce qu'il est sincère ? Est-ce que c'est vrai,
est-ce que c'est juste ? C'est ça qui manque. Parce que moi, je peux
dire, en tant que prof, parce que moi, je sais quelle est la meilleure chose
à faire. Donc si je dis « demain, je veux que vous lisiez tous les
romans de Balzac. » 100 romans. Ce n'est pas faisable ! Même si je
dis « vous allez lire un roman par semaine ». Je ne le dis pas parce
que je sais qu'ils ne le font pas, et ils ne sont pas capables. Alors, c'est
mieux pour le moment de faire une loi qui soit applicable. Ils ne sont pas
sincères !
79. Mais alors, en fait, j'ai pensé
à quelque chose entre temps. Tu me dis qu'il y a cette loi qui exige des
étudiants d'avoir un niveau 82 en Master. Mais quand tu regardes les
lois européennes, les élèves à la sortie du
lycée, normalement, doivent avoir le niveau 82 en langues
étrangères.
80. Oui, mais c'est pareil en Albanie.
81. Eh bien, est-ce que ce n'est pas une
volonté des politiques d'essayer de se mettre à niveau des lois
européennes ?
82. Oui, sûrement. Mais regarde, l'examen pour les
langues étrangères cette année au BAC, ça sera de
niveau A2.
83. Oui, j'ai entendu, A. me l'a
dit.
84.
XX
Mais quoi ? Les programmes institutionnels, faits par les
grands-pères de la méthodologie et de la didactique albanaises
demandent un niveau B2 au lycée. Qu'est-ce qui a changé d'une
année à une autre ? Parce qu'ils ne sont pas sincères par
rapport à la réalité. Ce n'est pas possible. On ne peut
pas demander à nos étudiants de faire des choses qu'ils ne
peuvent pas ou qu'ils ne savent pas faire. Tu sais comment le problème
des langues étrangères à l'école a
été divisé, à Elbasan ? Je te raconte. Tu sais que
le boulevard coupe Elbasan en deux ?
85. Oui, oui.
86. Toutes les écoles qui se trouvent au Nord du
boulevard font anglais, et toutes les écoles qui se trouvent au Sud du
boulevard font du français.
87. C'est vérifié, ça
?
88. Non, mais à 80% ça peut se vérifier.
Ca a été fait comme ça. Une décision,
voilà... On n'a jamais eu de politiques, voilà... Même
à l'époque du communisme, le français était appris
comme première ou deuxième langue, ça ne correspondait pas
vraiment au désir de tout le monde d'apprendre le français.
C'était une obligation. Si tu veux voir vraiment l'intérêt
pour le français, il faut regarder le système privé.
Combien il y a d'élèves qui apprennent le français
à Elbasan, à l'Alliance ? Je te le dis, je connais. L'allemand :
40, grand maximum ; français : 70 ; italien : pareil, comme le
français, même un peu moins, peut-être, anglais, 10 fois
plus. Parce que moi, je connais les centres de langues. Il y en a une
quinzaine, à Elbasan. Parce que c'est aussi politique, l'ambassade
demande auprès du Ministère que le français soit la langue
apprise dans les écoles. Mais pareil font les Allemands, et pareil font
les Italiens.
89. C'est au meilleur offrant.
90. Oui.
91. C'est naturel, c'est humain. Dans l'importe
quelle situation, tu as plusieurs offres, tu vas prendre ce qui te rapporte le
plus. C'est un jeu d'influence.
92. Le système scolaire ne montre pas vraiment, la
réalité, le désir.
93. Parce que donc je suis divisée entre
deux choses. Soit je parle des stratégies et des identités
plurilingues en Albanie...
94. Mais tu as raison, c'est intéressant cette
idée de fragmentation, il faut bien le... Mais quand tu regardes
l'histoire des langues étrangères en Albanie, c'est un peu comme
ça. /L'interviewé mime avec ses mains des blocs
distincts les uns des autres/. Français, anglais,
italien... Ne parle pas de l'italien, personne ne l'apprend à
l'école ! On apprend très peu l'italien à l'école,
tu sais ? Voilà, donc c'est vraiment fragmenté. Donc le russe
disparaît, ensuite c'est l'anglais qui sort. C'est l'italien qui est la
langue la plus parlée, mais qu'on n'apprend le moins à
l'école. Il n'y a pas de suivi. Il y a toujours des blocs, des
étapes. Et dans ce sens, on peut peut-être parler après de
transition, donc d'une étape à une autre.
95. Non, moi, je ne pensais pas au niveau
historique, mais plutôt en synchronie. C'est à dire entre le
niveau micro et le niveau macro, et puis vous entre les
deux...
96. Oui, mais d'où vient cette fracture ? Ca vient
aussi un peu de l'histoire. Comment on a traité les langues
étrangères, avant...
97.
XXI
Mais c'était ça mon sujet au
début, tu te rappelles, la première fois que je t'en ai
parlé. Le rapport de l'Albanie aux langues
étrangères.
98. Si la langue étrangère est une nourriture,
donc on va donner au peuple ce qu'il a envie de manger. Tu vois, c'est
ça qui crée la fracture. Ils nous imposent de manger du pain, et
moi je veux manger des chocolats. C'est ça ! Parce qu'il y a A. qui va
voir le Ministre, ils boivent un verre. Le Ministère va dire oui.
Ensuite, il y a l'Allemand qui va arriver avec des bouteilles de schnaps, le
Ministre va dire : « l'allemand aussi ». Après, il y a
l'Italien avec du Limonccello, et le Ministre va dire « on apprend
l'italien ».
99. Mais c'est aussi pour ça que j'ai
abandonné mon idée de politiques linguistiques. Pour tout, les
choses se décident...
100. Nous ne sommes pas un pays normal.
101. Vous n'êtes pas un pays normal
?
102. Non.
103. Mais moi j'aime bien l'Albanie I
(rires)
104. Oui, mais ça c'est une chose. L'autre jour, il y
a un étudiant de deuxième année, il se plaignait de MS
parce qu'il n'arrivait pas à avoir le code, tu sais le code pour voir
les notes. Il s'était énervé : « MS ne me les donne
pas à chaque fois, j'ai le droit de faire ça. » Je lui ai
dit « Tranquillise toi, nous ne sommes pas dans un pays normal. Je
t'explique, si on était dans un pays normal, tu ne serais pas devant moi
en ce moment, parce que tu ne mérites pas de passer en deuxième
année. Donc tu n'aurais pas besoin du code pour aller chez MS. Donc,
tranquille ! » (rires). On ne peut pas raisonner.
105. Mais qu'est-ce que je fais là ? Je te
jure I Moi ce pays me fascine.
106. Mais oui, nous sommes le pays le plus heureux !
107. Ouais, oh le peuple le plus heureux, je ne
sais pas...
108. Eh le peuple le plus heureux, je ne sais pas. Mais nos
étudiants sont les plus heureux du monde.
XXII
Annexe 10 - Interview informateur 02-I
Interviewer : Amélie Gicquel
Note de lecture : Une personne interviewée. Les
questions posées par l'enquêteur sont en italique et les
réponses en caractères standards. Certains extraits ont
été retirés de l'interview reportée ici car pas en
aucune adéquation avec le thème traité.
Profil de l'informateur :
Profession : masculin, ancien
étudiant au moment de l'entretien, Master en enseignement du
français terminé non obtenu, pas de projet de passer le niveau B2
en anglais et le stage obligatoire
Expérience à l'étranger :
migration vers la Grèce pendant l'adolescence / en France,
stage FLE en université française grâce à un
programme d'échange d'étudiant Formation initiale :
post-communisme
1. Voilà. Alors, pour commencer, je
voudrais savoir quelles langues tu parles ?
2. Ok, je parle français, grec, italien, espagnol,
anglais, allemand, portugais.
3. Est-ce que tu peux me dire comment est-ce que
tu appris chacune de ces langues ?
4. Oui bien sûr. Alors la première langue que
j'ai apprise, c'est l'italien. J'avais 6 ans et je l'ai apprise par la
télé, en regardant des dessins animés, parce que quand
j'étais petit, on avait beaucoup de chaînes italiennes et elles
n'étaient pas en sous-titres albanais, toutes les séries et tous
les films ! Et en demandant des mots que je ne connaissais pas à ma
mère, parce qu'elle parlait elle-même aussi italien, parce qu'elle
avait appris de la même façon. L'italien, c'est donc la
première langue que j'ai apprise.
5. Mais tu parles aussi italien avec ta
mère, ou quand tu étais petit, vous parliez italien
?
6. Oui, un peu. Un peu, mais tu vois on regardait des films
et on comprenait tout. Et après à l'école, j'ai
commencé un peu l'anglais. J'étais en quatrième, euh, en
cinquième classe. Après, je suis parti en Grèce.
7. Et alors l'anglais, tu en avais combien
d'heures par semaine ?
8. Pas beaucoup, trois ou quatre heures. Mais le prof, il
était un peu différent des autres, parce qu'il nous expliquait
les mots nouveaux, euh, les nouveaux mots, il ne les écrivait pas, mais
il dessinait le mot. Et donc on lui disait qu'est-ce que c'était.
9. Pourquoi tu es parti en Grèce
?
10. Emigration avec ma famille, parce que ma tante aussi,
elle vivait en Grèce, elle est mariée avec un Grec. Je ne savais
pas du tout le grec, tu vois ? Je suis parti en août et en septembre, je
me suis inscrit en sixième. En un mois, j'ai appris le grec.
11. Est-ce qu'il y avait d'autres Albanais dans
l'école où tu étais ?
12.
XXIII
Dans l'école, oui, il y avait aussi des Albanais qui ne
voulaient pas parler albanais. Ils se considéraient comme des Grecs, je
ne sais pas pourquoi. Mais dans mon quartier, j'avais un ami d'Himara. Il
était un an plus grand que moi. Mais c'est très bien
allé... Tous les cours c'était en grec, voilà.
13. Tu continuais à parler albanais avec
ta famille ?
14. Oui, bien sûr.
15. Mais tu ne parlais pas albanais en dehors
?
16. Rarement... Quand il y avait des Albanais, avec ma
soeur.
17. Mais avec les autres Albanais, non. Il y en a
qui refusaient complètement de parler albanais...
18. Oui ! Parce qu'une minorité, qui s'appelle de
l'Epire, du Nord de la Grèce, mais il y a des Albanais qui se
considèrent Grecs. Je ne sais pas pas, pour les papiers peut-être.
Les Grecs, ils n'aiment pas beaucoup les Albanais.
L...]
19. Donc tu as aussi appris le français en
Grèce ?
20. Oui, mais je n'apprenais pas beaucoup.
21. Pourquoi ?
22. Je n'étais pas motivé parce qu'avec mes
amis, on se moquait des mots en français.
23. Et comment tu voyais le français
à cette époque ?
24. L'évaluation à l'école,
c'était de 0 à 20. Et en français, j'avais 15 ! Non ! 14.
Sur 20. Mais en anglais, j'avais plus. Ouais, j'avais 16 ou 17.
25. Et tu étais plus motivé
à apprendre l'anglais ?
26. Non, même pas l'anglais ! En Grèce, je
n'apprenais pas du tout. Dès que je terminais l'école, j'allais
chez moi. Je n'ouvrais pas les livres. Le matin, je changeais les livres pour
les cours de la journée.
27. Et pourquoi tu n'étais pas
motivé ? Tu sais le dire ?
28. Parce que j'avais beaucoup d'amis, on faisait n'importe
quoi. En plus, j'avais 13 ans, 14 ans, tu vois ? On voulait jouer, on voulait
faire n'importe quoi !
29. Hum, hum. Tu rentrais en Albanie quelques
fois sur tes quelques années en Grèce ?
30. Oui, on rentrait, on rentrait... Mais. Ca me manquait,
parce qu'en Grèce, quand je suis allé la première fois,
ils étaient très méchants avec moi et ma soeur. Comme on
était des Albanais, on s'est disputé avec beaucoup de Grecs. Le
temps qu'on s'adapte, qu'ils nous acceptent. Après, on a appris la
langue, et on n'a pas eu de problèmes.
31. Tu t'es senti accepté à partir
du moment où tu as commencé à communiquer en
grec.
32. Oui.
33.
XXIV
Suffisamment bien ?
34. Mais même en Grèce j'avais des
problèmes dans la classe. Parce qu'il y avait beaucoup de filles, des
filles surtout. Des garçons qui nous disaient chaque jour « vous
êtes des esclaves, vous êtes nuls, on vous nourrit, si on
n'était pas là, vous seriez morts ! ». Et je les tapais.
Mais taper, vraiment ! Il y avait aussi des psychologues à
l'école et une fois, je me souviens... Parce qu'en Grèce, des
fois, ils font des élections, pour le président de l'école
et tout ça. Pour les étudiants, voilà. Et en maths, une
fois, j'ai eu une meilleure note qu'un Grec. Et lui, il a fait n'importe quoi !
« Pourquoi le prof... ». Il a fait des grèves, il a tout fait
contre moi. « Le prof a mis une meilleure note à l'Albanais. »
Ah, c'était comme ça. Au début, c'était difficile
pour moi, mais après j'ai connu mon ami albanais, et plus personne ne me
disait plus rien.
35. (rires).
36. Oh ouais... Oui, mais il fallait se battre chaque jour !
En plus, je me suis inscrit en boxe, parce que je ne les supportais plus.
Chaque jour, la même chose. Seulement « vous êtes ça,
vous êtes ça ». Après, ils ne disaient plus rien.
37. J'imagine ! Donc quand ta famille t'a dit
« On rentre à la maison, on rentre en Albanie », d'un
côté, tu te sentais bien, c'est ce que tu
disais...
38. D'un côté oui, mais de l'autre
côté, j'avais mes amis là, j'étais habitué
à la vie en Grèce, à Athènes. Et on est
rentré, mais ici ça s'est passé pire qu'en Grèce,
quand je suis rentré à l'école. J'avais des
difficultés à parler en albanais, à m'exprimer, parce
qu'imagine, quatre ans, en Grèce ! Les connards, ici à
l'école, à la place de m'aider, ils se moquaient de moi. Parce
que je m'habillais différemment, j'avais un sac à dos, mais ici,
il y avait tout changé ! C'était pas comme j'avais laissé,
le temps avant que je parte. Ils étaient très sérieux, ils
s'habillaient avec des vêtements sérieux, des chemises, sans sac,
tout ça... Avec un petit dossier ou ils laissaient les livres sous le
banc. Ils ne prenaient pas avec eux. Moi, je m'habillais avec des
vêtements de sport, c'était différent. Et je me sentais...
Je me sentais mal, un peu, tu vois ? Je me sentais un étranger dans mon
pays, voilà. Et ça m'a beaucoup influencé sur mon
caractère. Pendant le cours, je savais la réponse, mais je ne
répondais pas, parce que j'avais de la honte à parler. Je parlais
avec l'accent grec... Mais quand c'était l'examen, je parlais beaucoup !
Le prof, il était surpris. Il disait « Il parle jamais, mais quand
il écrit, c'est le meilleur ! ». Mais après ça a
changé... Et en plus quand je me suis inscrit, j'ai perdu un an. Je
devais m'inscrire ici en première année de lycée, mais je
me suis inscrit ici en huitième, parce que de mon temps, l'école
primaire, c'était 8 ans et 4 ans pour le lycée. Après,
j'ai choisi d'étudier le français, parce que.
39. Qu'est-ce qui a fait que tu t'es inscrit dans
le lycée des langues ? C'est toi qui as choisi ? Ce sont tes parents
?
40. Les deux, moi et mes parents aussi, on a
décidé ça.
41. Qu'est-ce qui vous a fait décider
ça ?
42. Parce que moi l'italien, déjà, je parlais.
L'anglais un petit peu, je parlais aussi. Le grec, oui ! Et le français,
comme j'avais fait en Grèce, j'avais quelques connaissances. Et j'ai dit
en plus... Oui, j'avais des cousins en France, d'espérer, tu vois ?
Qu'ils m'aident après.
43. Et à aucun moment donné la
question d'aller dans un lycée général s'est posée
?
44.
XXV
Non ça a été le lycée des
langues.
45. Tes deux parents étaient d'accord
?
46. Oui.
47. Et toi aussi ? Donc tout le monde
était content.
48. Oui !
49. Donc tu as commencé au lycée
des langues. Comment tu voyais ça, toi, aussi ? Tu avais
déjà toutes ces langues que tu connaissais bien ou très
bien, et apprendre encore en plus le français, tu le sentais comment ?
Rappelle-toi ton premier jour au lycée I Comment tu te sentais ?
C'était quoi le premier jour ?
50. Ah, j'étais stressé, beaucoup,
j'étais timide. Parce que la première fois au lycée, tu
vois ? Il y avait aussi les quatrième années, les plus grands
là, je les regardais.
51. Et alors petit à petit, au fil de ta
première année, comment tu voyais l'école ? Et comment tu
voyais le français, en fait ?
52. Ah c'est... Ouais j'ai beaucoup aimé et ça
m'a beaucoup aidé la Grèce. La méthode qu'ils utilisaient
en Grèce, c'était mieux. Ca m'a beaucoup aidé, aussi la
langue.
53. La méthode qu'ils utilisaient en
Grèce, et ils faisaient comment en Grèce ?
54. Bah, c'est pas comme ici en Albanie, par exemple. Nous,
on n'apprenait pas par coeur, là. Les profs nous expliquaient et on
apprenait l'essentiel. Et tu vois, moi, en Grèce, même si je ne
lisais pas à la maison, je pouvais faire un examen et avoir une bonne
note. Mais j'étais attentif, pendant les cours, en classe, voilà.
Je ne sais pas, ils avaient une autre manière didactique, c'était
différent. Ca m'a beaucoup aidé, je pense.
55. Tu penses que la méthode qu'on a
utilisée en Grèce pour enseigner le français et l'anglais,
tu l'as prise et tu l'as utilisée ici.
56. Oui, c'est ça et je l'ai utilisée ici.
57. Et les profs en Albanie, alors, ils font
comment pour enseigner les langues étrangères ?
58. Les profs se basent beaucoup sur le livre, c'est vrai !
Mais il y a aussi des bons profs qui donnent des choses extra, en dehors du
livre. Mais ça, au lycée, j'ai pas eu de problèmes par
rapport à l'apprentissage, mais dans l'évaluation. Elle me
mettait jamais 10. Elle ne voulait pas accepter que j'étais le
meilleur.
59. Pourquoi, d'après toi
?
60. Parce qu'il y avait aussi 5 autres filles dans ma classe
et on était en concurrence. Moi, contre 5 filles. Et... Chaque fois,
elle nous disait, elle nous donnait des devoirs, donc elle nous disait «
Trouvez les nouveaux mots du texte ». Moi, je ne travaillais jamais avec
le dictionnaire. Et quand j'allais à l'école, dans la classe, les
filles elles avaient dans le cahier écrit. Moi, sans cahier, sans rien.
Et elle me dit « mais pourquoi tu n'as pas fait ? » « Vous
pouvez me demander, je vais vous répondre ! Si je ne vous réponds
pas, vous me mettez 4 ! » Et il y avait un mot d'origine grecque en plus !
Et c'était le mot « xénophobe » en plus, ou je ne sais
pas. Quelque chose à faire avec cela, tu vois ? Et elle m'a dit «
Qu'est-ce que ça veut dire ça ? » Mais j'avais pas
écrit et elle pensait que je n'allais pas répondre !
XXVI
Elle ne savait pas que je parlais grec, que j'avais
vécu en Grèce ! Et je lui dit ça, ça, ça, je
lui donne la définition, et elle me dit « Non, ce n'est pas
ça ! Tu n'as pas trouvé. » Je lui dit « Ah ok, vous
pouvez chercher dans le dictionnaire ! » Même les filles, elles
étaient contre moi, parce qu'elles n'avaient pas trouvé ce mot,
parce que, je ne sais pas, je pense que c'était dans un autre texte
qu'elle a lu. (rires) Et ensuite dans l'autre
séance, on se réunit avec l'autre groupe, parce qu'on
était séparé en deux groupes. Et la prof a pris le
dictionnaire et en lisant, sa couleur de peau a changé, elle
était toute rouge. Et après elle a dit, pas à moi, aux
filles, il a raison (rires).
61. Et à partir de ce jour-là, elle a
changé, elle a porté un autre regard sur toi ?
62. Non, elle m'a toujours mis 8, pendant trois ans, plus que
ça.
63. Et finalement, tu penses que tu as appris le
français par l'école, ou par un autre moyen ? Ou les deux
?
64. Les deux, mais à part l'école, j'ai appris
surtout sur la grammaire et sur les choses comme ça, sur la syntaxe, la
structure des phrases. Mais par Internet j'ai appris le reste. Donc à
l'école, j'ai appris 30%, sur Internet, 70%.
65. Qu'est-ce qui t'a amené à faire
ces efforts-là ? Qu'est-ce qui t'a amené à apprendre plus
sur la langue française ? Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier
?
66. Bah, je sais pas, d'un coup, j'ai beaucoup aimé la
langue française et je voulais apprendre plus de choses sur la France,
pas seulement la langue. Parce que quand on apprend la langue, on n'apprend pas
seulement la langue, mais on apprend sur la culture, l'histoire du pays, sur
les peuples. Tout. Internet, c'était le moyen, donc, où il y a
les nouveautés récentes, sur ce qui se passe en France.
67. A l'école, tu avais le sentiment
qu'ils n'abordaient pas du tout cet aspect-là ?
68. Non. Même on avait des méthodes très
anciennes, des années 80 : Le Nouveau Sans Frontières.
69. Et tu avais une stagiaire au lycée
?
70. Non, pas de stagiaire. Mais à chaque fois qu'il y
avait un français, ou des activités francophones, on était
toujours présent. Seulement quand il y avait Mélanie, je me
souviens.
71. Mais ça, tu étais à
l'université ?
72. Non. J'étais au lycée. Seulement, on a...
Elle faisait une soirée, on prenait un café et elle parlait des
livres, je ne sais plus quoi... Mais même là quand je suis
allé, il y avait un garçon de ma classe et les autres,
c'était des étudiants. On est allé là, et tous on
parlait et moi j'étais le dernier. Seulement j'écoutais,
j'écoutais, j'écoutais et à la fin, quand je parlais, elle
restait comme ça : « Oooh ! ». Elle ne s'attendait pas
à ça.
73. Et il y avait beaucoup de gens qui venaient
à ces réunions ?
74. Oui, à ce temps-là, il y en avait. On
était 12, 15 !
75. Et tout le monde participait, tout le monde
parlait ?
76.
XXVII
Oui, tout le monde ! Et je me souviens bien, le thème
qu'on discutait « Est-ce que les livres électroniques vont
remplacer les livres en papier ? » Et tout le monde participait.
77. Et après, c'était naturel de
continuer le français à l'université, est-ce que
c'était une suite logique ? Ou est-ce qu'à un moment
donné, tu as eu envie de faire autre chose ?
78. Ouais, non, c'est que moi qui a choisi le français
comme premier choix.
79. Tu voulais continuer le français
?
80. Oui.
81. Pourquoi ?
82. Pour aller en France !
83. Et tu pensais que faire une licence de
français à l'université, ça t'aurait permis,
ça t'aurait aidé pour aller en France ?
84. Oui, bien sûr.
85. Dans quelle mesure ? Comment tu imaginais
ça ?
86. Je sais pas... Regarder, voir Paris, d'autres villes, les
Français, connaître du monde.
87. Tu pensais que toi, tu serais parti comme
ça en France, ou ?
88. Bah comme ça, non, mais je sais que, je croyais
que je pouvais y aller...
89. D'accord, est-ce qu'à
l'université, comment ça s'est passé ensuite
?
90. A l'université, c'était différent.
C'était mieux, je pense.
91. Pourquoi ?
92. Parce qu'on avait toutes les matières en
français. Grammaire, phonétique, histoire de France, beaucoup de
matières, culture, tout.
93. Et le niveau dans la classe, il était
comment, à ton époque, comment est-ce que tu trouvais les autres
étudiants ?
94. En général, nous, on était six, on
parlait plus, le reste, il dormait.
95. Et est-ce qu'il y a des gens comme ça
qui sont passés d'une année à l'autre sans parler un mot,
sans comprendre ?
96. Bien sûr ! Ils ont même un Master maintenant
!
97. Et qu'est-ce que tu penses de ça ?
Là, c'est le moment de te lâcher !
98. C'est pas bien, parce que ces gens-là, ils peuvent
trouver un travail avant moi. Et qu'ils sont pas du tout capables de faire le
travail.
99. Qu'est-ce que tu penses qu'il faudrait faire
pour changer ça ?
100. Je pense qu'il faut être, qu'il faut pas... Parce
que même les professeurs ils ne sont pas libres de les faire passer
d'une année à l'autre. Ils ont peur que le français
disparaisse, comme branche. Ca, c'est pas mieux comme raison, d'avoir 10
étudiants, que de faire passer 30 ou 40 qui sont nuls, ils ont aucune
valeur. Il y
XXVIII
a beaucoup d'étudiants qui ne viennent pas du tout en
cours, et ils ont le diplôme à la fin.
101. Et pourquoi tu penses que les profs font
ça, malheureusement, d'année en année ?
102. Bah, je t'ai dit, ils ont peur qu'ils restent sans
travail, ils veulent continuer leur travail. Moi, je ne peux rien faire, je
n'ai pas le pouvoir de changer quelque chose. Je ne sais pas pourquoi ils ne
donnent pas d'importance au français, ils donnent plus d'importance
à l'anglais.
103. Pourquoi tu penses que c'est important de
parler français ?
104. C'est important parce que c'est une langue qu'on utilise
beaucoup dans le monde.
L...]
105. Est-ce que tu parles français avec
d'autres gens ici en Albanie ?
106. Bah je parlais avec un ami à moi, il est de
Cerrik. Mais il m'a abandonné, il avait des problèmes avec sa
famille, on ne se parle plus. On ne se parle plus, donc... Des fois, avec EB,
mais pas beaucoup. Mais ils veulent pas, ils disent « On est en Albanie,
pourquoi parler français ? »
107. Mais quand tu regardes la
télévision en Albanie, c'est ce que me disait EB hier soir :
« Moi, zysh, je comprends pas, parce que quand tu regardes la
télévision, il y a des Albanais qui mettent des mots en italien,
comme ça, complètement par hasard dans leurs phrases, pour se
donner un style, un genre »...
108. Oui, c'est vrai, on utilise beaucoup des mots des autres
langues. Mais ce n'est pas bien, ça parce que les jeunes, les enfants,
ils écoutent ça, et ils n'apprennent pas bien leur langue
maternelle.
109. Mais une langue, ça évolue
?
110. Oui, ça évolue, la langue, mais pas
prendre des mots de l'italien. Ca, c'est pas évolution.
111. Tu penses que c'est une espèce de
trahison à la langue, que c'est ne pas respecter la langue
?
112. Ils ne savent pas respecter la langue, ici.
113. Pourquoi ?
114. Parce que même quand j'ai fait mon stage, j'ai
fait une petite dictée à la sixième classe, et
c'était bizarre, beaucoup de fautes en albanais, beaucoup,
beaucoup...
115. Ah tu as fait une dictée en albanais
?
116. Ils ne savaient pas écrire en albanais.
117. Je trouve pourtant que l'albanais, c'est une
langue qui est très facile à écrire.
118. C'est très facile, parce que c'est comme on
l'écrit, on le lit, voilà. Mais il y a d'autres raisons, je
pense. Parce que les familles, quand j'ai fait mon stage, aucun parent n'est
venu se renseigner pour son enfant, comment il va avec ses études, avec
la langue, comment il avance. Et comme ils le savent déjà, les
enfants, que
XXIX
leurs parents ne vont jamais venir, ils s'en fouttent, ils
sèchent, ils n'apprennent pas, ils disent « nan, je m'en fous
». En plus, ils ont une mentalité un peu, je sais pas. Ils ne
pensent pas à ce qu'ils vont devenir, leur futur, mais je pense que
c'est la famille, en plus le pays. Les hommes politiques ici, ils sont tous des
voleurs. C'est très dur. Il y a d'autres facteurs, je pense, qui
influencent sur l'enseignement. Parce que la langue, on peut l'apprendre
facilement, c'est facile. Même la grammaire, oui, c'est difficile, mais
ton cerveau, il est fait pour apprendre. Mais je te dis, c'est la
génération d'aujourd'hui (rires). Mais
c'est la technologie, aussi, je pense.
119. Et qu'est-ce qu'elle fait la technologie
?
120. Bah tu vois, tous les enfants, ils ont un I-Phone
maintenant. Et les dessins animés aussi, maintenant, ils sont tous en
albanais, doublés. Et dans mon temps, à la fin, il y avait un
message. Mais maintenant, je regarde, c'est nul, il n'y a rien à
apprendre. Il y a seulement pour rigoler, ils veulent que rigoler. Ils ne
veulent pas apprendre. Et pour les langues, ils ne sont pas motivés
à l'école. Et le français, c'est difficile.
Premièrement, je pense, pour la prononciation, les nasales et tout
ça. Mais, malgré ça, je pense que ce n'est pas une langue
à détester, à ne pas apprendre. Mais. Je pense qu'il faut
étudier une autre langue. Moi, par exemple, comme deuxième
langue, j'ai pris allemand, parce que je connaissais déjà
l'anglais. Au lycée et à l'université, ça fait 7
ans. L'espagnol, je l'ai appris aussi à la télé, en
regardant les téléfilms mexicains. Le portugais, je te dis, parce
que je joue à un jeu. Je ne le parle pas très bien, mais pour
l'écrire, je parle avec eux, ce n'est pas un problème.
121. La musique française, est-ce qu'on
entend de la musique française, en Albanie ?
122. Non ! (rires). Quelques chansons, comme Garou, comme
Lara Fabian, Céline Dion. Stromae, un petit peu, mais on ne
l'écoute pas, parce que c'est en français et parce que c'est le
rythme, la musique, c'est pour ça, Stromae. Et en ce qui concerne
l'apprentissage des langues étrangères, quand il y a un
étranger, ils sont timides, ils ne veulent pas parler avec eux. Parce
qu'à chaque fois qu'il y a des étrangers, des amis à moi,
ils me disent « Oh, il y a un étranger ». Ils ne vont pas lui
demander s'il sait parler, je ne sais pas pourquoi. Et c'est peut-être
pour ça que ça ne les intéresse pas d'apprendre la langue.
Mais moi, je suis un cas particulier, parce que j'ai vécu en
Grèce, déjà. Moi j'aime beaucoup la langue grecque, parce
que ça m'a beaucoup aidé. Mais ici, si tu dis à un
Albanais, « Je vais t'apprendre le grec, gratuit, tu ne vas rien payer
». Ils ne veulent pas.
123. Pourquoi ?
124. Parce qu'ils disent « Oh, je déteste les
Grecs ! ». Voilà.
125. Est-ce qu'il y a une montée
d'identité nationale ?
126. Oui, ça aussi, mais... Apprendre une langue,
ça ne veut pas dire trahir ton pays. Parce que tu vois, moi, j'ai
passé mon adolescence, c'est à dire le moment où un enfant
crée son caractère, et tout, en Grèce, c'était
différent ! Et l'Albanie est trop petite dans le monde, il y a beaucoup
d'autres pays dans le monde qu'il faut aller visiter, des choses qu'il faut
voir, regarder... En plus, c'est une facilité pour entrer en contact
avec d'autres pays, avec d'autres gens. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas
motivés. Quand on a fait une matière, traduction, je pense, il y
a un prof qui nous a dit « les langues sont comme des armes pour
XXX
l'être humain ». Ca aide beaucoup comme un as
caché dans sa manche. Peut-être pour le moment, je n'ai pas
trouvé un travail, mais, ça sera plus facile pour moi que pour un
autre qui ne parle pas la langue. Par exemple, si je vais dans un autre pays,
ça sera plus facile pour moi, que pour un autre. Et si tu connais la
culture, c'est un plus, pas seulement, la langue, tu vois ? Quand je parle
français, c'est mieux pour moi de parler français chaque jour,
que de parler en albanais.
XXXI
|